Par
Lyes Akram
Aujourd’hui,
on connaît assez les chefs d’Etat dans le Tiers-Monde et plus particulièrement dans
le Monde arabe. Dans cette partie du monde, ce sont des rois, émirs et autres
présidents à vie avec succession programmée post-mortem, omnipotents bien que
grabataires, régnant par le fer et le feu sur des populations domestiquées par
de redoutables polices politiques, ces célèbres moukhabarète. Ce sont surtout des
potentats au train de vie de satrapes, dilapidant l’argent du contribuable ou
le plus souvent des rentes fabuleuses qui sont, au demeurant, épuisables car issues de
l’exploitation de richesses tout sauf perpétuelles. Il semble, malheureusement,
que cette dernière caractéristique (l'enrichissement) attise l’appétit des présidents et hauts
dirigeants soi-disant démocratiques, en Occident. Dans la courante édition du
Monde Diplomatique, l’article de la dernière page, signé Ibrahim Warde, aborde
précisément cette question : le rapport des chefs d’Etats en Occident à l’argent,
à travers le cas de l’ancien premier ministre britannique Anthony Blair. D’emblée,
Ibrahim Warde rappelle ce propos de Nicolas Sarkozy en 2008 alors qu’il n’envisageait
pas briguer un second mandat, cité par Le Point : « Président, on a
été six à faire l’job. Regardez les seconds mandats, hein ? Pas formidables !
Alors, moi, en 2012, j’aurai 57 ans, je me représente pas. Et quand j’vois les
milliards que gagne Clinton [il avance le visage, cligne des yeux à
répétition], moi, j’m’en mets plein les poches ! [il frappe de ses mains les
deux poches de son veston]. Je fais ça pendant cinq ans et, ensuite, je pars
faire du fric, comme Clinton. 150 000 euros la conférence ! » Ibrahim
Warde affirme que William Clinton était endetté à hauteur de 11 millions de
dollars à la fin de ses mandats en janvier 2001 et, devenu « écrivain et conférencier »,
une année plus tard, l’homme et sa femme sont déjà millionnaires !
Et
après avoir « fait ça pendant cinq ans », M. Sarkozy a commencé, lui
aussi, sa carrière de conférencier de prestige le 11 octobre dernier, à New
York. D’après L’Express, on compte déjà 70 propositions à l’ancien chef d’Etat
français pour ce genre de conférences. Ainsi donc, « L’accès aux plus
hautes fonctions publiques ne constituerait-il plus qu’une étape dans un plan
de carrière dont l’enrichissement personnel marquerait l’aboutissement ? »,
s’interroge Ibrahim Warde.
En
effet, il s’agit là de véritable dérive de la démocratie, du moins dans sa
version occidentale considérée par certains comme exemplaire.
Quant
à Anthony Blair – sujet de l’article de Ibrahim Warde – il écrit à propos de
ces nouvelles activités : « travailler hors des contraintes du
gouvernement était enrichissant, stimulant et [lui] permettait potentiellement d’avoir
une influence plus grande que lorsqu’[il était] en politique ». Et pour
cause.
Le
jour même où Anthony Blair présentais sa démission du gouvernement britannique,
il est nommé représentant du Quartet (USA, UE, Russie, ONU) au Proche-Orient en
vu d’accompagner le « processus de paix israélo-palestinien ». Pour
Ibrahim Warde, dire du bilan de M. Blair qu’il est « modeste » relèverait
de l’euphémisme ! Ainsi, l’auteur conclut que l’ancien premier ministre se
sert de cette fonction pour « avoir accès à n’importe quel dirigeant, y
compris (et surtout) les potentats du Golfe ». De surcroit, rappelle Warde,
le carnet d’adresse d’Anthony Blair n’est pas vide, lui qui a été premier
ministre britannique !
Ibrahim
Warde cite une intervention, rapportée par Le Monde, d’Anthony Blair dont la
marque « se fonde sur le mélange des genres, la forme la plus achevée d’un
capitalisme d’accès qui se monnaye au prix fort ».
« M.
Blair est intervenu pour faciliter l’offre publique d’achat (OPA) du géant des
matières premières Glencore sur la société minière Xstrata, dont le fonds souverain
Qatar Holding est le deuxième actionnaire, écrit Ibrahim Warde. (…) M. Blair
téléphona alors à son ami Hamad Ben Jassim Al-Thani, premier ministre de l’émirat gazier et patron de
Qatar Holding. ‘‘À l’issue de cette conversation, rendez-vous est pris à
Londres entre les deux parties.’’ L’OPA devrait aboutir à la fin du mois de
novembre. Montant des honoraires de M. Blair ? ‘‘Plus d’un million de
livres [1,24 million d’euros] pour trois heures de travail.’’ »
Ibrahim
Warde, qui rappelle, entre autres, que l’ex-premier ministre britannique était
devenu conseiller financier de la famille Kadhafi et avait, à ce titre, fait
plusieurs séjours à Tripoli, écrit encore : « Plus récemment, [M. Blair]
est entré en affaires avec M. Noursoultan Nazarbaïev, qui dirige d’une main de
fer le Kazakhstan, où il a été réélu en 2011 avec un score supérieur à 95% des
voix. C’est pour la bonne cause !, jure M. Blair, qui perçois 8 millions
de livres pour un an pour ‘‘former l’administration’’ et ‘‘réformer le
gouvernement’’».
Où
va la démocratie occidentale avec une telle perversion des objectifs et
finalités ?
« L’idéal
démocratique ne souffre-t-il pas quelque peu lorsque le service public ne constitue
plus une fin en soi, mais une simple étape d’un plan de carrière fondé sur la
perspective d’un enrichissement différé ? », s’interroge Ibrahim
Warde. Qui termine son article par ces termes : « Comme l’a expliqué le ‘‘superlobbyiste’’
déchu Jack Abramoff, le meilleur moyen pour une entreprise de corrompre un
homme politique est de lui faire miroiter la perspective d’un emploi futur qui
lui garantirait le pactole ».
L.
A.
Les
citations attribuées à Ibrahim Warde sont tirées de son article « Blair
Inc., La reconversion lucrative des anciens chefs d’Etat », publié dans Le
Monde Diplomatique, novembre 2012, édition papier.
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