Depuis
plusieurs mois, les plus hautes autorités de l’Etat appellent à participer
massivement aux élections législatives du 10 mai 2012, en assurant qu’elles
seront libres et honnêtes. Ce faisant, elles ressassent un discours déjà vieux.
Mais peut-on se fier aux discours des gouvernants, sans une analyse objective
des conditions dans lesquelles se dérouleront ces élections et des instruments
utilisés par le pouvoir politique pour en garantir la liberté et l’honnêteté. Deux
notions qui sont liées, en ce sens que l’absence de liberté laisse prévoir un
scrutin contestable parce qu’il devra couvrir la manipulation.
A l’inverse, lorsque
les conditions sont réunies pour garantir la liberté des élections, les
citoyens parviennent à se mobiliser et ils obtiennent les contrôles nécessaires
pour en faire respecter l’honnêteté. Ainsi seulement est assuré le droit des
citoyens à désigner leurs représentants, à participer à l’élaboration des politiques
et à la gestion des affaires du pays, sur la base de leurs aspirations. Tel est
l’objectif de toute élection libre et honnête.
Les
liens entre liberté et honnêteté des élections ne doivent cependant pas aboutir
à confondre ces deux exigences. Chacune d’entre elles a son sens propre en
fonction duquel se vérifie son authenticité.
La
liberté des élections condense les caractéristiques essentielles du système
politique. Elle exige en effet :
1-
la neutralisation et la suppression de tous les instruments répressifs de
surveillance et de contrôle de la société, notamment dans ses activités
politiques, syndicales, associatives : aucune police politique n’est compatible
avec l’organisation d’élections libres ;
2-
l’existence de partis politiques autonomes, représentatifs des différentes
catégories sociales, porteurs de projets politiques, économiques et sociaux.
3-
l’organisation de débats publics contradictoires, portant sur les problèmes
politiques, économiques et sociaux qu’affrontent les populations.
Ces
conditions doivent être remplies sur une période conséquente précédant les
élections, pour permettre à chaque force politique de s’organiser et aux
populations de prendre connaissance des projets et d’effectuer les choix les
plus aptes à répondre à leurs aspirations. Or il suffit d’observer la scène
politique pour se rendre compte qu’aucune de ces conditions n’est remplie.
Certes,
il existe plusieurs partis politiques, les uns de création artificielle, d’autres
sans base ou ancrage populaire, d’autres encore limités dans leurs activités
par le pouvoir politique qui les empêche de se constituer en force
représentative et d’incarner une alternative au pouvoir en place. On ne voit
pas comment un tel pouvoir va aujourd’hui organiser des élections libres qui contrarient
son maintien. La création récente d’une trentaine de partis, dans une sorte de
désert politique, confirme la vieille stratégie du pouvoir, déjà largement
expérimentée par la
Constitution de février 1989, qui multiplie les groupuscules
politiques, facilite les manipulations, et discrédite le débat démocratique.
La
liberté des élections exige le respect des libertés démocratiques, pour que
toutes les forces socio-politiques puissent faire entendre leurs revendications
sur la scène politique. Après plusieurs décennies de déni des droits les plus
élémentaires des citoyens, il s’agit là d’une exigence forte. Et ce n’est pas
en renforçant les pouvoirs du ministère de l’Intérieur sur les partis et les
associations ou sur les médias, comme le permettent les récentes lois de
janvier 2012 relatives aux réformes entreprises dans ces domaines, que l’on
ouvre la voie aux débats d’idées sur les politiques dont le pays a besoin, en
matière d’éducation, de santé, de logement etc. Ce n’est ni en occultant la
dépendance des magistrats et l’état actuel de la Justice, ni en imposant le
silence aux victimes du terrorisme et des disparitions forcées par la Charte et l’ordonnance
relatives à la réconciliation nationale, que l’on rendra confiance aux citoyens.
On
peut multiplier les exemples qui soulignent la négation des droits des citoyens.
Comment s’étonner dès lors que ceux-ci recourent de plus en plus à l’émeute et
aux violences pour faire entendre leurs voix ? N’est-ce pas le chômage et
l’exclusion, l’injustice et l’arbitraire qui conduisent de nombreux jeunes au
désespoir ? En ne retenant ici que les conséquences électorales de cette
situation, le moins que l’on puisse dire est que rien ne pousse à
l’organisation d’élections libres. Comment, dans ces conditions, penser que
celles-ci pourront être honnêtes ?
L’honnêteté
des élections se vérifie particulièrement dans tout ce qui a trait à
l’organisation du scrutin : le découpage des circonscriptions, le mode de
scrutin, l’établissement des listes électorales, l’acheminement des cartes
d’électeurs, les opérations de vote dans des bureaux adéquats, le dépouillement
des bulletins, l’acheminement des urnes et enfin l’inscription et le
regroupement des résultats. L’honnêteté des élections exige également une
répartition équitable des moyens d’information entre les différents partis et
les candidats. Chacune de ces opérations doit permettre aux candidats et à
leurs partis, non seulement d’être informés de tout ce qui se passe, mais de
pouvoir dénoncer les fautes ou les manipulations éventuelles et d’exiger
réparation. La vérification de l’honnêteté des élections ne commence donc pas
le jour du vote, mais dès la fixation de sa date. Il convient donc de mettre en
place les conditions indispensables à sa réalisation. Chacune de ces opérations
exige contrôle et surveillance.
Le
législateur, par la loi relative aux élections promulguée le 12 janvier 2012, donne
de larges pouvoirs à l’administration et aux magistrats pour veiller à
l’honnêteté des élections. Le problème est que, en Algérie, l’administration
tout comme la magistrature sont étroitement contrôlées par le pouvoir politique.
Les gouvernants se donnent ainsi les moyens de contrôler les élections par des
organes qu’ils dominent. Sous le couvert d’opérations techniques, le contrôle
du pouvoir et de ses «administrations» continue. Même la commission de
surveillance, composée de représentants de partis au pouvoir et d’autres sans
expérience politique sur le terrain, ne pourra jouer que les seconds rôles.
Les
élections législatives de mai 2012 peuvent donc difficilement être considérées,
dès aujourd’hui, comme libres et honnêtes, ainsi que le proclament les plus
hautes autorités du pays. Elles apparaissent plutôt comme le moyen d’une
recomposition de la scène politique par le haut. Rien dans les prochaines
élections ne semble de nature à constituer une amorce de transition
démocratique. Tout indique par conséquent qu’elles ne peuvent être que ce
qu’elles ont le plus souvent été : une sorte de dialogue du pouvoir avec lui-même
et quelques redistributions de cartes qui seront qualifiées de « changement » …
Paris
avril 2012
Pour
le cercle NEDJMA
Mohammed
Harbi (Professeur d’histoire) ; Madjid Benchikh (Professeur de droit) ; Aïssa
Kadri (Professeur de sociologie) ; Ahmed Dahmani (Maître de conférences en
économie)
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