mercredi 2 novembre 2011

Entretien avec Hocine Ait-Ahmed: « Les prémices de la crise » (en 1985)


 Le face-à-face algérien, gros de tous les périls, entre l’armée et les islamistes se joue en présence d’un troisième acteur dont on aurait tort de sous-estimer la capacité contraignante : Hocine Ait-Ahmed. A 65 ans, l’ancien « chef historique » de la Révolution tire sa force d’une conviction fondamentale il est le seul, ou peut s’en défaut, à jouer vraiment le jeu de la démocratie. Avec vingt-cinq sièges, son Front des Forces Socialistes a devancé le FLN aux élections de 26 décembre 1991. Mieux cette formation essentiellement kabyle a rassemblé le 2 janvier dans les rues d’Alger plusieurs centaines de milliers de personnes autour de mots d’ordre tout simples : liberté individuelle, liberté collective, droits de la femme. Surtout, ce chef de conviction a eu le courage, face aux démocrates au souffle court, d’accepter le verdict du suffrage universel jusque dans ses conséquences à priori inacceptables pour un homme tel que lui : la victoire des islamistes. L’armée n’a pas permis que cette expérience qu’il appelait, amer, de ses vœux, afin que son échec prévisible ait une vertu pédagogique, puisse se dérouler. Certains diront que Hocine Ait-Ahmed n’est pas un grand politique, encore moins un politicien. Ils auront peut-être raison, car la constance n’est pas toujours en ce domaine vertu. Constance, maître mot. Il y a six ans, en 1985, dans des entretiens inédits qui devaient servir de base à un livre, Ait Ahmed, alors exilé, avait confié à Hamid Barrada des propos passionnants d’une singulière actualité. Sur l’islamisme, l’arabisation, la sécurité militaire, l’assassinat de Krim Belkacem, « Si Hocine » s’était exprimé sans retenue. Avec une limpidité dont l’Algérie aurait bien besoin en ces temps de confusion.
François Soudan


L’entretien avec Hocine Ait Ahmed
Propos recueillis par Hamid Barrada

– Comment expliquez-vous la mésentente profonde entre Algériens et Libyens ?
– C’est d’affinités profondes qu’il faudrait parler. De part et d’autre, cette sobriété mâtinée de gentillesse qui marque les tempéraments. Ne serait-ce que pour ces considérations, les meilleures relations auraient dû prévaloir entre les deux pays, y compris sur le plan politique. Ce n’est pas le cas. Plusieurs raisons semblent à l’origine de cette mésentente que je relève comme vous - en la déplorant. En premier lieu, la progression à l’envahissement, chez notre ami Kadhafi, n’est pas pour susciter l’enthousiasme dans notre pays où, à juste titre, on est très regardant sur tout ce qui touche à la souveraineté. Il convient en second lieu de faire la part de la rivalité entre deux systèmes politiques qui, pour différents qu’ils soient, ont en commun des ambitions régionales, continentales, voire planétaires. On assiste donc à l’affrontement inévitable entre deux hégémonies, pour ne pas dire deux mégalomanies.

– Que pensez-vous personnellement de Kadhafi ?
– Pas beaucoup de bien. Je ne l’ai jamais rencontré, mais, de loin, j’ai du mal à admettre ses jugements à l’emporte-pièce, ses « solutions définitives » comme il dit, sur l’organisation des pouvoirs, de l’économie, de la vie internationale, etc. Je ne crois pas qu’on puisse régler les problèmes qui se posent à nos nations et à nos états à coups de slogans et d’abstractions. Et puis je n’accepte absolument pas le traitement qu’il inflige aux droits de l’homme chez lui et ailleurs. Kadhafi est un habile et parfois dangereux manipulateur des foules et des médias, de tels personnages ne suscitent en moi que réserve et inquiétude. Vous savez, contrairement à ce qu’on croit le « frère colonel » n’invente rien : « le combat du destin » auquel il convie les Arabes avec feu et flammes se disait voilà un demi-siècle « Il combattit del destino »...

­– Donc Kadhafi, Mussolini, même combat...
– Le Tiers Monde pas seulement ses produits manufacturés en ignorant le processus de leur fabrication, comme Monsieur Jourdain, les uns font du stalinisme sans le savoir et les autres, du fascisme...

