Par Benjamin Seze
ENTRETIEN - Chercheuse
à Science Po Paris (chaire Moyen-Orient), spécialiste des médias
arabes, et auteur d'un livre sur Al Jazeera*, Claire Talon analyse
l'influence de la chaîne de télévision qatarie dans les révoltes
actuelles.
TC : On a beaucoup parlé du rôle d'Internet et des
réseaux sociaux dans les révolutions du monde arabe, quel a été celui
d'Al Jazeera ?
Claire Talon :
Al Jazeera s’est distinguée par une couverture enthousiaste et
participative des révolutions tunisienne et égyptienne. Contrairement à
ses principales concurrentes qui ont, pour la BBC Arabic, cherché à
rester le plus neutre possible et, pour Al Arabiya, relayé les craintes
saoudiennes de voir le régime d’Hosni Moubarak tomber, Al Jazeera a dés
le début pris le parti d’accompagner les manifestants, de soutenir leurs
revendications et même de prendre part à leur révolte.
Concrètement, ce soutien a pris plusieurs formes : d’une part, le
choix d’une couverture en continu des évènements avec la diffusion
systématique et abondante des images filmées par les manifestants
eux-mêmes, et celui de relayer les informations de manière quasi
instantanée même lorsqu’elles étaient encore sujettes à caution. Ce
choix a permis à la chaîne de jouer un rôle y compris dans le
déroulement des évènements sur la place Tahrir en informant les
manifestants massés au cœur de la place des violences qui se déroulaient
sur ses bords, quitte à alimenter des mouvements de panique. En
Tunisie, en Egypte et en Libye, des projections d’Al Jazeera sur des
murs et des toiles improvisées ont permis aux émeutiers de suivre les
évènements, les réactions et les discours du régime en direct sur la
chaîne.
Outre le fait de s’être aussi imposée comme une tribune pour les
opposants aux régimes de Ben Ali, de Moubarak et de Kadhafi, Al Jazeera
s’est d’autre part lancée dans une campagne promotionnelle à base de
spots quasi publicitaires en faveur de révolutions démocratiques. Sur
fond de lyrisme musical appuyé, d’images poignantes de violence et
d’enthousiasme populaire, des drapeaux tachés de sang répètent encore à
l’envie l’ardeur retrouvée d’une « révolte arabe en marche »,
c'est-à-dire d’un nouvel élan régional qui renoue avec les aspirations
du panarabisme des années cinquante.
Enfin, un choix éditorial très fort, consiste actuellement à diviser
l’écran en trois afin d’embrasser d’un même coup d’œil les mouvements de
foule en Tunisie, en Egypte et en Lybie.
A ce tire, s’il demeure délicat d’évaluer précisément le rôle joué
par Al Jazeera dans ces révolutions, il est cependant aujourd’hui
possible d’affirmer qu’elle a largement participé à une diffusion de la
révolte dans le monde arabe, en permettant notamment de toucher des
milieux populaires ayant moins accès aux réseaux sociaux.
TC : Est-elle perçue comme un soutien par les mouvements contestataires ?
Claire Talon : Ces
choix donnent aujourd’hui à la chaîne une grande légitimité populaire,
d’autant qu’Al Jazeera est en parfaite cohérence avec les options
éditoriales qu’elle défend depuis le début. En effet, elle était depuis
longtemps en conflit avec de nombreux chefs d’Etats de la région,
notamment Ben Ali et Moubarak, qui avaient fait fermer ses bureaux et
empêché ses journalistes de travailler à plusieurs reprises. Même si Al
Jazeera a parfois servi à ce titre au régime qatari d’arme diplomatique
contre ces régimes dans des buts assez ambigus, elle demeure perçue par
une grande majorité comme la seule chaîne véritablement contestataire.
TC : Quelle est l'audience de cette chaîne aujourd'hui ?
Claire Talon : On
évalue le public de la chaîne arabe à environ cinquante millions de
téléspectateurs. Al Jazeera English, dont la rédaction est séparée et
l’identité éditoriale relativement différente, déclare quant à elle un
public de plus de cent millions de personnes. C’est aujourd’hui sans
doute la chaîne d’information internationale qui fait autorité dans les
cercles politiques et diplomatiques du monde entier, elle est suivie à
la Maison Blanche.
TC: Comment définiriez-vous sa ligne éditoriale ?
TC: Comment définiriez-vous sa ligne éditoriale ?
Claire Talon : L’une
des spécificités d’Al Jazeera est d’avoir été critiquée par toutes les
parties politiques en présence y compris dans le monde arabe et d’avoir
été accusée tour à tour d’être islamiste, sioniste, laïque etc…
En Occident notamment, elle a effrayé par la place qu’elle donnait
aux Frères Musulmans. Mais, s’il est vrai que depuis 2004, un certain
nombre de nouveaux journalistes de la rédaction arabe revendiquent leur
affiliation à ce mouvement (qui a longtemps été dans ces régimes la
principale force d’opposition non autorisée), Al Jazeera est avant tout
une chaîne qui se distingue par son pluralisme.
