(In El Watan) Acteur
de premier plan en sa qualité de chef de gouvernement lorsque le pouvoir avait
décidé d’interrompre le processus électoral, Sid Ahmed Ghozali estime que ce
choix a été «un coup d’épée dans l’eau» ; car si pour de nombreux acteurs il
avait pour but de «sauver la
République», pour d’autres «la réelle motivation était de
sauver le pouvoir à n’importe quel prix».
- Vous étiez chef de gouvernement quand l’interruption du processus
électoral le 12 janvier 1991
a eu lieu. Vingt ans après, avez-vous toujours le même
regard ?
Simplement
un préliminaire au sujet de l’arrêt du processus électoral de 1992. C’est bon
d’en parler. C’est un moment important de cette période qui y a conduit et
mérite que l’en on parle, non pas pour refaire l’histoire, mais pour en
connaître les tenants et les aboutissants, savoir en quoi il a été une bonne
chose pour l’Algérie. Il faut qu’un jour qu’on engage un véritable débat
national contradictoire sur cette question qui doit être présentée au public
sous des angles différents. Si le but est d’éclairer l’opinion, les
déclarations, écrits ou autres, récits unilatéraux, doivent être étayés par le
débat contradictoire. Durant ces vingt dernières années, on a trop peu dit ou
alors trop dit. Aussi bien sur la genèse que sur les suites de l’événement et
je dirais même sur ses conséquences. Sur l’analyse de l’angle du processus, je
n’ai pas à changer un iota. Sur l’angle de la santé ou la validité de la
décision je n’ai pas à changer. Et ce qui est changé dans mon approche, c’est
tout simplement ce qu’on a fait et vu durant vingt ans. Et qui m’a conduit à
dire qu’en fin de compte, cette opération a été un coup d’épée dans l’eau. Elle
n’a servi en rien notre pays. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas tiré de
leçons aussi bien du vote que les raisons qui ont conduit à l’arrêt du
processus électoral.
- Pourquoi avoir fait ce choix alors ?
Je
m’explique. Il faut se poser la question de savoir si l’arrêt dudit processus a
été le point de départ de quelque chose ou bien l’aboutissement de quelque
chose. Or, la pensée dominante une pensée sciemment et pernicieusement
instillée dans les esprits par les tenants du même pouvoir va jusqu’à postuler
la période tragique des années 1990 qui est le résultat de l’arrêt du processus
électoral. Que les initiateurs de l’action violente aient porté cette thèse,
cela est de bonne guerre. Pour eux, le FIS dira qu’il y a eu recours pour
défendre la démocratie. Mais que ce soit le pouvoir, le même pouvoir
d’aujourd’hui qui fut porteur de cette thèse, voilà qui devrait donner un
éclairage largement méconnu sur la genèse du 11 janvier 1992. Attendez-vous à
ce qu’on se mette aujourd’hui à vous expliquer que même la situation actuelle
du pays «c’est la faute au processus du 11 janvier 1992».
- Vous laissez entendre qu’il y avait une sorte de pacte entre le pouvoir et les islamistes du FIS...
Pas
nécessairement un pacte, mais il y a ce qu’on appelle dans la dialectique
marxiste une alliance objective entre les deux forces politiques réelles du
pays. Avec l’enjeu commun et le seul enjeu : le pouvoir. Il faut se poser la
question de savoir si c’est un hasard qui a fait que l’arrêt du processus n’est
pas intervenu en fin de compte pour occulter les vraies raisons du vote des
Algériens, à savoir la faillite d’un système et d’une politique. C’est ce qui a
conduit les Algérien à donner la majorité au FIS. C’est le résultat d’une
décennie d’une gestion politique catastrophique. Par conséquent, il n’avait pas
intérêt à charger ce pouvoir. Donc, l’opération a été faite pour exonérer le
pouvoir et dire que tout cela est dû à l’arrêt des élections et au terrorisme.
- L’arrêt du processus électoral était présenté comme une décision pour «sauver» la République. A vous entendre, on a finalement sauvé le pouvoir…
Il
faut distinguer une bonne fois pour toutes les acteurs : les acteurs visibles,
quelle que soit la couleur de leur tenue. Cette distinction étant bien faite,
j’affirme que les seules motivations des uns étaient de sauver la République, qu’ils
aient eu tort ou raison, telle fut leur seule motivation, et je reste
catégorique sur ce point et prêt à vous le démontrer. J’ajoute, tout aussi
catégorique, que la réelle motivation des autres fut de sauver le pouvoir à
n’importe quel prix. Je rappelle en passant, à un moment où on a tendance à
l’oublier, l’existence, parmi les acteurs visibles et de manière massive, la
rue et la société civile qui, bien avant la démission de Chadli, ont réclamé
l’arrêt du processus électoral entamé le 27 décembre 1991.
