Par Ali Yahia Abdennour
Il
faut une détermination d’acier et une sacrée volonté politique pour affronter
la tyrannie du statu quo et de l’argent, être branché sur le concret et le
réel, parce que les rapports politiques et sociaux sont des rapports de force,
et briser l’injustice. Il
faut insuffler un peu d’air frais dans une société habituée à étouffer sous le
culte de la personnalité. Il faut accorder une véritable place à la société civile, lui concéder un rôle important,
retenir ses propositions parce qu’elle concerne l’exercice de la démocratie. Le
pouvoir a banni la démocratie de la réalité, n’en conservant qu’une coquille
vide dont il se sert pour maquiller le visage de la dictature, qui bloque la
marche en avant de la société vers la liberté, la justice et les droits de
l’homme. Le pouvoir présente sa dictature comme étant une démocratie. Le
despote se déclare démocrate. Le cerveau et le cœur de la lutte contre la
dictature, qui n’a brisé ni le courage ni l’espoir, sont la démocratie qui
reste l’enjeu du combat politique.
Le peuple a le droit d’inventaire des 13
années de pouvoir du président Bouteflika qui ont divisé, épuisé, fragilisé la
société pour l’empêcher de choisir son destin. Ces 13 années n’ont pas apporté
le progrès, mais la régression.
Pour
paraphraser le défunt Kaïd Ahmed : «L’Algérie était au bord de l’abîme avant
son arrivée au pouvoir, depuis elle a fait un bond en avant».
L’ultralibéralisme qu’il a imposé est porteur non seulement d’injustices
sociales, mais aussi d’inefficacité économique ; disposant de tous les
pouvoirs, il est responsable des échecs de sa politique. Après sa désignation
comme président de la
République par les décideurs de l’armée, car il était le seul
candidat en avril 1999 après le retrait des six autres candidats pour
commencement de fraude dans le sud du pays, il a exprimé son état d’âme en
disant qu’il ne se résignait pas à être sous la tutelle de l’armée, à n’être
qu’un ¾ de président. Il voulait le beurre, l’argent du beurre et le reste.
C’est sa première faute politique majeure de son premier quinquennat.
Le
président Abdelaziz Bouteflika exerce un pouvoir personnel, dominateur et
totalitaire, confinant à la monarchie. Il y a une personnalisation à outrance
inefficace et dangereuse, et une présidentialisation accrue de son pouvoir. Le
présidentialisme, c’est l’identification du peuple à celui qui le dirige,
contrôle l’Exécutif dans son entier, et la haute administration tenue par ses
fidèles. Les institutions politiques, le Parlement, la justice, le Conseil
constitutionnels se plient à ses injonctions. C’est la période bénie pour tous
ceux qui se sont enrichis en toute impunité. Le président peut dire comme
l’ancien roi d’Espagne : «Il n’y a pas abus de pouvoir dans ce pays, il y a
seulement abus d’obéissance.»
C’est
le renoncement des Algériens à exercer leur droit. On ne demande pas aux
Algériens de comprendre, mais de saluer avec chaleur et respect la politique du
président. C’est gravissime. Peut-être est-il temps de dire stop, non à cette
politique. Au nom de quoi le pouvoir s’arroge-t-il le droit de s’accaparer et
de s’identifier à la souveraineté nationale qui relève de la responsabilité du
peuple ? Le présidentialisme qui sévit à outrance empêche la diplomatie de jouer
son vrai rôle. Qu’avez-vous fait de vos 13 années de pouvoir absolu, Monsieur
le président ? Saint Simon dit de Louis XIV : «Je me sais gré d’avoir jugé
depuis longtemps que le roi n’aimait et ne comptait que lui, et était à
soi-même sa fin dernière.»
