Par
Okba Khiar
«Les
élections législatives du 10 mai sont comparables au déclenchement de la Révolution de Novembre 1954.»
Telles sont les paroles prononcées par
Bouteflika lors de son discours à propos de la prochaine consultation, en
raison des enjeux qu’elle comporte, dans un contexte international
particulièrement sensible, généré par le
Printemps arabe. En effet, Bouteflika veut envoyer à la scène internationale
l’image qu’il souhaite projeter à l’extérieur du pays.
Dans
le système international actuel, les élections doivent correspondre à des
normes et des standards minimums de validité. C’est à l’aune de ceux-ci que
seront établies les comparaisons avec les autres pays et que sera jaugée
l’image démocratique du régime par des pays tels que les Etats-Unis, l’Union
européenne (UE)...
Le
président de la République
est confronté à la nécessité de demander à l’ensemble du corps électoral de
participer massivement et de trancher. C’est
certes un outil stratégique, mais c’est aussi un test de confiance dans lequel
l’ensemble du régime se trouve engagé. Depuis, les Algériens ne peuvent pas
ouvrir la presse, regarder la télévision, écouter la radio sans qu’une
référence à l’élection soit faite. Décidément, tout est bon pour inciter les
Algériens à aller voter. Après les SMS, les affiches et panneaux électoraux, les
discours, la mobilisation des artistes, voilà les prêches dans les mosquées qui,
autrefois, étaient des lieux où était
strictement interdit l’exercice de la politique (apparemment uniquement pour
certains).
«La
mosquée ne peut être isolée du dynamisme politique que connaît le pays», a
expliqué Ada Fellahi, conseiller auprès du ministre pour les Affaires
religieuses !
À
moins de trois semaines de l’élection, les candidats et leurs états-majors
veulent mobiliser les électeurs pour éviter une abstention qui pourrait
s’avérer d’une ampleur sans précédent.
Mais
combien seront-ils, ceux qui y croient encore et veulent bien aller voter le 10
mai ? On peut globalement considérer que l’électorat se répartira de façon inéquitable entre quatre
grandes catégories :
-
la première catégorie, constituée principalement des personnes âgées, composée
elle-même de deux parties : la première est constituée par ceux qui ont
toujours voté, pour qui le vote constitue un véritable devoir auquel ils ne
dérogent que rarement ; quant à la seconde, il s’agit des personnes qui
votent beaucoup plus par peur des
représailles de l’administration que par conviction d’un acte ou d’un choix
délibéré. Cette première catégorie vote
généralement pour le parti au
pouvoir ;
-
les militants et leurs proches, sympathisants constituent la seconde catégorie,
votant chacune pour les candidats du parti auquel ils appartiennent ;
-
la troisième catégorie, peu nombreuse, est constituée des gens ayant bénéficié
récemment de l’aide de l’Etat (logements sociaux, dispositif Ansej…). Cette
catégorie vote également pour le parti
au pouvoir ;
-
la quatrième et dernière catégorie, ce sont les abstentionnistes, de loin les
plus nombreux, dédaigneux vis-à-vis de toute manifestation du politique et dont
le volume ne cesse de croître.
Le
10 mai se reproduira ce que plusieurs observateurs des médias, du monde
politique ou scientifique pronostiquaient avant le scrutin sans grand risque
d’être démentis : l’abstention aux élections législatives sera particulièrement
élevée.
C’est
devenu une habitude, les élections n’intéressent pas les Algériens. Mais
pourquoi devraient-elles les intéresser ? Est-il vraiment utile de voter sous
ce régime, où les élus n’ont qu’une marge de manœuvre symbolique ? A quoi sert
le vote, pourquoi s’encombrer avec une Assemblée très coûteuse pour les
contribuables si le Président peut légiférer par ordonnance ?
En
effet, l’abstention n’a pas cessé de progresser au fil des scrutins et concerne
tous les types d’élections. Mais les scrutins législatifs sont encore davantage
touchés que les autres.
Les
Algériens ne se préoccupent plus suffisamment de l’intérêt général, ce qui
explique l’abstention. Peut-être ne sont-ils pas entraînés par la dynamique
d’un projet politique qui corresponde à leurs aspirations ?
Les
programmes (la majorité des partis se prétendant de celui du Président) sont le
plus souvent généraux et peu distinctifs, très peu lisibles pour les électeurs.
Tout cela ramène le caractère compétitif du scrutin à des généralités peu
concrètes pour les citoyens.
Nous
ne voyons pas actuellement de projets chiffrés avec des échéances qui soient
offerts par les partis politiques. Tous les prétendants cherchent plutôt à
sauvegarder leur pouvoir ou à essayer de gagner une place au sein de
l’hémicycle (pour les nouveaux) qu’à prendre des initiatives qui pourraient
leur valoir quelques inconvénients électoraux. Le militantisme et le dévouement,
ces grandes qualités sont désormais moins répandues aujourd’hui que par le
passé au sein des partis.
«Je
ne vois pas comment quelqu’un, parmi les 38 listes en présence à Alger, pourrait
valablement me représenter.» Ce sont là les paroles d’un jeune, attablé avec
trois autres, dans un café pour justifier son choix de s’abstenir le 10 mai.
