samedi 14 janvier 2012

Ouyahia de A à Z


Par Fayçal Métaoui
Il aura fallu déterrer le génocide des Arméniens commis par les Turcs en 1915 pour que les Algériens osent parler des massacres du  Mai 1945 commis par les Français. Mais quelle mouche a donc piqué notre Premier ministre ?
A. Affabulations. «On dit que j’ai plusieurs villas, 50% d’Aigle Azur… Ce sont des affabulations», a déclaré Ahmed Ouyahia. Mais qui a dit que le Premier ministre a plusieurs villas ? La presse ? L’opposition ? Personne. Ouyahia lié à l’homme d’affaires Mahieddine Tahkout ? Tout Alger en parle. Pour l’entourage de l’ancien ministre de la Justice, cela relève de rumeurs. Relisons la déclaration officielle de biens faite par Ouyahia en mai 2006 : une villa à Hydra (il le faut bien !) acquise pour un montant de…1,7 million de dinars, pas de véhicule, pas de placement bancaire, pas de bien immobilier. Il a tout juste une petite, toute petite somme, de 600 000 DA en compte trésor. Existe-t-il un mécanisme légal efficace pour vérifier si Ouyahia dit vrai ? Aucun. Donc, Ouyahia ou tout autre responsable politique peut déclarer ce qu’il veut, mettre les chiffres qu’il veut… Qui le contredira ? La règle de l’accountability n’existe pas en Algérie.
B. Bouteflika. Ahmed Ouyahia se dit fidèle à Abdelaziz Bouteflika. Il a défendu avec acharnement toutes les décisions, même les plus contestées, prises par le président de la République. De mai 2002 à juin 2003, Ouyahia a été même désigné «représentant personnel» du chef de l’Etat. Depuis avril 2011, le Premier ministre ne cesse de défendre ce qui est appelé «réformes» politiques de Bouteflika inscrites, selon lui, dans une démarche de «redressement national». Réformes ? Amendement des lois sur les partis, les associations et l’information. Le but ? Réduire jusqu’à la dernière marge les libertés dans le pays. La preuve ? Les Algériens n’ont toujours pas le droit de manifester pacifiquement dans la rue. Aujourd’hui, Ouyahia souhaite que Bouteflika parte…
C. Contradiction. Ahmed Ouyahia n’a pas peur de se contredire. En 1996, il avait soutenu la décision du président Liamine Zeroual de limiter les mandats présidentiels à deux après la révision de la Constitution. En 2008, le même Ouyahia soutient l’ouverture des mandats présidentiels après le léger amendement de la Constitution introduit par le président Bouteflika pour rester au pouvoir. Fin 2011, Ouyahia, qui fait dire à son parti, le RND, tout ce qu’il veut, est favorable, une nouvelle fois, à la limitation des mandats présidentiels à deux. Incroyable capacité de dire la chose et son contraire !
D. Destin. Ahmed Ouyahia croit avoir un destin tracé dans les tablettes du temps. L’homme, qui entre et sort du Palais du gouvernement depuis dix-sept ans et qui prétend travailler plus que les autres, se voit président de la République. Tôt ou tard. Interrogé dernièrement sur son éventuelle candidature pour la présidentielle de 2014, le patron du RND a eu cette réponse : «Trop tôt pour en parler.» L’intention existe donc. «La présidence de la République est une rencontre entre un homme et son destin», a-t-il ajouté sur un ton qui se veut philosophique. «Il y a des gens qui se portent candidats juste pour passer des messages ou pour exister. Ce n’est pas dans ma culture», a-t-il dit. Ouyahia pense, il existe donc !
