Par Salima Tlemçani
El Watan, 18 octobre 2006
Considéré comme étant le plus grand baron de la drogue de l’Oranie, Ahmed Zendjabil, surnommé Echelfaoui, en référence à son lieu de naissance (Chlef), est devenu une énigme pour l’opinion publique. Les informations qu’il détient vont provoquer un véritable séisme dans le milieu de la pègre à Oran, mais aussi au sein des plus hautes sphères dirigeantes de la région. Au moment où le terrorisme battait son plein dans la capitale de l’Ouest, durant les années 1990, un véritable cartel de la drogue, avec ses hommes armés et ses protecteurs officiels, s’est constitué et brassait des milliards de dinars en prenant en charge tous les réseaux de convoyage de la résine de cannabis, du Maroc, pays producteur, vers l’Europe, le Moyen-Orient et bien sûr laissant au passage des quantités de plus en plus importantes dans le marché algérien.
Zendjabil agissait en maître, du fait de la protection dont il bénéficiait de la part de certains hauts responsables avec lesquels il partageait le fruit de son activité criminelle. «Ahmed ne partira pas seul en prison», a déclaré son frère, dit Kojac, à un de ses proches. Pour l’opinion publique oranaise, Zendjabil n’était qu’une marionnette entre les mains de certains hauts responsables. Pour la petite histoire, en 1999 et alors qu’il était activement recherché, Zendjabil a introduit une demande de visa auprès du consulat d’Espagne accompagnée d’une recommandation écrite du chef de sûreté de wilaya de l’époque. Il a réussi à quitter le pays sans aucun problème pour se réfugier quelque temps en Espagne avant de retourner au pays. Les témoignages de certains de ses proches, ceux qui l’ont connu ou travaillé pour lui sur place à Oran, ont permis de mettre la lumière sur ce qui n’était que la face apparente de l’iceberg. A signaler, néanmoins, que de nombreuses personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenues ont exigé que leurs noms ne soient pas divulgués par peur des représailles. «La ville d’Oran est toujours sous l’emprise de la peur des années du terrorisme, ce grand parapluie sous lequel tout peut être dissimulé», nous dit-on à chaque fois. Pour Mohamed, la cinquantaine, ayant connu Zendjabil lorsqu’il s’adonnait au trafic de véhicules et de papiers à Chlef, durant les années 1980, ce dernier est venu à Oran entre 1986 et 1987. «Je me rappelle très bien lorsqu’il s’est enfuit de Chlef, où il a été condamné par défaut à une lourde peine pour trafic de véhicules et de papiers. Il est venu à bord d’une 204 blanche, avec un certain Selham de Gdyel, expulsé de France pour trafic de drogue. Ce dernier l’a introduit à Arzew et lui a permis de louer un F4 où il recevait à l’époque Pascal, de son vrai nom Arabat Ziane Abdelkader, un grand baron de la drogue actuellement en fuite…».
Anomalie au parquet du Chlef
Mohamed est formel au sujet de la condamnation de Zendjabil, dont le dossier aurait bizarrement disparu du parquet de Chlef. Selon lui, Zendjabil a connu Selham dans la villa de l’ex wali d’Oran, Mustapha Kouadri, lorsque celui-ci était en poste à Laghouat. «Kouadri, Pascal et Zendjabil résidaient tous les trois à Chlef. Ils se connaissaient très bien et se voyaient régulièrement. Zendjabil ramenait des véhicules volés de France et les dédouanait à Laghouat. Cela a duré des années. L’arrivée de Kouadri à Oran, vers la fin des années 1990, a été une aubaine pour Zendjabil. Ce dernier s’est vu affecter un domaine de 9000 m2, à Ben Okba, utilisé pour le conditionnement de la drogue. Ce domaine a été par la suite vendu à Pascal, lequel avait une société de transport de voyageurs lui servant de couverture». Les relations de Zendjabil avec certain magistrat du parquet d’Oran étaient de notoriété. Par exemple, en 1996, un magistrat a vendu son appartement et celui de son épouse à des trafiquants de drogue, dont un a été condamné en France. Ce même magistrat a acheté sa somptueuse villa à Bouis-ville, auprès de Zendjabil. Des révélations confirmées par un autre proche de Zendjabil que nous appellerons Ali pour des raisons de sécurité. Rencontré à plus d’une centaine de kilomètres d’Oran, dans un endroit isolé, Ali, accompagné de deux gardes armés, nous semble un peu inquiet.