– Et Khomeiny ?
– Autant je respecte et admire sa longue et exemplaire résistance à la tyrannie du Chah, autant je réprouve et condamne son système de gouvernement. Je n’accepte nulle part que les droits de l’homme soient bafoués. Qu’il s’agisse ici d’une révolution ne constitue pas des circonstances atténuantes à de tels crimes. Si les Iraniens se sont révoltés contre une dictature, c’était pour avoir le droit de goûter aux bienfaits de la démocratie.
Mon rejet catégorique de Khomeiny et du Khomeynisme procède en outre de mon opposition résolue à toute exploitation de la religion par les pouvoirs politiques. Au cours d’une conférence que j’ai donnée récemment dans une université parisienne et qui portait sur le thème « Engagement politique et islam », on m’a posé cette question : « êtes-vous laïc ? » Je n’ai pas esquivé. « Bien que la laïcité soit une notion impropre à l’islam, puisque celui-ci ignore, en principe, l’existence d’un clergé, je préconise la séparation du spirituel du temporel, ne serait-ce qu’à titre préventif, je peux dire pour empêcher l’émergence toujours menaçante d’un clergé à l’abri du pouvoir politique. La laïcité ne constitue pas pour nous un faux débat. Il suffit pour s’en rendre compte de voir ce qui se passe en Iran, en Égypte, au Soudan, au Pakistan, sans parler de l’Algérie. L’islam enseigne, et c’est sa grandeur, que la foi est une question de conscience personnelle, une affaire qui récuse les intermédiaires précisément parce qu’ils deviennent vite des imposteurs et des charlatans. « Point de contrainte en religion », dit-il le Coran. Dès lors que s’en mêle un appareil, fut-il animé des meilleures intentions, on peut être certain qu’il fera le lit, délibérément ou non, d’un système policier.

­– Comment réagissez-vous à la montée de l’intégrisme dans le monde ?
– Je m’en inquiète et je tente d’en déceler les raisons. La première cause me paraît être d’ordre économique. On s’est lancé au nom de l’efficacité, mettent l’accent sur l’économisme sans âme et négligeant les besoins fondamentaux de l’homme. Il s’agit littéralement d’économies inhumaines, puisqu’elles ont pour finalité, quand elles réussissent de transformer les hommes de chair et de sang en appareils de production, en robots. Les valeurs traditionnelles de solidarité et de dignité se trouvent détruites sans qu’aucune référence morale ne vienne les remplacer. La loi économique s’assimile à la loi de la jungle.
Les frustrations, les traumatismes, les aliénations qui en résultent sont visibles à l’œil nu : dans les bidonvilles où dans les cités sinistres sont presque multitudes anonymes arrachées à leurs terres où elles gardaient, malgré la pauvreté, visage humain. L’Iran (sous le Chah, mais autant que je sache rien n’a changé à cet égard), le Nigeria, l’Indonésie et dans une moindre mesure, l’Algérie fournissent des modèles du genre. Ce n’est pas un hasard si ces pays, par ailleurs si divers, ont en commun le pétrole qui se révèle être, au fil des années, une prime à la paresse et une malédiction du ciel. Si de plus ces politiques échouent sur leur propre terrain, le développement économique, on assiste à une exacerbation des frustrations. Et c’est alors que l’intégrisme pousse comme une mauvaise herbe.
Une autre cause à trait à l’organisation de la cité, à la politique. La monopolisation, la confiscation par le pouvoir de la chose publique, avec la suppression des libertés individuelles et collectives le contrôle pointilleux de toutes les manifestations de la vie sociale qui en résultent immanquablement, font que l’expression se réfugie dans la religion. On va à la mosquée, comme on ouvre une fenêtre pour ne pas étouffer. La mosquée tient lieu de parlement, de salle de réunion, de maison de culture...C’est le lieu géométrique de toutes les frustrations chauffées à blanc et des énergies inexprimées.
Il y a encore autre chose qu’à ma connaissance on n’a jamais noté : si les gens ont tendance aujourd’hui à exalter la religion et l’intégrisme, redécouvrant l’islam, c’est simplement qu’ils ont le sentiment de vivre dans la Jahiliya, l’époque anti-islamique c’est à dire littéralement dans un monde sans foi ni loi. Pour ne prendre qu’un seul exemple : qu’est-ce que le culte de la personnalité, sinon la résurrection des idoles (asnam) que les Prophète avait détruites ? Dès lors, il n’est pas étonnant que tous ceux qui s’insurgent contre ce désordre établi, cette Fitna, croient trouver le salut dans les institutions des premiers temps de l’Islam. Pour sortir des ténèbres de la Jahiliya, ils s’accrochent désespérément aux faibles lueurs de la Charia.

– Décidément, l’intégrisme fait des ravages en Algérie : après la conversion de Ben Bella, voici celle de Hocine Ait-Ahmed !
– Je n’ai pas besoin de me convertir comme Don Quichotte cognant sa tête contre les hautes murailles de l’église ! Je suis musulman, mais je n’ai rien à faire avec l’intégrisme. L’islam est une affaire trop sérieuse pour la confier aux islamistes !
L’islam n’appartient pas aux intégristes, et tenter de comprendre un phénomène qui domine nos sociétés, qui s’empare des cœurs de nos frères et sœurs n’est pas le justifier et encore moins y adhérer. Pour tout dire, je pense que les intégristes posent de vrais problèmes ou plus exactement les illustrent, mais qu’ils sont incapables d’y apporter la moindre solution qui soit conforme au siècle où nous sommes. Il est hautement significatif que l’islam iranien manifestait une efficacité redoutable dans l’opposition et fait preuve, une fois au pouvoir, d’une efficacité tout aussi redoutable.

