Par Ali Yahia Abdennour
L'été
n’est pas propice à l’action mais à la réflexion, qui est l’exigence fondamentale.
L’automne algérien sera chaud, tous les signes extérieurs de la violence sont
en place et personne ne sait comment il va se terminer. Le Printemps arabe, qui
a renversé les dictateurs, ne doit pas dégénérer en hiver intégriste mais
devenir un automne de la démocratie.
L’Afrique
du Nord et le Moyen-Orient commencent à se débarrasser du joug des tyrans et
des despotes qui s’aident et sont les seuls à faire preuve d’esprit de famille.
La politique traditionnelle de l’Occident est basée sur son soutien inconditionnel
aux dictateurs pro-occidentaux du Tiers-Monde.
L’Algérie
qui a connu, après «une longue nuit coloniale», une longue dictature,
prendra-t-elle le chemin d’une démocratie apaisée pour construire une société
de liberté et de justice, avec une répartition équitable du revenu national ?
Nous sommes dans l’impasse politique, mais nous voulons en sortir. Faire un
diagnostic lucide, clair, total et rigoureux, c’est découvrir une Algérie
malade d’immobilisme politique, de mauvaise gestion, de corruption. L’Algérie,
qui entre dans le XXIe siècle en marche arrière, ne cesse de se perdre car elle
oublie qu’elle n’est plus au Moyen-Age. Pour ne pas répéter les erreurs du
passé, il faut faire preuve de maîtrise et de responsabilité, faire des
réformes en profondeur par une politique réfléchie, préparée, expliquée, attentive
à l’avenir qui s’inscrit dans le IIIe millénaire.
Il
ne faut pas labourer le même sillon mais ouvrir d’autres chemins pour l’action
politique, par un contact direct et privilégié avec les forces d’avenir qui
bouillonnent dans le cœur des jeunes générations. Est venu le temps de la
doxographie fondée sur l’intervention
permanente de l’opinion dans les affaires publiques. Les spécialistes,
historiens, sociologues, économistes, doivent se mobiliser pour de vrais
débats. L’Algérie a besoin de femmes et d’hommes expérimentés, capables
d’analyses et de réflexions pertinentes dans les domaines concernés.
Le
peuple algérien, ce grand absent dont on parle toujours, sera reconnu souverain
et majeur le jour où les Algériennes et les Algériens, considérés comme sujets,
accèderont à la citoyenneté.
Dans
la dictature, la
Constitution n’a pas de rapport avec le pouvoir en place
parce que la pratique l’éloigne des règles constitutionnelles.
Pour
préparer l’avenir il faut maîtriser le présent, construire une alternative et
pas seulement une alternance au pouvoir. La clé du futur se trouve dans la
sphère politique, dans sa démocratie. L’Algérie a besoin d’espoir, espoir de
démocratie, de justice et de liberté.
Les
partis, combien de divisions ?
Le
président Abdelaziz Bouteflika, qui voulait établir la bipolarisation,
c’est-à-dire l’organisation de l’espace politique entre deux partis dominants,
a donné l’ordre au ministre de l’Intérieur d’autoriser la création de je ne
sais combien de partis politiques. Quelle place pour les nouveaux partis dans
l’échiquier politique ? Il faut faire la synthèse des différents courants
politiques et idéologiques qui traversent la société. Les partis doivent éviter
le double jeu, être à la fois dans le pouvoir et en dehors.
Dans
l’exercice des partis politiques, la vision est indispensable pour donner du
sens et de la cohérence à leur action, la stratégie et la synthèse nécessaires
tant pour les diriger que pour mener à bon port leurs projets. C’est le temps
qui n’en finit pas pour faire la courte échelle à des dirigeants qui ne
s’attaquent pas aux problèmes de fond par absence de culture et d’analyses
stratégique. Les partis politiques doivent se reconstruire par la mise en œuvre
de projets à la hauteur des défis, par l’écoute de leurs militants de base.
Ils
sont déphasage avec la société et leurs conflits internes sont réglés dans la
plus grande opacité.
Les
détracteurs de Belkhadem et de Ouyahia, parmi les nombreux cadres et militants
de leurs partis qui leur reprochent d’en faire des rampes de lancement pour
satisfaire leur ambition et prétendre à la magistrature suprême prochaine, les
contestent et les discréditent.
