Par Algeria-Watch
(…)
Il est surtout nécessaire de présenter M. Ali Haroun, qui n’est pas
seulement un «ancien membre de la direction de la Fédération de France du
FLN», mais aussi, (…) «ancien ministre et ancien membre du Haut
Comité d’État». Ces deux dernières fonctions méritent d’être détaillées
pour rappeler que M. Ali Haroun a fait partie, en tant que civil, du
groupe dit des «janviéristes», principalement composé de généraux
qui ont planifié et réalisé le putsch du 11 janvier 1992 en Algérie.
En
tant que ministre des Droits de l’homme du 18 juin 1991 au 22 février
1992, il porte une lourde responsabilité pour avoir exigé l’ouverture de camps
de détention, ne pas avoir dénoncé la répression et les violations de la loi
par les responsables militaires, politiques et judiciaires ; mais surtout,
pour avoir activement participé à la mise en place d’un État de non-droit en
étant membre du Haut Comité d’État entre le 14 janvier 1992, jour de sa
création, et sa dissolution au 31 janvier 1994.
Ali
Haroun,
Acteur de premier plan de la terreur d’État des années 1990 en Algérie
Passons
rapidement sur la période de juin à décembre 1991, où M. Haroun ne
s’est pas distingué dans sa fonction de ministre des Droits de l’homme, alors
même que de graves entraves à la loi et d’importantes violations des droits de
l’homme étaient le fait d’institutions publiques. Bien au contraire, alors que
des centres d’internement sont créés en catimini en juin 1991 dans le
Sahara pour recevoir les « personnes dont l’activité peut porter atteinte
à l’ordre public » — lors de la première vague de répression contre les
membres et sympathisants du Front islamique du salut (FIS, parti légalisé en
septembre 1989) —, il « déclare que l’ouverture des centres de sûreté
a été exigée et obtenue par le ministère des Droits de l’homme(1) ».
Mais
venons-en aux premières élections législatives pluralistes qu’a connues
l’Algérie depuis son indépendance. Le second tour devait avoir lieu le
16 janvier 1992 et laissait prévoir une victoire écrasante du FIS, puisque
lors du premier tour du 26 décembre, il avait déjà obtenu un peu moins de
la moitié des sièges. Le ministre de l’Intérieur de l’époque, le général Larbi
Belkheir, avait officiellement confirmé la régularité des résultats électoraux.
Mais très rapidement, ce dernier se concerte avec ses pairs à la tête de l’armée
et de la police politique (le DRS) et ils décident de ne pas autoriser de
second tour.
« Car
la machine infernale, écrivent les journalistes Lounis Aggoun et Jean-Baptiste
Rivoire, est déjà en branle et le coup d’État se prépare dans l’ombre sur deux
fronts, civil et militaire. Le surlendemain du scrutin, une “cellule de crise”
est créée par Larbi Belkheir : “Il y avait du côté du gouvernement deux
ministres, Me Ali Haroun [et] M. Aboubakr Belkaïd […], et deux
officiers du côté militaire, pour réfléchir à la gestion de la crise toute
nouvelle qui nous tombait sur la tête”, racontera l’ancien Premier ministre Sid
Ahmed Ghozali(2). Le ministre de la Communication Aboubakr
Belkaïd, présumé “proche” du RCD, et le ministre des Droits de l’homme Ali
Haroun vont être chargés de la mobilisation de la “société civile”, ou plutôt
des diverses composantes de l’“Algérie Potemkine” qui constitue la façade
présentable du régime(3). » Ali Haroun est ainsi à l’initiative
du Comité national de sauvegarde de l’Algérie, sensé regrouper les
représentants de cette société civile opposée au second tour des élections
prévu pour le 16 janvier 1992 – en réalité ultra-minoritaires dans le
pays.
Et
il continuera de jouer un rôle décisif dans l’éviction forcée du président de la République, contraint à
démissionner le 11 janvier 1992, et les tragiques événements qui vont
suivre. Depuis lors, il s’est toujours refusé à reconnaître qu’il s’agissait
bien d’un coup d’État, persistant à affirmer contre l’évidence que Chadli
Bendjedid aurait démissionné volontairement et que « l’interruption a été
non seulement salvatrice, mais indispensable pour le pays(4) ».
Quand on sait que la « sale guerre » inaugurées par ce putsch a fait
au moins 150 000 morts, 10 000 à 20 000 disparus et
des dizaines de milliers de torturés, on mesure son caractère
« salvateur » pour le peuple algérien...