– Quelle est, à votre avis, la part de calcul dans l’islamisme d’un Ben Bella ? Est-ce que, d’une manière générale, l’investissement dans un tel « créneau » est rentable ?
– Ce que je peux vous dire c’est que l’intérêt de Si Ahmed pour la religion ne date pas d’aujourd’hui. Déjà à la veille de l’indépendance, au printemps 1962, il avait élaboré avec Mohamed Khider et Rabah Bitat un « rapport d’orientation » qui mettait en exergue la dimension islamique de la Révolution algérienne et préconisait à l’envoi de « missionnaire » en Afrique noire ! Comme il l’explique lui-même volontiers, sa foi l’a aidé à surmonter l’épreuve extrêmement cruelle de l’enfermement, qui a duré quatorze ans. Cela dit, il est vraisemblable que les préoccupations religieuses de Si Ahmed n’ont pas été insensibles, depuis la Révolution iranienne, à l’air du temps. Voilà pour la sincérité.
Pour le succès de la démarche, c’est une autre histoire. Il ne fait pas de toute forme la vie politique en un immense no man’s land ou un bien vacant, comme on voudra, se trouve particulièrement perméable au discours intégriste. Et partant, qu’un homme comme Ahmed Ben Bella, qui a une envergure historique, accroît, en y sacrifiant, ses chances d’influence. Faut-il toutefois rappeler que le premier président de la République algérienne avait déjà noué des alliances qui finalement, ne lui ont point profit ? En fin de compte, la vraie question est de savoir si Ben Bella, quelque soit son degré de sincérité, ne se livre pas de nouveau, à un jeu de dupes. Ne joue-t-il pas en se jetant tête baissée dans l’intégrisme, à qui gagne perd ?...

– Paris vaut bien une messe...
– Écoutez-moi. Et je ne crois pas cultiver un complexe d’échec. « Gagner » ne m’intéresse pas en soi ! Ce qui m’intéresse, c’est que les quelques idées de liberté, d’indépendance, de démocratie pour lesquelles je lutte depuis quarante ans, passent un tant soit peu dans les faits, c’est à dire que l’Algérie offre à ses enfants une société où il fait bon vivre.

– Le débat avec l’intégrisme ne porte-il pas, en dernière analyse, sur le statut, ou plutôt le sort des femmes ?
– Qui dit femme, dit famille, dit société, et la femme, partout et toujours, constitue en quelque sorte la clé de voûte de toute vie en société. L’intégrisme, qui propose d’organiser, de régenter la vie des individus sous tous ces aspects, et qu’est de fait une idéologie totalitaire, tombe inévitablement sur les femmes. Le débat se corse d’autant plus que pour les mentalités archaïques, la femme représente la tentation par excellence, l’incarnation du diable. L’homme si faible s’il en est, risque à tout moment d’y succomber. Il convient donc de multiplier les mesures pour assurer sa protection lointaine ou rapprochée. Cela va de la mutilation au tchador en passant par la lapidation. Je suis désolé, mais la théologie n’a rien à voir avec de telles préoccupations pitoyables. Nous sommes en pleine psychanalyse !

– Les intégristes sont des névrosés et des psychopathes...
– Freud nous enseigne que nous sommes tous névrosés, mais certains sont assurément plus névrosés que d’autres ! Sérieusement, je m’interroge sur la santé mentale de ceux qui, dés qu’ils voient une femme brandissent le fouet ! Il ne faut pas confondre le marquis de Sade et le Prophète Mohammed ! La cruauté est répréhensible au regard de la morale la plus élémentaire, à fortiori au regard d’une religion céleste.

– L’album de dessin de Kaci, Bas les voiles !, il a été interdit à la diffusion en Algérie...
– Sous un régime policier, tout est subversif même l’humour. Il faut dire que ces dessins, qui portent davantage que les meilleurs discours, tombent à point nommé. Le code de la famille qui, depuis deux ans avait suscité une vive controverse a été finalement adopté pour consacrer l’inégalité entre l’homme et le la femme. L’arsenal dont dispose le mâle reste intact : répudiation, suprématie, maritale, polygamie...En 1962 je m’étais déjà levé contre la polygamie devant l’Assemblée constituante. Quelle ne soit pas encore abrogée aujourd’hui en dit long sur l’évolution des mœurs en Algérie ! Il est quand même réconfortant de constater que les Algériennes ne se laissent pas faire. Elles ont réussi, dans un premier temps, à bloquer le vote de la loi et elles ne laissent pas le bras maintenant qu’elle est adoptée. Le code de la famille a donné lieu à un bouillonnement qui n’est pas prêt à s’apaiser. Pour qui connaît l’Algérie des profondeurs, il ne serait pas étonnant que le redressement, l’espérance, le salut viennent des femmes. En tout cas, il est remarquable que la combativité des femmes jure avec la passivité des hommes, comme pendant certains épisodes de la guerre de libération...