Le
président assis sur son trône a su se montrer généreux avec lui-même et sa
famille, c’est ce qui s’appelle le sens de la famille dont il n’est pas
dépourvu comme avec ses protégés et ses courtisans, ses réseaux de soutien qui
se créditent d’une grande influence, qui tiennent le haut du pavé. Les règles
de la comptabilité publique exigent l’inscription au budget de toutes les
sommes dépensées par l’Etat dans l’année, particulièrement celles de la
présidence. Le fard appliqué pour
maquiller la réalité est vraiment trop grossier. Où avez-vous conduit l’Algérie
Monsieur le Président, car celui qui guide peut égarer ? La concentration des
pouvoirs à la présidence est la pire des politiques. Le système parlementaire
empêche la personnalisation du pouvoir. La haute estime que le président a de
sa compétence dans tous les domaines, renforcée par la conscience qu’il croit
incarner le destin de la nation, a fait tant de mal à l’Algérie en entravant sa
marche vers la démocratie. Il a éliminé tous les contre-pouvoirs nécessaires
pour éviter la dérive monarchique.
Le
mot réforme sortant du pouvoir est assimilé à la régression sociale, humaine,
culturelle, morale et intellectuelle. Ne pas respecter la Constitution qui a
limité à deux le nombre de mandats présidentiels relève de la forfaiture d’un
autocrate. Des clans se sont emparés de pans entiers du pouvoir politique
stratégique, de l’économie, de la diplomatie, exercent une influence
déterminante sur la politique du pays, sans aucune légitimité.
La
fin du système politique se dessine, son avenir est derrière lui
Le
président de la République
dépositaire et non propriétaire du pouvoir sera déposé à son tour ? A-t-il la
capacité physique d’exercer pleinement ses fonctions ? Démissionnera-t-il en
raison de sa maladie grave et durable ? Pour ses partisans, il se trouve dans
une remarquable condition physique, dispose de toute son énergie, de toute sa
vigueur. Le peuple algérien veut se délester de ce poids lourd que fait peser
sur lui l’hyperprésidence. La séparation et l’équilibre des pouvoirs préservent
la stabilité au sommet et la renforcent. La réflexion commune à élaborer avec
une très grande ouverture d’esprit est un passage obligé pour que le prochain
pouvoir ne sorte pas pour quelques clans, mais pour l’intérêt général.
Le
sursaut viendra des jeunes, acteurs de combat pour la démocratie qui expriment
le ras-le-bol de la société. Le changement, ce n’est pas pour plus tard, pour
les autres générations, c’est pour nous, ici et maintenant. L’échéance
présidentielle est l’élément structurant de la vie politique. Les clans du
pouvoir savent qu’ils ont en commun une convergence d’intérêts et qu’ils ont
intérêt à s’entendre. La lutte de succession à l’intérieur du pouvoir est
ouverte. Les tensions s’avivent au sommet du pouvoir, qui échappe de plus en
plus au président. Des manœuvres qui vont du narcissisme à la paranoïa et
conduisent à des coups tordus se déroulent sous le regard d’un mélange de
Raspoutine et de Machiavel du DRS qui préserve ses prérogatives politiques.
Les
astres sont taquins, les boules de cristal s’embuent et les voyantes disent :
«Que la fin du système politique s’annonce à l’horizon, que le président est en
sursis dans un pouvoir en sursis, et qu’il désignera son successeur.»
Bouteflika ne se succédera pas à lui-même. Le rejet d’un 4e mandat est profond
et massif. Son successeur sera-t-il désigné par le DRS, les décideurs de
l’armée, le suffrage universel truqué ou transparent ? Les Algériens doivent se
mêler avec force de ce qui les regarde, la révision de la Constitution qui
occupera le devant de la scène politique au début de l’année 2013. Le cadre
naturel de sa révision est l’Etat de droit. Une Constitution se juge sur sa
capacité de durer et de s’adapter aux situations les plus diverses.
Quand
le respect des droits de l’homme sera-t-il un vécu quotidien dans ce pays ?
Le
combat pour les droits de l’homme devient un combat politique fondamental qui
conditionne tous les autres. De quels hommes et femmes peut-on dire aujourd’hui
comme Zola qu’ils sont un moment de la conscience humaine et font honneur à
leur
pays
? Il existe à côté et au-dessus des éthiques particulières un absolu moral, la
morale des droits de l’homme. La personne humaine n’est pas un moyen, mais une
fin, la finalité de toutes les politiques. L’homme n’est moral que lorsque la
vie en soi, celle de l’homme, lui est sacrée, et qu’il s’efforce dans la mesure
du possible d’aider toute vie humaine en détresse. Quand on sait ce que l’on
veut, il faut avoir le courage de le dire et de le faire. Il faut parler aux
Algériens, et surtout les écouter et les entendre pour leur redonner espoir,
leur ouvrir des perspectives dans un esprit de justice, et trouver des
solutions à leurs problèmes.
