vendredi 27 janvier 2012

Presse algérienne: Le régime contre El Watan


Par Lyes Akram
«Pourquoi la CNAS veut étrangler El Watan», titre celui-ci dans sa Une du 23 janvier 2012. En effet, l’article de Madjid Makedhi ne suffit guère pour résumer la situation du journal que pour ses lecteurs assidus. Pour les autres, je m’efforcerai de montrer, dans les lignes qui suivent, brièvement et n’usant que de la production d’une année (2011) de ce journal bien particulier à maints égards, pourquoi le régime, à travers sa CNAS (sinon autrement, peu importe le moyen), veut (et, si la «société civile» se tait, va) museler et «domestiquer» en définitive ce journal.

Voix de l’opposition radicale
Après «les émeutes» dites «de l’huile et du sucre», début janvier 2011, confirmant le paradigme selon lequel l’Algérien est dans une large mesure réductible en tube digestif, les réactions ont fusé. Le 05 février 2011, Lahouari Addi, éminent sociologue et auteur de plusieurs essais sur l’Algérie, considéré par le politologue américain William Quandt comme le plus sophistiqué analyste du régime algérien, publie dans les colonnes d’El Watan sa « Solution pour une sortie de crise ». Et, noir sur blanc, il écrit après avoir analysé la situation du pays : «Les mesures à prendre  (…) sont : Destitution de Abdelaziz Bouteflika ; radiation de l’ANP de Tewfik Médiène et de ses proches collaborateurs ; Dissolution de tous les services du DRS, à l’exception de ceux de l’espionnage et du contre-espionnage (…)». C’était une véritable première pour un journal algérien. Et l’année n’était qu’à son début.
Avec la livraison du 15 mars 2011, même l’opposition radicale, aussi bien laïque qu’islamiste, n’avait pas cru ses yeux. A la Une d’El Watan, on lit : «Police politique : l’Algérie otage de ses ‘‘moukhabarates’’». Un dossier de trois pages. Dans l’article signé Hacen Ouali, on peut lire que : «le DRS issu historiquement du MALG est responsable de tous les problèmes qu’a connus le pays depuis son indépendance…». Puis deux entretiens, avec Rachid Grim, politologue connu, et Chafik Mesbah, colonel «retraité» du DRS (sur lequel mille doutes planent). Pour ce dernier, une «reconversion» des services est nécessaire ; pour le premier, «dans la pratique, la police politique existe» bel et bien. Voilà donc depuis 1962 le premier dossier dans la presse algérienne traitant de cet organisme mêlé vraisemblablement dans toutes les exactions et autres turpitudes qu’aura connu le pays.
Le 19 mars 2011, un groupe de citoyens issus de divers horizons créent le FCN, le Front du Changement National (à ne pas confondre avec le parti du lèche-babouche Madjid Menaçra qui, honteusement, a usurpé le sigle), dont l’organe d’information est le Quotidien d’Algérie. C’est, autant que je sache, la seule et unique structure politique qui regroupe des patriotes de diverses obédiences politiques (Lahouari Addi, Salah-Eddine Sidhoum, Yahya Bounouar…). Ils envoient à tous les journaux du pays, aussi bien arabophones que francophones, un communiqué de presse expliquant la démarche. El Watan s’est distingué en étant le seule journal qui a publié l’information, le 23 mars 2011, dans la même édition où il a publié l’intégralité du «Message de Hocine Ait-Ahmed aux Algériennes et aux Algériens» où le patron du FFS, fidèle à ses principes, plaide «pour une assemblée constituante».
Toujours le 19 mars, trois intellectuels et opposants radicaux, Salah-Eddine Sidhoum, Lahouari Addi et Djamel Zenati lancent un «appel pour un sursaut national». Devinez quel était le seul journal à en avoir parlé ? El Watan, effectivement, dans son édition du 21 mars 2011.