- Mais pas pour les mêmes objectifs ?
C’est
ce que je viens de dire. Et ce n’est que la reproduction mot pour mot de ce que
j’avais dit officiellement, publiquement, en ma qualité de chef de gouvernement
et à plusieurs reprises. Lors du vote d’investiture de l’Assemblée nationale,
le 8 juillet 1991, j’ai rappelé les conditions insurrectionnelles dans
lesquelles mon gouvernement avait été formé, et j’ai procédé à une analyse en
disant que la violence que nous vivions était le résultat d’une situation de
violence qui avait commencé à se développer bien avant, dès le lendemain de la
disparition de Boumediène. Et que le FIS n’était pas le premier à avoir
provoqué cette violence. Avant lui, il y avait une autre violence et c’est là
que j’ai employé la formule «le peuple algérien s’est trouvé entre la marteau
et l’enclume». Entre un pouvoir dont l’obsession première était de s’attacher
uniquement au pouvoir, au détriment du règlement des affaires du pays, et cela
a duré dix ans. Il a laissé filer une crise économique qui s’est muée en crise
sociale, qui s’est muée en crise politique et morale. Et ce n’est qu’après que
le FIS est venu, pour essayer de profiter de cette situation, pour prendre le
pouvoir à son tour. J’avais même condamné les tractations qui étaient en train
de se faire, depuis 1989, avec le FIS pour partager le pouvoir. Il y avait une
stratégie qui était déployée qui consistait à amener le FIS aux communes et au
gouvernement dans l’idée qu’il allait se casser la figure et que le pouvoir en
sortirait régénéré. Voilà la situation. J’avais proclamé au préalable, dans mon
discours à l’APN, que tous les gouvernements qui se sont succédé, y compris le
mien n’émanaient pas de la volonté populaire. Et qu’à l’époque, mon
gouvernement comme les autres étaient handicapés dès le départ. Dans mon
analyse publique (interview, télévision) des résultats du premier tour j’ai dit
sans ambages que ces résultats avaient une signification, que c’était «un cri
de rejet très fort par les électeurs du pouvoir qu’ils considéraient comme
responsable de leurs malheurs».
- Vous parliez de tractations entre le FIS et le pouvoir. Peut-on identifier ce pouvoir, la présidence, les militaires ?
Il
y a eu, entre fin 1990 et début 1991, des tractations secrètes et des accords
conclus entre le gouvernement et le FIS pour que les élections législatives,
avancées à juin 1991, ne donnent pas un vainqueur et puis prendraient le FFS
comme arbitre. Cette tractation avait existé et on avait convaincu le président
de la République,
Chadli Bendjedid. Le gouvernement pensait qu’il fallait laisser le FIS prendre
le pouvoir aux communes et au niveau du gouvernement. Comme la situation
financière du pays était catastrophique, il se casserait la figure, ce qui
permettrait au pouvoir de rebondir. J’ai été ministre des Affaires étrangères
et quand j’ai appris cela, j’ai démissionné. Il y avait des gens, à l’intérieur
de l’armée, qui étaient contre ces tractations qui se faisaient dans leur dos.
Il est important de rappeler cela parce que nous sommes en train de répéter la
même chose actuellement.
- Que pensez-vous de la thèse qui édicte que Octobre 1988 était une manipulation du pouvoir ?
Ce
sont eux-mêmes qui le reconnaissent ; ce n’est pas moi qui le dis. Il y a des
gens qui étaient au pouvoir à l’époque qui disent qu’Octobre 88 avait été
initié par le pouvoir lui-même, mais que les choses, après, lui ont échappé.
C’est devenu, malgré eux, un vrai printemps algérien. Les acteurs principaux du
pouvoir reconnaissent cela, que vous rappelez à juste titre, à savoir que les
événements d’Octobre sont intervenus dans une situation sociale et politique
très tendue. Et que l’heure des bilans était arrivée. Et pour justement passer
cette période des bilans, on a allumé une mèche. Je ne fais que reprendre ce
que les acteurs disent, bien que cela corresponde parfaitement à mon analyse.