– Après les femmes, les Kabyles : où sont-ils ? Comment sont-ils traités ?
– Au risque de vous surprendre, je dirai qu’il n’y a pas de problème kabyle en Algérie, aujourd’hui comme hier. Dans la mesure exacte où la Kabylie a toujours été à l’avant-garde de la lutte de libération, qui ne s’est pas achevée avec l’indépendance. Non seulement il n’y a jamais eu de séparatisme kabyle, mais il y a jamais eu de revendication particulière à cette région...

– Séparatisme ou pas, les Kabyles revendiquent le droit de parler leur langue et de l’étudier.
– Certes, au même titre que les autres populations berbérophones, tout comme celles des Aurès ou du Mzab. Nous considérons que la langue berbère est une des composantes de la personnalité algérienne et qu’elle devrait bénéficier des mêmes chances de développement que l’arabe. Nous demandons qu’elle soit étudiée à l’école, qu’elle soit utilisée par l’administration et dans les différents services, bref qu’elle soit reconnue comme langue officielle. Nous ne pensons pas pour autant qu’il existe un nationalisme berbère ou kabyle, et l’Algérie, demeure pour nous, il faut le dire avec force, une et indivisible. Elle a tout à gagner en intégrant ses deux composantes linguistiques et culturelles : arabe et berbère.
Je tiens à souligner qu’au lendemain de l’indépendance je me suis délibérément abstenu de formuler en ces termes nos revendications. Je mettais l’accent sur la démocratie et des libertés publiques qui impliquent la liberté linguistique. Cette prudence se justifiait à l’époque. Je ne voulais pas prêter le flanc aux inévitables accusations de régionalisme, qui ponctuent l’histoire du nationalisme algérien. Cette prudence peut-être excessive n’a pas porté ses fruits, puisque les trois pouvoirs qui se sont succédés en Algérie ont distinctement nié et la démocratie et les droits culturels. Ils sentaient plus ou moins confusément que la reconnaissance de l’une entraînait celle des autres.
De son côté la nouvelle génération en Kabylie ignore et c’est sa force, les subtilités de ses aînés. Ce qu’on a appelé le Printemps kabyle, qui a explosé en 1980, posait avec rigueur et font unanimement la question du pluralisme démocratique et linguistique. Vous vous souvenez de ce qui a déclenché le mouvement de protestation : l’interdiction à Tizi-Ouzou, d’une conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri sur la poésie berbère. Il n’a pas fallu plus pour que les étudiants se mettent en grève, descendent dans la rue, suscitent autour d’eux un vaste mouvement de solidarité. L’intervention de la police qui a lâché ses chiens, l’envoi en renfort d’unités de l’armée ont provoqué une révolte généralisée. Les ouvriers des usines ont débrayé, les populations des villages environnants ont convergé vers Tizi-Ouzou.
Ce qui est remarquable, c’est qu’un mouvement aussi ample et spontané n’a pas cédé aux provocations et n’a pas succombé à la tentation de la violence. Il n’était pas excessif de la comparer au mouvement Solidaire en Pologne. C’est la première fois, en tout cas depuis l’indépendance, qu’un mouvement de cette envergure rassemble des intellectuels, des ouvriers, des paysans, ayant des revendications précises. Le gouvernement a dû composer. Les personnes arrêtées ont été relâchées et l’engagement fut pris par le ministère de l’éducation de créer des départements d’enseignement du berbère dans trois universités en dehors de la Kabylie. Ces promesses ne furent pas tenues et, depuis, les différents appareils de la police politique se sont démenés pour reprendre en main la Kabylie. On a assisté à un régression, puisque les cours déjà existants dans les Universités d’Alger et de Tizi-Ouzou ont été supprimés. Il n’en demeure pas moins que le printemps kabyle a crée un phénomène irrépressible. En Kabylie même, on procède désormais à l’enseignement sauvage de la culture berbère dans les lycées comme à l’université. Un journal qui porte précisément le nom de Tafsut (printemps) est diffusé. On observe un épanouissement sans précédent de l’activité culturelle et associative. En dehors de la Kabylie, l’accusation infamante de séparatisme (alimentée notamment en Oranie par la diffusion d’une carte de l’«Etat kabyle» fabriquée par la S.M.) ne prend plus. Car chacun a pu se rendre compte, aux quatre coins du pays, que les kabyles luttent aujourd’hui pour la démocratie avec la même abnégation qu’ils luttaient hier pour l’indépendance.

– Sur la question linguistique précisément, y a-t-il quelque progrès de Boumediene à Chadli ?
– Aucun changement, sinon que la même politique totalitaire et réductrice n’a pris une allure plus agressive. Sur le plan doctrinal, l’arabisation a été proclamée comme une « option stratégique », c’est à dire qu’elle implique la disparition à terme du berbère. Chadli a déclaré devant le congrès du FLN que nos ancêtres étaient berbères et que l’histoire de l’Algérie n’a pas commencé avec l’arrivée des Arabes. Mais ce qui importe, ce n’est pas de connaître nos origines (on n’a pas attendu que Monsieur Chadli nous édifie là dessus !) que de savoir quel sort sera réservé à notre culture quotidienne. Sous ce régime comme sous le précédent, la politique culturelle relève d’un certain darwinisme : les Berbères sont perçus comme des Algérois appelés à disparaître et qui ne pourraient survivre que s’ils sont touchés par la grâce de l’arabisation totale.

