«La conquête de la terre, qui signifie principalement la prendre à des
hommes d'une autre couleur que nous, ou dont le nez est un peu plus plat, n'est
pas une jolie chose quand on la regarde de près.»
Joseph Conrad (1902).
Joseph Conrad (1902).
«L’herbe ne doit plus pousser là où l’armée française a mis le pied.»
Colonel Lucien-François de Montagnac
Colonel Lucien-François de Montagnac
Par Lyes Akram
Un
bras d’honneur. C’est la réponse d’une exécrable canaille de la classe
politique française, Gérard Longuet, à l’exigence algérienne de reconnaissance
par la France
de son passé d’Etat colonial, responsable de multiples crimes en Algérie. Si le
régime algérien, il est vrai, est peu qualifié, compte tenu de son déficit criard de
légitimité démocratique, pour une telle entreprise, la réaction est au
demeurant indécente. Cet article est un court rappel, pour les Algériens, de ce
que fut la colonisation française. A son terme, des références utiles pour ceux qui
désirent en savoir plus.
Quand,
en 1827, le dey Hussein frappe le consul Deval par son chasse-mouche, la France considère le geste
comme un casus belli. Trois ans plus
tard commence la colonisation de l’Algérie par la France, une colonisation
dont les causes réelles sont surtout économiques comme le montre Pierre Péan
dans son enquête Main basse sur Alger(1), (les trésors de la Régence d’Alger, 500
millions de francs de l’époque, 4 milliards d’euros, ont de quoi attiser la
convoitise du roi français) pour durer plus d’un siècle et trois décennies.
Son
début, une guerre de conquête (1830-1848) particulièrement brutale, meurtrière
et dont la logique exterminatrice est bien décrite par François Maspero, dans
son ouvrage L’honneur de Saint-Arnaud(2) (à titre d’exemple, celui-ci,
que Victor Hugo décrit comme un «général [qui] avait les états de service d'un
chacal», ordonna à ses soldats d’emmurer des Algériens dans une grotte dont il
fit ainsi un vaste cimetière), que, par ailleurs, Gérard Longuet peut lire
(réédité en 2012) pour s’instruire, ou dans les travaux du penseur algérien
Mostefa Lacheraf(3). M. Longuet saura ainsi que pendant la conquête
coloniale de l’Algérie, des Algériens vont mourir affamés des suites de la
politique de la terre brulée, ou asphyxiés dans des enfumades (ces ancêtres des
fours crématoires nazis) dont les plus célèbres restent celles du Dahra où le
colonel Pélissier exterminera un millier d’Algériens (hommes, femmes et enfants
confondus), en appliquant cette instruction du général Bugeaud : «Si ces
gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéhas !
Enfumez-les à outrance comme des renards»…
Quant
à la fin de la colonisation française de l’Algérie, la guerre d’Indépendance
(1954-1962) pendant laquelle des centaines de milliers d’Algériens sont morts
(pour ne pas citer les chiffres peu crédibles du FLN, contentons-nous de ce que
rapporte, dans Histoire de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora : «le 25
novembre 1960, le général de Gaulle déclare au directeur de L’Echo
d’Oran : ‘‘Nous en avons tué déjà 200 000 [rebelles Algériens], nous en
tuerons encore 500 par semaine’’»(4)) et, comme le démontrent les
travaux récents d’historiens français comme Sylvie Thénault(5) et
Raphaël Branche(6) que peut aussi lire M. Longuet, la violence de
l’armée coloniale, « industrielle » – terme de Gilbert Meynier,
encore un historien français, qui l’oppose à la violence «artisanale» du FLN(7) – et aveugle, n’était que démesuré et ne savait
distinguer entre hommes, femmes, enfants, vieux, les militants nationalistes ou
de simples civils sans lien avec le FLN, etc.
Entre
ces deux guerres, donc pendant plus d’un siècle (1848-1954), la France poursuivait une «œuvre de civilisation». Celle-ci, unique en son genre, était basée sur des
massacres, qui vont culminer en mai 1945, l’expropriation des paysans, la
clochardisation de la population, l’interdiction de la langue arabe dans sa
propre demeure et, en un mot, l’asservissement de tout un peuple, dont la
survie constitue un miracle quand on sait que des théoriciens de ceux qui
étaient venus ici pour, disent-ils, «civiliser» n’hésitaient pas à écrire
que : «le développement de la colonisation devait amener fatalement la
ruine des indigènes» et, à propos des Algériens : «Mieux vaut dés lors se
résigner à les voir disparaître complètement devant la marche de la
civilisation»(8). Ce propos diffère peu de ce que tint un ministre
français de la guerre toujours à propos des Algériens : «Il faut se résigner
à refouler au loin, à exterminer même, la population indigène. Le ravage,
l’incendie, la ruine de l’agriculture sont peut-être les seuls moyens d’établir
solidement notre domination»(9, voir vidéo ci-dessous).
Ainsi,
l’historien français Olivier Le Cour
Grandmaison n’hésite pas à qualifier cette colonisation meurtrière, à raison,
de génocide(10)…
Messali
Hadj, pionnier du nationalisme algérien, résume assez bien cette œuvre-là, en
1927, dans le Congrès anti-impérialiste de Bruxelles : «L’impérialisme français
s’est installé en Algérie, par la force armée, la menace, les promesses
hypocrites. Il s’est emparé des richesses naturelles et de la terre, en expropriant
des dizaines de milliers de familles qui vivaient sur leur sol du produit de
leur travail. Les terres expropriées ont été cédées aux colons européens, à des
indigènes agents de l’impérialisme et aux sociétés capitalistes […]. C’est au
nom de cette soi-disant civilisation que toutes les traditions, les coutumes,
toutes les aspirations des populations indigènes sont foulées aux pieds […]. A
cela s’ajoute l’abêtissement systématique obtenu par l’alcool, l’introduction
de nouvelles religions, la fermeture des écoles de langue arabe existant avant
la colonisation. Et enfin, pour couronner son œuvre, l’impérialisme enrégimente
les ‘‘indigènes’’ dans son armée en vue de poursuivre la colonisation, pour
servir dans les guerres impérialistes et pour réprimer les mouvements
révolutionnaires dans les colonies et dans la métropole.»(11)
La
colonisation française en Algérie, une œuvre de destruction totale, matérielle
et morale ? Assurément.