Les choses ont commencé le 19 septembre avec le discours du
président-secrétaire général du FLN, où il dressait un tableau sombre et disait
«ça va mal»et que «le responsable, c’est le FLN». Et ce, depuis lors qu’on a
commencé à entendre dans la rue «FLN seraqine» (FLN, des voleurs). Le pouvoir lui-même
a ancré dans l’esprit des Algériens que le responsable de cette situation-là
était le FLN. Ce qui est profondément injuste et pas vrai. Parce que le FLN n’a
jamais été au pouvoir.
- Qui était au pouvoir alors ?
Nous
sommes dans une situation de pouvoir occulte. Vous n’allez pas croire que nous
sommes dans le pouvoir tel que décrit dans la Constitution. Pensez-vous
que, chez nous, le Président est élu par le peuple ? Il faut simplement
comparer ce que dit la
Constitution et ce qui se passe sur le terrain. Jamais le
président de la République
n’a été élu, mis à part la première élection de 1962. Toutes les autres
élections ont été des désignations.
- Y compris Bouteflika ?
Mais
bien entendu.
- J’insiste sur la question de l’identification du pouvoir, sont-ce les services, les militaires, la présidence de la République ou plutôt c’est tout cela ?
Le
pouvoir ce n’est pas l’armée, comme on le dit de manière courante. L’immense
majorité des militaires sont des gens comme vous et moi et n’ont aucun poids
dans la décision politique. On ne peut pas dire non plus que c’est le DRS
(département du renseignement et de la sécurité» puisqu’il se trouve à
l’intérieur du DRS des gens qui ne sont que des serviteurs de l’Etat et n’ont
aucune part dans l’exercice ou la décision politiques. Le réel pouvoir est une
oligarchie qui s’est sédimentée avec le temps. C’est un système pas des noms.
C’est un parti clandestin. C’est un parti qui a une tête qui dispose des moyens
de l’Etat et qui a ses militants. Quel est le parti le plus important en
Algérie ?! Il n’y a pas un député, un haut fonctionnaire qu’il soit wali,
ministre ou bien président de la
République qui soit nommé contre la volonté de l’oligarchie.
Cela n’existe pas. Ils se comptent par dizaines de milliers ceux qui savent
bien à qui ils doivent leur nomination. Car leur nomination est signée par le
Président ou le chef du gouvernement, mais qui présente les listes ? On ne peut
pas être wali, ministre où Président sans un aval du pouvoir réel. Nous n’avons
pas le pouvoir politique que nous avons dans nos lois. C’est se mentir à
soi-même. D’un autre côté, je crois qu’il est superfétatoire de continuer à se
fixer sur cette question qui est le pouvoir. Parce que nous sommes en train
d’analyser la santé d’un régime, alors que celle-ci se mesure simplement au
résultat auquel il aboutit et savoir qui en est responsable. C’est pour cela
qu’on a voulu éviter le débat en 1988. A la fin de l’année, le congrès de
FLN devait se tenir pour faire le bilan d’une décennie.
- Ce parti clandestin contrôle-t-il toutes les strates de la société ?
Dans
les démocraties, le pouvoir c’est un parti qui dispose de militants, d’un
programme et de moyens, mais chez nous ce n’est pas formel. C’est un ensemble
qui a 2 millions de militants, qui a les moyens financiers de l’Etat qui a les
moyens de la violence de l’Etat, les moyens de la légalisation de l’Etat, donc
est nécessairement de très loin le parti le plus fort du pays.
- Vous avez dit qu’on a peu ou trop dit à propos de l’arrêt du processus électoral. Si on estime qu’on a peu dit, que reste-t-il à dire ?
Il
y a des livres à écrire sur ce sujet. Vous savez, lorsqu’on évoque cet
évènement, on s’attarde beaucoup sur l’anecdote du genre : quelle a été la
participation de Khaled Nezzar. Ceux qui étaient contre l’arrêt des élections
ont beaucoup fait. Le FFS, je le considère comme un parti démocratique et je
suis sûr qu’Aït Ahmed, en son for intérieur, ne voyait pas l’arrivée du FIS au
pouvoir comme une bonne chose. Mais comme il savait que celui-ci
n’allait pas passer, il s’est donné le beau rôle de défenseur de la démocratie.
Et c’est là que nous sommes différents. Parce que si nous avions fait un
calcul politique personnel, nous aurions dit qu’il y a un vote qui a été fait,
chose promise chose due, laissez-les prendre le pouvoir, comme le souhaitait
une bonne partie des gens, surtout la partie cachée du pouvoir, et nous serions
passés à l’histoire en tant que défenseurs de la démocratie. Nous aurions
peut-être disparu mais ç’aurait été sur le champ d’honneur de la démocratie. Si
nous avions fait un calcul personnel, jamais nous aurions pris la décision
d’arrêter le processus électoral.
