mercredi 11 juillet 2012

René Gallissot : «Le Maghreb a disparu avec le début des indépendances»

«Avec la guerre d’Algérie et l’arrivée des indépendances, c’est le Maghreb qui a disparu.» C’est ce qu’a affirmé l’historien et professeur émérite à l’université Paris 8, René Gallissot. Donnant, hier après-midi dans le cadre du colloque international organisé par le quotidien El Watan, une communication sur le thème du «Mouvement ouvrier en Algérie», l’historien regrette la disparition de cette entité régionale qui avait existé effectivement durant la période coloniale. Une existence qui s’est réalisée, souligne-t-il, grâce aux mouvements ouvriers.
La circulation des personnes se faisait, précise-t-il, en toute liberté. «Avec les indépendances, c’est le Maghreb qui a disparu, puisque tout de suite après il y a eu fermeture des frontières. Il n’y a pas d’avenir sans circulation et mise en commun. Il n’y a pas d’avenir sans le Maghreb», lance-t-il. René Gallissot revient également sur le rôle du mouvement ouvrier dans la formation d’une élite syndicale qui est devenue par la suite l’élite politique nationale qui a encadré la révolution et pris les commandes du pays après l’indépendance.
Dans ce sens, l’orateur explique comment le système algérien a réussi à se maintenir jusqu’à aujourd’hui. Sa stratégie, en particulier sous le régime de Boumediène, est basée sur «l’élimination de l’alternative politique». Comment ? Le professeur explique qu’après l’indépendance, l’Etat a absorbé les organisations sociales, dont le parti FLN et le syndicat UGTA. «Au temps de Boumediène, le parti a été absorbé par l’Etat et le système s’est consolidé avec l’UGTA», développe-t-il. Auparavant, procédant à l’analyse sociologique et politique du mouvement ouvrier, le conférencier relève deux remarques : le rôle pionnier dans l’organisation de la résistance algérienne de ce mouvement et sa glaciation après l’indépendance. «Le mouvement était culminant en 1936 avec les grèves des chefs de fer.
La syndicalisation des Algériens s’est faite dans la lutte. Une fois engagé dans un syndicat, l’Algérien ne le quitte plus. Le mouvement ouvrier est une promotion exceptionnelle. Après l’indépendance, il se produit la glaciation du mouvement syndical. Il ne reste qu’un syndicalisme d’encadrement», indique-t-il.

Madjid Makedhi
In El Watan 2012-07-06


«Le système a réussi à se maintenir grâce à l’élimination de l’alternative politique»

De la période coloniale à l’article 120 introduit dans les statuts du FLN en juin 1980, le mouvement ouvrier algérien a toujours eu un rôle pionnier dans la prise de conscience durant l’époque coloniale et dans les enjeux du pouvoir après l’indépendance. C’est cette problématique qu’a développée, jeudi dernier, l’historien René Gallissot lors des travaux du colloque international «Cinquante ans après l’indépendance : quel destin pour quelle Algérie ?» organisé par le quotidien El Watan.  Spécialiste des mouvements ouvriers au Maghreb, René Gallissot a été l’un des quatre animateurs du deuxième panel intitulé «Naissances d’une nation». Sa communication sur le «Mouvement ouvrier en Algérie» a été entamée par une lecture de l’article 120 des statuts du FLN au temps du parti unique.
Cet article, qui vise à contrer l’entrisme communiste, fait de l’adhésion au FLN une condition sine qua non pour accéder à des postes de responsabilité au sein des organisations de masse. «Ne peut assumer de responsabilités au sein des organisations de masse que celui qui est militant structuré au sein du parti. Le comité central arrêtera les étapes d’application de ce dernier principe», précise ce texte. Le concept de «militant structuré», précise René Gallissot, signifie «une place dans l’Etat».
Après cette introduction, l’historien souligne d’emblée l’emprise de la bureaucratie sur le syndicalisme. «C’est l’appareillage qui commence avec l’article 120. En Algérie, c’est toujours la bureaucratie qui domine et qui précède», relève-t-il, en notant l’hégémonie de l’Etat-parti après l’indépendance de l’Algérie. Ce modèle, analyse-t-il, «a subordonné les organisations sociales». Et c’est là la clé de la réussite du système politique algérien à se maintenir au pouvoir. Sa stratégie, en particulier sous le régime de Boumediène, était basée sur «l’élimination de l’alternative politique». «Au temps de Boumediène, le parti a été absorbé par l’Etat et le système s’est consolidé avec l’UGTA», explique l’historien, précisant que dans le monde, seuls deux Etats sont à centralité militaire : l’Algérie et l’Egypte.

La disparition du Maghreb
Retraçant l’histoire du mouvement ouvrier algérien, René Gallissot indique que celui-ci a connu trois étapes, trois âges. Les premières bourses du travail datent de la fin du XIXe siècle. Elles sont, dit-il, le fait de «petits blancs» à travers les mutuelles des métiers. Le second âge est caractérisé par l’entrée dans le mouvement syndical des autres corps, tels que les dockers, les cheminots… «A cette époque, le Maghreb était un espace de circulation des personnes grâce au chemin de fer», dit-il.
Le troisième âge commence, quant à lui, avec le salariat privé et public qui devient la composante essentielle des syndicats. «Ce sont des gens qui ont le certificat d’études et sont devenus les dirigeants du mouvement syndical. L’on constate ainsi que le mouvement ouvrier a précédé le syndicalisme», illustre-t-il. La véritable poussée syndicale dans les milieux ouvriers algériens intervient dans le sillage des grèves du début des années 1930 et, surtout, de l’avènement du Front populaire, en 1936. La tendance s’accélère après la Seconde Guerre mondiale, le nombre d’Algériens adhérant aux sections de la CGT augmentant sensiblement. «La syndicalisation des Algériens s’est faite dans la lutte. Une fois engagé dans un syndicat, l’Algérien ne le quitte plus. Le mouvement ouvrier est une promotion exceptionnelle», appuie-t-il.
Mais après l’indépendance, l’historien note la glaciation du mouvement syndical. Dans ce sens, l’orateur souligne le rôle de l’anticommunisme qui est toujours plus fort que le communisme, considéré comme une école. «La fixation sur l’appartenance au Parti communiste a été intense en Algérie. Cela est apparent notamment à travers l’article 120», enchaîne-t-il.
En conclusion, René Gallissot déplore la disparition du Maghreb avec l’avènement des indépendances. Cette entité régionale, qui avait existé effectivement durant la période coloniale grâce aux mouvements ouvriers, a laissé place au repli sur soi : «Avec les indépendances, c’est le Maghreb qui a disparu, puisque tout de suite après il y a eu fermeture des frontières. Il n’y a pas d’avenir sans circulation et mise en commun. Il n’y a pas d’avenir sans le Maghreb.»
Pour sa part, Omar Carlier, historien et professeur à l’université Paris 7, a donné une communication sur le thème «Sentiment national, idée nationale et mouvement national dans l’Algérie du premier XXe siècle». Il relève notamment le rôle de l’Etoile nord-africaine et de l’Association des oulémas avant la guerre de Libération nationale.

Madjid Makedhi
In El Watan 2012-07-07

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