Le
général Khaled Nezzar, l’un des principaux artisans du coup d’État, alors
ministre de la Défense
et membre du HCE, a pourtant reconnu dans ses mémoires publiées en 2001, au
sujet du rôle de Ali Haroun dans le « retrait » du président :
« La fameuse lettre de démission que M. Chadli avait lue à la
télévision le soir même avait été rédigée par le général Touati et par Ali
Haroun(5). » Le président écarté le 11 janvier, on apprend
que le Parlement a été dissous (par décret antidaté). Le 12, le Haut Conseil de
sécurité, composé de trois généraux, dont le général Nezzar, constate
l’impossibilité de poursuivre le processus électoral.
Parallèlement,
les putschistes s’efforcent de trouver des subterfuges pour afficher un
semblant de légalité. En premier lieu, il leur faut trouver une personne de
consensus, légitime, pour représenter l’Algérie. Ali Haroun se rend chez
Mohamed Boudiaf, en exil au Maroc depuis des décennies : il est l’un des
vingt-deux « historiques » qui ont déclenché la guerre de libération
en novembre 1954. Il parvient à le persuader qu’il est indispensable pour
« sauver » l’Algérie. Le 14 janvier, est créée ex nihilo le Haut
Conseil d’État, une institution anticonstitutionnelle. Présidée par Mohamed
Boudiaf, y figurent quatre autres membres, dont le général Khaled Nezzar,
ministre de la Défense,
et Ali Haroun, ministre des Droits de l’homme. Le texte de proclamation du HCE
précise : « Le Haut Comité d’État exerce l’ensemble des pouvoirs
confiés par la
Constitution en vigueur au président de la République(6). »
C’est
donc en tant que ministre des Droits de l’homme et membre du HCE que Ali Haroun
participe à la décision du pouvoir putschiste d’instaurer de l’état d’urgence,
le 9 février 1992 ; et d’ouvrir, à partir du 13 février, sept
camps de détention dans le Sahara, où des milliers d’hommes sont rapidement et
arbitrairement emprisonnés, sans avoir été jugés. Certains y passeront
plusieurs années et y contracteront de graves maladies, notamment ceux qui ont
été exposés à la radioactivité à Aïn M’guel et Reggane, sites des essais nucléaires
français des années 1960(7).
Après
la dissolution du ministère des Droits de l’homme le 22 février 1992, Ali
Haroun continue de co-assumer les plus hautes responsabilités de l’État en tant
que membre du HCE. Parmi les décisions qui enfoncent le pays dans l’illégalité,
figurent la dissolution administrative du FIS et la dissolution des assemblées
communales élues à majorité FIS (remplacées par des délégations exécutives
communales désignées par le ministre de l’Intérieur, le général Larbi
Belkheir), alors que les rafles sont quotidiennes et que des milliers de
sympathisants du FIS sont arrêtés, torturés et emprisonnés arbitrairement.
Puis
survient l’inimaginable : le 29 juin 1992, le président du HCE,
Mohamed Boudiaf, est assassiné par un membre de sa garde, en direct à la
télévision, alors qu’il prononce un discours à Annaba. Personne ne doute alors
que ce crime a été commandité par ceux-là mêmes qui l’avaient fait roi, car ils
ne supportaient plus les velléités de Boudiaf de rogner leurs pouvoirs, en
particulier leur mainmise sur les circuits de corruption. Le quarteron de généraux
qui avait pris le pays en otage émet ainsi un signal clair : tout opposant
à son plan de contrôle total des richesses nationales et de la société finira
comme Boudiaf.
Mais
Ali Haroun reste au sein du HCE et contribue à mettre en place l’impressionnant
arsenal militaire et judiciaire – caractéristique d’une authentique dictature –
dont subsistent jusqu’à nos jours certains éléments. En septembre 1992,
est créé le Centre de conduite et de coordination des actions de lutte
antiterroristes (CCLAS), qui va plonger pendant sept ans le pays dans la
« sale guerre » : les quelques milliers de paras-commandos des
« régiments d’élite », ainsi que les hommes du DRS (Département
renseignement et sécurité), reçoivent carte blanche pour éliminer tous les
opposants supposés, en recourant systématiquement à la torture, aux exécutions
extrajudiciaires et aux disparitions forcées. Des crimes contre l’humanité très
largement documentés par les ONG internationales de défense des droits de
l’homme(8).