Mais
nous avions fait un calcul pour notre pays. Peut-être, et certains nous disent
pourquoi vous n’avez pas laissé le FIS ? Nous étions convaincus que l’arrivée
du FIS au pouvoir, ce serait la fin de l’Algérie. C’est-à-dire qu’il n’y avait
pas pire. Sur ce plan-là, j’ai changé. Vingt ans après, quand je regarde l’état
où a été mis mon pays, je suis obligé de constater qu’il y a pire que le FIS de
l’époque : le pouvoir lui-même. Je me resitue dans le contexte de l’époque ;
nous pensions «tout sauf le FIS» face à une menace d’écroulement du pays. Les
autres faisaient un calcul : «C’est le FIS qui va s’écrouler et nous, nous
garderons le pouvoir»… J’avais dit devant l’APN, en juillet 1991, que ceux qui
faisaient des tractations pour se partager le pouvoir ne montraient un
antagonisme qui n’était qu’un écran de fumée pour cacher un travail
d’apprenti-sorcier. Il y avait un mélange incestueux. Le discours consistait à
présenter au peuple le choix suivant : «C’est nous ou eux.» Quelle
différence entre ce que disait El Gueddafi au peuple libyen et aux Occidentaux
: «C’est moi ou Al Qaîda» ? Ce fut dit publiquement et plus caricaturé que chez
nous. Ils croyaient, en laissant le FIS hurler dans les rues, menacer,
et en le laissant prendre le pouvoir, cela allait conduire inéluctablement à un
échec. Et le peuple reviendrait à dire : «Mieux vaut le pouvoir». Et là,
ils se sont trompés.
- Si vous considérez que la période dans laquelle s’est engagé le pays après 1992 n’est pas la résultante de l’arrêt du processus électoral, à quoi peut-on alors incomber cela ?
Encore
faut-il étayer un peu plus cette thèse ridicule et que je réfute. Je me
contenterais de vous faire remarquer qu’en vingt ans, il y a eu 16
gouvernements, six mandatures présidentielles, six élections législatives et
communales et tout cela pour ne pas effacer les «conséquences» prétendument
imputées à l’arrêt du processus du 11 janvier. C’est grotesque. L’Algérie de
maintenant est l’échec éclatant d’un pouvoir congénitalement incompétent et
incapable. Et qui renferme, dans sa nature, les ingrédients de son propre
écroulement. Et à continuer à fermer les yeux sur cette triste réalité, conduit
le pays droit au désastre. Et pourquoi ne pas dire, à l’inverse, que si nous
avions laissé continuer le processus de décembre 1991 nous n’allions pas nous
retrouver dans une situation à l’iranienne, par exemple ?
- Que faut-il faire alors ?
Il
faut revenir à de véritables institutions qui associent le peuple aux
décisions. Or, on continue actuellement à croire qu’on peut diriger une société
en donnant des ordres de manière autoritaire. Ce n’est pas possible. On ne peut
diriger une société que sur la base de son adhésion au projet politique et
d’une participation active à l’exécution des décisions politiques dans tous les
domaines. J’avais dit que le résultat des élections de 1991 avait un sens. Il
était «l’expression par la majorité des Algériens d’un rejet total de ceux
qu’ils considèrent comme étant responsables de leur situation». J’avais dit
cela à l’époque et ça m’a valu d’être renvoyé comme un malpropre de l’ambassade
de Paris. Ce système a la conviction très forte qu’il peut diriger le pays par
des ordres, on violant les lois. Les vingt ans qui se sont écoulées m’ont
montré très bien qu’aucune leçon n’a été tirée de cette expérience.
- Pourquoi voulez-vous qu’ils tirent les leçons dès lors que leur seule obsession est de se maintenir au pouvoir ?
C’est
là le problème justement. Pas de se maintenir en tant que personne mais de
maintenir un système qui est totalement contraire à ceux qui dictent les lois
et qui leur paraît à eux le plus efficace. Leur postulat est : «Nous sommes les
seuls à pouvoir diriger ce pays.» Et d’ailleurs, à chaque échéance, ils disent
à propos de Bouteflika : «Nous avons choisi le moins mauvais.» Cela
implique implicitement en tout cas que tous les autres sont mauvais.