E. Etat. «Pour moi, la notion de commis de l’Etat est d’une grande noblesse. J’ai derrière moi presque une trentaine d’années au service de l’Etat. Rédiger un document en tant que jeune cadre de l’administration ou occuper le poste de Premier ministre a la même valeur à mes yeux», a déclaré Ouyahia dans une interview à l’hebdomadaire Jeune Afrique en 2004. Ouyahia se définit comme «Oulid Ed Dawla» («enfant de l’Etat»). Pour ses détracteurs, Ouyahia confond «Etat» et «système». «J’ai eu l’honneur de servir mon pays et j’ai dirigé le gouvernement pendant une des périodes les plus difficiles de l’histoire de l’Algérie. J’ai évidemment parfois ressenti de la lassitude, une sorte de découragement», a-t-il pleuré dans la même interview. «Mais cela m’a également appris l’humilité. Que sommes-nous, bien assis dans nos bureaux, par rapport à ceux qui, chaque matin, apportent leur contribution à la vie du pays, à l’usine, à l’école, dans les hôpitaux ?», a-t-il ajouté. On ose à peine croire qu’Ahmed Ouyahia est un homme de gauche !
F. Fraude. Le Rassemblement national démocratique (RND), né en 1997 pour neutraliser le FLN «coupable» d’avoir soutenu «le contrat national» de Rome en 1995 et servir de nouveau rempart «nationaliste» contre les islamistes, est l’enfant d’une fraude massive lors des élections législatives de 1997. Un scrutin qui devait faire oublier celui de décembre 1991. Le RND est curieusement sorti vainqueur de la consultation trois mois seulement après sa création. Une «prouesse» jamais réalisée de toute l’histoire de la politique. «Le bébé né avec des moustaches», avaient plaisanté les uns. «Le parti préfabriqué», avaient répliqué les autres. Le rapport d’enquête parlementaire sur la fraude électorale n’a jamais été rendu public. Ahmed Ouyahia, alors chef de gouvernement, a tout fait pour l’enterrer. Une tache noire.
G. Grandiose. Voilà ce que prévoit mot à mot le signe astral d’Ahmed Ouyahia : «Vous cherchez souvent à retenir l’attention, à jouer un rôle central (…) Reste une indéniable force de caractère qui peut vous mener très loin : balayant un à un les obstacles, vous saurez mieux que d’autres parvenir à vos fins et vous donner les moyens d’une exceptionnelle réussite. Car vous imaginez – à tort ou à raison – votre destin que comme brillant, spectaculaire, en un mot… grandiose ! » Cela fait peur… même si l’on n’est pas obligé de croire les astres.
H. Histoire. Ahmed Ouyahia a accusé la Turquie d’avoir «colonisé» l’Algérie. Or, l’histoire a bien retenu que les Algériens avaient fait appel à la marine ottomane pour les protéger contre les conquêtes espagnoles. Même les manuels scolaires algériens précisent que les frères Barberousse, héros de l’Etat ottoman, avaient bel et bien «sauvé» Alger. La Casbah d’Alger n’avait-elle pas été forteresse ottomane du XVIe au XIXe siècles ? «Nous disons à nos amis turcs de cesser de faire de la colonisation de l’Algérie un fonds de commerce», a dit Ouyahia à propos des déclarations de Tayyep Erdogan, Premier ministre turc, qui a accusé la France d’avoir commis un génocide en Algérie après le vote du Parlement français sur «le génocide arménien». Ouyahia en défenseur de la France ? Oui, estime le député Moussa Abidi qui a proposé le projet de loi sur «la criminalisation du colonialisme». Une proposition considérée par Ouyahia comme «une carte politique, sans plus». «Ouyahia veut plaire à la France, gagner sa confiance et défend ses intérêts», a répliqué Moussa Abidi dans une déclaration au quotidien El Khabar. Pour le parti El Islah, Ouyahia a attaqué Erdogan parce que la Turquie a soutenu le Printemps arabe.