– Krim Belkacem, Mohamed Oulhadj, Mohammedi Said ont disparu ou quitté la scène publique. Vous êtes le dernier des Mohicans. Etre kabyle : est-ce un avantage ou un handicap ?
– D’abord une anecdote savoureuse : après mon arrestation sous Ben Bella en octobre 1964, je me trouvais entre les mains de la S.M à Blida. Au bout de trois jours, j’ai demandé de la lecture. On m’a apporté un seul et unique livre : Le dernier des Mohicans...Nos spécialistes de la guerre psychologique étaient très fiers de cette trouvaille.
Handicap ou avantage, demandez-vous. Je vous réponds très franchement : ni l’un ni l’autre. Je suis kabyle comme j’aurais pu être oranais ou constantinois. Il n’en demeure pas moins que l’accusation de régionalisme a davantage de chances de porter quand on la lance contre des enfants de telle région plutôt que de telle autre. Il en résulte en contre partie que l’esprit de solidarité se trouve peut-être plus développé parmi les victimes de calomnies.

– Tient-on de l’appartenance régionale dans l’organisation des pouvoirs : les Kabyles sont-ils correctement représentés à cet égard ?
– Dans ce domaine comme dans le reste nous vivons sous l’empire des apparences. De même que nous sommes socialistes, non-alignés, révolutionnaires, ni corruptibles et j’en passe, nous avons des dirigeants issus de toutes les régions. En fait, c’est un clan qui gouverne l’Algérie. Hier, sous Boumediene, il se recrutait de préférence du côté d’Oujda : aujourd’hui, du côté de Constantine, plus exactement de Lacalle, le douar d’origine de Chadli Bendjedid. Autour du clan s’agglutinent les clients en provenance des autres régions, au gré du bon plaisir et des alliances du moment. Il existe des Béni-oui-oui du temps de l’Algérie française. Ce qu’il convient de noter, c’est qu’il ne faut pas être autrement tant que les dirigeants à l’échelon national, régional et local n’ont pas été choisis à travers le seul mode qui vaille : des élections libres et démocratiques.
Concernant la participation des Kabyles dans les institutions étatiques, un phénomène mérite d’être souligné : leur présence pléthorique dans les appareils de répression. Kasdi Marbah (dont le vrai nom est Abdellah Khalef) qui a été de l’indépendance à la disparition de Boumediene, le patron de la S.M n’est que le plus connu. On peut mentionner H’mida Ait Mesbah, alias Rachid, chef du service opérationnel dans le même organisme, également jusqu’en 1979. C’est lui qui a monté le « coup » qui a abouti à l’assassinat de Krim Belkacem à Francfort (Allemagne) en 1969.
Le choix des Kabyles pour effectuer les sales besognes ou il est bien entendu, à des considérations précises, non dépourvues de machiavélisme. Qui mieux que les Kabyles, connaît la Kabylie, région réputée chaude et intraitable ? Ensuite, c’est de bonne guerre de confier aux enfants d’un milieu déterminé le soin de contrôler et de réprimer leurs frères. Enfin, il paraît judicieux de présenter les Kabyles devant le reste du pays sous les traits les plus hideux. Nos Machiavels n’ont rien inventé à ce sujet. Les autorités coloniales avaient déjà recours à des ficelles. Ailleurs, la sinistre Savak s’ingéniait à jouer, avec le succès que l’on sait les Kurdes les uns contre les autres, et simultanément à dresser l’opinion contre eux.

– A propos de Krim Belkacem, que sait-on finalement sur les circonstances de son assassinat ?
Vous n’ignorez pas que c’est dans sa chambre d’hôtel à Francfort qu’il fut étranglé avec sa propre cravate. Il n’a été découvert qu’après plus de vingt-quatre heures par le personnel de l’établissement. A l’évidence, le forfait ne pouvait être perpétré que par un familier de la victime. La police allemande a fait son travail, les tueurs lui avaient facilité la tâche en abandonnant des documents compromettants dans une serviette déposée à la consigne de l’aéroport. On a su ainsi qu’ils étaient au nombre de trois dont le commandant H’mida Ait Mesbah.
Je peux révéler que le malheureux Krim était tombé dans un guet-apens. La S.M avait mis au point un scénario de coup d’état et lui avait proposé d’en prendre la tête. Pour les besoins de la cause, Ait Mesbah, qui connaissait bien Krim du temps de la guerre, se disait passé à l’opposition. Tout était fin prêt pour la prise du pouvoir. La proclamation annonçant la chute du régime de Boumdiene était même enregistrée. Un gouvernement était constitué : Krim, président de la République ; Ait Mesbah à l’Intérieur ; Mouloud Kaouane personnage peu recommandable, recevait le portefeuille de la Justice, la Défense revenait au colonel Mohammed Saled Yahiaoui, qu’on avait omis de consulter...
C’est d’abord en France que le complot - le vrai, l’assassinat de Krim- devait se dérouler. Il était question de faire disparaître le corps dans une villa louée à cette occasion en Provence. J’ai des raisons de penser que la police française en avait eu vent, Krim s’est vu interdire de séjourner sur le territoire français sans autorisation préalable. Les préparatifs du coup d’état se sont transposés ailleurs, et c’est ainsi que le rendez-vous fatal eut lieu à Francfort.

