La
morale de Kant reflète la maxime personnaliste : «Agis de telle sorte que la
personne humaine en toi et en autrui soit toujours considérée comme finalité et
non comme un moyen.» Quand on aborde un problème aussi sérieux et crucial que
celui des droits de l’homme, qui sont le sel de la terre, une avancée certaine
de la démocratie, un espace de liberté, de dignité et de justice, il faut les
prendre dans toutes leurs dimensions, sans étroitesse ni omission, parce qu’ils
ne sont pas divisibles et sont porteurs de droits politiques, économiques, sociaux
et culturels.
Ceux qui disent que les légitimes différences d’opinion ne
peuvent s’exprimer qu’à l’intérieur du pays n’ont rien compris à la marche du
monde et à l’universalité des droits de l’homme, qui ne connaissent ni
frontières géographiques ou idéologiques ni non-ingérence dans les affaires
intérieures des États du fait qu’ils sont partie intégrante des relations
internationales et qu’ils jouent un rôle important dans la qualité des
relations entre les Etats. L’Etat algérien a ratifié les pactes et conventions
internationaux relatifs aux droits de l’homme, sans y attacher beaucoup
d’importance quant à leur application du fait que sa politique les méconnaît ou
les bafoue.
Le conseil national de la
LADDH a pris acte de la démission de Mostefa Bouchachi
Pour
quelque responsable que ce soit, le signe de sa réussite et de son respect est
le regret qu’inspire son départ. Le conseil national, qui pénètre bien la
réalité du pays dans tous les domaines, ne réserve ses félicitations qu’aux
cadres de la LADDH
qui ont mis à son service les richesses de leur intelligence et de leur cœur.
La
réponse est celle d’un éducateur qui bénéficie de son expérience, de sa
maturité, de sa faveur toujours lucide avec laquelle il traite les problèmes
pour éveiller les esprits, solliciter les bonnes volontés, former les
consciences, afin que chacun, à sa place, se mette au service des droits de
l’homme qui, malgré l’ampleur de la tâche, est source de confiance et de joie. Il
a opposé un silence froid au départ de Mostefa Bouchachi.
L’alignement
de Mostefa Bouchachi aux positions de l’appareil du FFS, et non de ses anciens
dirigeants ni de ses actuels dirigeants et militants qui sont respectables et
respectés, mérite le désaveu du conseil nationale de la LADDH. Il a glissé sur
la planche savonnée par l’appareil du FFS, qui l’a récupéré. Il n’a pas refusé
le cadeau empoisonné qu’il lui a offert. La promotion individuelle prime sur
toute autre considération, contredit l’exemplarité qui est plus qu’une
esthétique, une éthique… Bouchachi s’est rallié à titre personnel à l’appareil
du FFS, mais la LADDH,
qui est l’original des droits en Algérie, le reste n’étant que copie et
photocopie, est en dehors du pouvoir et des partis politiques. Il va devenir le
notable d’un parti, oubliant la conscience aiguë qu’un militant de la Ligue doit toujours garder
des sentiments et aspirations populaires. Certains mots, peut-être un peu durs
en apparence, doivent malgré tout être dits car si l’on n’y prend garde, le
silence sur le fonctionnement de la
LADDH dans ce qu’il a de défectueux porte préjudice aux
fondements principaux des droits de l’homme et à ses militants qui se sont
montrés ses guides fidèles, désintéressés, efficaces.
Mostepha
Bouchachi n’a pas fait mystère de son ambition clairement affichée, avec une
lourde dose d’inconscience, de saisir toute occasion, même en piétinant les
droits de l’homme, pour servir ses intérêts les plus immédiats, les plus
égoïstes. Il a cherché sa promotion individuelle en se ralliant à un parti
politique.
La LADDH ne peut constituer le passage obligé pour être
appelé à une haute fonction des trois pouvoirs de l’Etat. L’homme a la
faiblesse de se prendre pour ce qu’il n’est pas : peu cultivé, il se croit un
humaniste. Une telle erreur de jugement sur soi-même lui fait accepter toutes
les flatteries, s’enfoncer dans toutes les impasses. L’homme versatile qui ne
met pas son comportement en harmonie avec ses actes fait de véritables tête-à-queue
et, comme un crabe, marche aussi bien dans un sens que dans celui qui lui est
opposé. Comme la chauve-souris, suivant le modèle anglo-saxon, il agit selon le
dicton : «Je suis oiseau voyez mes ailes, je suis souris vive les rats.»
Pour
certains partis, qui sont l’opposition du pouvoir et non l’opposition au
pouvoir, ce qui importe c’est d’avoir une position sur les aspects les plus
immédiats et non sur le fond des problèmes, ce qui implique non pas une vision
suivie d’une stratégie, mais d’une simple tactique.L’arbitraire, l’injustice, l’intolérance,
l’exclusion, la xénophobie qui est l’une des variantes de l’intolérance à
l’autre, à celui qui pense autrement mais égal dans sa dignité et dans ses
droits, sont présents et agissants, mais ils font la courte échelle à un
pouvoir qui accuse un déficit républicain et démocratique, viole la loi, porte
atteinte aux droits de la défense, à l’autonomie de la justice et à
l’indépendance de la magistrature. Qu’avez-vous fait de la justice, Monsieur le
ministre de la Justice
?
Le
droit de se rassembler et de manifester publiquement est interdit parce que la
levée de l’état d’urgence est remplacée par l’état de siège.
Les
marches sont interdites parce qu’elles s’inscrivent dans la lutte pour la
démocratie, la liberté, la justice et la justice sociale. Le peuple a répondu à
la brutalité de la répression avec calme et dignité, c’est sa manière de
manifester son hostilité au pouvoir.