Une organisation basée sur trois réseaux
Il nous explique comment Zendjabil a construit son organisation, basée sur trois réseaux, constitués surtout de gens originaires de Chlef et recrutés notamment parmi les membres de celle de Pascal, devenu vers le début des années 2000, son concurrent sur le terrain. Pascal utilise un certain Abdelkader, dit Largo, de Sidi Al Bachir, pour les transactions avec les fournisseurs de cannabis à Ketama, au Maroc. «Lorsque la marchandise arrive du Maroc, Selham se charge du réseau qui fait passer la drogue de Sebdou, Mechria, Naama, Adrar, jusqu’en Libye. Un certain Abdennour est quant à lui chargé du réseau de l’Algérois. Il a pour mission de faire sortir la marchandise à partir du port d’Alger, avec la complicité de douaniers. Enfin Arab Salah, Ghorfati, puis Salah Kopa qui se sont succédé à la tête du réseau de l’Est assurent l’acheminement de la drogue vers la Tunisie en passant par Sidi Bel Abbes, Mascara, Tiaret, Setif et Tebessa. Pascal est très lié à Abdennour. D’ailleurs il lui a donné une villa située au quartier Oasis de Kouba. Il a également vendu une autre villa à Hydra, à Ghorfati Fethi, où il s’est réfugié après sa fuite spectaculaire du tribunal d’Essenia en 2002. Pascal s’occupe également du réseau Europe, notamment la France, la Belgique et l’Espagne, avec le concours de Lâarbi Larbi, Houari Larbi. Pour transporter la drogue d’Oran à Alger, Zendjabil utilise un jeune surnommé Kamel, marié à une policière…». En fait, l’évasion de Ghorfati au moment de sa présentation au parquet d’Essenia a été d’une organisation telle que tout le monde a compris qu’il faisait partie d’un gang international aux ramifications internes. Le 22 septembre 2002, au moment où Ghorfati Fethi entamait sa descente du camion cellulaire, il donne un coup à un gendarme, enfourche une moto de grosse cylindrée qui l’attendait à côté et prend la fuite escorté par deux véhicules, vers une destination inconnue. Il sera arrêté à Alger en août 2003. Ghorfati, tout comme Zendjabil était bien introduit dans les cercles les plus restreints du système. A son mariage avec la fille d’un officier du DRS à la retraite, à Constantine, en février 2002, les invités étaient des grosses pointures. Des ministres et de hauts cadres de l’Etat. Ali raconte deux détails surprenants sur Zendjabil. En 1996, il aurait été arrêté au Maroc, sur la base d’un mandat d’arrêt lancé contre lui par Interpol. «Il a simulé un malaise pour être transféré dans un hôpital d’où il a réussi à prendre la fuite, avec la complicité du prince Rachid. En mai 1997, il se serait présenté à la cour d’Oran à la suite d’une condamnation par défaut. En 24 heures celle ci a disparu comme par enchantement», a révélé Ali. Lors de notre entretien, ce dernier a beaucoup insisté sur notre identité et procédé à plusieurs reprises à la vérification de notre carte professionnelle. «Vous savez, personne n’est à l’abri. Malgré le fait qu’il était recherché au niveau national et international, Zendjabil a poursuivi le plus normalement ses activités, en utilisant plusieurs identités. Grâce à ses complices, il a fait disparaître son dossier et ses photos des services des passeports de la wilaya d’Oran. Son adjoint Ghorfati a réussi à se faire délivrer un passeport, une carte d’identité nationale et un permis de conduire par le biais de Pascal, alors qu’il était en prison. Celui-ci connaissait très bien l’ex-wali d’Oran et l’ancien chef de la sûreté de wilaya. Lorsque l’affaire a éclaté au grand jour, c’est un jeune policier du fichier qui a payé à la place de ses responsables. Zendjabil avait l’administration dans sa poche. Ses activités ont connu une hausse considérable entre 1999 et 2003, période où il était recherché par toutes les polices du monde…», a-t-il déclaré. Pour étayer ses propos, il a noté que durant le premier trimestre 2002, Zendjabil a réalisé 41 opérations d’exportation de drogue des ports d’Oran et d’Alger, vers Alicante (en Espagne) et Marseille (France), soit une quantité de 358 quintaux, répartis comme suit : Oran-Alicante 14 voyages avec 119 quintaux, Oran-Marseille, 10 voyages avec 85 quintaux, Alger-Marseille, 17 voyages avec154 quintaux. «La quantité annuelle exportée de l’Algérie vers l’Europe et le Moyen-Orient avoisine les 900 tonnes, ce qui représente un chiffre d’affaires de presque un milliard de dollars…», a souligné notre interlocuteur. Il a précisé que Zendjabil bénéficiait de facilités déconcertantes au niveau du port d’Oran. «D’ailleurs celui-ci se distinguait des autres enceintes portuaires notamment celle d’Alger, du fait de la facilité avec laquelle la drogue était mise à quai puis exportée sans le moindre problème. Zendjabil bénéficiait de la protection des deux divisionnaires qui se sont succédé à la tête de la sûreté de wilaya d’Oran de 1993 à 2004, mais également de celle que lui accordaient certains responsables des services des douanes…».