– Comment expliquez-vous que Krim, qui n’était pas né de la dernière pluie, se soit fait avoir de la sorte ?
– Je m’interroge comme vous, d’autant qu’il était expressément informé de la finalité réelle de la conspiration à laquelle il avait accepté de participer. Il était très précisément affranchi sur le rôle confié à Ait Mesbah. Là-dessus je n’ai aucun doute pour la bonne raison que c’est moi qui l’ai mis en garde.

– Comment étiez-vous informé vous-mêmes ?
– Vous comprendrez que je ne peux pas vous dévoiler mes sources. En revanche, je peux vous dire que c’est par le truchement d’un haut fonctionnaire suisse aujourd’hui à la retraite que je m’étais empressé de communiquer à Krim Belkacem ce que je savais de l’attentat qui se tramait contre lui et cela plusieurs semaines avant son exécution. Pourquoi n’a-t-il pas tenu compte de ma mise en garde ? Probablement parce qu’il était sur de lui, mais au fond, Krim a été victime de ses propres conceptions de l’action politique : il réduisait celle-ci à la conspiration.

– Pourquoi Krim fut-il visé, et non Ait Ahmed ?
– Ne vous inquiétez pas : on ne m’avait pas oublié ! Environ un an avant que Krim soit « approché », j’ai eu droit à la sollicitude des agents de la S.M. déguisés comme il se doit en opposants purs et durs. Le piège dans lequel est tombé Krim était exactement identique à celui qui m’avait été vendu. A croire que la S.M. manque d’imagination...
Ait Mesbah, flanqué de deux compères, était venu me voir en Suisse pour me proposer d’être la figure de prône du coup d’état avant d’être le président de la République. Bien entendu, il avait commencé par instruire le procès de Boumdienne et de son régime, il m’avait longuement expliqué comment le mécontentement dans le pays et l’armée avait atteint les limites de l’intolérable...Notez qu’il se dissimulait pas ses fonctions au sein de la S.M. Mieux, c’est en tant que chef du service opérationnel, disposant de ce fait d’une force de frappe décisive, qu’il n’entreprenait. D’ailleurs, suprême habilité, il ne ma demandait rien, sinon de donner mon sentiment à l’opération. En clair, il m’offrait le pouvoir sur un plateau d’argent. J’ai décliné son offre en disant que j’étais par principe hostile aux putschs.

– Et Ait Mesbah a abandonné la partie...
– Nullement. Il trouvait regrettable que je ne profite pas de sa présence dans les hautes sphères de la S.M., présence qui n’allait pas être éternelle : « On n’a pas confiance en moi et je risque d’être limogé à tout moment. » Il « comprenait » mon objection de principe et s’en pressait de m’interroger sur une solution de rechange. Je me suis contenté d’insister sur l’importance du travail d’organisation des masses à lui appartenait d’opérer elles-mêmes les changements politiques souhaitables. Je m’étais bien gardé de lui confier aucune tâche, en dépit de ses sollicitations, mais en nous séparant il me déclara qu’il se tenait à la disposition du FFS.

– Savait-il que vous saviez ?
– Il s’était au moins aperçu que sa mission n’avait pas abouti pour le moment. J’avais pris soin, en le recevant, de ne pas être seul et d’entrée de jeu, je lui avais récité un poème kabyle composé par mon aïeul. En voici la traduction :
Vous qui êtes en bonne compagnie !
Soyez le bienvenu !
Sans la volonté de Dieu,
Nous ne nous serions rencontrés.
Puisque vous avez le doigt sur la gâchette,
Prenez garde que le coup ne parte.
Je prie, je prie pour que nous soyons épargnés
Et pour ceux qui nous tendent des pièges
Y tombent les premiers.
Le message n’avait pas besoin d’être décodé. Mais notre barbouze ne s’est pas estimé vaincu pour autant. Il est revenu obstinément à la charge, mais j’ai refusé tout aussi obstinément de le rencontrer. Il a continué à m’envoyer, avec une notable assiduité, des rapports relatant ses efforts pour élargir l’implantation du FFS. De guerre lasse, il a fini par lâcher prise. Plus exactement par changer de cible. Toujours est-il que, lorsque j’ai appris que le même individu avait pris langue avec Krim, j’ai éprouvé aussitôt les pires appréhensions, lesquelles hélas, n’étaient pas infondées.

