Le pouvoir judiciaire est inconditionnellement
soumis au pouvoir exécutif
Par Ali Yahia Abdennour
Passé
la surprise du moment où le président de la République a annoncé
qu’il confiait le contrôle des prochaines élections législatives à la justice,
le temps est venu de réfléchir et de se demander si les magistrats sont capables
de rendre une justice indépendante. Le premier élément de réflexion est simple
comme une évidence : la justice est-elle libre ?
Posée depuis longtemps,
mais jamais résolue, la question simple, mais vitale se pose : la justice
est-elle, peut-elle être, sera-t-elle un jour une institution libre et
indépendante, dans un pays où la président de la République détient tous
les pouvoirs ? Une justice indépendante, mais qui la veut ?
Pourquoi
le serait-elle quand les institutions ne le veulent pas, quand le pouvoir
exécutif ne le veut pas. Il y a un certain cynisme des dirigeants,
particulièrement ceux du ministère de la Justice, qui dénoncent la dépendance de la
justice, quand ils s’appliquent à l’organiser.
Ce
corps judiciaire est soumis à la contradiction entre l’indépendance qui lui est
théoriquement conférée par la
Constitution, et la peur qui le domine. Il ne peut combiner
deux logiques aussi contradictoires, sa dépendance et son indépendance. Il ne
cherche pas à affirmer son indépendance, mais au contraire, à s’abriter
derrière des décisions prises en dehors de lui. Comment peut-il assumer sa
mission de gardien des libertés individuelles, en étant sous la coupe du
pouvoir exécutif.
Le
juge ne peut agir selon la loi, ni selon sa conscience, car il n’a aucune
garantie concernant sa situation professionnelle, s’il n’est pas aux ordres. Le
pouvoir qui menotte le juge parce qu’il le nomme, le mute et le sanctionne, à
une lourde responsabilité dans le discrédit qui entoure la justice. Il est
facile de brocarder une justice aux ordres, ou une justice couchée, de
reprocher aux juges de rendre des services qui sont la démission de la
justice et entachent son honneur plutôt que des arrêts.
C’est
par leur impartialité et leur pondération tant à l’égard des puissants
que des sujets, que les magistrats s’attirent le respect que doit inspirer la
fonction judiciaire.
D’où
soufflerait un vent nouveau pour imposer l’indépendance de la justice, du
pouvoir médiatique, de la presse, qui défende la démocratie, la liberté, les
droits de l’homme, mais où se rétrécit sans cesse le champ de la compétence et
du courage. Il n’est pas tolérable que la critique devienne politique, exercée
à l’encontre de tel ou tel magistrat ou telle ou telle juridiction, mais à
l’institution judiciaire tout entière qui se trouve affaiblie, déconsidérée, et
doit retrouver sa cohérence, son équilibre et sa dignité. Ce faisant, je
défends la dignité du juge, sa fonction qui implique les plus profondes
qualités intellectuelles et humaines et sa liberté qui est fondamentale, parce
qu’elle contribue à défendre les autres libertés. Je revendique le droit
d’appeler les choses par leur nom.
La justice s’incline toujours devant la raison d’Etat
On
ne peut donner à la justice de quitus pour le passé, de blanc-seing, pour
le présent, et de chèque en blanc pour l’avenir.
Les
juges ont des opinions, mais il est de leur métier et il en va de leur honneur,
de n’exercer leur fonction qu’en considération de la loi et de leur conscience.
La force reste à la loi, mais la réalité prouve que la loi reste à la force :
«A la force de la loi, on a substitué la loi de la force.» La justice a perdu
sa crédibilité aux yeux des justiciables, ses usagers privilégiés. Elle est
accusée d’être la botte du pouvoir exécutif, à son service. Elle
s’incline toujours devant la raison d’Etat, alors que le seul Etat dont elle
doit rendre compter, le seul qui mérite d’être respecté, c’est l’Etat de droit.
La
raison d’Etat est toujours invoquée pour infléchir le cours de la justice qui
ne demeure pas source à son message, alors que son rôle est de démontrer que
pour elle, l’Etat, c’est l’Etat de droit. Le scandale n’est pas qu’il
existe la raison d’Etat, mais que par son intermédiaire se réalise la
transgression des lois, et sont couvertes des actions qui n’en relèvent pas.
