57 ans après le 01 Novembre 1954
Algérie : Changer ou
disparaitre ?
Par
Lyes Akram
Poignant,
le devenir des Algériens dépend essentiellement d’eux. Un demi-siècle après son « indépendance »,
l’Algérie risque une destinée on peut plus pénible. Se voulant la continuité
des Etats qui, par le passé, ont peu ou prou rayonné au Maghreb central avant
de disparaître tragiquement, l’Algérie pourrait connaitre la même fin, à son
tour, si le peuple consent que continue la situation actuelle, caractérisée
par une gabegie monstre, une corruption débridée et des péculats effrénés,
œuvre hideuse d’un régime illégitime, criminel, antipopulaire et incompétent.
L’Algérie à la croisée des chemins
En
1962, dans une atmosphère dominée par des fratricides et la trahison de la
révolution, l’Algérie accède à l’indépendance après 132 ans de « mission
civilisatrice française » qui n’avait que trop meurtri le peuple et ruiné
le pays. Dix ans plus tard, en 1972, quelques mois avant sa mort, le célèbre
penseur algérien Malek Bennabi prévient ses amis dans une causerie – véritable
testament de cet immense intellectuel – par des termes d’une clarté frappante : « Nous
devons, nous autres musulmans, introduire des changements au sein de nos
sociétés, sous peine de subir d’autres changements que l’époque nous imposera
de l’extérieur »(1). Prémonitoire, cet avertissement de celui
qui fut la conscience du monde musulman, est le vécu d’aujourd’hui.
À
peine quatre décennies plus tard, Bennabi est enseveli et le monde arabe et
musulman est en ébullition, de fait des changements annoncés. Certains pays,
comme la Tunisie,
sont en train d’« introduire des changements dans nos sociétés »,
tandis que d’autres, comme la
Libye, à cause de l’opiniâtreté criminelle et la folie meurtrière
d’el Guedhaffi et de ses sbires et mercenaires, sont en train de « subir
d’autres changements que l’époque nous imposera de l’extérieur ». En
définitive, Malek Bennabi a eu raison.
Maintenant
que nous sommes en train de vivre sa « prophétie », on ne peut que se
demander quel sera le sort de l’Algérie, est-ce un changement par les
Algériens, tel que le souhaitent ardemment les patriotes Algériens et nos amis,
ou, l’ultime calamité qui nous frapperait, un changement par l’extérieur qui
signerait indubitablement la fin de la Nation algérienne ?
Au
jour d’aujourd’hui, il est indéniable que la conscience des Algériens est en
hausse et qu’une louable politisation des jeunes est en marche en dépit des
manœuvres grossières d’un régime aux abois, acculé par les conséquences de sa
gestion chaotique du pays. Tout comme il est clair que le régime, se sachant
inamendable, s’obstine dans ses pratiques malsaines, refuse l’ouverture et ne
répare pas ses erreurs gravissimes. Dans ces circonstances, ne pas réagir
devient un acte criminel. Un choix s’impose aux Algériens.
La voie de la disparition
La
nation, une construction politique avec des répercutions sociales, n’a rien d’impérissable.
A l’image de tout ce qui possède un début, les nations dépérissent et
disparaissent. Toujours est-il que c’est l’Etat, un ensemble d’institutions,
qui garantit que perdure une nation. D’autant plus que celui-là est fort
d’institutions légitimes et puissantes, inspirant respect, régissant
formellement la vie des citoyens qui le reconnaissent et lui doivent
obéissance, celle-ci, peu à peu, se consolide. La « volonté collective »
d’y appartenir augmente, et le lien tribal est substitué par un autre, national, ce qui est synonyme de sa rigidité
et de la stabilité et la pérennité des institutions de l’Etat qui auraient
permis qu’adviennent ces changements.
C’est-à-dire,
tout ce que n’est pas l’Algérie de nos jours.
Actuellement,
l’Etat algérien, qui n’est plus défaillant mais déliquescent, est en train de
devenir ingouvernable. Le régime, dont l’illégitimité est en dessus de tout
soupçon et les crimes reconnus y compris par le TPP(2) (Tribunal Permanent des Peuple), se montre
incompétent à un degré suicidaire.
