Auteur,
poète, chercheur et spécialiste de l’islamisme, Sadek Slaymi s’est
longuement intéressé à la doctrine salafiste. Au fil de ses recherches,
il tire une déduction selon laquelle le salafisme n’est pas apparenté au
sunnisme.
-Pouvez-vous expliquer aux lecteurs la doctrine salafiste?
-Le
salafisme trouve son essence dans le wahhabisme. La doctrine salafiste
se divise en deux courants. Le premier est la salafya djihadia, qui
s’oppose à tout ce qui est différent de sa conception, y compris le
pouvoir politique en place. A titre d’exemple, Ben Laden a été un de ses
disciples. Le deuxième courant est la salafya ilmia, qui est loyal au
pouvoir. Ces deux courants ont la même référence, entre autres Ibn
Theymya. Des chercheurs spécialistes de l’histoire du monde islamique
sont allés plus loin dans leur thèse. Ils estiment que l’origine du
salafisme remonte à Mouawya Ibn Abi Sofiane, qui s’est opposé à Ali Ibn
Abi Talib, avec comme conséquence la bataille de Siffain. Mouawya était
clair. Lorsqu’il a pris le pouvoir, il a dit aux gens de Damas : «Je ne
vous gouverne pas pour vous obliger à faire la prière ni pour vous
imposer l’aumône. Je suis là pour régner sur vous.» En fait, c’est à
partir du califat de Mouawya que la théorie de la Jibria a vu le jour,
c’est-à-dire l’obligation d’obéir au maître du pays sans contester une
seule de ses démarches ou de ses idées.
Quand vous lisez Ibn Theymya, on constate qu’il accuse des compagnons du
Prophète de mensonges. Sa première victime était Ezzouhri, qui était un
grand sahabi. Nous remarquons que la pensée de Mouawya et celle d’Ibn
Tehmya ne diffèrent pas. C’est celle de l’obéissance au pouvoir en
cours. Le grand danger réside dans le fait que des régimes dits
arabo-musulmans ont permis à la doctrine salafiste, substance de Ibn
Theymya, de se répandre, car elle ne constitue pas un risque pour eux,
et le peuple est régulièrement aliéné. Le grand problème c’est que la
doctrine d’Ibn Theymya considère tout musulman kafir, s’il ne respecte
pas à la lettre ses préceptes. L’Islam est au-dessus de tout cela. Les
obligations sont claires et précises, à savoir la prière, le jeûne du
Ramadhan, ainsi que l’aumône et le hadj dans la mesure du possible.
La pensée salafiste, avec ses deux courants, considère à titre indicatif
tout individu kafir s’il ne porte de kamis, s’il rase sa barbe, s’il
porte des pantalons, s’il se brosse les dents avec du dentifrice, s’il
regarde la télévision, etc. Pour les salafistes radicaux, il est permis
de tuer tout musulman, car ce n’en est pas un vrai. C’est un mécréant.
Ils ont dénaturé l’Islam et son humanisme. Le plus malheureux, c’est que
les régimes sont conscients de cela. Au lieu de stopper cette
hémorragie, ils ne font que l’encourager. Cette pensée prépare le
terrain aux futurs terroristes qui, à l’origine, sont de pauvres jeunes
sans repère. Quand ils sont endoctrinés, en leur disant que tuer des
centaines de personnes vous permet d’entrer au paradis, le résultat est
chaotique.
Les régimes qui encouragent la salafya ilmia se trompent lourdement.
N’ont-ils pas conscience ou peut-être le savent-ils, les tenants de
cette pensée peuvent du jour au lendemain bercer dans la salafya
djihadia et considéreront le pouvoir comme taghout (mécréant). Il ne
faut pas oublier que ce sont d’abord des califes ommeyyades qui ont
utilisé de faux hadiths, et ou au pire entrecoupé quelques-uns.
L’objectif étant de gagner les foules. Cette ruse politique leur a
permis de rassembler les masses autour d’eux au nom de la religion.
-Comment se manifeste la pensée salafiste en Algérie ?
-Elle
fait des ravages. Elle divise la société à petit feu. Le malékisme
disparaît. Un cadre du ministère des Affaires religieuses m’a fait une
confidence. Près de 90% des mosquées algéroises sont contrôlées par des
salafistes purs et durs. Il n’est pas étonnant que les jours de l’Aïd
vous n’entendiez pas, dans la majorité des mosquées les medhs, que
psalmodiaient nos ancêtres. Pour eux, c’est une bidaâ. Le salafisme, qui
fait dans beaucoup de cas les affaires du pouvoir, risque de se
radicaliser encore plus. Déjà que c’est une pensée dangereuse, les
salafistes vont se retourner, dès que possible, contre l’ensemble de la
société et les autorités, bien évidemment.
-Mais les salafistes présents sur la scène politique ne disent pas vouloir tuer les Algériens ?
-Ils
utilisent la taqqya, comme les chiites. Ils cachent leur jeu et ne
disent jamais ce qu’ils pensent. Aujourd’hui, ils sont plus intelligents
qu’auparavant. Ils ont acquis une culture politique et appris la leçon
du passé. Ils espèrent un jour accéder au pouvoir et, ensuite, régler
leurs comptes. Il faut comprendre une chose : les salafistes ne sont pas
des sunnites. Ils sont pires que les kharidjites Azraqi auteurs de
l’assassinat d’Ali Ibn Abi Talib. Je pense que la solution pour stopper
le mal qui guette la société est d’abord la révision des manuels
scolaires et sauver ce qui peut l’être. La pensée salafiste est contre
le progrès et la modernité.
Un exemple. Ibn Baz, l’un des grands savants du salafisme du XXe siècle
avec Otheimin et Albany, considère kafir celui qui croit que la terre
est ronde ! Otheimin dit que prendre des photos c’est haram ! Comment
voulez-vous que le monde dit islamique avance avec cette pensée. On sait
très bien que le monde arabo-musulman a régressé à cause de la
fermeture des portes de l’ijtihad à partir du XVe siècle. Mais de là à
soutenir de telles idées avec tous les moyens technologiques existant en
2011, je pense que c’est cela la vraie hérésie.
Mehdi Bsikri
El Watan, 19 Septembre 2011.
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