Par Le Dr Ahmed Benbitour
La
Nation est en danger. Le pays est à la dérive, sous l’effet de
l’accumulation d’un certain nombre de maux qui s’autoalimentent
mutuellement, rendant inévitables l’explosion sociale et l’installation
de la violence comme seul moyen de règlement des conflits entre
individus, entre groupes d’individus et entre groupes d’individus et le
pouvoir.
Attention, ce que j’exprime n’est pas mon espoir, mais des prévisions avec beaucoup de fiabilité. Que confirment, d’ailleurs, les événements intervenus dans la région durant cette année 2011. Sans être exhaustif, les principaux maux dont souffre l’Algérie sont :
Attention, ce que j’exprime n’est pas mon espoir, mais des prévisions avec beaucoup de fiabilité. Que confirment, d’ailleurs, les événements intervenus dans la région durant cette année 2011. Sans être exhaustif, les principaux maux dont souffre l’Algérie sont :
1-
La perte de la morale collective.
Le changement signifie le lancement d’un programme ambitieux d’éducation
citoyenne pour passer à une société qui repose sur des lois et des
règles saines, où les individus se font confiance lorsqu’ils
interagissent, où la bonne éducation et le travail sont des atouts de la
réussite sociale et individuelle, où la justice prévaut et où la
malhonnêteté, le vice et la brutalité sont proscrits comme mode de
progression dans la sphère publique et dénoncées et combattues dans la
sphère privée.
2-La
généralisation de la corruption à tous les secteurs d’activité.
Le changement signifie l’installation d’un nouveau système de
transparence dans la gestion des affaires publiques. Le système sera mis
en place graduellement avec le souci maximum de pédagogie pour
permettre à tous de s’y adapter progressivement et à s’y conformer
au-delà d’une période de grâce suffisante. Ce n’est qu’après la période
de grâce, clairement affichée, que des institutions performantes et non
des individus, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie de la
nouvelle gouvernance, mettront un terme aux défaillances de ceux qui
refusent de se conformer aux nouvelles règles de transparence dans la
gestion des affaires. La garantie du traitement équitable sera assurée
pour tous, dans le seul respect de la loi.
3-
La pauvreté.
Le changement signifie la mise en place d’une véritable politique
sociale moderne à même de mobiliser tous les citoyens autour d’une
approche axée sur la lutte contre la pauvreté, la préservation de
l’environnement et la justice sociale. Cette politique sociale n’est pas
la charité. Elle consiste en une stratégie globale contre la
marginalisation en encourageant la participation des pauvres à l’essor
économique. Elle passe par un investissement massif dans la santé,
l’éducation, les autres services sociaux, afin de libérer le gisement de
créativité et de participation économique de nos concitoyens
complètement marginalisés aujourd’hui.
4-La
pénurie prévisible des ressources naturelles non renouvelables que sont
les hydrocarbures.
Le changement c’est une économie compétitive qui assure la protection
des individus et un développement individuel et collectif harmonieux. Le
programme de mise en œuvre de cette économie s’appuiera sur une
politique rigoureuse et efficace de transformation du capital naturel
non renouvelable (les hydrocarbures) en un capital humain générateur de
flux de revenus stables et durables. Cette politique comprend notamment
la réallocation d’une partie significative des investissements excessifs
actuels dans les infrastructures vers des investissements ciblés dans
le secteur productif de biens et de services, mais surtout des
investissements de plusieurs milliards de dollars dans les ressources
humaines (éducation, savoir, compétences…), afin de promouvoir une
génération d’entrepreneurs possédant la capacité de leadership, la
moralité, l’intelligence et le jugement, et de former des cadres
gestionnaires à tous les niveaux dans les entreprises et
l’administration. La relève des cadres dirigeants partant à la retraite
doit être assurée en urgence par le biais d’ambitieux programmes de
formation et de promotion de la relève, pour compenser la trêve
remarquée pendant deux décennies dans la formation des cadres. Cette
politique a été suivie avec succès dans les pays émergents qui ont connu
cette phase de développement, la Chine notamment. C’est aussi, la
constitutionnalisation de l’utilisation des réserves d’hydrocarbures. Je
le répète aujourd’hui. Il faut bien considérer que chaque baril
ponctionné sur les réserves non renouvelables est, au départ, une perte
pour la Nation. Une fois qu’il sort du sous-sol, il ne fait plus partie
du patrimoine des générations futures.
5-
La dérive d’un Etat défaillant vers un Etat déliquescent.
Le changement, c’est la mise en place d’un système de gouvernance dans
lequel les citoyens puissent s’exprimer et sanctionner, c'est-à-dire où
les citoyens ont les moyens d’exiger des comptes de la part de leurs
gouvernants et d’en recevoir effectivement. L’année 2011 verra, je
l’espère, tous les citoyens algériens prendre conscience que notre salut
en tant qu’Etat et nation ne peut venir que d’un système démocratique
et d’une forte participation citoyenne aux prises de décision, à tous
les niveaux.