Le
pouvoir a pratiqué une politique qui s’est servi des droits de l’homme pour
tenter de les manipuler, de les récupérer, de les exploiter, en secrétant des
ligues des droits de l’homme qui ne sont que des langues de bois dont on fait
les flûtes qui chantent à des fins de politique intérieure et internationale, pour
redorer son image bien ternie par la transgression des lois et une répression
qui a imposé un strict contrôle policier de la population. Il veut garder en
vase clos les atteintes graves aux droits de l’homme, pour ne pas avoir à payer
le prix politique de ses méfaits.
Les droits de l’homme ne sont jamais dans l’Etat, toujours face à l’Etat,
jamais dans le pouvoir, jamais dans un parti politique
C’est
la personne humaine debout et non à genoux, face à l’Etat.
La LADDH ne peut intégrer aucun des courants politiques ou
idéologiques qui traversent la société. Les droits de l’homme, il faut des
défendre avec intensité, les servir avec un dévouement entier, dépourvu
d’ostentation et d’ambition. Dans la presse d’aujourd’hui, maître Hocine
Zehouane se réclame encore de la
LADDH. Il a été débouté des deux procès qu’il a engagés
contre elle, au tribunal puis à la cour d’Alger. Le secrétariat qu’il a voulu
constituer, formé de Aït Yahia, Mohamed Smaïl, Me Nordine Ahmine, et Tahar
Khellil, l’ont vite évacué. Il a été destitué par la FIDH de sa qualité de
représentant de la LADDH.
Ligue d’un seul homme, elle est devenue celle d’un homme seul.
Il a récolté la politique d’exclusion, de haine et de division qu’il a semée. Aït
Yahia, Khellil, Ahmine et Smaïl doivent rejoindre la LADDH. Mohamed
Smaïl fait l’objet, depuis plus de 11 ans, d’un harcèlement judiciaire sans précédent.
Il
a découvert plusieurs charniers, a filmé les ossements de Saïdane, enlevé en
plein jour par la milice de Fergane en septembre 1986 parmi les 212 autres
disparus de la wilaya de Relizane. Devant la justice, il a pris des positions
fermes et courageuses, a osé dire tout ce que l’on doit taire. Les militants
des droits de l’homme doivent tous s’aligner derrière lui pour l’innocenter de
l’injustice.
Le pouvoir est centralisateur, dominateur, totalitaire, dictatorial
La
centralisation conduit à la paralysie et à la dégradation politique et morale
des institutions, dues à l’absence d’alternance qui permet le maintien au
pouvoir des mêmes clans et des mêmes intérêts.Un président de la République à la fois
chef d’Etat et chef du pouvoir exécutif, ministre de la Défense, qui a fait du
gouvernement l’annexe de la
Présidence et du Parlement deux chambres d’enregistrement, ne
répond pas aux critères d’un Etat de droit.
Le
combat entre les défenseurs des droits de l’homme et les dictatures, objet du
débat d’Antigone et de Créon qui remonte à l’an 442 avant l’ère chrétienne, a
toujours été sans merci jamais terminé. Le défi d’Antigone pour que les droits
de la personne humaine triomphent de la dictature est un défi actuel. La LADDH a, tout au long de son
existence, combattu le système politique dictatorial qui a fait des Algériens
des sujets et non des citoyens.
La
seule source du pouvoir n’est pas le peuple comme le proclame la Constitution, mais le
système politique qui a engendré des pouvoirs dictatoriaux qui ont mis sous
tutelle la vie publique et privatisé l’Etat, instrument de leur domination et
source de leurs privilèges. Il faut aussi souligner le rôle politique de la
corruption. C’est la liberté qu’il faut recouvrer d’abord, car là où elle fait
défaut surgissent la tyrannie, la dictature. Elle ne se proclame pas, elle se
mérite, elle se conquiert. Victor Hugo a écrit : «Libérez la liberté, la
liberté fera le reste.»
Les
droits de l’homme – qui sont aussi et les droits de la femme, cela va sans dire,
mais cela vaut mieux en le disant – sont intégrés de manière irréversible à la
culture algérienne et le combat devra se poursuivre sur deux fronts, celui de
l’éducation qui agit sur les mentalités et celui de la législation qui agit sur
les structures sociales. A la génération de l’indépendance doit succéder celle
des droits de l’homme : «La liberté peut regarder la gloire en face», a écrit
Chateaubriand.
Le
poids des idées et l’exigence de liberté et de justice finiront par peser sur
le peuple et assurer, avec l’accélération de l’histoire, un changement de
régime politique et non un changement dans le régime, un changement de
politique et non un changement dans la politique.
La LADDH, dont la mission est un véritable apostolat, croit
à la nécessité et à l’utilité des contre-pouvoirs qui feront de cette terre
d’Algérie une terre de liberté, de justice, de tolérance, de dialogue, une
terre pour vivre ensemble et non les uns contre les autres. Que des milliers de
nouvelles militantes et de nouveaux militants viennent renforcer la LADDH pour donner plus de
puissance à son action, plus de succès, plus de certitude dans la victoire pour
instaurer la démocratie. Il faut écouter le peuple et surtout les jeunes, garçons
et filles à égalité, qui ont du caractère, du courage, des certitudes, une
forte sensibilité pour le pluralisme politique, syndical et culturel. Il faut
passer le pouvoir, tout le pouvoir, à la génération de l’indépendance.
Ali
Yahia Abdenour
Contribution
publié par El Watan, 18 avril 2012.
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