-Quel
rapport entretient, selon vous, le ministre, en particulier, et le commis de
l’Etat, en général, avec l’argent, le confort et les privilèges. Dans votre
ouvrage Al Wazir Al Jazaïri, Oussoul Oua Massarat (le ministre algérien,
origine et trajectoire)n vous insistiez sur les origines «paysannes» de l’élite
ministérielle.Comment interfèrent-elles sur ce rapport ?
-Dans
cet ouvrage, je n’ai pas traité la relation du ministre avec l’argent sachant
que la question est sensible au sein de la société algérienne, surtout quand
cet argent rime avec politique. La société algérienne n’a pas encore résolu ses
conflits historiques avec l’argent, considéré avec beaucoup d’hypocrisie, aimé
et adulé, convoité légalement et illégalement mais appelé par ailleurs «wassekh
edounia», «souillure de ce bas monde».
Le modèle économique (rentier) et
politique (Etat centralisateur) explique beaucoup des comportements et
relations de l’élite, dans sa configuration large, vis-à-vis de l’argent. Des
paramètres liés notamment à la situation familiale entrent en jeu. L’étude a
démontré l’absence d’homogénéité et les dissymétries sociales traversant
l’élite. Au sein de celle-ci, on y trouve aussi bien les enfants issus des
grandes familles de possédants, ceux de la classe moyenne et/ou issus de la
petite paysannerie, des familles d’artisans, ouvriers agricoles, etc. Ceux
ayant rejoint en tous les cas la ville à une période particulière de leur vie
et ont bénéficié notamment de l’enseignement, ce qui leur a ouvert la voie de
l’accession à l’élite et à rejoindre le gouvernement. Leur rapport à l’Etat a
en quelque sorte «standardisé» leur comportement et relation avec l’argent. Une
relation «cachée», empreinte d’hypocrisie
au sens social, surtout que l’Algérie traverse une phase de transition
économique, avec passage d’une économie publique à une économie basée sur le
privé et d’un modèle de propriété publique à privée. Cette transition profite à
certains, d’autres en tirent moins profit. Parmi les ministres par exemple, on
en trouve ceux ayant acheté au dinar symbolique leur villa cossue, d’autres
l’ont obtenue par l’intermédiaire d’une coopérative immobilière ou par le
système de l’auto-construction. Disons aussi que parmi les ministres, certains
habitent encore leurs appartements situés dans des immeubles et d’autres sont
morts SDF. En conclusion, l’élite, qu’elle soit d’origine modeste ou aisée,
considère l’Etat comme un générateur de rente dont il faut se rapprocher pour
tirer bénéficie.
-D’après
les conclusions d’un rapport «officiel» dont le journal TSA a fait état : sur
les 700 anciens ministres qui ont occupé des fonctions importantes au sommet de
l’Etat, 500 d’entre eux se sont installés définitivement à l’étranger, alors
que 90% de leur progéniture ont fait des études dans les universités étrangères
! Qu’est-ce que ces chiffres disent exactement au sociologue que vous êtes ?
-J’ignore l’origine exacte de ces
informations. Toutefois, le rapport qu’entretiennent les élites algériennes
avec la France est empreint d’une somme d’étrangéité.
Souvent
le rêve d’un cadre algérien, qu’il soit ministre, PDG ou haut responsable, est
de posséder un pied-à-terre en France. Peut-être même avoir sa résidence
principale à Paris plutôt qu’à Alger. Son fantasme, c’est aussi de faire un
crochet par la capitale française à chaque fois qu’il fait un long voyage, son
tour du monde, rêve d’y posséder plus d’un compte bancaire, de placer ses
enfants dans les meilleures écoles et parfois même pense pouvoir y trouver
remède à ses ennuis sexuels, etc. Bien sûr qu’il y a plusieurs facteurs
historiques pouvant expliquer pareille situation : le facteur explique pourquoi
cette élite choisit de vivre en France après y avoir effectué des études
universitaires. Il y en a même parmi les responsables algériens, parmi ceux
issus des villes de l’intérieur, à avoir connu Paris avant même de connaître
Alger. Certains cadres ont dû aussi s’y établir pour des raisons politiques et
sécuritaires. La période instable de la décennie 90 a contraint nombre de ces
élites politique et scientifique à fuir les assassinats, parmi elles des
ministres dont les plus qualifiés ont rejoint les universités et centres de
recherche. La langue comme facteur culturel explique aussi la profusion de
liens, dont les liens de famille, qu’a cette élite avec la France. Par
ailleurs, il suffit d’observer à l’aéroport d’Alger que dans les vols à destination
de la France, les cadres et responsables algériens voyagent souvent avec un
simple bagage à main : c’est la preuve qu’ils possèdent des maisons là-bas,
qu’ils ne voyagent pas en fait. Pour ce qui est de la progéniture, elle renvoie
au cœur des procédés de reproduction en cours dans la société algérienne. En
dispensant un enseignement de qualité à ses enfants, en France et ailleurs en
Occident, en épousant la nationalité française et en occupant des postes
importants dans des sociétés internationales, cela signifie clairement qu’on
est au centre d’une stratégie de reproduction des élites. Ces enfants
gouverneront demain, comme le font déjà leurs pères, aux destinées de l’Algérie.