C’est une raison pour donner aux Algériens un Etat de droit (qu’ils n’ont
jamais connu). Dans les affaires de justice, le droit doit triompher de la
politique, et la morale de la raison d’Etat.
Elle
est au service du pouvoir politique. Les dirigeants échappent à la loi, car il
y a deux poids et deux mesures dans la procédure judiciaire, selon que l’on
soit un protégé du pouvoir, ou un simple sujet. La justice n’égratigne personne
d’important. Elle protège les «copains et les coquins» du pouvoir, surtout ceux
qui sont haut placés. La presse peut dévoiler et dénoncer le scandale de la
corruption, mais un secret impénétrable protège indéfiniment les clans du
pouvoir. La corruption au sommet de l’Etat est telle, que le système politique
tout entier mérite le nom de «kleptocratie». Les preuves de corruption
existent, mais l’impunité est le privilège des privilégiés. Le pouvoir et la
corruption font bon ménage.
Le cas d’empêchement du président de la République
L’empêchement
du président de la
République ne peut être constaté que par le Conseil
constitutionnel, saisi par le gouvernement. Que peut-il se passer si le chef de
l’Etat, n’étant plus en mesure d’exercer ses fonctions, refuse, puisqu’il est
le seul chef de l’Exécutif de par la révision de la Constitution, la
saisine du Conseil constitutionnel ? La personnalisation du pouvoir rend
intouchable, celui qui l’exerce. Quand le système politique aboutit à un
pouvoir centralisé, maître de tout, assujettissant l’Etat et la société, il
n’existe pas de droit contre lui, qui est pourtant le moyen de se protéger
contre lui, de lui résister.
La
justice comme la police est un instrument du pouvoir politique, et les
magistrats obéissent à ses injonctions. Le ministre de l’Intérieur parle
beaucoup plus d’ordre que de justice, comme si l’injustice n’était pas la
première cause du désordre. Le Conseil constitutionnel ne s’est jamais demandé
si les nombreuses décisions du ministre de l’Intérieur actuel et surtout de son
prédécesseur, relèvent du domaine législatif ou du domaine réglementaire, de la
compétence du Parlement ou de celle du gouvernement.
Le ministre de l’intérieur est au dessus des lois
Aucune
norme juridique de niveau inférieur, que ce soit la loi, une ordonnance, ou un
décret, ne peut restreindre la validité ou obscurcir le sens de la Constitution. Le
ministre de l’Intérieur viole la Constitution par de simples arrêtés. Il est
au-dessus des lois, a tous les droits, a atteint le seuil psychologique de
l’intolérable. Les droits proclamés n’ont pas trouvé leur réalisation
effective, du fait qu’il annule dans le concret, ce qui est accordé par la Constitution. Le
Conseil de l’ordre des avocats a, sous le couvert de la profession d’avocat,
exercé un comportement qui constitue une violence grave et caractérisée des
obligations de son serment, qui l’obligent à exercer la défense avec dignité,
conscience et indépendance. L’histoire l’a souvent montré, c’est la
responsabilité du pouvoir qui est engagée, et la justice qui est mise en cause,
lorsqu’un avocat ne peut exercer pleinement et sans risque sa profession.
Le
droit de grève, moyen d’expression pour ceux qui n’en ont pas d’autre, pierre
angulaire de la démocratie, est malmené par les mains inexpertes des juges.
Juger est un métier qui nécessite compétence et expérience. Nous assistons à
une répression contre toute activité syndicale, avec le concours de la justice
qui se charge de donner une forme légale à la répression. Les forces de l’ordre
se transforment en ordre de la force. C’est une perversion que de vouloir
assimiler l’action syndicale à un délit de droit commun. La question sociale
doit être réglée sur trois fronts pour mettre fin à l’incertitude et à
l’angoisse des masses populaires : l’emploi, le pouvoir d’achat et la
protection sociale.