– Connaissez-vous tout aussi bien les tenants et les aboutissants de l’assassinat de Khider, à Madrid en janvier 1967 ?
– Parfaitement. Là encore, le crime est signé. La police espagnole a fait également son boulot et comme la famille de Mohammad Khider s’était constituer partie civile, le juge d’instruction était parvenu à des conclusions accablantes pour le pouvoir algérien. C’est devant son domicile, dans sa voiture, en présence de sa femme, que le malheureux Khider a été criblé de balles. Le tueur a été promptement identifié : Youcef Dakhmouche. Il appartient à la pègre et était téléguidé par les services secrets algériens. Cette liaison, on ne cherchait même pas à la dissimuler, puisque Dakhmouche était en rapport constant avec un certain Boukhalfa, l’honorable correspondant de la S.M. à Madrid et attaché culturel à l’ambassade de l’Algérie !

– D’autant que l’on sache, Khider ne complotait pas lui contre Boumdienne. Alors, pourquoi fut-il assassiné ?
– La première raison qui vient à l’esprit est que Khider, contrôlant le fameux « trésor du FLN » (estimé à environ quatre milliards de francs anciens) pouvait le mettre entre les mains de l’opposition, ce qui n’était pas pour réjouir le pouvoir. Mais à l’examen, cette motivation n’est pas convaincante. L’argent en question avait été placé à la Banque commerciale arabe à Genève, et le gouvernement algérien le savait parfaitement. Khider avait clairement manifesté, après l’accession de Boumdienne au pouvoir, son intention de restituer cet argent. N’étant pas, comme il disait, « un simple caissier », il était, ne l’oublions pas secrétaire général et trésorier du FLN, il entendait que la restitution soit monnayée, si je puis dire dans les pourparlers politiques qu’il souhaitait avoir avec le nouveau pouvoir.
A mon avis, la cause de l’exécution de Khider doit être recherchée ailleurs. J’ai appris par la suite qu’il envisageait de constituer un gouvernement en exil. Il avait consulté à cet effet Mohammed Labjaoui et Krim Belkacem. Il ne s’en était pas ouvert à Mohammed Boudiaf ni à moi-même. Mais la perspective d’un regroupement même partiel de l’opposition pouvait être interprétée comme une menace sérieuse par un Boumdienne qui n’était au pouvoir que depuis moins de deux ans et éprouvait impérieusement le besoin de consolider son régime. De là à penser qu’il lui fallait éliminer Khider...

– Commet expliquez-vous que ces crimes politiques signés n’aient pas donné lieu à des scandales ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’affaire Khider ni d’affaire Krim comme il y eu l’affaire Ben Berka ?
– Que voulez-vous que je vous réponde, sinon que Franco n’est pas De Gaulle, que le terrorisme d’état s’est exercé sur les familles des victimes (celle de Krim n’a même pas porté plainte...) et qu’enfin la capacité de négociation pour ne pas dire de corruption dont dispose l’Algérie n’a pas été étrangère au classement des dossiers.

– Mais la presse ?
– Elle n’est pas insensible, elle non plus, à cette capacité de négociation, sans compter que, dès qu’il s’agit de l’Algérie, vos chers confrères ont tendance à perdre toute curiosité !

