L’affaire
opposant El Watan à l’ex-chef de la 2e Région militaire jugée
Le
verdict sera connu le 22 mars 12
«Peut-on
espérer, un jour, que la justice algérienne prenne en charge ce gros dossier et
donne un coup de pied dans la fourmilière ?» C’est avec cet appel que la
journaliste d’El Watan, Salima Tlemçani, avait terminé son enquête sur le
«Trafic de drogue à l’ouest du pays : révélations sur le cartel d’Oran», publiée
par le quotidien le 18 octobre 2006. Une enquête qui avait révélé l’implication
de hauts dignitaires, militaires et civils, de l’Oranie dans la plus grande
affaire de trafic de drogue. Mais curieusement, c’est l’inverse qui s’est passé. La
journaliste et le directeur de publication d’El Watan, Omar Belhouchet, ainsi
que le directeur de l’action sociale de la wilaya d’Oran, Kada Hazil, se
retrouvent à la barre suite à la plainte en diffamation déposée par l’ancien
chef de la 2e Région militaire, le général Kamel Abderrahmane.
Reportée
plusieurs fois, l’affaire a été jugée et le procès en appel a eu lieu, avant-hier,
au tribunal correctionnel de Sidi M’hamed, à Alger. C’était un moment très attendu par les
prévenus pour plaider la justesse de leur cause, quitte à prendre le risque de
s’attirer les foudres des hiérarchiques. «Nous savons qu’en publiant cette enquête
sur le trafic de drogue, dans lequel de hauts responsables militaires et de
l’Etat, qui étaient encore en poste, sont impliqués nous courrions des risques.
Mais l’enquête n’a rien de diffamatoire. Elle se base sur des témoignages qui
se sont avérés vrais. Notre conscience ne nous permet pas de taire des
agissements liés au trafic de drogue, un fléau qui ravage notre jeunesse. Tout
le monde était au courant des connexions qui existaient entre les trafiquants
de drogue et de hauts responsables militaires dans la région. Comment se fait-il
qu’un trafiquant de drogue, Zendjabil, soit recherché par Interpol, alors qu’à
Oran on lui octroie un passeport sur directives venues d’en haut, on lui donne
des armes et il bénéficie d’une coopérative militaire ?», s’est défendu M. Belhouchet.
«Pour
la même affaire nous opposant au wali d’Oran, Kouadria, nous avons été relaxés
par le tribunal d’Oran», a ajouté le directeur de publication d’El Watan. Le
brouhaha, dans la salle d’audience pleine à craquer, a vite laissé place à un
silence de cathédrale. L’assistance a été choquée en entendant citer le nom d’un
général associé à un trafic de drogue. Ce qui fait dire à un homme qui
accompagnait son fils, accusé dans une affaire d’agression : «On condamne les
petits dealers à des peines lourdes, alors les barons de la drogue, les vrais
trafiquants, on les laisse en liberté et ils se permettent le luxe de déposer
plainte quand ils sont dénoncés. Quelle République !»
La
stupéfaction est à son comble lorsque l’ex-directeur de l’action sociale de la
wilaya d’Oran, Kada Hazil, fait le récit de ce qui s’apparente à un scénario
digne de la mafia italienne : «Tout ceux qui ont osé se dresser contre ce
cartel de la drogue étaient sanctionnés, isolés ou carrément mis en prison. Des
douaniers, des policiers et même un colonel du DRS ont été emprisonnés. Moi
aussi, j’ai été condamné pour avoir pris le risque de dénoncer ce trafic à
grande échelle. Comment expliquer que Zendjabil, trafiquant notoire recherché
par Interpol, bénéficie de la protection de la haute hiérarchie militaire
d’Oran ? Il circule avec des armes, on lui facilite l’obtention d’un passeport
sur instruction venue d’en haut. Les convois de drogue n’ont jamais été
interceptés ni attaqués. Il achetait la sécurité des trajets. Le président de la République lui-même
s’est avéré incapable d’y mettre un terme, à cette époque. Il avait déclaré : ‘‘Aidez-moi
à couper la tête des serpents’’.»
Kada
Hazil brandit un journal. Le juge, visiblement abasourdi, lui dit : «C’est vrai
tout ça ?» «Oui monsieur le président, c’est encore pire», lui
répond l’ex-DAS d’Oran. Salima Tlemçani, auteure de l’enquête, se défend de
toute diffamation : «Mon enquête est basée sur des témoignages recueillis à
Oran, en m’appuyant sur des documents, tout menait vers l’implication de hauts
cadres militaires et civils. J’ai découvert que Zendjabil avait ses entrées
partout à Oran, alors qu’il était recherché. Au moment où le terrorisme battait
son plein à l’Ouest, un véritable cartel de la drogue, avec ses hommes armés et
ses protecteurs officiels, s’est constitué et brassait des milliards en prenant
en charge tous les réseaux de convoyage de drogue. Zendjabil agissait en maître
du fait de la protection dont il bénéficiait de la part de certains hauts
responsables avec lesquels il partageait le fruit de son activité criminelle.»
L’affaire
en diffamation intentée par le général Kamel Abderrahmane tourne ainsi au
procès contre l’implication de hauts responsables de l’Etat qui organisent le
trafic de drogue. Un scandale. «Dans d’autres pays, si une affaire comme celle-ci
éclatait, la justice ouvrirait une enquête au lieu de traîner en justice ceux
qui dénoncent le trafic de drogue», s’indigne l’avocat de la défense, Khaled
Bourayou. «C’est qui ce Zendjabil qui bénéficie d’un faux passeport, délivré
par un wali sur instruction du général Kamel Abderrahmane ? Pourquoi le général n’est-il pas venu à ce procès ? Parce qu’il sait
bien qu’il est impliqué dans cette affaire», poursuit l’avocat. Ce dernier
s’étonne de la rapidité avec laquelle l’affaire a été instruite : «Lorsqu’un
simple citoyen dépose plainte, cela prend des mois, voire des années ; mais
lorsqu’il s’agit d’un haut responsable, il s’adresse au procureur général et sa
plainte est vite prise en charge. Quatre jours seulement après le dépôt de
plainte, la police a convoqué Salima Tlemçani et Omar Belhouchet. Que cache un
tel empressement ?».
Maître
Bourayou se lance dans une longue plaidoirie, attestant que «le trafic est au
cœur de l’Etat. C’est regrettable d’en arriver là». Bruissements dans la salle.
Au terme d’une plaidoirie remarquable, où les prévenus comme l’avocat de la
défense ont démontré les dangereuses liaisons entre les milieux de la pègre et
les sphères de l’Etat, le juge décide de rendre son verdict le 22 mars prochain
et passe à une autre affaire.
Hacen
Ouali
Salima Tlemçani a fait son travail avec courage.
RépondreSupprimerMes félicitations à cette journaliste