Suite au déclaration de Ali-Yahia Abdennour, qui a noté que l’état de santé de Bouteflika ne lui permet pas d’exercer pleinement ses fonctions, en suggérant ainsi à l’armée de prendre les mesures nécessaires, Lahouari Addi, le 05 mai 2011 à travers les colonnes d’El Watan toujours, dans un article à l’intitulé fort dénotant «Le dernier coup d’Etat», réaffirme que, après avoir expliqué que l’Algérie vit un situation complexe de «coup d’Etat permanent», le seul chemin pour que l’Algérie sorte de l’impasse suicidaire actuelle est : «La destitution de Bouteflika pour maladie et incompétence, et la dissolution du DRS pour activités illégales…»
Notant aussi qu’El Watan ne pourrait pas avoir été choisi au hasard par Ali-Yahia Abdennour pour publier toutes ses contributions, lui qui connait la presse si bien, ayant été dénigré par des pseudo-journalistes obséquieux et animés par des pulsions morbides pendant près de vingt ans ! Pareil pour le cercle Nedjma avec le grand historien Mohammed Harbi et autres…
La liste n’est que longue. Mais la presse algérienne a érigé l’autocensure en règle, avec des journaux tels des prostituées habituées à des clients prédéfinis. Comment est-ce que des journalistes qu’on sait connectés dans les réseaux sociaux ne rapportent pas un kidnapping d’un citoyen algérien qui n’a jamais commis de crimes. Untel a été kidnappé et point. Il parait que c’est demander trop ! Il s’agit, en effet, de Noureddine Belmouhoub, porte-parole des anciens déportés dans les camps de concentrations du sud. C’était le 23 octobre 2011. Encore une fois le seul journal à avoir rapporté l’enlèvement dès le lendemain, le 24, était El Watan, sous la plume de Mehdi Bsikri. Cela a coïncidé avec le jugement du général Khaled Nezzar en suisse. Sur ce sujet, et pour constater la différence, je suggère la lecture des articles d’El Watan daté 23, 24 et 25 octobre, et, les comparer au Soir d’Algérie qui nous a fait une présentation romanesque du général. Hani Mostagnanemi, toute honte bue, écrit le 16 novembre 2011 à propos de Khaled Nezzar : c’est un «décideur qui a été immense par les services qu’il a rendus à l’institution militaire et à la patrie. Son désintérêt pour le pouvoir donne à ses paroles un incontestable accent de sincérité (…). C’est cela Nezzar, un hussard au grand cœur venu à la politique par défaut quand, au moment de la grande épreuve, ceux qui s’en prévalaient ‘‘légitimement’’ avaient, tous, déclaré forfait.» Ces propos se passent de tout commentaire… 
Le 10 novembre, Hocine Malti, expert pétrolier et auteur d’un livre, L’histoire secrète du pétrole algérien, publie dans la page 2 d’El Watan une contribution, Heurs et malheurs du pétrole algérien. Il a fait plus qu’égratigner l’égo de nos décideurs criminels. Nul besoin d’évoquer les colloques organisés par El Watan qui, selon les thèmes traités, comme par exemple le «printemps arabe», ont exposé les tares du régime méthodologiquement.
Rappelant enfin le dossier de ce journal, le 11 janvier 2011, à l’occasion du 20e anniversaire du coup d’Etat militaire de Nezzar et ses acolytes et ses séides…
En outre, et cela a laissé les internautes algériens pantois, El Watan a publié une pétition signée par plusieurs Algériens demandant à la justice suisse de poursuivre la procédure judiciaire enclenché à l’encontre du même Nezzar ! Le régime a, sans nul doute, vacillé !