Pour
s’élever dans les affaires humaines, il faut de l’esprit et du cœur. Il faut
avoir l’intelligence et la sensibilité d’une conscience qui s’efforce de
comprendre et de dénoncer les fautes du pouvoir qui se multiplient et
s’accumulent, qui n’est pas ouvert aux problèmes de la société et aux
préoccupations quotidiennes des Algériens. Il n’y a pas de progrès humain sans
liberté qui est la source de l’action politique. Où est la démocratie, où est
le droit, où est la justice, où est la liberté ? Il faut l’articuler avec une
intelligible voix, le peuple algérien veut vivre dans la liberté. Le soleil de
la liberté va-t-il se lever sur l’Algérie ? Nous vivons dans une société où
ceux qui ont tous les droits n’ont pas de devoirs, et, inversement, ceux qui
ont beaucoup de devoirs n’ont pas de droits. Il est difficile d’analyser les
circonstances et les raisons qui motivent la passivité des intellectuels en
général qui s’enlisent dans la prudence, persuadés que la seule issue est une
résignation désespérée, une relative démission et leur ralliement au pouvoir au
prix d’un reniement. Une telle stratégie qui n’est pas l’aube de la liberté est
détestable et sans avenir.
La
défense de la liberté et de la justice est un bon terrain de combat face à
l’arbitraire du pouvoir, l’enjeu est la liberté et la justice. Comment rendre
la justice quand le pouvoir est le principal coupable ? Bouteflika n’a pas
résisté à la tentation si fréquente dans l’histoire nationale d’assujettir la
justice. Comment améliorer l’image de la justice ? Comment rehausser son
prestige et son audience ? Le cadre du juge est la loi, son devoir est
l’impartialité. Les juges en général ont des connaissances juridiques, mais
n’ont pas un bon niveau culturel, ce qui est un lourd handicap pour la
profession. L’indépendance de la justice ne sera une réalité qu’avec l’avènement
de l’Etat de droit. Il faut déposer plainte contre l’ENTV pour désinformation
et manipulation. Il faut sauver les hôpitaux du naufrage.
Les
droits de l’homme et la responsabilité sont des éléments importants «pour aller
à l’idéal et comprendre le réel». L’égalité de la femme avec l’homme est une
condition de sa liberté. La femme est l’avenir de l’homme, l’homme doit être
aussi l’avenir de la femme. L’égalité devant la loi inscrite dans la Constitution n’est
pas réelle devant les faits. La discrimination envers la femme est réelle. La Constitution lui
donne les mêmes droits que l’homme, mais le code de la famille fait d’elle une
mineure à vie. Cela me fait penser à une réplique de Michel Simon parlant de sa
femme dans le film Drôle de drame.
«Elle
voulait paraître, je l’ai fait disparaître.» Pour qu’elle disparaisse du
gouvernement, il a fallu qu’elle apparaisse à l’APN. Les femmes ont trouvé leur
juste place à l’APN, mais ont été exclues du gouvernement. Cela provoque
indignation et colère. La confiance en la compétence des femmes indispensable
pour affronter les importantes responsabilités, leur intégrité, connues et
reconnues et respectées, sont méritées et légitimes. La réconciliation
nationale qui devait être un grand projet politique est réduite à sa dimension
sécuritaire. Que choisir pour la réconciliation, le pardon contre la justice,
ou la paix par la justice ? L’amnistie sans la vérité et la justice n’est
qu’impunité. Paix et droits de l’homme sont les deux aspects indissociables de
la vie sociale. Quand on favorise l’un aux dépens de l’autre, la paix aux
dépens des droits de l’homme qui sont la vérité et la justice, il y a échec des
deux.
El Watan, 21-10-2012
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