Au
sortir de la guerre d’Indépendance nationale, après des efforts de dernière
minute (plan de Constantine), la
France laisse un peuple algérien dont le taux d’analphabétisme
est de 85%, cependant que, témoigne le Commandant Claude-Antoine Rozet après un
voyage à Alger en 1833, «presque tout les hommes savent lire et compter.» Et le
militaire français de conclure : «Ainsi, les soldats qui débarquent sont
en général moins instruits que les sauvages qu’ils viennent civiliser»(12).
Quand,
en 1962, La France
est amené à négocier, avec le FLN, son départ, elle s’apprêtait à laisse une
Algérie en ruines, livrée à la furie destructrice de l’OAS – en plus des
assassinats d’Algériens et d’Européens, cette organisation criminelle
incendiera la bibliothèque de l’unique université existante à cette époque dans
un pays qui comptait plus de 8 millions d’habitants (ce qui, d’ailleurs,
enseigne beaucoup sur l’œuvre coloniale)…
Et
comme on sait que tout cela – loin de résumer la violence coloniale et ses
multiples ravages – est confirmé par les travaux d’éminents historiens,
Français, Algériens et autres, on s’interroge : mais pourquoi est-ce que
des gens, à l’image de Gérard Longuet, refusent d’accepter et de reconnaître
des vérités prouvées ? A l’évidence, l’ignorance seule ne saurait suffire
comme explication, laquelle est à rechercher dans le présent algérien. Car,
s’il existe aujourd’hui des individus pour évoquer une colonisation positive,
civilisatrice, c’est surtout eu égard à un bilan honteux, pour l’Algérie et son
peuple, d’un demi-siècle d’indépendance.
L. A.
A
suivre :
Notes :
(1)-
Pierre Péan, Main Basse sur Alger : Enquête sur un pillage, juillet 1830,
Plon, Paris, 2004 (Chihab, Alger, 2005).
(2)-
François Maspero, L’honneur de Saint-Arnaud, Seuil, Paris, 1997 (Casbah, Alger,
2004).
(3)-
Notamment le recueil de ses études publié pendant la guerre d’Indépendance.
Mostefa Lacheraf, Alger : Nation et société, Maspero, Paris, 1965 (Casbah,
Alger, 2004).
(4)-
Benjamin Stora, Histoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, Paris, 1993 (rééd. 2004).
(5)-
Sylvie Thénault, Violences ordinaires dans l’Algérie coloniale : Camps,
internements, assignations à résidence, Odile Jacob, paris, 2012 (Media-plus,
Constantine, 2012).
(6)-
Raphaël Branche, La Torture
et l’armée pendant la guerre d'Algérie, 1954-1962, Paris, Gallimard, 2001.
(7)-
Gilbert Meynier écrit «que l’historien ne peut renvoyer dos à dos,
concernant la guerre de 1954-62, toutes les violences : la violence française
coloniale y fut industrielle et massive ; la violence algérienne fut artisanale
et plus ponctuelle ; elle fut en partie une violence réactionnelle, dans une
contexte de domination, de violence (re)conquérante et répressive, de
discrimination et de racisme portant la marque du colonial.» Gilbert Meynier, Pour
une histoire critique de l’Algérie : Mise au point factuelle sur les
événements de Constantine, 12 mai 1956 et jours suivants, Etudes Coloniales, 17
mars 2007.
(8)-
Mostefa Lacheraf, Alger : Nation et société, op. cit.
(9)-
Cité par René Vautier, in Déjà le sang de mai ensemençait novembre, voir sur Youtube.
(10)-
Olivier Le Cour Grandmaison, Coloniser. Exterminer, Sur la guerre et l’Etat
colonial, Fayard, Paris, 2005 (Casbah, Alger, 2005).
(11)-
Kaddahce Mahfoud, Histoire du nationalisme algérien, Paris-Méditerrane, Paris,
2003 (Edif 2000, Alger, 2003).
(12)-
René Vautier, ibid.
merci pour ce rappel très utile.
RépondreSupprimerje consulte votre site assez souvent et je le trouve réellement bien fait. très instructif.
bonne continuation.
Je suis d'accord avec le premier commentaire. Selon moi, votre blog est admirablement bien fait.
RépondreSupprimerJe vous remercie tous deux pour vos visites, le blog est fait pour vous.
RépondreSupprimerBonne lecture
Salut Lyes, c'est A.B
RépondreSupprimerje lis de temps a autre ton blog, et en effet tu prends de la grandeur mon vieux, c'est bien, très encourageant, bonne continuation sahbi.
J'aime bien ce passage, il donne l’exacte image de la seule fenêtre dont on voit notre idée sur "la France en Algérie" : "...l’expropriation des paysans, la clochardisation de la population, l’interdiction de la langue arabe dans sa propre demeure et, en un mot, l’asservissement de tout un peuple.."
Sahit cher ami pour le passage et le commentaire, j'espère que ça va pour toi.
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