I. Investissements. Pour beaucoup d’experts, l’instabilité juridique en matière d’investissement est liée aux méthodes rigides du Premier ministre actuel. Cette politique est marquée par un interventionnisme à tous les échelons de l’Etat, par l’absence de transparence dans la conclusion des marchés publics et par l’échec à réduire les importations. Ouyahia a combattu l’arrivée d’investissements arabes en Algérie.Au Caire, Riyad, Doha ou Abu Dhabi, son nom est souvent cité. Les problèmes que rencontre l’Egyptien Orascom en Algérie seraient nés de cette attitude hostile du Premier ministre.
«La démarche de certains investissements arabes en Algérie n’était pas sérieuse. Nous avons entendu plus de discours que de propositions concrètes», a-t-il tenté de se justifier devant le Sénat.
J. Janviériste. «Je reste un janviériste convaincu», a déclaré Ouyahia la semaine écoulée, lors d’une conférence de presse à Alger. Après l’arrêt du processus électoral en janvier 1992 par les généraux, la mémoire nationale n’a pas retenu le nom d’Ahmed Ouyahia qui, à l’époque, était ambassadeur au Mali. Sous le Haut-Comité d’Etat (HCE), il a servi, à partir de 1993, en tant que secrétaire d’Etat à la coopération et aux affaires maghrébines. Ouyahia s’est dit «solidaire» avec Khaled Nezzar qui fait l’objet de poursuites judiciaires en Suisse en raison de ses responsabilités en tant que ministre de la Défense dans la répression qui a suivi l’arrêt du processus électoral en 1992. «Le janviériste convaincu» n’a eu aucune peine à applaudir et soutenir «la réconciliation nationale» parrainée par Bouteflika à partir de 2005. Pourtant, le même Ouyahia accusait, dans les années 1990, les partisans de la réconciliation de «relais» des islamistes radicaux…
K. Kabylie. Ouyahia est né, en 1952, à Bouadnane, à une cinquantaine de kilomètres de Tizi Ouzou. Il s’arrange, dans la plupart de ses conférences de presse, pour répondre en tamazight à la première question. Mais combien de fois Ahmed Ouyahia est-il allé visiter en tant que Premier ministre la Kabylie ? Aucune. Lors de la crise de 2001, il a joué le pompier pour amener les délégués de la Kabylie au dialogue. Pas plus.
L. Législatives. «La bataille se gagne sur le terrain. Il ne s’agit pas de dire où allons-nous. Nous allons vers un horizon serein. Il s’agit de réussir des élections législatives qui seront convaincantes pour les Algériens. Nous devons les réussir avec une participation importante de la population», a estimé dernièrement Ahmed Ouyahia. Il n’a pas expliqué comment convaincre les Algériens à aller voter. Les législatives de 2007 avaient été marquées par un taux historique d’abstention, dépassant les 60%. «Nous devons aller vers des élections dans lesquelles nous devons accepter un gagnant», a-t-il appuyé. Quel gagnant ? Le RND ? «Nous ne voulons pas être le mouton de l’Aïd. Bien sûr, on nous tirera dessus. Nous aussi nous allons tirer», a appuyé Ouyahia. Alors les législatives de 2012, à feu et à sang ? !
M. Moralisation. En 1995, Ouyahia a mené la guerre aux cadres algériens. Une guerre impitoyable baptisée «opération mains propres». Loin d’égaler le modèle italien dont elle s’est inspirée, cette opération a conduit des milliers de responsables d’entreprises publiques en prison. On avait parlé à l’époque de 6380 cadres mis en détention. Une bonne partie d’entre eux étaient innocents. Ouyahia s’était défendu en parlant de «moralisation de la vie publique». Des centaines de ces cadres ont bénéficié d’un non-lieu de la part d’une justice qui, dès le début, était complice. Ces personnes n’ont toujours pas été rétablies dans leurs droits. Quel était le but de cette campagne ? Le démantèlement du secteur industriel public puisque la corruption et le détournement des deniers publics sont, depuis cette date, devenus de plus en plus présents au point de menacer l’ensemble de l’économie nationale.