Les
émeutes de janvier 2011 ont réaffirmé ce que nous savions déjà : l’Etat
algérien n’a pas d’existence aux yeux du peuple. Traumatisé suite à une guerre
civile, ce dernier boude tout ce qui est lié au régime. La preuve la plus
manifeste est le boycott de toutes les élections passées. Le peuple ne
s’exprime que par l’émeute et uniquement lorsque la détérioration des
conditions de vie atteint le summum, cependant que les riches-corrompus,
serviles du régime, exposent des fortunes colossales indues. Aux émeutes à
répétition du peuple, la réaction du régime est toujours la même : le
bâton d’abord, puis la carotte ! Une répression meurtrière, suivie, une
fois que la ténacité des populations à arracher quelques miettes est affirmée,
par un achat honteux de la paix sociale…
Malheureusement,
cet « achat » est garantit par la manne pétrolière, devenue notre
malédiction tant elle arrange les tenants du pouvoir et permet à celui-ci
d’engourdir le peuple, ne serait-ce que provisoirement. Nos ressources
« épuisables » assurent en effet jusqu’à 98% de nos revenus, et,
outre qu’elles sont épuisables, elles n’assurent pas une vie décente aux
Algériens – corruption, rapines… –, ne permettent pas une stabilité durable,
compte tenu des changements des prix, souvent imprédictibles. D’ailleurs, on commence
à évoquer l’éventualité d’un effondrement du prix du baril à cause « des
risques de récession qui pèsent toujours sur l’économie mondiale », lit-on
dans les colonnes d’El Watan de jeudi dernier. Pour le régime, cela signerait forcément
la fin de la possibilité d’acheter le silence du peuple.
Et
après ? Un scénario, le plus apocalyptique de tous, n’est pas à exclure. Pour
l’intellectuel algérien Omar Aktouf, « tout cela finira, et sans doute
dans un avenir plus proche qu’on le croit, dans un bain de sang. Avec, fort
certainement, au final, soit un scénario à la libyenne, où on verra les forces de
l’ONU venir ‘‘protéger’’ nos citoyens et adouber pour nous nos futures élites, soit
un scénario à la Yémen-Bahreïn
où on verra des forces venir lutter contre des ‘‘branches d’Al-Qaïda’’
manipulant le peuple pour le compte de djihadistes prêts à remplacer nos
généraux »(3).
Et
Omar Aktouf n’est pas le seul à tirer les sonnettes d’alarme…
Ghazi
Hidouci, l’ancien ministre de l’économie dans le gouvernement réformateur de
Mouloud Hamrouche, considère que l’Algérie est « même en danger
d’intervention extérieure lourde ». Pour lui, deux scénarii sont envisageables.
« Dans le premier, affirme-t-il, l’État algérien continue de gérer la
situation de la manière que nous observons aujourd’hui : un gouvernement sans
légitimité, équivoque dans ses rapports avec l’OTAN et sous pression directe de
ses partenaires occidentaux. (…) ce gouvernement ne pourra pas éviter de
devenir le supplétif de la stratégie occidentale au Maghreb. Dans une telle
situation alimentée par la corruption généralisée – celle des centres de
décisions à tous les niveaux et des services de sécurité – et l’arbitraire
permanent, l’hypothèse d’un soulèvement récupéré, infiltré et orchestré ne peut
être écartée » Et, pour l’ancien ministre, le second scénario, « ‘‘idyllique’’,
consisterait en la mobilisation du peuple contre ces dangers »(4).
L’Algérie
vit une phase cruciale qui aboutira certainement à un changement radical. Avec
deux possibilités. Ou bien un changement qui pourrait signer la fin de la
tyrannie et l’instauration de la démocratie. Ou bien un changement qui
signerait la fin de l’Algérie. Et les hommes de Novembre 1954 ne sont plus
capables de se prononcer sur le devenir, car ou morts ou épuisés.
Changer ou disparaitre…
« Aujourd’hui,
l’Algérie est en crise. Les héros ont disparu, sont fatigués ou ont rejoint la
cohorte des prédateurs », écrit l’éminent historien Mohammed Harbi(5).
Sans opter pour un déchirement générationnel, il n’est que trop clair que le
destin de l’Algérie repose entre les mains des nouvelles générations. Ceux
d’avant 1962, qui après avoir servi cette patrie, qui après l’avoir détruite et
meurtri son peuple, ne sont plus capables d’agir.
Majoritairement
jeune, le peuple algérien doit avoir un gouvernement qui le reflète et reflète
sa pluralité. Malencontreusement, le régime est devenu une gérontocratie
irrationnelle. Qu’attend-on d’un régime où le premier responsable est un malade
moribond de 74 ans ?
En
effet, s’il y avait eu une volonté de changement à l’intérieur du régime, la
voie est claire – sans être pourtant aisée. Mais « il est inconséquent de
demander des réformes à un système pourri. Dans notre cas, le changement doit
signifier le départ du système», affirme Mohamed Hennad, politique algérien.
Dans
un pays où tout est à reconstruire, où l’échec est total, où les institutions
politiques ne jouissent d’aucune crédibilité, où, du système éducatif à
l’économie nationale, une volonté de détruire était, et est toujours, l’unique
arrière-pensée des décideurs, seule une Deuxième République est en mesure de
sauvegarder l’unité des Algériens dont les liens qui les unissent sont en cours
de désintégration, le régionalisme existant déjà en 1962 ayant évolué en
tribalisme macabre. Et il n’est pas de nation sans conscience par le peuple de
son unité. L’esprit tribal, la cause des féodalités les plus abjectes et destructrices,
n’est assurément pas une caractéristique de la solidité des nations. C’est tout
le contraire : le lien national est affaibli à mesure que le lien tribal
est renforcé. Du coup, l’atomisation du peuple, l’une des funestes réalisations
du régime algérien, ne signifie pas moins que de mettre la nation algérienne en
péril.