- Où pourrait mener cette situation où c’est un système qui décide à la place du peuple et pour le peuple ?
Elle
conduit nécessairement à l’écroulement, à l’implosion. Parce qu’il est évident
qu’il n’existe pas d’avenir pour une société dont la marche repose sur ses
trois piliers complètement foireux. A savoir non-respect des lois, mépris total
des éléments de la société et surtout, c’est le plus grave, l’irresponsabilité.
Le système qui prend les décisions ne rend compte à personne et c’est là que le
mal contient les germes de sa propre destruction. Quand ont prend des décisions
et tout en sachant qu’on est pas appelé à rendre des comptes, on ne peut
prendre que des mauvaises décisions. Et quand ça dure, c’est l’écroulement.
- Ce système gère-t-il le pays comme une sorte de propriété ?
Il
y a les dérives qui découlent de l’habitude de gouverner seul. Elle conduit
naturellement, avec le temps, à ne plus faire la différence entre ce qui
appartient à la collectivité nationale et ce qui est privé. Il n’y a plus de
frontière. Il y a une véritable privatisation de l’Etat. C’est la conséquence
même de la nature du système. Quand Montesquieu dit le pouvoir corrompt, il
énonce un postulat universel. Un homme au pouvoir est toujours exposé à être
corrompu au sens large. Ensuite, on en abuse. Et comme la contradiction est
bannie, on finit par croire que cette conviction est une vérité de Dieu. Le
pouvoir est un cycle inéluctable, il commence par nous griser, il corrompt,
ensuite il rend aveugle et rend fou. Deux exemples caricaturaux, il est sûr que
quelques heures avant sa mort Kadhafi était convaincu que la vérité était de
son côté. Et dès lors que l’on commence à dire que celui qui ne pense pas comme
moi est mon ennemi (dit et redit publiquement chez nous notamment) donc il faut
le bâillonner, c’est la fin. On devient dieu, impuni. Ce sentiment d’impunité
se répand. Il y a aussi tel ministre de qui proclame froidement à propos d’un
scandale touchant son secteur : «Je ne suis pas au courant autrement que par la
presse.» Vous voyez cette arrogance ! C’est un mépris total des autres et c’est
soutenu par un sentiment d’impunité. «Nous sommes intouchables.»
- Comment sortir de cette situation de pouvoir absolu ?
On
ferait un pas géant en avant si nous commencions par deux choses. Primo,
respect des lois. Secundo, tout preneur de décision doit être comptable de ses
actes. Tout preneur de décision à tout niveau doit être responsable, qui devant
telle institution, qui devant le peuple, qui devant tel organisme de contrôle.
Il faut qu’il y ait des rendez-vous où on rend compte. Nous avons entendu le
président de la République
à la fin de son second mandat dire : «Nous nous sommes cassés le nez, mais je
n’accuse personne.» C’est une manière de dire, on peut se casser le nez sans
qu’il y ait de responsables où bien dire : «Je ne suis pas responsable.» J’imagine
même à la limite qui si nous sommes dans une situation donnée où l’armée
prenait le pouvoir, mais en l’assumant, ce serait déjà un progrès considérable,
car à partir de ce moment, elle se désignerait elle-même comme comptable.
- Vous suggérez là un coup d’Etat…
Une
hypothèse d’école pour une illustrer l’importance de la responsabilité… Je
n’invite personne à faire un coup d’Etat, simplement il est indispensable que
celui qui prend les décisions soit comptable et à tous les niveaux.
- Mais seul un pouvoir démocratiquement élu pourrait être contraint à rendre des comptes…
Pas
forcément. La Chine
n’a pas un pouvoir démocratique, mais elle a un pouvoir cohérent avec des
débats contradictoires à l’intérieur du parti communiste. Il y a des contre-pouvoirs
et c’est comptable. Quand le chef du gouvernement se présente comme
responsable, il rend au moins compte au congrès du PC. Qui le nomme et le
dénomme ouvertement pas en cachette, ni par maillons interposés. Il faut
commencer par la tête, un président vraiment accepté par le peuple, quels que
soient les moyens. Le pays est dans un état déplorable et il y a bien un
responsable. C’est le régime qui détient le pouvoir politique. Ce pouvoir n’est
pas celui dont l’Algérie a besoin. Il a échoué et quand on échoue, on s’en va.