N. Non. «Non, je n’aime pas ce discours qui évoque l’alternance au pouvoir. Le pouvoir n’est pas un manège ! Si nous voulons un enrichissement d’idées en permanence et dépasser les personnes, deux mandats présidentiels constituent une période rationnelle», a soutenu Ahmed Ouyahia lors de l’émission «Hiwar Esaâ» de l’ENTV en juin 2011. Avant lui, Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, avait prétendu que la limitation des mandats présidentiels est «contraire» à la démocratie. Les cercles du pouvoir sont-ils divisés sur la question ? Il y a tout lieu de le croire…
O. Ouverte. A en croire Ouyahia, l’élection présidentielle du printemps 2014 sera ouverte. Quelles en sont les garanties ? Le Premier ministre n’en a pas encore. Il a avoué que de par son statut au sein du système, il peut dire… «Le pouvoir n’est pas un cadeau qu’on cède facilement». Le pouvoir, un cadeau ? Qui l’eut cru ! Ouyahia a assuré également que les prochaines législatives, prévues le 12 mai 2012, seront transparentes en ajoutant, plus loin, qu’il fera tout pour que son parti en sorte vainqueur. Très rassurant !
P. Ponction. Les Algériens n’oublieront jamais la ponction autoritaire sur le salaire des fonctionnaires décidée par Ouyahia entre 1996 et 1998. Cette décision avait été présentée comme «une mesure d’austérité» pour réduire la dépense publique. Cela a rendu Ouyahia impopulaire. «Quand il a fallu réduire les salaires, je l’ai fait. Quand il a fallu fermer des entreprises et licencier, je l’ai fait. Je ne suis pas de ceux qui cherchent coûte que coûte à être populaires. S’il faut à nouveau prendre des mesures impopulaires, je le ferais», devait déclarer Ouyahia à l’APN en 2008. Imperturbable donc, il a, à deux reprises, ordonné des ponctions sur salaire pour torpiller des mouvements de grève dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Cela ne l’a pas empêché de déclarer dans une interview à Jeune Afrique : «La contestation syndicale est somme toute normale dans un pays qui sort d’une longue période de violences politiques.»
Q. Quatrième. «Un quatrième mandat rendra-t-il service à l’Algérie ?» Question d’Ouyahia, deux fois chefs de gouvernement depuis l’arrivée de Abdelaziz Bouteflika au pouvoir en 1999, sur justement les intentions politiques de l’actuel locataire d’El Mouradia. Ouyahia utilise le même langage que les opposants algériens qui estiment que Bouteflika ne peut plus rester au pouvoir compte tenu de son état de santé et des changements politiques majeurs dans la région arabe. L’ancien ministre des Affaires étrangères de Houari Boumediène ne dit rien sur sa volonté de quitter la présidence de la République en 2014. Jusqu’à l’heure.
R. Rassemblement. Le RND, un parti avec un projet de société confus, se bat pour «conforter» le système démocratique et républicain. Le RND, un parti laïque ? Ouyahia ne le dit pas. «Nous n’avons pas la vérité absolue», a-t-il soutenu à la télévision d’Etat. D’après lui, la vision du RND sur la position de la femme et des jeunes en politique est précise. Le RND, formé d’anciens cadres de l’administration et d’hommes d’affaires, semble ramer à droite, en tout cas plus à droite que le FLN. Il s’inscrit dans ce qui est appelé «le courant nationaliste novembriste».