Un
soulèvement populaire des Algériens pour dire : « assez ! »
à l’autodestruction, et « dégagez ! » aux décideurs, ces causes
de nos maux profonds, demeure le moyen le plus sûr pour arriver à changer ce
régime. La conjoncture internationale, contrairement à 1988, est favorable à une démocratisation effective
de l’Algérie. Après tous ses ravages, le régime doit partir. Le chemin pour y
remédier avant qu’il ne soit trop tard, est assez commun, dont le début est une
Assemblée constituante, tout comme en 1962, avec cette fois une différence de
taille : elle doit effectuer son devoir, celui de préparer une
Constitution à la future Deuxième République. Et il n’y a aucune date meilleure
à celle du 1 Novembre pour se révolter en terre d’Algérie.
« Ni Etat Intégriste, Ni Etat Policier »
Après
un demi-siècle de gestion policière de l’Algérie, l’échec de l’Etat policier
est patent. Nul n’a besoin d’étaler des preuves autres que notre situation,
déplorable, que nous avons examiné. Pour ma part, je crois que rien n’est plus
évident que la nécessité de la construction d’un Etat de droit, avec pour le
moins un certain sécularisme désacralisant ses institutions, faisant ainsi
qu’elles soient critiquables par les citoyens, afin d’entreprendre l’étape de
l’édification sociale et politique de l’Algérie, édification dont l’adhésion
populaire est une condition sine qua non de la réussite.
Cette
formule n’a jamais été plus vraie qu’elle ne l’est aujourd’hui : idée-force
du FFS et des démocrates au début des années 1990, si le peuple avait soutenu
ce choix sans équivoque, « Ni Etat Intégriste, Ni Etat Policier »,
nous ne serions pas là, aujourd’hui, menacés de disparition et d’extinction.
Que
peut offrir l’intégrisme, en effet, sinon des somnifères idéels, drogues et
stupéfiants idéologiques ? Le Soudan et l’Arabie Saoudite sont là pour le
dire. Quant à l’Iran, il affirme qu’il n’y a point de secte exceptionnelle.
Tous les intégrismes ne mènent qu’à la stagnation, voire l’arriération.
« Le Coran contient tout », ou « l’Islam est la solution »
sont les plus grands leurres qu’auront produit nos intégristes.
Texte
allégorique, sujet de diverses interprétations, le Coran, tout comme les
bibles, est un livre religieux, et, pour les musulmans, le Livre. Rien dans les
114 sourates le constituant ne prescrit à ses adeptes la voie à suivre à
l’échelle des nations…
Quant
à l’histoire musulmane, elle montre que seule la tolérance est en mesure de
garantir la paix entre les musulmans eux-mêmes, ainsi qu’entre les musulmans,
les juifs et les chrétiens, les athées et les agnostiques, chacun d’eux étant
appelé à apporter son plus à la construction nationale à venir.
Mais
avant cette construction, le départ du régime actuel est déjà un pas salutaire…
L’histoire,
le sang amazigh qui coule dans les veines des Algériens, ainsi que leur raison
et patriotisme, leur seront-ils utiles pour agir et sauver une nation peu
consolidée avant le naufrage final ?
L’histoire,
impitoyable, ne sait reculer.
Un
deuxième « 1 Novembre » devient une nécessité, bien que, fort heureusement,
une révolution, dans les conjonctures actuelles, ne sera que pacifique et
pacifiste.
Une
partie de notre échec est pour ainsi dire imputable à l’apathie du peuple qui
avait cru en des faux espoirs et en des compromis qui n’étaient que mirages. Subséquemment,
il lui incombe de réaliser les changements nécessaires à la survie de
l’Algérie, en commençant par changer le régime, forme et fond.
L’Algérie
a grand besoin de ses filles et fils. C’est aux Algériens de décider :
changer ou disparaitre ? Car c’est « l’esprit du temps. Il faut
garder présent à l’esprit que si nous n’opérons pas ces changements de notre
propre chef, ils nous seront imposés »(6) de l’extérieur, avait
prévenu Malek Bennabi, il y a quarante ans.
L.
A.
Notes de renvoi
(1)-
Malek Bennabi, La réalité et le devenir, Alem el Afkar, 2009 (un recueil de
conférences publié à titre posthume). Cet ouvrage est traduit de l’arabe par
Nour-Eddine Khendoudi.
(2)-
Les violations des Droits de l’Homme en Algérie, documents élaborés par le TPP.
Lien : http://www.algerie-tpp.org/
(3)-
OMAR AKTOUF. Professeur HEC de Montréal, à El Watan Weekend : « En
Algérie, tout cela finira dans un bain de sang ».
(4)-
Ghazi Hidouci, en toute vérité, Algeria-Watch.
(5)-
Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN, Documents et histoire, 1954-1962,
Fayard, 2004 (Paris), Casbah, 2004 (Alger).
(6)-
Malek Bennabi, Ibid.
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