Le
30 septembre 1992, une loi antiterroriste est promulguée : la
définition du « terrorisme » est on ne peut plus large et permet de
criminaliser toute forme d’opposition, la garde à vue est prolongée à douze
jours, l’âge de la responsabilité pénale fixée à seize ans, les peines de
prison sont doublées et des « cours spéciales », véritables tribunaux
d’exception dont les juges siègent de manière anonyme, sont instituées. En
décembre 1992, le couvre-feu est instauré dans toutes les wilayas du Nord.
De la Fédération
de France au soutien aux tortionnaires
Avec
la nomination (sans élection) du général Liamine Zéroual à la tête de l’État le
31 janvier 1994, le HCE est dissous. Ali Haroun n’est désormais plus sur
le devant de la scène, mais jamais il ne remettra en cause les décisions
auxquelles il a participé quand il était à la tête de l’État et le rôle qu’il a
joué dans la couverture des crimes contre l’humanité alors commis par les
forces de sécurité. Bien au contraire, quand le général Khaled Nezzar, ancien
ministre de la Défense,
sera confronté le 25 avril 2001 à Paris à des plaintes pour torture et
sera exfiltré par les autorités françaises pour ne pas avoir à se justifier
devant la justice, l’avocat Ali Haroun rédigera, avec d’autres collègues, un
copieux mémoire en réponse à ces plaintes, visant à nier la réalité des dérives(9).
En
juillet 2002, Ali Haroun a une nouvelle fois l’occasion d’exprimer son
soutien au général Nezzar en témoignant en sa faveur lors du procès en
diffamation intenté par ce dernier à Paris contre l’ex-lieutenant dissident
Habib Souaïdia, auteur du livre La Sale Guerre, procès qui a duré cinq jours et à
l’issue duquel Nezzar sera débouté. À cette occasion, Ali Haroun, dix ans et
plus de 150 000 morts plus tard, a encore justifié le coup d’État de
janvier 1992 : « Par contre, j’estime qu’à partir du moment où
tous les démocrates, les travailleurs, les intellectuels, les artistes, se sont
trouvés être les victimes de ces fous de Dieu, l’armée algérienne a été
objectivement l’alliée des démocrates. Quels ont été ses objectifs
lointains ? Je ne le sais pas. Mais normalement elle a été notre alliée,
et c’est grâce à cette armée que nous avons pu tenir(10). »
Enfin,
le 15 décembre 2011, Ali Haroun a signé une pétition de soutien au général
Nezzar, poursuivi pour torture par la justice suisse. Après sa garde à vue, ce
dernier a pu retourner en Algérie en assurant qu’il se tenait à la disposition
de la justice suisse, qui continue d’instruire les plaintes pour tortures
déposées contre lui. Voilà donc, dans ses grands traits, le parcours récent de
l’homme, qui n’a rien renié (…).
Notes :
1.
Abed Charef, Algérie, le grand dérapage, L’Aube, La Tour d’Aigues, 1994,
p. 171.
2.
Sid Ahmed Ghozali, in Habib Souaïdia, Le Procès de « La Sale Guerre », La Découverte, Paris,
2002, p. 109.
3.
Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire, Françalgérie. Crimes et mensonges
d’États, La Découverte/Poche,
2005, p. 242.
4.
Youcef Rezzoug, interview de M. Ali Haroun, dans : « Il y a dix
ans, l’arrêt du processus électoral : Chadli démissionne », Le Matin,
9 janvier 2002.
5.
Khaled Nezzar, Algérie : échec à une régression programmée, Publisud,
Paris, 2001, p. 168.
6.
« Proclamation du 14 janvier instaurant le Haut Comité d’État
(HCE) », 14 janvier 1992
7.
Algeria-Watch, Le Drame des ex-internés des camps du Sud, 26 juillet 2010,
complété le 2 juin 2011
8.
Voir notamment les rapports circonstanciés présentés en novembre 2004 à Paris,
lors de 32e session du Tribunal permanent des peuples consacrée aux violations
des droits de l’homme en Algérie :
9.
Réponse publiée sous forme de livre : Ali Haroun, Leila Aslaoui, Khaled
Bourayou, Kamel Rezag Bara, Abderrahmane Boutamine et Zoubeir Soudani,
Algérie : arrêt du processus électoral, enjeux et démocratie, Publisud,
Paris, 2002.
10.
Habib Souaïdia, Le Procès de « La Sale Guerre », op. cit., p. 120.
P.S.
Cet article est un extrait de :
Ali Haroun ne devrait pas etre l'hote d'une commémoration du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie
Publié in Algeria-Watch, le 20 février 2012.
Sont supprimés deux paragraphes relatif à un colloque organisé en France autour de la Guerre de d'indépendance algérienne.
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