S. Serviteur. Ahmed Ouyahia, qui doit sa carrière à des appuis au sein des décideurs de l’armée, est devenu un serviteur au clan du président Abdelaziz Bouteflika à partir de 2003. A-t-il abandonné le salon des généraux ? En a-t-il les moyens ? Le chef de l’Etat l’a nommé à deux reprises chef de gouvernement. Signe de confiance ? Ou Bouteflika a-t-il été forcé d’accepter un homme politique qui n’a pas eu le courage d’accompagner Liamine Zeroual dans son retrait de la vie nationale en signe de protestation contre le processus «militarisé» de réconciliation nationale ? Pourtant, le général Zeroual a nommé Ouyahia chef de gouvernement après la présidentielle de 1995. Ce dernier est, depuis, sur l’avant-scène. Mais Ouyahia a vite oublié Zeroual en tombant dans les bras larges de Bouteflika, sa famille et son entourage. «Qui vivra verra !», devait dire le général Khaled Nezzar. Les militaires sont-ils pour autant en colère contre Ouyahia désormais «partisan» de Bouteflika ? Rien ne permet de le croire.
T. Télévision. Ouyahia a toujours lutté contre l’ouverture du champ audiovisuel en Algérie et considéré les journalistes de la télévision et de la radio d’Etat comme des «fonctionnaires». Les révoltes arabes, qui ont chassé déjà trois dictateurs, l’ont forcé, lui et le régime qui le représente, à changer d’avis. Subitement, l’ouverture du champ audiovisuel est devenue possible. La nouvelle loi sur l’information a prévu cette libération, mais avec tellement d’obstacles qu’il y a lieu de penser que les télévisions et les radios libres ne seront autorisées à émettre que dans dix ou vingt ans !
V. Victoire. «Quand on va jouer un match face à 21 millions d’électeurs, comment pourrai-je vous dire qui va gagner ?», s’est interrogé Ouyahia sur les prochaines législatives. Pour lui, le RND entre en course pour être victorieux. La Constitution de 1996, changée à l’époque de Liamine Zeroual, a instauré, selon lui, les verrous qui protègent la République (création du Conseil de la nation). «Nul ne peut faire de la politique sur le dos du pluralisme. Il n’y aura plus de “la mithaq la doustour” (slogan du FIS, ndlr)», a-t-il ajouté à propos des islamistes. «A la proportionnelle, il faut un miracle pour avoir une majorité. Ce n’est pas une fantaisie», a-t-il appuyé.
X. X. L’inconnue. «Il faut penser à demain», a souvent dit Ouyahia. Oui, mais comment ? Il n’existe pas de mécanisme sérieux d’études prospectives en Algérie. Les structures créées jusque-là ne servent à rien, si ce n’est à élaborer des rapports que les Algériens ne liront pas. Enigmatique, Ouyahia a eu cette déclaration : «En Algérie, il faut faire le mineur pour savoir ce qu’il y a sous terre.» Difficile de trouver une solution à cette équation à deux inconnues, n’est-ce pas ?
Z. Zèle. «Mon désastre personnel est que dans mon pays, il n’y a plus de sens de l’Etat. Qu’il ait une réunion, et alors ? Cela vous étonne que les autorités du pays se réunissent. Nous sommes arrivés à un stade d’indigence terrible», a explosé Ahmed Ouyahia lorsqu’une question lui a été posée sur la récente réunion qu’a organisée Bouteflika avec les présidents des deux Chambres du Parlement et le Premier ministre. Une réunion entourée d’opacité totale. Ouyahia a trouvé presque scandaleux que la presse s’intéresse à cela. Se référant à Charles de Gaulle, il a relevé que personne, mis à part le porte-parole, ne prenait des notes lorsque le général français, alors chef d’Etat, présidait le Conseil des ministres. Cela remonte à plus de cinquante ans… Il y a donc un problème avec «le logiciel» d’Ouyahia !

