Par Mohammed Harbi
In Le Monde Diplomatique, Juillet 2002
«
Silence, on tue ! » : depuis le début de l’année, plus de 700 Algériens sont
tombés sous les coups des islamistes ou des militaires. C’est donc encore
marquée par dix années d’une guerre civile atroce que l’Algérie célébrera, le 5
juillet 2002, le quarantième anniversaire de son indépendance. Mais le bilan
négatif de ces quatre décennies ne tient pas qu’aux massacres qui persistent.
Une caste de privilégiés a dilapidé les acquis de la révolution algérienne
comme les richesses du pays, qu’elle a enfoncé dans une terrible impasse
économique et sociale : chômage massif, revenus en chute libre, explosion de la
pauvreté, crise du logement, services publics déficients, etc. Autant de tares
qui ne trouvent évidemment pas leur source dans on ne sait quels «gènes».
Violence et gabegie s’inscrivent dans une longue histoire, que rythmèrent la
colonisation française, puis la guerre de libération et, enfin, la confiscation
du pouvoir par les dirigeants de l’armée et du parti unique.
La
violence dans laquelle l’Algérie est plongée apparaît aux bons esprits comme
l’expression d’une tendance ancrée dans son caractère national. Cette
conception relevant du déterminisme culturel a l’évidence trompeuse des idées
simples. La violence, faut-il le rappeler, n’est l’apanage d’aucune société.
Elle est au coeur de toute humanité et la question qui se pose est celle des
circonstances qui la font éclater et s’imposer sur la scène sociale, ainsi que
les formes qu’elle y prend et qui semblent, elles, relever de l’héritage culturel
propre à chaque société.