Par Ali
Yahia Abdenour
Les
indignés, qui sont en froid avec ces élections et ont une inoxydable résistance
à la résignation, se réfugient dans le boycott qui est une arme politique dont
l’impact psychologique est considérable. Les résignés, désespérés et désemparés
par l’incertitude, l’inquiétude, l’angoisse, voteront. «Résignés, indignez-vous.»
Les Algériens ont tous un ou plusieurs motifs pour s’indigner. Les réactions
hostiles à la participation aux élections législatives sont très nombreuses et
se caractériseront par un taux élevé d’abstention. Il faut s’attendre à un élan
d’indignation de la part des résignés. L’abstention, qui progresse à chaque
scrutin, est un acte de méfiance et de désaveu à l’égard du pouvoir qui
interfère de manière directe dans le truquage de toutes les élections qui
mènent à la normalisation autoritaire de la société.
L’appel
au boycott, venu des profondeurs de la nation, est entendu et suivi par le
peuple, particulièrement les jeunes qui dénoncent la régression politique et
sociale réelle et profonde, dans laquelle vivent les Algériens. Malgré le
matraquage médiatique, la participation au vote sera faible, parce que les mots
simples et bien compris appellent mieux à la mobilisation en faveur du boycott.
Le prochain scrutin sera marqué par un nouveau record d’abstention. Ne pas
respecter les règles d’une élection propre, transparente, c’est s’attendre à
une grande désaffection de l’électorat.
Le président Abdelaziz Bouteflika s’investit dans la campagne
électorale
La
raison et la logique, ainsi que le bon sens ne s’auraient accepté qu’il élève
au rang de la révolution du 1er Novembre 1954 ou du référendum de juillet 1962
qui a consacré l’indépendance nationale, les élections législatives du 10 mai 2012,
qui ne peuvent que consolider son pouvoir afin de lui permettre de réviser la Constitution, sa
Constitution et de préparer sa succession. Les principes du 1er Novembre et du
Congrès de la Soummam
sont évacués, sacrifiés à des intérêts électoraux, au cynisme électoral. Les
Algériens ont surtout retenu le péché d’orgueil dans lequel est tombé Bouteflika,
la démagogie, le peu de sérieux, le dérisoire qui naufragent ses propos, qui ne
sont qu’un coup d’éclat politicien, un coup de bluff, un dérapage de la pensée,
faiblesse politique inexcusable, qui emploie les grands mots pour cacher les
grands maux. Déçus par la politique politicienne du pouvoir, les Algériens
désireux de préserver la cohésion nationale et la cohésion sociale boycotteront
en masse les prochaines élections législatives qui n’incarnent pas l’esprit du 1er
Novembre.
Le Parlement a abdiqué ses pouvoirs constitutionnels pour se mettre au
service du pouvoir exécutif
Il
faut diminuer le nombre de députés et non l’augmenter. Le Conseil de la nation,
qui est une hérésie, car rien dans la sociologie politique du peuple algérien
ne peut justifier son existence, a été créé par le président Liamine Zeroual
dans le seul but de contrecarrer une éventuelle majorité à l’APN. Il faut le
dissoudre dans les meilleurs délais, parce qu’il ne reflète en rien la réalité
nationale et représente une dérive de la République. Le
président de la République
a fixé la marge de manœuvre du Parlement en lui demandant de voter tous les
projets de loi que le pouvoir exécutif lui propose. Il a accentué la primauté
présidentielle en fixant la marge d’action du Parlement, selon le principe : «Vous
devez faire ce que j’ai décidé que vous feriez.»
A
quoi peut servir une APN quand il n’y a pas séparation mais confusion des
pouvoirs, c’est-à-dire dictature ? Chacun des trois pouvoirs doit remplir
strictement son rôle et s’y maintenir. Le président Bouteflika ne s’est pas
passionné pour le Parlement, a minimisé son rôle réduit à deux chambres
d’enregistrement. A quoi peut servir l’APN quand le Président attend qu’elle
soit en vacance, pour légiférer par ordonnances ? L’APN, issue de la fraude
électorale, n’a aucune crédibilité, s’enfonce dans un discrédit dont elle a du mal à se relever,
fonctionne à vide sans prise réelle sur les problèmes du pays. Elle n’est en
réalité qu’une maison de retraite lucrative destinée aux cadres du parti. La
prochaine APN sera éphémère, parce que dans un bref délai, l’accélération de
l’histoire mettra en place un régime politique basé sur la démocratie, la
liberté, la justice et les droits de l’homme.