Abdelaziz
Bouteflika n’est pas le président de tous les Algériens, mais seulement celui
des puissants et des riches qu’il utilise pour dominer les travailleurs, les
femmes, les couches moyennes de la société, et les jeunes qui se détournent de
la politique. Il est le gestionnaire de l’injustice. Peut-il y avoir une
justice juste, égale pour tous, dans une société inégalitaire ? Cela n’améliore
pas son image, ne rehausse ni son prestige ni son audience.
Les magistrats ne peuvent pas contrôler en toute liberté les
prochaines élections législatives
Le
pouvoir juridique n’a pas la légitimité et la crédibilité que l’élection
confère au pouvoir exécutif ou législatif, par application du principe
démocratique, qui veut que tout pouvoir est fondé sur la délégation du
souverain, le peuple. Il ne peut s’imposer que par son indépendance par rapport
au pouvoir exécutif, et par la compétence et l’honnêteté des juges.
En Algérie, il n’y a pas séparation, mais confusion des pouvoirs. Il n’y a pas de pouvoir judiciaire, mais une simple autorité sous tutelle du pouvoir exécutif, qui sert d’alibi à la politique. L’institution judiciaire confisquée par le pouvoir exécutif n’est que son ombre, son bras séculier, au même titre que la police. Elle sera utilisée à des fins politiques durant les prochaines élections législatives.
En Algérie, il n’y a pas séparation, mais confusion des pouvoirs. Il n’y a pas de pouvoir judiciaire, mais une simple autorité sous tutelle du pouvoir exécutif, qui sert d’alibi à la politique. L’institution judiciaire confisquée par le pouvoir exécutif n’est que son ombre, son bras séculier, au même titre que la police. Elle sera utilisée à des fins politiques durant les prochaines élections législatives.
La
Constitution a fait
du président de la
République un arbitre à contre-courant de sa fonction, le
gérant de l’indépendance de la justice et de cette mission elle lui enjoint un
conseil supérieur de la magistrature, dont le vice-président est le garde des
sceaux, hiérarchiquement le patron des parquets, et à ce titre, il a le droit
et le devoir de donner des instructions générales ou particulières aux
procureurs. A l’approche des élections législatives, il y a certitude que le
ministre de la Justice,
qui intervient dans les affaires de justice au moment qu’il veut et autant
qu’il veut, utilisera ses prérogatives pour contrôler les élections dans
l’intérêt du pouvoir exécutif, dont il est membre. Les magistrats, dont
certains s’engagent dans la politique au point de compromettre leur neutralité
et leur impartialité, sont plus prêts à la soumission et au zèle que ne sont
les fonctionnaires dont la carrière dépend finalement moins du pouvoir
politique, que celle des juges. Voilà comment l’administration et la justice
cuisineront les élections. Le président de la République veut
transformer les élections législatives en plébiscite pour confirmer l’ordre
établi, parce qu’il ne peut pas convoquer par ordonnance tous les Algériens aux
urnes.
La
dictature est le seul régime pour qui la légitimité ne réside pas dans la
volonté du peuple librement exprimée. Rappeler aux Algériens par SMS que :
«Voter est un acte citoyen», ne les concerne pas, parce qu’ils ne sont que des
sujets. Cela relève de la manipulation policière et de l’infantilisme
politique. Le colonialisme a soutenu et appliqué le principe qu’on peut être
national, sans être citoyen, mais seulement sujet. Le pouvoir a suivi cette
voie.
Le
climat politique, qui règne dans le pays, n’est pas propice à l’organisation
d’élections normales. Il ne suffit pas de proclamer le vote libre, il faut que
sa mise en œuvre soit effective et sa violation sanctionnée. Le premier
problème des élections législatives est la participation au vote ou le boycott.
Les Algériens votent, et quand ils ne votent pas, on vote pour eux, mais rien
ne change parce que les décisions sont déjà prises dans le secret des dirigeants
qui savent qu’ils ne peuvent gagner sans truquer, sans trafiquer les élections.
La fraude électorale, bien intégrée dans les mœurs du pouvoir, est au
rendez-vous de toutes les élections. Le viol du suffrage universel est un
critère du pouvoir totalitaire. Il n’y aura pas de campagne électorale
adulte et responsable.
