(El Watan) La CNAS réclame au journal plus de 22 milliards de
centimes au titre d’arriérés de charges sociales non payées pour les pigistes
et collaborateurs. Ces deux catégories de travailleurs ne sont pourtant pas
concernées, car elles ne sont pas permanentes et cotisent dans d’autres
organismes. El Watan s’interroge sur ce revirement de la CNAS et sur son opportunité.
N’y a-t-il pas volonté d’étrangler financièrement le journal ?
Une nouvelle forme de pression contre El Watan. La Caisse nationale
d’assurances sociales (CNAS) vient de notifier à la direction du journal un
redressement fiscal de 22 milliards de centimes (2,2 millions d’euros). Cette
caisse reproche au journal son «manquement» à la déclaration de ses pigistes et
collaborateurs à la Sécurité
sociale. L’exigence de la CNAS
serait justifiée et conforme à la loi s’il s’agissait d’employés permanents
d’El Watan. Ce n’est pas le cas.Le métier du journalisme est particulier. De
par le monde, les médias recourent souvent à des collaborateurs (enseignants,
avocats, médecins, fonctionnaires, retraités…) qui sont déjà déclarés par leurs
employeurs d’origine, pour offrir à leurs lecteurs, téléspectateurs et
auditeurs des analyses, des éclairages et des informations supplémentaires. Ce
système est même appliqué dans des universités et des instituts qui font appel
à des spécialistes sans les déclarer une nouvelle fois à la Sécurité sociale, car ils
le sont déjà ailleurs. Les collaborateurs d’El Watan sont dans cette catégorie.
De ce fait, la réaction de la
CNAS reste énigmatique. Elle est même saugrenue, d’autant
plus que ce problème a déjà été soulevé il y a trois ou quatre ans. A ce
moment-là, des éditeurs, dont Omar Belhouchet (El Watan), Ahmed Fattani
(L’Expression), Outoudert Abrous (Liberté) et Bachir-Chérif Hassan (La Tribune) avaient demandé
une audience au ministre du Travail, Tayeb Louh, qui les avait reçus et avait
promis de régler le problème. «Il y a trois ou quatre ans, nous avons
été surpris par la CNAS
qui nous a demandé de déclarer nos collaborateurs. Nous avons, alors, constitué
une délégation des éditeurs et nous avons demandé une audience au ministre du
Travail, Tayeb Louh. Nous lui avons expliqué que ces collaborateurs sont des
gens qui travaillent dans d’autres secteurs et qui sont déjà déclarés par leurs
employeurs. Le ministre avait promis de résoudre la question», affirme Ahmed
Fattani. Surpris pas le redressement fiscal imposé à El Watan, M. Fattani garde
toujours l’espoir de voir le ministre du Travail intervenir pour mettre en
application ses engagements. «Nous continuons à faire confiance à M. Louh.
C’est un ministre crédible et je doute que ses engagements soient remis en
cause. C’est un faux problème», déclare-t-il encore. Le directeur de
L’Expression précise que la presse «a beaucoup plus besoin de subventions de
l’Etat pour faire avancer la démocratie que de pénalités». Il souligne, dans ce
sens, que les journaux qui font recours à des collaborateurs payent déjà l’IRG.
Une
forme de chantage déguisé
Pourquoi
la direction de la CNAS
décide-t-elle d’imposer une double déclaration des collaborateurs des journaux
? Ces derniers n’ont-ils pas le droit de faire appel à des collaborateurs pour
enrichir leurs contenus ? Selon un fiscaliste, «l’employé a un seul numéro de
Sécurité sociale et il ne doit être déclaré que par un seul employeur». C’est
pourquoi la notification de la
CNAS est étrange. Pour Cherif Rezki, PDG du groupe El Khabar,
«c’est une forme de chantage déguisé». «Cela n’existe nulle part ailleurs. Tous
les médias du monde ont recours à des collaborateurs et ils ne sont pas obligés
de les déclarer à la Sécurité
sociale. Ces médias sont contraints seulement de prélever l’IRG sur les
salaires versés aux pigistes», précise-t-il. Et d’ajouter : «Ce sont des
redressements fiscaux injustes et El Khabar en a déjà fait les frais. A travers
cette pratique, on veut mettre au pas la presse après avoir domestiqué la
société civile et les partis. L’Algérie n’a pas besoin de cela. Nous ne
demandons que l’application des règles commerciales pour tout le monde. Malheureusement,
ce n’est pas le cas. El Khabar et El Watan sont toujours dans le collimateur du
pouvoir car ils dérangent par leur objectivité et leur droiture». Cherif Rezki
dénonce énergiquement «l’utilisation de la CNAS à des fin politiques». L’avocat Khaled
Bourayou s’interroge, pour sa part, sur la finalité et le timing de ce
redressement fiscal : «Pourquoi cette notification vient-elle en ce moment ?