Je leur dis que nous n’avons plus le choix entre changer ou pas changer, nous
avons peut-être encore, mais ce n’est pas sûr, le choix sur la manière de
changer et je crois au changement dans l’ordre. Et si on change dans le
désordre, c’est le changement imposé par la rue et par l’étranger surtout.
Maintenant, je me demande même si nous avons le choix sur la manière de
changer. Parce que nous avons un système politique qui a échappé à son propre
contrôle. Il ne se contrôle plus. Le président nous dit qu’il y a la
corruption, etc., pour résoudre cela, il change la Constitution, ça veut
dire quoi ? Que c’est à cause de ça qu’il y a le chômage, la corruption. Celui
qui dit ça, est soit dans l’aveuglement, soit dans la fuite en avant ou bien
dans le mensonge. Soit les trois à la fois.
- Vous critiquez ce système alors que vous en faisiez partie, mais vous en faites partie, du moins par les fonctions que vous avez occupées…
Quelqu’un
qui est interdit d’action publique depuis vingt ans, qui depuis 1962 totalise
près de 30 ans d’exclusion, peut-il avoir été ou être un homme du système ? Je
ne fais pas partie du système. Je ne me suis jamais considéré comme un des
leurs et ils ne m’ont jamais considéré comme tel. On fait la confusion
entre le pouvoir politicien et les pouvoirs publics. Le pouvoir politicien gère
le système, les pouvoirs publics servent le public et l’intérêt général. J’ai
servi constamment dans les pouvoirs publics, jamais dans le système politicien.
Et je suis d’autant plus à l’aise de vous dire que je le regrette. Parce que
moi-même et les cadres de ma génération avons cru naïvement qu’on peut servir
les pouvoirs publics sans être au pouvoir politique. Et cela, c’est une naïveté
considérable. Si on prétend servir les pouvoirs publics, il faut être du
pouvoir politique. Faute de l’avoir fait finalement, nous avons servi de
«harkis» du système. Notre erreur fut de laisser la politique aux autres.
- Vingt ans après, nous sommes à la veille de législatives qui interviennent dans un contexte régional où les islamistes arrivent au pouvoir. S’il y avait des élections propres et honnêtes, pensez-vous que les islamistes gagneraient ?
Oui.
Aussi bien que les islamistes autonomes par rapport au pouvoir que les
islamistes-maison. C’est le résultat inéluctable de l’autoritarisme qui a dominé
le Monde arabe et musulman. Les seules forces qui sont véritablement
internationales, qui utilisent la religion avec des moyens et avec la connivence
de l’Etat, ce sont les forces qui se réclament de la religion. Je dois dire que
l’anti-islamisme primaire, je ne m’y associe pas. Je réfute le mélange du
spirituel et du matériel. L’islam, notre religion, ressortit de l’affaire
personnelle de l’individu et la gestion des affaires religieuses publiques
relève des hommes de sciences et de connaissance. La problématique politique
est l’affaire des politiques. Des politiques comptables devant le peuple. Il
faut qu’on arrive à cette distinction. La prospérité des mouvements religieux
violents vient de la situation créée par le pouvoir. Entre les pouvoirs
despotiques locaux et les tenants de la violence religieuse, il y a toujours eu
une sorte de connivence tacite qui a conduit à l’étouffement de la pensée démocratique
moderne.
Hacen
Ouali
In
El Watan, le 11 janvier 2012
au mois de septembre 1962, le FLN fut réduit a un rôle mineur de contrôle et d´encadrement de la société. sous les auspices de khider et de rabah bitat, il devint un grand squelette creux, une prolifération de bureaux de réception et un lieu de transit vers l´appareil de l´État. loin d´être un parti unique a la soviétique ou c´était le parti qui dirigeait effectivement et qui contrôlait l´état et l´armée, le FLN fut en tout subordonné au pouvoir d´état, lequel se confondit vite, pratiquement avec les hauts clans de l´appareil militaire. Boumediene toujoure silencieux et dans l´ombre, restait en retrait derriére Ben Bella mais les observateurs les plus lucides percurent d´emblée qu´il soutenait Ben Bella comme la corde soutient le pendu. de toute facon le pouvoir ne fut jamais fondé sur des rapports de droit, mais sur des rapports de force. l´évolution, déja bien amorcée des l´été 1957, trouva son aboutissement lors du coup d´état du 19 juin 65. les algeriens vécurent sous la surveillance déterminante des services spéciaux que Boussouf avait a l´origine initiés au maroc. les oposants les déviants, voir les simples renâcleurs, furent traqués et mis au pas par la toute-puissante sécurité militaire. abdelkader.
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