Fayçal Métaoui
In El Watan, le 13 janvier 2012


La Turquie est et restera un pays frère

Par Ali Mebroukine 
Professeur de droit international


Aucune péroraison, entretenant une sorte de surenchère au nationalisme désuet du FLN, ne fera du Premier ministre un patriote exemplaire. L’attachement à l’intérêt national et au service du pays se démontre par le travail et par un bilan. Le RND, aux affaires depuis 1997, grâce à des fraudes massives qui sont sa marque de fabrique, n’a aucun titre pour s’indigner au sujet de l’Algérie qu’il ne représente pas. Il y a lieu de rappeler, pour beaucoup d’Algériens qui semblent l’ignorer, que le RND n’a jamais été conçu pour accompagner l’œuvre réformatrice que voulait engager le président Zeroual, le premier président de la République dans le monde arabe à avoir été élu dans des conditions démocratiques irrécusables, mais pour celui qui enchaîne depuis 16 ans les responsabilités de l’Exécutif (d’abord comme coproducteur des textes réglementaires les plus importants, ensuite comme simple primus inter pares).
La Turquie est un pays frère. C’est aussi un modèle pour nous, en matière de patriotisme (et non pas de ce nationalisme aussi péremptoire que vain affiché par nombre de nos responsables bi, voire plurinationaux, et détenteurs de fortunes colossales abritées dans des paradis fiscaux), de démocratie, de tolérance, d’abnégation dans le travail et de tropisme moderniste. Ceci dit, personne ne peut dénier au Premier ministre turc, M. Erdogan, le droit de répondre à l’oukase que lui ont adressé les députés français, à l’occasion du vote d’une énième loi mémorielle qui fait, au demeurant, l’impasse sur le travail de mémoire entrepris depuis de longues années par les élites intellectuelles et politiques turques qui ont eu le courage de revisiter le passé de l’Empire ottoman.
Que M. Erdogan ait estimé devoir illustrer sa réponse en rappelant les massacres perpétrés par le colonialisme en Algérie (notamment ceux du 8 Mai 1945) est son droit le plus absolu. Il n’avait pas à demander la permission des autorités algériennes, et d’ailleurs lesquelles ? N’est-ce pas le successeur de Ahmed Ouyahia, Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, qui avait expressément subordonné la ratification d’un traité d’amitié avec la France à la reconnaissance préalable par la France officielle de crimes contre l’humanité perpétrés contre les populations algériennes durant la période coloniale ?
A moins que le Premier ministre turc doive séparer le bon grain de l’ivraie au sein de l’élite dirigeante algérienne, initiative, s’il en est, qui eût relevé de l’exploit tant règne aujourd’hui la confusion la plus grande au sommet de l’Etat. Si le Premier ministre turc a cru utile de faire référence aux massacres commis par les colons et l’armée coloniale en Algérie, c’est aux fins de dénier au législateur français le droit de donner des leçons à ce grand pays qu’est la Turquie. En aucune manière, et ce n’est pas du reste ainsi que les Algériens l’ont compris, M. Erdogan n’a voulu utiliser comme fonds de commerce les malheurs passés de notre pays pour régler des comptes avec la France officielle. C’est très mal connaître ce grand homme d’Etat ainsi que des personnalités aussi exceptionnelles que le président de la République, Abdallah Güll ou le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Dovotulu.
Pour le surplus, aucun responsable turc n’a repris, après le 22 décembre dernier, l’algarade du Premier ministre à l’endroit de la France. C’est assez dire que la Turquie n’entend pas utiliser l’affaire algérienne comme un fonds de commerce. C’est, au contraire, le Premier ministre algérien, objet d’un véritable rejet de la part de l’opinion publique, qui, lui, utilise à des fins de politique intérieure les propos de M. Erdogan quelques mois seulement avant une échéance électorale qui n’est pas a priori favorable à sa formation. Il cherche également à se distancier du FLN qui s’était plutôt réjoui des déclarations de M. Erdogan et à donner des gages à la France officielle, au moment où de nombreux membres dirigeants du FLN continuent de conditionner une normalisation durable avec Paris à une repentance en bonne et due forme, que celle-ci se refuse obstinément. 