Les
chefs de certains partis politiques soumettent les candidats désireux d’être en
tête de liste électorale à une contribution financière allant de 100 à 500
millions de centimes. Ceci concerne notamment les formations de Moussa Touati
et de Bouguerra Soltani, qui troquent ainsi leur statut de leader politique
contre celui de vendeurs de postes de députés. Les listes de candidats elles-mêmes
sont désormais composées comme des cocktails propres à entretenir la confusion (que
le parti soit de tendance nationaliste, islamiste, affairiste ancien adhérant à
un parti politique ou indépendant) : il y a souvent sur les listes dites
nationalistes des hommes islamistes et
vice-versa. «C’est mon droit. C’est aussi le mien de leur refuser mon suffrage.»
En
effet, les jeunes n’y croient plus. Ils ne croient plus aux solutions
politiques. Les chefs en tête sont, autant que les autres, accusés de rechercher
le pouvoir sans véritablement se préoccuper du sort du jeune et de son vécu.
La
dictature du politiquement correct a débouché sur l’abandon du mérite au profit
des quotas régionalistes et des affairistes. Pratiquement tous les partis, qu’ils soient de tendance
islamiste, nationaliste ou démocratique, ont proposé aux électeurs des listes
quasi identiques. De quoi inciter les plus blasés ou les plus lucides à rester
chez eux !
Le
nombre important de citoyens qui vont s’abstenir, voter nul ou blanc, confirmeront une nouvelle fois un rejet massif des
institutions dites «représentatives» et des politiques menées depuis plusieurs
années par tous les gouvernements, politiques menées au profit des plus
puissants, au profit des classes possédantes et dirigeantes.
Depuis
plusieurs années, une part grandissante de l’électorat est devenue allergique
à l’ensemble de la classe politique qui
n’a cessé d’apparaître chaque jour plus éloignée des préoccupations des
citoyens.
Peut-on
être intéressé par la chose politique lorsqu’on possède une licence et qu’on
est chômeur depuis plusieurs années, qu’on
vit reclus chez ses parents, désœuvré, dépressif
et suicidaire, obsédé par son inutilité dans la société et le vide de son
existence ?
Combien
y a-t-il de personnes qui souffrent seules, en silence, de cette fracture
sociale et en supportent seules la violence ? Aujourd’hui, on peut même avoir
un travail et être pauvre, on est face à l’explosion de la précarité.
Que
doit-on contester, la politique de l’économie de marché ou simplement la forme
libérale de sa régulation ? Mais pourrons-nous nous contenter de dénoncer l’un
sans toucher à l’autre ?
Le
pouvoir d’achat et l’emploi restent au cœur des préoccupations des Algériens, comme
l’a été en son temps la sécurité.
L’abstention
est ici une démarche civique : elle vise à rappeler que pour que la démocratie
représentative fonctionne, il faut que les candidats et les élus aient la
volonté de représenter leurs électeurs, non de les trahir.
Les
hommes politiques, ou les leaders de partis qui se transforment à l’occasion
des consultations électorales en machine à promesses, désormais, ne font plus
recette chez le citoyen.
Loin
d’être un «non-acte» de démissionnaire, l’abstention consciente est un acte
responsable de refus d’un système de domination où le droit de vote constitue
l’acte public d’allégeance du plus grand nombre au pouvoir de quelques uns. L’histoire
récente a montré combien le rituel électoral, qui devait garantir la liberté et
les moyens de vie pour chacun d’entre nous, n’a fait que renforcer le pouvoir
d’une caste de possédants et l’exploitation de l’immense majorité des hommes.
Mais
qu’en est-il des sondages dans cette période préélectorale ? Lorsque l’on sait
que les sondages d’opinion, outre leurs vertus scientifiques pour l’étude des
processus électoraux, peuvent jouer un rôle important pour améliorer la
gouvernance en permettant aux «sans-voix» d’exprimer leur point de vue et de
peser sur l’orientation des politiques publiques. Leur vocation première est de
décrire des tendances.
Jusqu’à
présent, il n’y a qu’El Watan qui ait eu le mérite de commander et de publier
le seul sondage réalisé, qui donnait un
taux d’abstention de 38%. Cependant, nous ne pouvons pas nous fier aux
résultats de ce sondage. Ses concepteurs, en omettant volontairement de publier
le nombre de personnes interrogées, les ont
discrédités.
Selon
les estimations recueillies ici et là (auprès
des rares instituts et bureaux d’études), moins d’un tiers des électeurs vont se rendre aux urnes
le 10 mai pour élire leurs députés. Ce n’est pas simplement un véritable
camouflet infligé aux prétendants à la députation, mais aussi à la classe
politique dans son ensemble.
Les
élections législatives du 10 mai seront marquées beaucoup plus par l’abstention
record que par la victoire ou la défaite de la coalition islamiste. Elles
montreront une fois de plus le fossé qui sépare l’opinion et la classe
politique.
Pour
la troisième fois consécutive, lors des élections législatives de cette
dernière décennie, les électeurs inscrits sur les listes électorales qui ne se
rendront pas aux urnes formeront «le premier parti de l’Algérie».
Okba
Khiar.
Enseignant
à l’ENSSP, ayant fait la conception et la réalisation de 126 enquêtes et
sondages d’opinion dont 19 publiés par les quotidiens El Watan (8) , Liberté (7)
, El Khabar (4).
In
El Watan 28 04 2012
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