Des relations dans tous les rouages de l’Etat
Un des anciens chauffeurs de Zendjabil, a confirmé les propos de Ali, en donnant des détails surprenants sur les nombreuses opérations d’exportation de la drogue du port d’Oran vers Alicante, à bord du navire grec «Le Poséidon». «Les transferts ont eu lieu les 5, 18 et 25 mars 2002, puis le 8 avril 2002, les 1er et 23 mai 2002, et le 26 juin de la même année. Pour chaque voyage, la quantité exportée était la même : 8,65 quintaux. Ces opérations ont été quelque peu perturbées à la suite de la saisie par les douanes françaises à Perpignan, lesquelles (douanes) ont intercepté, le 19 juin 2002, des fourgons frigorifiques. Dans les roues de ces derniers étaient dissimulés les 8,65 quintaux de drogue. Le 26 juin de la même année, les douaniers algériens ont intercepté la même quantité au port d’Oran…». En outre, et selon plusieurs témoignages de membres du milieu, le port d’Oran servait également à l’importation de cocaïne d’Europe, confirmée d’ailleurs en 2001, à la suite de la découverte par les services des douanes, de traces de cette drogue, dans un camion frigorifique transportant 15 tonnes de beurre, importées et bloquées durant 5 mois par les services vétérinaires. Le scanner effectué le 9 septembre 2001 par un divisionnaire, nouvellement installé à la tête des Douanes, a révélé l’existence de traces de cocaïne dans une cache aménagée de 3 mètres de long et de 35 centimètres de large. Des rapports ont été transmis à la direction générale des douanes, mais deux mois plus tard, le divisionnaire a été mis en prison. Un complot a été monté de toute pièce contre lui, alors que l’importateur n’a pas été inquiété. Sur ce chapitre il est intéressant de signaler que l’ex-wali d’Oran a affecté 8 exploitations agricoles communes d’une superficie de 78 ha situées aux Andalouses, à un émigré résidant à Londres, et dont le nom aurait été longtemps mêlé au réseau de trafic de cocaïne. Ce bénéficiaire hors-pair, n’avait même pas d’adresse en Algérie lorsqu’il avait bénéficié de ces domaines. Il louait un appartement à l’année au complexe des Andalouses. Pour revenir au divisionnaire des services des douanes d’Oran, il est important de relever qu’il n’était pas la seule victime des barons de la drogue, puisque d’autres responsables ou agents intègres ayant tenté de faire éclater la vérité au grand jour ont été sévèrement sanctionnés avant et après lui. Parmi ces derniers, un colonel du DRS, qui a pris sur lui de mener une enquête sur le trafic de drogue à Oran. Il s’est vu quelque temps plus tard subir les foudres de sa hiérarchie locale. Il a été carrément mis aux arrêts sur ordre de l’ancien chef de la 2ème région militaire de l’époque. C’est pour dire que les réseaux de trafic de drogue avaient leurs relais dans tous les rouages de l’Etat et à très haut niveau. Zendjabil, ainsi que ses adjoints, Pascal et Ghorfati, n’étaient donc que des instruments entre leurs mains. Ils ont bien su tirer profit de leurs parrains en érigeant un véritable empire financier, blanchis dans le domaine de l’immobilier et du foncier. Leurs biens dans l’Oranie et à Alger ne se comptent plus. Peut-on espérer, un jour, que la justice algérienne prenne en charge ce gros dossier et donne un coup de pied dans la fourmilière, d’autant que la connexion entre cette mafia de la drogue et les groupes terroristes est maintenant solidement avérée.
S. T.
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