Cela dit, on est d’autant plus à l’aise pour apprécier l’hommage que le Premier ministre Erdogan a rendu à la lutte du peuple algérien pour arracher son indépendance, que les violences du colonisateur qui ont jalonné 130 ans de domination ne peuvent être assimilées, quel que soit leur niveau d’intensité, à un génocide au sens du droit international positif (et notamment de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948), car il n’y a jamais eu une volonté intentionnelle et programmée de la part de la France coloniale d’exterminer tout ou une partie du peuple algérien, et pour cause ; le lobby colonial avait trop besoin d’une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci pour se résoudre à sa disparition physique.
S’agissant des positions passées de la Turquie à l’égard de l’Algérie, le Premier ministre cède une nouvelle fois au péché de l’anachronisme. Il est exact que durant la guerre de Libération nationale, la Turquie solidaire des Etats-Unis dans l’Alliance Atlantique, a adopté une attitude plutôt frileuse à notre endroit ; les demandes de soutien en ravitaillement et vivres exprimées en 1960 par le colonel Ouamrane, alors représentant du FLN en Turquie, n’avaient pas été satisfaites. La place nous manque ici pour évoquer les circonstances qui étaient à la décharge des autorités turques de l’époque, dont le caractère très tardif des demandes algériennes et, à un moment, où le Général de Gaulle s’était déjà exprimé sur l’autodétermination du peuple algérien. Il est, en tout cas, pour le moins insolite que l’on fasse grief aux dirigeants turcs actuels de l’indolence supposée ou réelle de la Turquie officielle des années 1950 et 1960, par rapport à  la lutte de Libération nationale algérienne.
Quant à la présence de la Turquie au sein du commandement intégré de l’OTAN, il est malvenu de la part du Premier ministre d’en faire reproche à l’actuel gouvernement turc à un double titre. Le premier est que l’intégration de la Turquie à l’OTAN relève d’un choix géostratégique et politique ancien et de long terme qui transcende la conjoncture actuelle et la nature même du régime turc. Le second est qu’il est pour le moins déconcertant de la part du deuxième responsable de l’Exécutif de feindre ignorer que l’Algérie est liée par un partenariat de tout premier ordre avec l’OTAN depuis 2000, et que notre pays, dans sa lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée transfrontière, s’inscrit dans le schéma de prévention et de gestion des risques dans l’espace euro-méditerranéen conçu par l’OTAN sous la houlette étroite des Etats-Unis.
On croit rêver. Nadjia Bouaricha, dans la livraison d’El Watan du 8 janvier, présente le Premier ministre algérien comme celui qui vient voler au secours de la France dans la mise en cause de celle-ci par le gouvernement turc. Le problème est que les relations algéro-françaises n’ont cessé d’être instrumentalisées depuis 50 ans, notamment du côté algérien. Un jour, c’est le partenariat privilégié avec l’ancienne puissance coloniale (ce qui veut dire plus de parts de marché pour ses entreprises), le lendemain, tous les partenaires de l’Algérie, quels que soient les engagements pris antérieurement, doivent être traités sur un pied d’égalité, mondialisation oblige.
Résultat des courses : jamais les relations entre nos deux pays n’ont pu connaître l’intensité, la qualité et la densité que le dynamisme de deux sociétés civiles respectives eût pu leur insuffler, sous condition de non-interférence du politique. Enfin, l’ingratitude du patron du RND à l’endroit de la Turquie et sa méconnaissance des intérêts géostratégiques de l’Algérie en Méditerranée orientale, qui imposent des relations très étroites avec Ankara, souligne une réalité assez pathétique, non point la sauvegarde des intérêts algéro-français dont la consolidation est nécessaire, mais la sauvegarde, en France, des intérêts personnels et patrimoniaux de certains chefs de clans dont la francophobie de circonstance ne saurait abuser personne. Cela n’empêchera point le partenariat algéro-turc d’être promis à une très longue vie.   

In El Watan, 14 janvier 2011

2 commentaires :

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