Mohand
Aziri
In
El Watan, 12 novembre 2012
Ouchichi Mourad. Dr en sciences politiques,
professeur d’économie à l’université de Béjaïa
«L’Etat algérien est parmi les plus grands
gaspilleurs de la planète»
-Les
dépenses de fonctionnement, dans le projet de loi de finances (LF-2013), sont
de l’ordre de 589,5 milliards de dinars. Par ailleurs, la LFC réserve une
dotation au titre de «matériel, fonctionnement des services et entretien»,
sorte de chapitre fourre-tout, un montant de 173,1 milliards de dinars, soit
près de 2 milliards de dollars qui sont exclusivement destinés à couvrir les
dépenses des services de l’Etat, à maintenir par conséquent un haut niveau de
standing (résidences d’Etat, grosses berlines, salaires faramineux, etc.). En tant
qu’économiste que vous inspirent de tels niveaux de dépenses ? A moyen et long
termes, quelles en seraient les répercussions ?
-Comparés
au PIB et au niveau de vie moyen de l’Algérien, les dépenses dites de
«fonctionnement» de l’Etat sont plus qu’excessives. L’Etat algérien est
incontestablement parmi les plus grands gaspilleurs de la planète. Ceci révèle
la mentalité tiers-mondiste des dirigeants algériens et leur conception
archaïque du pouvoir. Ce dernier n’est pas vu comme une simple délégation de la
collectivité au service de la nation. Il
est assimilé à la domination, à l’enrichissement, sinon carrément à la
prédation. Les répercussions à moyen et long termes de toutes ces dépenses
faramineuses sur la collectivité sont déjà perceptibles ; le pays s’enfonce
chaque jour davantage dans l’abîme pendant que la caste dirigeante
s’enrichit.
-Le
retour de M. Bouteflika au pouvoir, en 1999, a vu la généralisation de l’ouverture et
la constitution de comptes et fonds spéciaux. Ces derniers se sont multipliés à
grande échelle. Comment selon vous sont gérés ces fonds ? Et quid de la
fonction de contrôle ?
-La
question des fonds spéciaux est l’une des plus grandes taches noires du bilan
de l’actuel Président. L’existence et la multiplication de ses comptes et fonds
spéciaux est un antécédent grave dans le sens où ils consacrent l’opacité
totale dans la gestion de l’argent public. Rappelons à ce propos que l’une des
premières actions initiées par M. Bouteflika, une fois au pouvoir, est
l’assujettissement du pouvoir monétaire au pouvoir politique à travers les
ordonnances de 2001 et 2003 remettant en cause l’indépendance de la Banque
centrale consacrée par la loi sur la monnaie et le crédit (LMC) d’avril 1990. Depuis, c’est le retour à
l’ère de la gestion présidentielle directe des questions monétaires comme
c’était le cas d’avant le gouvernement réformateur de Mouloud Hamrouche. Ainsi,
c’est toute la logique des réformes économiques qui est remise en cause.
La
rente pétrolière aidant, le pouvoir revient à la gestion du développement par
les plans de relance à coups de milliards de dollars dont le bilan est
largement au-dessous des objectifs proclamés. Aujourd’hui, un demi-siècle après
l’indépendance, l’Algérie demeure tragiquement dépendante des hydrocarbures en
ce qui concerne ses exportations et du marché international pour ses
importations. Si demain, les prix du gaz et du pétrole venaient à chuter
durablement, l’Algérie s’enfoncerait dans une crise économique pire que celle
qu’on avait connue dans les années 1980/1990. Le plus dangereux est que rien
n’indique que les décideurs algériens aient conscience de la gravité de la
situation. Ils confondent la richesse monétaire et le développement.
Mohand
Aziri
InEl Watan 12 novembre 2012
al mechtag serwal fi koul zanka ihellou
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