6-
L’isolement diplomatique dans un monde de plus en plus globalisé, d’une
Algérie dépassée et marginalisée, en queue des classements
internationaux dans tous les domaines. Le changement, c’est une nation
sûre de ses atouts et capable de défendre ses intérêts bien exprimés,
bien compris et bien intériorisés dans la course mondiale actuelle.
Aujourd’hui, la puissance d’une nation se mesure par sa capacité
d’innovation et la qualité de son système éducatif et de son système de
formation de managers. A ce titre, l’on peut considérer que les
expériences menées ces vingt dernières années par des nations comme la
Chine, l’Inde ou le Brésil, véritables pays continents, dessinent des
perspectives de développement dans d’autres parties du monde, à travers
des groupements sous-régionaux tels que le Maghreb. Celui-ci, en raison
de son appartenance à une culture et à une civilisation communes à
l’ensemble des populations qui le composent, peut s’ouvrir globalement
sur le monde en cultivant une relation homogène avec les autres pays, au
sein d’une organisation adéquate que nous nous appliquons à mettre sur
pied. Par ailleurs, notre orientation maghrébine- sahélienne nous offre
des opportunités et nous impose des obligations.
7-
Le risque de dislocation de la Nation et le partage du territoire. Des
forces significatives appellent de plus en plus ouvertement à
l’autonomie de certaines régions, voire le partage du territoire. Il
faut s’en inquiéter sérieusement. La situation de non gouvernance
actuelle conforte la forte probabilité de vivre en même temps la
violence sociale et la violence terroriste. C’est alors la trappe de
misère permanente et la porte ouverte à la dislocation de l’unité
nationale et le danger sur l’unité du territoire. Dans le cas de
l’Algérie, et dans l’état actuel des choses, cela interviendra avec la
baisse sensible des capacités d’exportations d’hydrocarbures que je
situe entre 2018 et 2020. Mais avec le mélange détonnant de pauvreté, de
chômage chez les jeunes, de corruption généralisée et de perte de la
morale collective, elle peut intervenir à n’importe quel moment. Le
changement, c’est la mise en place d’une période de transition pour la
sauvegarde de la Nation et la préservation des intérêts des générations
futures. Ce sont là, les sept programmes d’urgence sur lesquels doit se
construire le changement. De même que les trois dossiers fondamentaux :
la refondation de l’école, la refondation de l’Etat, la refondation de
l’économie. Si le changement de tout le système de gouvernance est
sollicité par la grande majorité des forces vives, comment le réaliser ?
Avec l’expérience tunisienne et égyptienne, nous avons le mode
opératoire du départ des symboles du pouvoir, notamment le chef d’Etat.
Il s’agit de quatre leçons qui définissent quatre hypothèses de travail
solides parce que construites à partir d’expériences vécues, à savoir la
capacité des citoyens à changer le régime, les pressions multiformes
exercées sur les tenants du pouvoir, la neutralité positive sinon
encourageante des forces armées et des forces de l’ordre et l’accès
facile aux instruments nouveaux de mobilisation, nous savons la voie à
suivre pour assurer le départ des symboles du pouvoir. Nous avons le
mode opératoire pour faire partir les premiers responsables du régime
actuel. C’est certes, une condition nécessaire, mais elle est loin
d’être suffisante pour réaliser le changement. Alors, une fois le départ
des chefs réussi, comment faire pour réaliser le changement ? En
réalité, le changement se fera en deux étapes : celle du départ des
symboles du pouvoir en place qui se réalise dans la mobilisation des
masses et particulièrement la jeunesse, celle de la réalisation du
changement qui nécessite la mobilisation des compétences nationales en
symbiose avec les forces de la première phase. Dans cette deuxième
étape, la réussite du changement passe par la mise en place d’une
période de transition et de sauvegarde selon le programme suivant.
-
Organiser une Conférence Nationale pour le Changement composée des
éléments du pouvoir capables de saisir l’opportunité de leur propre
sauvegarde et celle du pays d’un côté et des personnalités ayant une
présence de caution au sein de la société et disposant d’une
respectabilité de l’autre pour le choix d’un Haut Conseil de
l’Endiguement de la Crise (HCEC), composé de 5 à 6 personnes, avec pour
mission en trois mois :
- Elaborer une feuille de route pour l’endiguement de la crise et la préparation du changement du système de gouvernance.
-
Lancer un grand programme de communication pour expliquer la mission du
HCEC avec l’ouverture d’un débat à toutes les composantes de la
société. Ce programme de communication n’aura de crédibilité que s’il
est précédé de la levée effective et non cosmétique de l’état d’urgence,
l’autorisation de création de partis politiques nouveaux pour
l’implication de la jeunesse dans le travail politique et l’ouverture du
champ médiatique avec la possibilité de création de nouvelles chaînes
de télévision et de radios en dehors du contrôle du pouvoir.