N’a-t-elle pas une relation avec ce qu’a écrit récemment El Watan sur les
dettes de la CNAS
auprès des hôpitaux français ? Pourquoi seul El Watan est concerné par ce
redressement ?» Et d’enchaîner : «C’est un chantage qui ne dit pas son nom.»
Selon lui, «la décision de la
CNAS n’est pas objective». «Si c’était une question
d’application de la loi, pourquoi la
CNAS a-t-elle attendu tout ce temps pour passer à l’action ?
On n’en est pas là. Je pense que c’est un règlement de comptes parce qu’El
Watan dérange par ses positions courageuses». De son côté, l’avocat
Nasreddine Lezzar affirme qu’il y a un vide juridique qui doit être comblé :
«Il faut préciser que la déclaration à la Sécurité sociale couvre trois aspects ou trois
prestations : une couverture sanitaire, une future pension de retraite et une
assurance sociale concernant la prise en charge en cas d’accident du travail et
de maladie professionnelle. Pour les deux premiers aspects, une seule
déclaration par un seul employeur suffit. On ne se fait rembourser qu’une fois
et on ne perçoit qu’une retraite.»
Communiqué
d’El Watan
C’est
avec stupeur, indignation et inquiétude que le quotidien El Watan a pris
connaissance d’une correspondance de la
CNAS qui lui réclame une somme aussi faramineuse que
fantaisiste de 221 084 409,75 DA (22 milliards de centimes) due, selon
l’organisme, à des impayés de cotisations sociales de ses collaborateurs et
pigistes sur sept années (2005-2011). La même démarche a été faite, il y a deux
ans, par la CNAS
en direction de plusieurs journaux nationaux. L’organisme et son ministre de
tutelle – qui avait pris l’engagement qu’une telle erreur ne se reproduirait
plus – se sont rétractés suite aux réclamations des éditeurs. Ces derniers ont
démontré que le recours à des collaborateurs et à des pigistes est une pratique
universelle. La plupart des médias nationaux les sollicitent généralement en
appui au travail des journalistes permanents. Ils interviennent épisodiquement
sur un thème particulier ou spécialisé et leur rémunération est fixée par le
biais d’une convention qui établit un prélèvement de 10% au titre de l’IRG. Comme
ils ne sont ni permanents ni salariés et qu’ils travaillent la plupart du temps
ailleurs, ils ne sont pas assujettis aux cotisations sociales du journal qui
sollicite leurs services. Ils ne peuvent être éligibles deux fois aux
cotisations sociales. La CNAS
ignore-t-elle cela ? Pourquoi se met-elle à contre-courant de la loi ? De plus,
El Watan ne recourt que très peu aux collaborateurs et aux pigistes. Le journal
fonctionne essentiellement avec des travailleurs permanents au nombre de 230 et
verse à la CNAS
4 millions de dinars mensuellement au titre des cotisations sociales. Depuis sa
création, le quotidien El Watan a toujours été en règle avec cet organisme
comme il l’est au demeurant avec l’ensemble des autres institutions étatiques,
parmi elles la Direction
des grandes entreprises (DGE), relevant de l’administration fiscale, qui l’a
félicité pour le sérieux de sa relation avec les services fiscaux. Légitimement,
El Watan s’interroge sur les vrais mobiles de cette démarche aussi inattendue
que brutale de la CNAS
qui intervient dans un contexte politique très particulier. L’organisme a-t-il
été instrumentalisé par une quelconque autorité pour affaiblir le journal et
l’empêcher de jouer un rôle d’information et d’éclairage sur les véritables
enjeux des rendez-vous politiques à venir ? Le journal pourrait le penser si la CNAS ne revenait pas à la
raison sur son injuste et dangereuse réclamation, laquelle est en mesure
d’étrangler financièrement le quotidien et l’amener carrément à disparaître.
Tous les autres médias du pays recourant aux services des collaborateurs et
pigistes pourraient subir le même sort. Pour l’heure, El Watan s’élève
énergiquement contre une telle pratique qui n’honore pas l’idée généreuse que
se font généralement les citoyens de cette institution qu’est la CNAS.
Alger,
le 22 janvier 2012
Le
conseil d’administration de la
SPA El Watan
Madjid
Makedhi
InEl Watan, 23 janvier 2012
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