– Revenons, si vous le voulez bien, à la question linguistique : quelle est votre position sur l’arabisation ? Etes-vous pour ou contre ?
– Il convient d’abord de se mettre d’accord sur le sens des mots. Cette précaution s’impose d’autant plus que la confusion dans les termes, ici plus ailleurs, reflète la confusion dans les esprits. Nous devons redoubler de vigilance dans la mesure où les grandes questions qui concernent la culture et la civilisation suscitent passions et mythes et partant rendent aisée la tâche des charlatans et des démagogues.
Si donc arabisation signifie que l’arabe est la langue officielle, enseignée à l’école et utilisée dans l’administration, je suis pour. A vrai dire je n’ai pas à être pour ou contre. Cela va de soi : l’arabe est notre langue nationale comme l’Algérie est notre patrie. Mais si arabisation veut dire adhésion au panarabisme de papa - version nassérienne ou version baâthiste avec ses deux variantes syrienne et irakienne- ou au panarabisme de fiston, c’est à dire de Kaddafi, non, vraiment merci ! On glisse subrepticement d’une question de culture et d’enseignement dans la solution ne fait pas problème, à une question politique et idéologique qui charrie des formes de pouvoir, lesquelles sont hautement contestables.
A cause de ce glissement inavouable, la question de l’école est bâclée en Algérie. On arabise pour arabiser, sans se soucier des lancinants problèmes pédagogiques, sans se préoccuper des risques très réels de régression culturelle. Ce faisant, on ne rend pas service à l’arabe, langue et culture, qui, se trouve assimilée à l’absence d’esprit critique, à l’archaïsme et, pour tout dire, à l’obscurantisme. Ayant négligé de former des maîtres pour assurer à l’école un niveau honorable et pour l’arrimer solidement à l’activité productrice, on fabrique à tour de bras de futurs chômeurs et des intégristes en puissance. Je soutiens que l’arabisation mal connue et mal exécutée - du « travail arabe », c’est le cas de la dire !- constitue l’une des causes de la montée de l’intégrisme en Algérie et, par voie de conséquence, l’un des facteurs de déstabilisation et de déséquilibre de la société et de l’homme algériens.
Ayant, sans réflexion ni planification, développé une armée de diplômés sans compétence précise, on n’a rien trouvé de mieux pour conjurer les périls qu’elle représente que de la diriger vers l’administration, dont les effectifs s’accroissent au rythme de son incapacité. Il fait, avoir le courage de dire ici qu’il existe un danger propre à la langue arabe, qui fait d’elle, si l’on n’y prend garde, un instrument de mystification. Parce que notre langue a été coupée, des siècles durant, disons depuis l’âge d’or de la civilisation arabe, depuis le temps des Avicenne, Averroés et Maimonide, du développement des sciences, des techniques et de la pensée rationnelle, elle s’est réfugiée dans la scolastique et les belles lettres. Le résultat est que, si on impose l’arabe tel qu’il est, sans s’assurer au préalable qu’il sera en harmonie avec les préoccupations de notre temps, on va tout droit à la régression et à l’obscurantisme.
Un imbécile qui déploie son imbécillité en français ou en anglais reste ce qu’il est : un imbécile. En arabe, il est transfiguré : il devient un beau parleur qu’on écoute, sinon un futur ministre ! Ce n’est pas seulement une boutade : vous savez comme moi que, sous Boumedienne comme sous Chadli, des personnages dont l’incompétence est motivement universelle ont fait carrière dans les sommets de l’état parce qu’ils pouvaient, dans un pays déculturé et traumatisé, étaler leurs connaissances, au demeurant rudimentaire, de l’arabe et épater les gogos.
En outre, l’arabisation telle qu’elle est appliquée aujourd’hui se veut antinomique de tout épanouissement de la culture berbère. La langue nationale devrait, selon ses champions plus précieux d’ordre de culture, marcher sur le cadavre berbère. L’arabisation censée nous restituer notre personnalité et assurer notre développement harmonieux s’avère un moyen supplémentaire d’appauvrissement et d’oppression. On tente de nous enfermer dans un faux dilemme : les Kabyles, Mozabies et autres Chaouiyas sont sommés de renoncer à la langue et à leur culture de leurs ancêtres sous peine de se marginaliser. Je regrette, mais nous pouvons parfaitement posséder la langue arabe, vivre de plein-pied avec notre époque, sans nous couper de nos racines.

– Comment avez-vous appris l’arabe vous ?
– A l’école coranique, puis au lycée comme langue étrangère (!) au même titre que l’anglais. Par la suite, je me suis astreint à développer mes maigres connaissances par l’étude et la lecture. S’il m’arrivait de commettre des poèmes en berbères, je n’éprouvais aucune difficulté à parler avec Nasser ou Salah Bitat.

– Tout ce que vous dites est bien beau, mais ne pensez-vous que l’introduction de l’arabe en tant que langue nationale implique inévitablement un abandon du français comme des dialectes régionaux ? En adoptant vraiment pour l’arabe, on est condamné, au moins provisoirement et jusqu’à ce qu’il occupe sa place, tout sa place, à négliger les autres langues pour le moment dominantes ?
– L’arabe doit occuper sa place (de langue nationale), mais rien que sa place, et pas toute le place. Je prétends que le jacobinisme que sous-tend le raisonnement que vous prenez à votre compte n’est pas une fatalité. Je vous signale qu’au royaume du jacobinisme, la France, est en train de découvrir les vertus de la différence et de décentralisation. Tandis que la France entreprend enfin sa propre décolonisation, nous nous engageons nous sur la voie sans issue de l’état bonapartiste.
La question linguistique n’est pas innocente. De proche en proche, on débouche, en la soulevant, sur les choix cruciaux de culture et de société. Il s’agit de savoir dans quel type de société on aura affaire, quel genre d’homme et de femme on veut former. Tout se tient : ceux qui imposent le parti unique imposent sur leur lancée, le chef unique, la langue unique et les marchandises (de mauvaise qualité !) uniques. La grisaille culturelle et l’uniformité linguistique rejoignent le conformisme politique et la standardisation sociale. Alors que l’indépendance devait, sans l’esprit de ceux qui ont lutté pour y parvenir, donner lieu à un « retour aux sources » c’est à dire à des retrouvailles des Algériens avec leur culture diverse et multiple, alors que nous devions prendre à pleines mains nos réalités, toutes nos réalités sans rejet ni exclusive, alors que nous devions défricher et déchiffrer, on assiste vingt ans après à une entreprise de nivellement, de réduction, de massification qui ne s’explique que par la volonté forcenée de tout contrôler.
L’ennui, c’est qu’à vouloir tout contrôler on ne contrôle plus rien, et il ne faut pas être grand chose pour voir que les Algériens, comme les Polonais ou les Argentins, ne vont pas s’accommoder longtemps de cette culture au rabais de parti unique -et de prisunic..

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