Il
y a près de 15 jours, un jeune algérien a tenté de s’immolé par le feu à Tiaret.
Il a survécu à son geste que, dit-il, «il ne regrette pas». Dans l’entretien
suivant reproduit par Informations & Réflexions, accordé au journal
El-Watan-Weekend (dans son édition d’hier, vendredi 05 mai 2012) par sa
vaillante mère, celle-ci parle du drame qu’elle vécu, de ses causes et de
quelques détails qui nous semblent importants à plus d’un titre comme les
rumeurs colportées par une certaine presse qui a fait de l’encanaillement et du
mensonge une profession de foi, et aussi du régionalisme des populations
algériennes. A propos de celui-ci, elle raconte qu’après l’immolation de son
fils, «Les jeunes de la ville ont voulu protester, mais le pire est qu’en
apprenant qu’il était de Mostaganem, ils se sont calmés». À lire absolument.
C’est
dans un état de fatigue avancée et dans une situation psychologique déplorable
que nous avons rencontré le jeune Y. M., qui a tenté de s’immoler, il y a 13
jours, à deux pas du commissariat central de Tiaret. Admis il y a une semaine
au service des grands brûlés au CHU d’Oran, ce jeune trentenaire a tenté, dans
un élan de courage, de nous parler et de nous expliquer sa situation. Malheureusement,
il lui était physiquement impossible de s’exprimer et de résister à l’émotion. Les
médecins rencontrés sur place nous ont d’ailleurs conseillé, même si son état
«est en nette amélioration», il reste tout de même «fragile», et que de ce fait,
il ne faut pas le solliciter. La courageuse mère de ce jeune homme, blessée, fatiguée
mais gardant au fond des yeux un profond espoir quant au rétablissement de son
fils, s’est proposée de nous parler de ce tragique événement dans cet émouvant
entretien.
-Comment
se porte votre fils aujourd’hui ?
-Selon
les médecins, son état s’améliore de jour en jour. Aujourd’hui, il parle un
petit peu et il arrive à boire. On m’a dit que si son état ne se dégrade pas
durant les 15 premiers jours, il sera tiré d’affaire. Aujourd’hui, nous sommes
à douze jours et je n’ai aucun doute quant à son rétablissement physique total.
C’est son état psychique qui m’inquiète le plus.
-A-t-il
exprimé des remords ou tout autre sentiment ? Arrive-t-il à parler des
événements ?
-C’est
un garçon très réservé. Quand il parle de son geste, il ne le regrette pas. Il
dit qu’il ne sait même pas comment il en est arrivé là. Il était profondément
désespéré. Il me dit toujours : «Je suis devenu une trop lourde charge pour
vous.» Sa situation était loin d’être facile.
-Pouvez-vous
nous expliquer quelles sont les raisons qui l’ont poussé à ce geste extrême ?
-Mon
fils était engagé dans l’armée à l’est du pays pendant les années du terrorisme.
D’après lui, ce qu’il a vu au front l’a profondément touché. Après 4 années de
service, on a tout simplement décidé de le réformer pour des raisons de santé. Du
jour au lendemain, il s’est retrouvé quasiment sans revenu. Son père étant
décédé, il y a plusieurs années, c’est sa sœur enseignante qui nous prend en
charge, et pour un homme de son âge, 30 ans, demander de l’argent à sa sœur
pour acheter une cigarette, c’est dur. Il a tout tenté pour trouver un emploi à
Mostaganem où nous avons vécu, à Tiaret où il est né, à Alger… Toutes les
portes se sont refermées. C’est donc à Tiaret où il est parti chercher du
travail, une fois encore sans succès, qu’il a décidé de s’immoler. Ce n’est
donc nullement un problème familial ou «une affaire de fille» qui l’ont poussé
à cette extrémité, comme l’ont dit certains journaux. Ce qui l’a mené à cette
action, c’est la pauvreté et l’impossibilité pour lui de vivre encore comme un
assisté.
-Vous
avez dit que des journaux auraient rapporté de fausses informations. Pouvez-vous
nous en dire plus ?
-Trois
journaux ont écrit sur ce sujet. L’un a dit qu’il avait eu un conflit familial
qu’il n’a pas pu gérer. Le deuxième a prétendu que c’était un chagrin d’amour. Quant
au troisième, il a même annoncé son décès. Sa sœur qui est cardiaque a fait une
crise quant elle a lu la nouvelle. C’est pour cette raison que j’étais
réticente à vous parler au début.
-Comment
ont été les réactions sur place au moment de l’événement ?
-Etant
donné qu’il était juste à côté du commissariat, c’est la police qui l’a sauvé. Le
wali de Tiaret s’est aussi déplacé pour le voir. Les jeunes de la ville ont
voulu protester, mais le pire est qu’en apprenant qu’il était de Mostaganem, ils
se sont calmés. Le régionalisme existe à tous les niveaux et il nous mènera au
chaos.
-Et
vous, comment vous sentez-vous ?
-Vous
savez, je suis asthmatique et j’ai eu une crise très violente, hier. La situation
n’est pas facile. Je ne souhaite à personne de voir son fils hospitalisé. Hier,
j’ai perdu mon beau-père que je considère comme mon propre père. Je n’ai pas pu
assister à l’enterrement. Mais vous savez, mon père est un martyr de la Révolution. Je n’ai
droit à aucune pension. J’ai perdu mon mari très tôt. Il était directeur
d’école. J’ai élevé mes filles et mon unique fils toute seule. J’ai tout fait
pour qu’ils réussissent. Les filles ont eu leur bac et ont un emploi stable. Je
croyais mon fils tiré d’affaire lui aussi dans l’armée, mais ça a mal tourné. Des
épreuves, j’en ai connu dans la vie. Je reste donc très optimiste. Je n’ai pas
le droit de perdre espoir.
Benaissa
Larbi
El Watan-Weekend 04 mai 2012
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