Les grandes autres caractéristiques éditoriales qui donnent à la
chaîne son originalité et sa force sont les suivantes : la mise en scène
d’une conception « radicale » de la démocratie, son refus de censurer
les images de violence et la promotion d’une critique raisonnée et
argumentée du journalisme occidental.
TC : Qui la finance ?
Claire Talon : Officiellement
alimentée par des fonds « publics », Al Jazeera est en fait
financièrement dépendante de la famille régnante du Qatar. Mais cette
dépendance n’a pas muselé les journalistes, loin de là, et c’est toute
l’originalité de son fonctionnement.
Car la famille régnant au Qatar est elle-même traversée par des
luttes d’influence et des oppositions idéologiques. Ces conflits
d’intérêts ont en fait bénéficié aux journalistes (étrangers dans leur
écrasante majorité), en favorisant le pluralisme dans la rédaction et en
leur donnant les moyens de trouver des cautions politiques diverses au
sein de la famille dirigeante.
Cette dépendance a cependant historiquement influencé la couverture
par Al Jazeera de certains terrains politiques. Reflet des évolutions de
la diplomatie qatarie, Al Jazeera s’est notoirement montrée moins
critique vis-à-vis de la Syrie, de l’Arabie Saoudite depuis 2009, et de
l’Iran.
TC : On l'accuse parfois d'être complaisante avec des mouvements comme Al Qaida : ces accusations sont-elles fondées ?
Claire Talon : Ces
accusations, largement reprises par les médias français, ont participé
d’une campagne de désinformation menée par l’administration Bush au
lendemain du 11 septembre dont l’enjeu était le contrôle de la
propagande américaine. Décrédibiliser Al Jazeera en l’accusant de
complicité terroriste était devenu une nécessité pour les faucons du
Pentagone et de la Maison Blanche à un moment où elle commençait à
s’imposer comme le seul contre-pouvoir médiatique dans la région,
mettant à mal les mensonges des néoconservateurs abondamment relayés par
les médias occidentaux.
Mais, outre le fait que les vidéos d’Al Qaeda sont des scoops
internationaux que se disputent encore aujourd’hui les chaînes de
télévision du monde entier, l’histoire des cassettes vidéos jihadistes
réserve des surprises, révélant le jeu particulièrement trouble joué par
les administrations américaine et qatarie en la matière.
La plupart d’entre elles ont été visionnées par l’ambassade
américaine à Doha avant leur diffusion par Al Jazeera ; un certain
nombre ont été diffusées par la chaîne plusieurs mois après leur
réception, à un moment qui arrangeait particulièrement la propagande
américaine dans la région (à l’occasion d’un raid contre l’Afghanistan
par exemple) ; certaines n’ont jamais été diffusées, d’autres encore ont
été censurées par l’administration d’Al Jazeera et diffusées par CNN
comme des preuves de la connivence d’Al Jazeera avec Al Qaeda, au grand
dam des journalistes arabes.
TC : A-t-elle des concurrentes dans le monde arabe ?
TC : A-t-elle des concurrentes dans le monde arabe ?
Claire Talon : C’est
tout l’enjeu d’une propogation de la révolte à la région du Golfe.
Jusqu’à présent Al Jazeera a devancé ses concurrentes de loin, mais
comment couvrira-t-elle un mouvement révolutionnaire qui s’étendrait aux
voisins du Qatar et serait susceptible de menacer la famille régnante
elle-même ?
Sa concurrente à capitaux saoudien a déclaré forfait le 11 février
dernier en censurant un journaliste qui annonçait une émission sur les
« répercussions des révolutions tunisienne et égyptienne en Arabie
Saoudite ».
Al Jazeera saura-t-elle garder son enthousiasme révolutionnaire sans
que le régime qatari se sente menacé alors même que des sites facebook,
hostiles à la chaîne elle-même, appellent aujourd’hui à une révolution
au Qatar?
Si Al Jazeera faiblissait, la BBC pourrait alors reprendre un rôle de
premier plan dans la compétition informative, à condition que le
Foreign Office se montre moins frileux qu’en 1995, lorsqu’il avait cédé
aux pressions saoudiennes pour arrêter le service d’information de la
BBC-Orbit.
* Claire Talon publiera en
avril 2011 "Al Jazeera. De la liberté d'expression dans une
pétromonarchie", aux Presses universitaires de France (Puf).
In témoignage chrétien, mars 2011.
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