Entretien réalisé par Brahim Taouchichet
(Le Soir d'Algérie) En 2004, il a démissionné de son poste de Premier secrétaire en raison d’un désaccord avec le président du FFS qui lui avait imposé sa propre liste des membres du secrétariat national, une sorte de bureau politique. Aujourd’hui, il en vient à reconnaître avoir été poussé vers la porte de sortie du parti par la «grâce» du cabinet noir constitué des frères Bahloul, qui apparaissent maintenant au grand jour à la faveur de la nomination de nouveau d’Ali Laskri.
Mustapha Bouhadef nous dit avoir toujours gardé dans son cœur le FFS quand bien même il n’en fait plus partie après 17 ans de «bons et loyaux services». «En tant qu’universitaire, je ne pouvais accepter l’invective et l’insulte comme argument.» Il ne se reconnaît pas non plus dans le mouvement de contestation (protesta) initié par certains militants du parti. Pour les lecteurs du Soir d’Algérie, il a bien voulu répondre aux questions liées à l’actualité politique du pays. Il s’agit, bien sûr, des législatives du 10 mai et le contexte interne et externe dans lequel elles vont être tenues, la participation controversée du FFS au scrutin. Nous l’interpellerons aussi sur Hocine Aït Ahmed, l’inamovible président du FFS et dernier historique des artisans de l’indépendance, quant à sa gestion du parti, son sentiment sur le FFS post-Aït Ahmed. Fait frappant : à aucun moment, Mustapha Bouhadef ne semble tenir rigueur à son ancien chef. Au contraire, il lui voue, sans le dire, respect et considération. «Of the record», il s’étalera un peu plus sur la personnalité du chef du FFS, son apport dans le combat pour les libertés et la démocratie, sans enfreindre toutefois aux règles de la convenance. Il dit que de tout temps, Da l’Hocine a été là quand l’Algérie se trouvait en danger. «Rumeurs récurrentes», selon Mustapha Bouhadef, s’agissant d’un éventuel «deal» secret avec le pouvoir pour la participation du FFS aux élections législatives parce que c’est le Zaïm qui décide malgré le semblant de débat interne. Par contre, il s’insurge contre la proposition de maître Farouk Ksentini, le président de la CNCPPDH (Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’Homme) de rendre obligatoire le vote. «Seule la Belgique fait obligation à ses concitoyens de voter mais sans conséquence en cas d’abstention». «Comment une telle disposition est-elle possible dans un pays où quand tu mets un bulletin blanc il sort bleu ?» s’exclame-t-il. L’ex-numéro 1 du Front des forces socialistes s’inquiète beaucoup, par ailleurs, des risques induits par les tensions au Sahel, la guerre civile en Libye, le chaos au Mali. Il faut, dit-il, l’union de tous les patriotes y compris l’implication du pouvoir pour parer aux dangers dans une sorte d’union sacrée. Pour lui, le choix d’une recomposition politique par le haut est décidé par le pouvoir ; elle ne va pas dans le sens d’un apaisement des inquiétudes. Il voit se continuer les mêmes méthodes de gestion politique du pays qui a un besoin impérieux de démocratisation. Il voit dans ces législatives une volonté de recomposition politique avec une Assemblée nationale où aucun parti n’aura la chance d’avoir la majorité absolue. Mieux, pour lui seuls 4 ou 5 partis dominants apparaîtront dans une Assemblée sur laquelle le pouvoir aura la haute main et où l’enjeu principal sera la présidentielle de 2014. Il voit se profiler la candidature de Ali Benflis ou le retour de Mouloud Hamrouche. Pour lui, Bouteflika ne veut pas rempiler pour un quatrième mandat. Et comme pour excuser ces pronostics, il dit que tout cela n’est que «spéculations». Voire…
B. T.
Le Soir d’Algérie : Vous revenez de Kabylie, Aït Yenni, un mot sur la campagne pré-électorale en cours ?
Mustapha Bouhadef : Je n’ai pas ressenti d’engouement. Les gens ne se sentent pas du tout concernés par ces élections du 10 mai. Bien sûr, je ne peux pas me permettre de parler au nom de la communauté mais c’est là mon sentiment.