Journalistes jeunes et compétents
Ces contributions et prises de positions d’opposants radicaux sont loin de constituer le seul atout de ce journal. En fait, et en toute objectivité, cela est même bien moins important que la qualité du journal, y compris dans les rubriques régionales, et, surtout, les thèmes de reportages dont une équipe de jeunes journalistes, a pu redonner son vrai sens. Car, si la presse arabophone a pulvérisé tous les records connus jusqu’ici en matière d’obséquiosité et de pusillanimité, la presse francophone, elle, se trouve otage de quelques cohortes de vieillards à la vie longue, semi-alphabètes au demeurant, mais autoproclamés dans cette Algérie des paradoxes, «spécialistes», «experts», «intellectuels», puisque actionnaires, et dont la pensée, qui relève, il est vrai, de la pathologie infantile, se résume en cette allégation qui subjugue uniquement les imbéciles : «nous, nous avons fait l’école primaire des années 1960, nous sommes donc des génies pluridisciplinaires de nos jours». S’ils avaient un quelconque ersatz de dignité ils auraient déjà pris leur retraite… Bref, El Watan semble particulier aussi sur ce point. Même si les vieux ne sont pas éclipsés totalement, une équipe de jeunes journalistes, femmes et hommes, dont le niveau, l’objectivité et le professionnalisme fait paraître leurs prédécesseurs comme souffrants d’un état avancée de décrépitude, prédomine actuellement en publiant presque quotidiennement des reportages ou dossiers tous intéressants et dont le traitement  ne souffre presque d’aucun manquement et, parfois, en brisant quelques tabous dans notre société qui en cultive à foison. Mehdi Bsikri, Fella Bouredji, Fayçal Métaoui, Nassima Oulebsir, Zaouheir Ait-Mouhoub, et la liste n’est pas courte…
Le seul défaut, immense à mon sens, de ce journal est qu’il n’est pas en langue arabe. Cela serait inimaginable, n’est-ce pas ? Celle-ci est aujourd’hui, après la fermeture d’El-Khabar Hebdo et la semi-domestication d’El Khabar, comme un apanage des journaux inféodés au régime tel Echorouk, ou directement créés par ce régime, comme Ennahar, et qui participent tous à une entreprise d’abrutissement d’un peuple déjà largement abîmé par l’école et les très durs conditions de vie qui l’ont acculant à vivre en désert culturel…
Pourquoi le régime veut détruire El Watan si, en langue française, son public est objectivement limité ? Sur ce point, le RCD relève judicieusement qu’en «vérité, ce coup de semonce est vraisemblablement motivé par le dossier fait par El Watan sur une miraculeuse fécondité qui a permis au Ministre de l’intérieur d’annoncer 4 millions de nouveaux électeurs en l’espace de moins de 3 ans ! Basée sur la manipulation du fichier électoral, la stratégie de répartition des quotas est disqualifiée par l’étude d’El Watan devant l’opinion nationale et internationale.» En effet, dans l’édition du 12 janvier, Mehdi Bsikri nous dit que «le démographe Nasreddine Hamouda, indique que ‘‘le nombre d’Algériens nés entre 1991 et 1994 dépasse seulement, en 2012, les deux millions, à raison d’une moyenne de 700 000 naissances au cours de ces années’’. D’où vient donc le chiffre de 4 millions avancé par le ministre de l’Intérieur, d’autant plus que l’inscription au fichier électoral relève d’un engagement personnel ?»
Voilà donc, et le 22 janvier, la CNAS réclame à El Watan 22 milliards ! Notant que le journal a consacré un dossier, deux jours plutôt, sur la relation entre cette même CNAS et son homologue français.
En tout état de cause, dans tout totalitarisme, le premier ennemi du régime est le journalisme d’investigation. Le totalitarisme algérien ne déroge pas à la règle. Le journalisme d’investigation a été assassiné en Algérie et, dès qu’il tente de renaître de ses cendres, il est clair que le régime criminel qui nous est imposé depuis un demi-siècle sous différents avatars lui assénera coup sur coup, jusqu’à son enterrement !
Ayant conduit le pays à pas surs vers l’impasse actuelle, étant devenu un danger sur la continuité même de l’Algérie, le régime et les hommes qui l’incarnent n’aiment pas lorsqu’un journaliste, et à fortiori algérien, pointe leurs défauts. Si la société civile se tait, El Watan ou disparaîtra, comme El Khabar Hebdo, ou rejoindra le troupeau domestiqué : il y aura toujours une place, le régime disposant d’une rente qu’il dilapidera aussi longtemps que le peuple souffre en silence…

L. A.

P.S.
Aussi convient-il de noter que Chawki Amari publie dans ce journal son Point zéro quotidiennement. Ceux qui le lisent savent...

1 commentaire :

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