«Les élections législatives seront libres et honnêtes», a déclaré
Bouteflika
Qu’a-t-il
fait depuis 13 ans au pouvoir pour que les élections soient libres ? Il a été
le premier à bénéficier d’élections truquées. Des élections propres et honnêtes,
c’est une bataille perdue pour le pouvoir, parce qu’elles arrivent trop tard. Elles
ont été libres en Tunisie, en Egypte, au Maroc, au Sénégal et partout ailleurs.
Il faut rafraîchir la mémoire des Algériens sur la fraude électorale, vieille
tradition coloniale, amplifiée depuis l’indépendance du pays, qui est au rendez-vous
de toutes les élections. Elle déforme et pervertit le suffrage universel, fausse
la voie des urnes et la vérité électorale. Ce ne sont pas les électeurs qui
choisissent les élus, mais le DRS secondé par l’administration et la justice, en
exerçant des pressions sur les volontés et les consciences, en trafiquant les
élections par des fraudes massives et en distribuant des quotas. La répartition
des tâches est faite, les Algériens doivent voter, mais la répartition des
sièges relève de la compétence du pouvoir pour éviter des surprises.
Le
plus simple serait sans doute, comme le recommande le journaliste Kamel Daoud, d’élire
le ministre de l’Intérieur qui est aussi celui des élections, et de lui laisser
le soin de répartir les sièges de députés, entre les partis qui ont un ancrage
populaire et un poids électoral, et les partis de l’opposition qui sont devenus
l’opposition du pouvoir. L’entrée en campagne du président Bouteflika, qui
demande aux Algériens de voter en masse, a pour objectif de prouver au peuple
algérien et au monde, particulièrement à l’Amérique et à l’Union européenne, que
les élections législatives seront propres et honnêtes parce que leur contrôle
est confié à des juges dont l’indépendance est conférée par la Constitution et qui
n’exercent leurs fonctions qu’en appliquant la loi égale pour tous, et de leur
conscience.
La
mascarade de certains procès prouve que la justice est aux ordres. Dans les
affaires de justice, qui ont une dimension politique, le droit doit triompher
de la politique, la morale de la raison d’Etat. C’est une raison pour donner
aux Algérien un Etat de droit qu’ils n’ont jamais connu, le seul Etat en mesure
d’améliorer l’image de la justice, de rehausser son prestige et son audience. Il
n’y a qu’à se souvenir des arrêts du Conseil d’Etat, juridiction administrative
suprême, qui en 2004, dans l’affaire du FLN, s’est déjugé en retenant deux
oppositions radicalement opposées. Le Conseil constitutionnel a validé toutes
les élections entachées de fraudes massives. L’élection présidentielle d’avril 2009 a tourné au ridicule et
à la mascarade, caractérisée par une fraude électorale massive, le truquage du
scrutin et le bourrage des urnes. Il y a un côté mystique chez Bouteflika, bienfaiteur
des zaouïas, qui ont fait de lui l’homme providentiel.
Le
cheikh Nasreddine Chouadli, président des zaouïas, a écrit dans
l’hebdomadaire algérien Al Mohakika(1)
: «C’est par la volonté des saints éclairés que Bouteflika a pu mener à bien
son œuvre. C’est également en conformité avec la volonté des saints que Bouteflika sera président à vie.» Mahmoud
Chaâlal, président de l’Union nationale des zaouïas algériennes (UNZA) a
déclaré : «Pour les élections présidentielles de 2004 et de 2009, Abdelaziz
Bouteflika a été réintroduit au palais d’El Mouradia grâce à nous, ce qui nous
a enchantés.» La fraude ne sera pas généralisée pour les élections législatives
du 10 mai 2012, et l’électorat sera distribué en quotas selon l’équilibre des
forces que le pouvoir veut établir sans faire émerger aucune force importante
ou moyenne, en mesure de prétendre à la direction du gouvernement qui sera
totalement remanié par le président de la République. Le
bilan de 13 années de pouvoir dictatorial, à défaut d’être positif est
instructif.
Le
Président ne peut initier de vraies réformes, parce que la dictature ne se
réforme pas. Le monopole politique et la pensée unique étouffent la voix du
peuple et conduisent à la régression des libertés. L’Algérie a un besoin urgent
de vraies réformes, et non de celles retenues par le pouvoir qui ont atteint le
seuil psychologique de l’intolérable. La jeunesse, soucieuse de rigueur et de
cohérence, thermomètre de la température qui représente la vie, l’espérance, l’avenir,
est délaissée. Le corps social ne peut être entier et fonctionner de manière
harmonieuse, que si les femmes occupent la place qui leur revient de droit dans
la société, toute leur place, leur juste place, c’est-à-dire l’égalité avec les
hommes dans tous les domaines.