-Récemment, vous avez rendu publique une lettre — à la veille du 50e anniversaire de l’indépendance et des législatives du 10 mai. Sombre tableau que vous dressez là.
-Je voulais faire un tour d’horizon sur la situation du pays aux plans économique et politique et mettre l’accent sur les enjeux de ces élections. Je crains et pressens que ce ne sont là que des élections en trompe-l’œil car le véritable enjeu, c’est la présidentielle de 2014 et la façon dont le pouvoir veut l’aborder. Compte tenu du nombre de partis politiques agréés en dernière minute, et pour certains issus du sérail, le «saucissonnage» de l’électorat me fait craindre une volonté de recomposition politique par le haut.
-Le RCD, Djamel Zenati et vous-même, transfuges du FFS, et d’autres personnalités à l’image de Sid Ahmed Ghozali, appelez au boycott. Quels résultats espérezvous ?
-Effectivement, la question est de savoir ce qu’il faut faire pour déjouer cette recomposition par le haut, sachant la situation géopolitique dans la région. La Libye a été mise à feu et à sang pour son pétrole par les pays de l’Otan qui, par la même occasion, y installent la guerre civile. Au Mali, c’était le FNLA de l’Azawad supplanté par une tendance de l’Aqmi et ajoutez toutes les armes qui circulent !
-Quel est le rapport avec l’appel au boycott ?
-C’est très important dans mon argumentaire car je veux dire que l’Algérie n’est pas loin de ce bruit de bottes. Pour éviter toute implosion du pays et, partant, toute intervention étrangère, les Algériens doivent rester unis ; cela n’est pas possible lorsque le pouvoir est autoritaire et isolé de son peuple ; malheureusement, les élections du 10 mai risquent d’aggraver la fracture et ne vont donc pas dans le sens de l’unification du peuple algérien. Comment unir le peuple algérien ? C’est en allant vers les principes démocratiques. Certes, tout le monde le proclame, mais alors comment faire ? Il faut un certain nombre de principes sur lesquels s’accorderont tous les acteurs politiques dont le refus de la violence pour accéder ou se maintenir au pouvoir et l’acceptation par tous des principes démocratiques dans le fonctionnement du pays. Toutes les actions doivent être de type pacifique. Toutes les parties qui acceptent cette règle du jeu sont parties prenantes dans le rassemblement du peuple algérien y compris, bien entendu, le pouvoir. Le contrat national, qui n’est plus d’actualité, a capoté parce que le pouvoir n’y a pas participé. Le manque d’une seule composante mettra en cause cette unité où chacun doit être accepté malgré ses différences, pour peu qu’il accepte les règles du jeu définies en commun. L’expérience tragique passée montre que les armes n’ont pas résolu le problème, les manifestations pacifiques non plus et le terrorisme a échoué sans disparaître complètement pour autant. Aucune partie ne peut se targuer de résoudre seule le problème. Le pouvoir doit accepter ces règles du jeu. Il doit lâcher du lest et ne plus se poser comme le seul pilote de la démocratisation dans le pays. En définitive, tout est lié. L’Algérie est en danger aujourd’hui parce qu’elle n’arrive pas à réussir sa démocratisation. Ceci est d’autant plus urgent que ce bruit de bottes se fait de plus en plus assourdissant.
-A chaque scrutin, la participation ou non du FFS suscite une grande controverse parmi les observateurs politiques et dans les rangs de ce parti. Finalement, c’est au chef que revient le dernier mot… Comment un parti qui revendique la démocratie ne l’applique pas pour lui-même ?
-Il y a là de l’exagération. J’ai dirigé le parti en tant que premier secrétaire national au cours de plusieurs mandats. Il est vrai, toutefois, que l’avis du président comptait et qu’il était prépondérant.
-Pourtant, vous avez quitté le FFS pour protester contre cet autoritarisme dans la composition du secrétariat national…
-Effectivement, je suis parti parce que je ne suis pas arrivé à m’entendre avec le président du parti sur la composition du secrétariat national. J’ai d’abord quitté mon poste de premier secrétaire national ; puis le parti, allant de dérive en dérive, j’ai dû le quitter.