-
Sélectionner et préparer à la nomination les membres d’un Gouvernement
pour l’Endiguement de la Crise (GEC) qui aura pour mission, la mise en
œuvre des feuilles de route établies par le HCEC et la préparation du
changement sur une période de 12 mois. A la fin de la période de trois
mois, interviendra la nomination du gouvernement GEC avec des missions
rigoureusement consignées dans des feuilles de route pour chaque secteur
et bien entendu, les sept programmes ainsi que les trois grands
dossiers déjà présentés plus haut. Il aura à préparer pour la fin de la
période de sa mission, un référendum sur la Constitution, des élections
présidentielles anticipées et des élections législatives. Les membres du
HCEC auront pour mission durant ces douze mois, la mise en place d’un
système de contrôle de la réalisation des missions confiées au
gouvernement GEC. De même la continuation des débats et des
consultations avec toutes les catégories de la population pour la
rédaction d’un projet de révision de la Constitution qui sera soumis à
référendum à la fin de la période des douze mois.
Aux tenants du pouvoir, il faut dire :
-
Le train du changement est en marche ; le freiner ou le retarder ne
fera qu’aggraver la situation et en premier lieu votre propre salut.
- Le choix est évident : anticiper la catastrophe ou la subir.
- La rente est un moyen de se maintenir au pouvoir qui deviendra bientôt l’accélérateur de sa destruction.
-
Vous devez reconsidérer tout le problème du changement à la lumière des
derniers événements dans la région et ainsi préparer une sortie
honorable.
-
Depuis le début 2011, bien des choses ont changé et le monde est de
plus en plus en éveil ; la peur est passée du côté des citoyens vers
celui des autocrates.
- Les réformes qui n’ont pas été réalisées en douze ans d’exercice du pouvoir le seront-elles en quelques mois ?
-
Mais quel est l’homme d’Etat au pouvoir qui est capable de faire
entendre raison aux autocrates et leur faire comprendre et accepter la
nécessité du changement ?
Aux forces du changement, il faut dire :
-
Bien que convaincus de l’inéluctabilité du changement, les tenants du
pouvoir ne veulent pas, n’osent pas ou n’ont pas la force morale pour
affronter les intérêts puissants qui s’accommodent du statu quo,
derrière les rideaux.
-
Entre un pouvoir autiste et fermé à toutes les revendications et des
forces vives de la Nation décidées à défendre leurs droits à la liberté,
le choc est inévitable.
-
Le pouvoir s’imagine que par la dilapidation des ressources
financières, la corruption et une répression mieux organisée, il peut
s’assurer des allégeances et acheter la paix sociale.
-
Il est fort probable que si les autocrates ne se ressaisissent pas à
temps pour prendre les devants et rechercher avec les forces du
changement, des compromis honnêtes et sérieux que nécessitent les
circonstances et que commandent les intérêts partagés, la jeunesse
maltraitée, humiliée, menacée de perdre son âme, embrase tout le pays, à
l’image des incidents du début de cette année 2011.
-
Les autocrates semblent vouloir vendre l’idée que l’Algérie est
différente des autres pays de la région et que ces revendications
répétées ne sont que des remous passagers. Alors en gagnant du temps,
ils pourront conserver toutes leurs positions. C’est le sens qu’il faut
donner au dernier discours du président de la République.
-
Hier la lutte pour l’indépendance s’est appuyée sur le nationalisme au
niveau local et sur la décolonisation au niveau international.
Aujourd’hui, la lutte pour la libération de l’individu s’appuie sur la
citoyenneté au niveau local et sur les droits universels à la liberté et
à l’émancipation au niveau international. Les temps, les espaces, les
environnements sont différents mais les processus sont les mêmes. Hier,
c’était la lutte armée pour chasser l’occupant sourd à toute idée de
négociation ; aujourd’hui, c’est le combat citoyen pour changer le
système autocrate, répressif, sourd à toute idée de dialogue, par une
mobilisation pacifique qui s’exprime dans les marches, les
rassemblements, les manifestations et les grèves.
J’appelle
tous ceux qui ont à cœur de sauver l’Algérie, quels que soient la
position et le lieu où ils se trouvent, quelle que soit l’institution à
laquelle ils appartiennent, à se mobiliser, réunir leurs forces pour la
réalisation des objectifs tracés dans cette lettre-programme dans les
plus brefs délais. Nous sommes déterminés à aller dans cette direction,
d’autant plus courageusement que le peuple ne croit plus en la sincérité
des systèmes de pouvoirs actuels et réaffirme sa conviction que l’heure
des réformes de façade est largement dépassée. Plus que jamais, le
peuple exige le changement et veut éradiquer les stigmates des malheurs
qu’il a endurés. De fait, tout est déjà en place pour assurer la fin de
partie pour les gouvernants reniés par leurs peuples. La suite des
événements pourra alors s’envisager dans un esprit nouveau, d’ouverture,
de justice et de sagesse. Une transition sera instaurée, comme diverses
personnalités n’ont pas manqué d’y faire référence. L’heure est
certainement grave. Cependant le peuple algérien, comme il l’a déjà
démontré, saura y faire face. Il saura surmonter toutes les épreuves et
vivre sa modernité dans la sérénité et la liberté ! «Et qui atteints par
l’injustice, ripostent.» Coran 39-42.
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