La
priorité du sens de l’unité du peuple et de l’intérêt national est à retenir, pour
comprendre la nécessité de mettre en œuvre d’urgence le pluralisme culturel et
linguistique. Les résultats obtenus en matière d’éducation et de santé sont
catastrophiques. Respecter la liberté d’expression, préserver la liberté de la
presse sans exclusion ni exclusive et les règles de l’étique, est le combat qui
est mené et qu’il faut continuer. La
diplomatie algérienne manque de sérieux et de rigueur, accumule discrédit, perte
d’influence, échecs, et humiliation. Récupérer les partis politiques est un des
axes de la politique du pouvoir qui a toujours considéré que les dirigeants des
partis, il faut d’abord tenter de les acheter avant de les combattre, et qu’ils
sont capables d’abandonner leurs comportements en harmonie avec les principes
qu’ils défendaient la veille, à condition d’y mettre le prix.
L’argent
roi où tout s’achète est au cœur du pouvoir. Quand l’argent précède toutes les
portes s’ouvrent. A quoi peut servir la richesse de la nation, à améliorer la
vie du peuple ou à enrichir les cercles du pouvoir et ceux qui gravitent autour
d’eux qui détiennent un patrimoine immobilier très important et des fortunes
colossales. La corruption, inséparable de l’exercice du pouvoir, sévit à tous
les niveaux et dans tous les domaines. Les deniers publics de l’Etat, sur
lesquels le Président a la haute main, sont mobilisés en faveur des riches
toujours plus riches, et non au profit des pauvres toujours plus pauvres. L’idéologie
du libéralisme sauvage, sans règles ni garde-fou, ouvre la voie au marché
informel qui fait la loi. Une partie du peuple vit dans la pauvreté qui s’étend
à tout le pays, végète dans la misère, et le pouvoir qui ne répond pas à sa
détresse et à sa souffrance donne encore plus à ceux qui en ont déjà trop. Ce
qui est le comble de l’injustice. L’exigence sociale est portée par les
syndicats autonomes qui luttent sur trois fronts : la protection sociale, l’emploi,
le pouvoir d’achat et contre la fracture sociale qui se creuse de manière grave
et fait remonter, en surface, la soif de la justice sociale.
Les Algériens veulent l’alternance, l’autre exigence est l’alternative
L’alternance
qui est le droit souverain du peuple à choisir ses représentants au niveau de
toutes les institutions élues de l’Etat, par des élections libres, ne s’est pas
réalisée depuis l’indépendance du pays. Elle reste d’actualité. L’alternative
passe par la réalisation de convergences autour d’un projet global de
transformation sociale et sociétale. La fonction essentielle du pouvoir
dictatorial est de consolider les liens de domination, de subordination et
d’assujettissement qu’il exerce sur le peuple. Il voit dans la main de
l’étranger, qui met en danger l’Algérie, dans toute contestation intérieure, pour
avoir sous la main un épouvantail à agiter. Le tableau de bord des relations
politiques au sommet de l’Etat voit ses indicateurs basés sur des divergences
stratégiques, passer au rouge les uns après les autres.
Les
uns disent le DRS fait tout et le Président fait le reste ; les autres disent
le contraire. Il faut répéter avec force ce qui est dit depuis un certain temps,
le départ du Président est un préalable absolu, un impératif même. Deux
quinquennats, hélas, trois quinquennats, holà. La grande faute politique de
Bouteflika est d’avoir révisé la Constitution en 2008
par un coup d’Etat constitutionnel pour s’octroyer un mandat à vie. L’Algérie a
de nombreuses Constitutions, la 5e avec celle en préparation pour avoir leur
respect et les règles de jeu qu’elles impliquent. Elles sont peu appliquées, usées
et révisées avant d’avoir servi. Le Président veut donner, à la fin de son 3e
mandat, un avenir qui ait un sens. Préoccupé par l’image qu’il veut léguer à
l’histoire, il prépare sa sortie du pouvoir qui se fera après la révision de la Constitution ou à la
fin de son 3e mandat en avril 2014, après avoir fait le changement qu’il veut, fait
par lui et pour lui, pour assurer sa succession. Mais rien n’est définitivement
acquis en politique, et les affaires humaines ne se déroulent pas souvent comme
conçues et ne sont pas exécutées comme prévu. Quand se joue le destin du pays, l’avenir
n’est pas écrit.
1
– Le Soir d’Algérie du 30 mars 2009, et El Watan du 29 avril 2012
Ali
Yahia Abdenour
In
El Watan, 06 mai 2012
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