Le
FFS historique, qui a incarné une alternative au système politique et à ses
pouvoirs a vécu ; nombre de ses cadres sont partis, d’autres ont été écartés et
ceux qui restent, peu nombreux, ne sont plus à la direction du parti. Il doit
renouveler son logiciel idéologique. Il n’est plus à l’écoute des militants et
déroge aux règles les plus élémentaires de la démocratie interne. Il a cédé aux
sirènes du pouvoir en acceptant de participer aux élections législatives,
devenant ainsi l’opposition du pouvoir et non l’opposition au pouvoir. Il lui
fallait une réflexion politique et non tactique et conjoncturelle, populiste et
électoraliste, avant de sympathiser sans tabou avec le pouvoir.
L’appareil
du FFS croit rassurer ses militants et l’opinion en leur expliquant que son
retournement d’alliance est tactique : «Le choix du FFS de participer aux
élections relève de la pure tactique électorale et vise à remobiliser la
société.» On ne va pas aux élections par
tactique, mais par conviction. Le réveil tactique du FFS, qui fait de la
politique un sens tactique, une règle tactique, est une attitude virtuelle. La
tactique politique relève du déni d’une vision claire, cohérente, intelligente.
Il ne faut pas galvauder le sens des mots, sauf à leur voir perdre ensuite
toute leur portée, abandonner cette phraséologie qui résonne comme une coquille
vide, éviter de se remplir la gorge de mots
purement tactiques qui deviennent un instrument de camouflage, en tournant le
dos à ce que rappelait Althuser : «Aucune tactique n’est possible qui ne repose
sur une stratégie et aucune stratégie qui ne repose sur la théorie.»
Aucune
stratégie ne vaut sans une tactique qui permet de la mettre en œuvre.
L’appareil du parti a hérité d’un très lourd passif, mais il a réagi à la
multiplication des fronts de manière désordonnée. Ali Laskri, par ses
circonlocutions laborieuses, est le conducteur qui va droit dans le mur et qui
espère éviter l’accident en accélérant. Il avertit les militants et cadres du
parti qui s’en prendraient à son action qu’ils le trouveront sur leur route.
Mais ils peuvent l’écraser, les accidents de la route étant très fréquents en Algérie.
Karim
Tabbou est victime d’une vendetta de l’appareil du parti. La vengeance est un
plat qui se mange froid, mais il veut agir vite pour régler ses comptes.
Les
élections locales du 29 novembre 2012
Il
n’y a pas d’élections libres en Algérie. Dans la mémoire collective des
Algériens, le souvenir est frais de toutes les fraudes électorales. Tout a été
dit sur ces élections préfabriquées à la Naëgelen, comme l’a reconnu le président de la République, qui ne
servent qu’à reproduire le système politique. Tout pouvoir qui n’émane pas de
la souveraineté populaire librement exprimée par des élections libres et
transparentes est illégitime et engendre le totalitarisme.
Les
élections n’ont pas pour objet de choisir les dirigeants, car les choix sont
faits avant et ailleurs, mais seulement à les légitimer. La désaffection des
Algériens à l’égard du système politique s’aggrave à chaque élection par un
taux réel d’abstention chaque fois plus fort, porteur d’un message politique.
Il faut d’abord dénoncer les erreurs et les fautes du pouvoir, dans la
préparation, la cuisine électorale, la gestion des élections législatives du 10
mai 2012. La campagne électorale pour ces élections s’était déroulée dans un
désert d’électeurs, le boycott et l’abstention l’ont emporté haut la main. Le
schéma qui a prévalu lors de ces élections doit se répéter.
Le
peuple algérien, qui a boycotté les élections législatives, ne peut s’arrêter
en si bon chemin, mais continue son combat. Une volonté collective se dessine
et se mobilise pour qu’une sanction électorale exprime le rejet du pouvoir. Le
scrutin du 29 novembre 2012 sera marqué par un nouveau record d’abstention.
Les
codes communal et de wilaya sont rétrogrades, limitant les pouvoirs des APC et
des wilayas. La régionalisation préserve et renforce l’unité nationale. La
centralisation constitue une méthode de pouvoir et une structure d’organisation
archaïque, paralysante, qui ne correspond pas à la vie moderne. Le pouvoir
local doit être exercé par des démocrates partout où la fraude est limitée
grâce à la vigilance des militants et de la population. Le seul combat qui
justifie l’engagement des démocrates à prendre en main l’exercice du pouvoir
local est de libérer les APC et les APW de l’attitude du wali qui est devenu le
véhicule de la tyrannie bureaucratique et centralisatrice.