-Quel crédit accordez-vous à la venue de Hocine Aït Ahmed en Algérie dans «le plus grand secret» pour négocier la participation de sa formation au scrutin du 10 mai moyennant un quota comme en 1997 ?
-On a souvent entendu ces rumeurs. Qu’il soit venu ou non je ne suis plus au parti pour le savoir. De toute façon, l’avenir nous le dira…
-Comment expliquez-vous le rappel d’anciens cadres ?
-L’autoritarisme aidant, le FFS est arrivé à un point tel que la majorité des militants s’est retrouvée en dehors des structures du parti. Je pense que c’est pour répondre à cette inquiétude que le président a procédé à la dernière nomination du premier secrétaire.
-A l’intérieur du FFS, des voix appelant au boycott sont étouffées et les meneurs sont accusés de faire le jeu de la police politique.
-Il est vrai que les références à la police politique ont toujours existé au FFS mais je n’ai jamais rien vu de concret à mon époque…
-A contrario, certains contestataires affirment que c’est plutôt le président qui fait le jeu du pouvoir, étant lui-même un élément-clef du système qu’il dénonce officiellement.
-Cette participation surprend effectivement du fait de tous les bruits que l’on entend… De tout temps, Hocine Aït Ahmed n’a jamais accepté que l’Algérie soit mise en danger. Il y a pour cela des moments forts. Je me souviens à l’Assemblée nationale à un moment où il y avait une menace sur la cohésion nationale ; la position du FFS a étonné ceux qui voulaient l’être. L’intégrité du pays était quelque chose de sacré pour le FFS et M. Aït Ahmed. C’est une ligne rouge à ne pas franchir, y compris pour les gens du pouvoir. Pour l’anecdote, nous avions reçu à l’époque une délégation de l’Union européenne qui était surprise par notre intransigeance sur l’unité du pays.
-Malgré ses crises, le FFS — qui s’identifie à son chef — continue d’exister, c’est à s'interroger sur le secret de cette longévité.
-Le FFS n’est pas comme n’importe quel autre parti. C’est un parti qui a ses martyrs. En 1963, des militants sont morts pour la défense de la démocratie…
-Qui seraient de l’ordre de combien ? Certains disent que c’est son président qui détient les archives...
-Non, non. Avec El Hadj Toubal (Allah yerahmou), on avait commencé à résoudre les problèmes. On s’est occupé des anciens jusqu’au moment où ils ont «débarqué» Hamrouche, alors chef de gouvernement. On s’était entendu avec les autorités pour recenser le nombre des victimes qui seraient autour de 400. Ceux qui ont échappé à la mort ont été privés de leurs droits et d’autres mis en prison, certains poussés à l’exil. Cela répond à votre question sur la continuité du FFS malgré ses crises. Le parti appartient à ses martyrs. Il ne faut pas oublier qu’un certain nombre d’entre eux étaient dans l’Armée de libération nationale (ALN). Le FFS, c’est toute une histoire qui ne peut pas disparaître au gré d’une crise ou d’une conjoncture. Il reste que le problème des anciens de 1963 demeure une plaie pour ce parti et le pouvoir qui n’a toujours pas réglé le contentieux de ces pionniers de la lutte pour la démocratie. Hocine Aït Ahmed était membre du comité central du Parti du peuple algérien (PPA fondé par Messali Hadj en 1942) puis du bureau politique puis responsable de l’OS (Organisation spéciale), etc. Il a passé la plus grande partie de sa vie en tant qu’opposant, recherché, emprisonné… Oui, la question du devenir du parti se pose. Le FFS a formé énormément de cadres, dont la grande majorité est en dehors des structures du parti. Pour peu que l’on revienne aux pratiques démocratiques, le FFS retrouvera ses marques. Mais au jour d’aujourd’hui, il faut reconnaître que le FFS est plus un appareil qu’un parti politique.
Le Soir d’Algérie, 08 mai 2012
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