L’appel au boycott est entendu par le peuple
Les
partis politiques nouvellement créés qui n’ont pas d’enracinement populaire, et
des personnalités qui postulent à l’onction du suffrage universel, par
application du principe de base emprunté à Shakespeare : «Quand l’argent
précède, toutes les portes sont ouvertes», voilà ce qui fera le lit de
l’abstention. Le retour des islamistes est prévu par la politique de
l’accordéon qui fera baisser les sièges de la coalition des partis au
gouvernement, pour les accorder aux partis islamistes. Le pouvoir ne tolère
rien qui puisse lui faire équilibre, contrepoids, et surtout contre-pouvoir. Le
boycott est un acte de méfiance, un repart contre la dictature, considéré comme
responsable de la dérive dans tous les domaines. Les Algériens désertent les
urnes parce qu’ils souffrent d’un pouvoir totalitaire qui s’est substitué au
peuple et domine le corps social. C’est du peuple que vient le pouvoir, c’est
dans le peuple que réside la souveraineté, la légitimité, la légalité.
L’appel
au boycott, venu des profondeurs de la nation, est entendu par le peuple.
L’élection se caractérise par un haut niveau d’abstention, la percée électorale
islamiste. Le président de la
République n’a pas résisté à la tentation si fréquente dans
l’histoire nationale, d’assujettir la justice, de la transformer en enjeu
politique, alors qu’il faut définir une vision politique de la justice, et non
une justice politique. Il a mis en place une dictature, alors que le peuple
réclame une réelle démocratie que lui donnerait le véritable pouvoir.
Lorsqu’un
seul pilote dispose sans partage de tous les pouvoirs, et que le peuple doute
qu’il puisse les tenir solidement en main jusqu’au bout, il entraîne la
faiblesse et la fragilité du système politique tout entier. Au crépuscule de
son règne, le Président, qui n’a pas desserré l’étau qui opprime le peuple,
doit se rendre compte que la vision de l’homme providentiel est tout le
contraire de la démocratie où le peuple est censé s’acheminer vers la maîtrise
de son destin, qui est de construire une alternative et pas seulement une
alternance. Il ne dispose pas aux yeux du peuple de qualités de vision, de
stratégie et de sérénité, nécessaires, pour mener à bon port de vraies
réformes. L’actualité politique réclame de l’action, à laquelle les Algériens
et les Algériennes doivent participer.
Pour
préparer l’avenir, fait de démocratie, de justice et de liberté, qui n’est
jamais donné et qu’il faut construire, il faut maîtriser le présent. Ce dont le
peuple a besoin, c’est de responsables qui, loin de dissocier des objectifs,
agissent en hommes et en femmes de pensée, et pensent en femmes et hommes
d’action. Le cerveau et le cœur de la lutte contre la dictature sont la
démocratie qui n’est pas seulement une référence, mais une pratique
quotidienne. Clémenceau citant Desmosthène nous montre la voie à suivre : «On
ne subit pas le salut, on le fait, on le forge de ses mains.» Le système
politique qui veut maintenir le statu quo n’a pas su conquérir l’esprit et le
cœur des Algériens. Il doit partir. Il y a un moment où, coûte que coûte, il
faut dénoncer à haute et intelligible voix les excès commis. Il fallait le
dire. C’est fait.
Ali
Yahia Abdennour
Alger,
le 21 février 2012
In
El Watan, 22 février 2012
Tel que publié par KalimaDZ,
«Quand l’argent précède, toutes les portes sont ouvertes» ! C'est tout à fait juste cher Maître!J'ajouterai aussi ceci:Les forêts précèdent les hommes, les déserts les suivent. L'égoisme a remplacé la dignité de l'homme d'aujourd'hui! L'homme est devenu un robot,une poupée qui sait faire non ou oui , sans user des 500 grammes de cervelle que portent leurs boites crâniennes!La question est: peut-on échapper à une autre fraude devenue naturelle à chacun des scrutins organisé par le pouvoir.On dit qu'il y a anguille sous roche mais peut-on dire qu'il s'agit plutôt d'un serpent à sonnette ? Le 10 Mai sera celle de l'opprobre supplémentaire et marquera pour ceux qui espèrent un changement ,celle d'une Grande Déception!
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