L’automne
sera socialement très agité
Le
peuple algérien n’a pas perdu sa capacité d’indignation. Un grand mouvement
social peut se manifester. Quelle forme prendra-t-il ? Les inégalités criantes
devenues socialement indépendantes, font remonter à la surface la soif de
justice sociale, qui est un élément fondamental de la cohésion sociale.
Les
conditions de vie des pauvres se sont dégradées. Des millions d’Algériens
vivent au-dessous du seuil de pauvreté et l’appauvrissement des couches
moyennes fait que d’autres millions vivent les drames des fins de mois
difficiles. L’inflation galopante, qui est l’un des cancers de la société,
relance l’érosion du pouvoir d’achat des ménages, dont les plus modestes sont
les plus touchés par la forte hausse des produits de base, au premier rang
desquels figure l’alimentation.
L’augmentation
du coût de la vie, résultat de la dévaluation du dinar et de la flambée des
prix des denrées alimentaires de base par absence de contrôle des prix, réduit
à la misère des millions d’Algériens. Les salaires augmentés sont absorbés par
l’inflation. La pauvreté s’aggrave au point que des femmes et des hommes qui
ont galéré durant des mois à la recherche d’un travail découvrent la faim.
La
faim, en 2012, dans un pays qui regorge de richesses, est un anachronisme
difficilement imaginable. Et pourtant ! Il faut mettre fin à ce cauchemar car
l’inquiétude, le découragement, la déception, la frustration, la souffrance, le
désespoir qui habitent les gens épuisent le sens de la vie. De nombreux
Algériens s’immolent par le feu pour exprimer leur désespoir. Les tensions
sociales sont fortes. Les revendications sociales sont autant de facteurs qui
mettent en cause l’échec du pouvoir.
L’inégalité
sociale a fait apparaître une lente et difficile montée des syndicats autonomes
et des revendications qu’ils portent. Les syndicats doivent constituer un front
commun pour se concentrer sur la réalisation de leurs revendications sociales.
C’est l’UGTA qui négocie avec le gouvernement et le patronat, après les grèves
menées par les syndicats autonomes.
Les
richesses tirées du sous-sol doivent être réinvesties sur le sol
L’économie
est paralysée, c’est la question qui domine toutes les autres parce qu’elle conditionne toutes les autres.
Les trois quinquennats du Président n’ont pas débouché sur le décollage de
l’économie, qui ne peut se faire qu’avec le concours de l’ensemble des acteurs
économiques. L’industrialisation du pays est un objectif majeur et même
prioritaire. La mauvaise gouvernance n’est plus à évoquer, avec une économie
faible et une situation sociale très tendue.
L’esprit
de rente l’emporte sur l’esprit
d’entreprise qui passe par le socle de la démocratie et de l’Etat de droit. Les
hauts dirigeants du pays sont nombreux à avoir un intérêt financier personnel,
voire familial, direct ou indirect, dans une entreprise ou dans l’économie
informelle. C’est le goût du lucre et de la puissance de l’argent qui a
contaminé ces dirigeants qui sortent tous du même moule : les clans du pouvoir.
Les
mœurs rappellent ce qu’écrivait Victor Hugo dans Ruy Blas : «Bon appétit
messieurs ! Ô ministres intègres, conseillers vertueux ! Voilà votre façon de
servir, serviteurs qui pillez la maison.»
Le pouvoir et la corruption ont fait mentir la
maxime : «Bien mal acquis ne profite jamais.» L’Etat est gangrené par la
corruption. Il faut faire la lumière sur les scandales portant sur les
malversations dans les contrats publics. Il existe des pratiques qui couvrent
la fuite des capitaux vers l’étranger, de manière à satisfaire les appétits les
plus voraces et les plus égoïstes qui ruinent le pays. Lorsque les institutions
illégitimes de l’Etat, parce que issues d’élections truquées, servent à des
fins politiques, les sentiments de justice, de légitimité et d’équité sont
écartés pour laisser place à l’impunité.
El Watan, 18-10-2012
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