Il n’est pas facile d’agir correctement, surtout en des situations complexes où l’absence de repères décuple en effet la difficulté de choisir une option car c’est toujours au détriment d’une autre. Choisir c’est renoncer au reste, dit-on. Mais on peut imaginer que l’éventail des erreurs que l’homme puisse commettre est assurément large. Peut-être assez large pour ne pas répéter la même erreur. Pour autant, il y a chez de nombreux Algériens une obstination désolante à répéter indéfiniment la même erreur ! Le problème n’est pas dans le fait de commettre des erreurs – qui n’en commet pas ? – mais lorsque c’est la même erreur que l’on répète. Indéfiniment. Ici, je veux parler du problème des langues en Algérie et des malencontreuses erreurs des militants de certaines causes au demeurant nobles mais desservies par leurs propres défenseurs.
La diglossie arabe : langues écrites qui ne sont pas parlées, langues parlées qui ne sont pas écrites
De l’histoire algérienne, comme pour de nombreux pays dans le Monde arabe, résulte l’existence en Algérie de plusieurs langues. A l’école, du primaire à l’université, on écrit avec deux langues : l’arabe scolaire et le français. Et elles sont deux langues que personne – ou presque – n’utilise dans la vie quotidienne, du moins pas exclusivement. C’est pour cela que l’arabe est qualifié par le linguiste algérien Abderrazak Dourari non pas de langue classique mais de langue scolaire, parce que son utilisation se limite en effet à la scolarité.
Les populations algériennes, quant à elles, utilisent dans la vie quotidienne l’arabe algérien (daridja), le kabyle, le chaoui, le chleuh, le mozabite, le targui, etc. Et aucune de ces langues – une véritable malédiction – n’est écrite !
Abdou Elimama, linguiste, attribue, au moins partiellement, l’échec scolaire au Maghreb à cette malheureuse diglossie.
Sur des arguments passés et dépassés
Dans un cadre berbérophone, le tamazight est ce qui est la langue arabe scolaire dans le contexte arabophone. Personne en Algérie – ou ailleurs – ne communique dans sa vie de tous les jours par cette langue (le tamazight), dont le retard accusé fait paraitre la langue arabe comme une langue avancée – ce qui est faux, car celle-ci reste à ce jour, et on l’observe quotidiennement, une langue de littérature. Ni les sciences exactes, expérimentales ou naturelles, ni les technologies ne sont véhiculées par le biais de la langue arabe car, dan son actuel état, elle présente des insuffisances (sans exagérer comme l’ont fait certains en parlant de «langue morte»). Mais les Arabes, notamment les islamistes et les arabistes (baathistes ou autres), s’obstinent à considérer la langue arabe, non seulement n’est pas en retard, mais qu’elle serait supérieure aux autres.
L’«argument» des islamistes est fameux : il s’agit de la langue du Coran et Dieu, Révélateur du Coran, ne saurait choisir une langue «inférieur» (qui a dit inférieur ? On parle de retard). Aux antipodes de la raison, cet «argument» ne mérite à mon sens nulle discussion.
Les arabistes, eux – et les islamistes les soutiennent –, évoquent l’exemple de l’Israël qui aurait, disent-ils, «ressusciter» une langue morte, l’hébreu en l’occurrence, afin de l’utiliser. Ainsi, les Arabes doivent suivre l’exemple. Or, il n’en est pas un. Et pour cause ! D’abord, dire que comparaison n’est pas raison n’a jamais été aussi pertinent. Ensuite, Israël est un Etat ethnico-religieux, ce qu’aucun Etat arabe (à part quelques émirats insignifiants) ne peut prétendre. On peut tout de même récuser l’argument arabiste «en détail». Les arabistes ne savent pas – ou refusent de savoir – qu’en Israël, malgré que l’hébreu et l’arabe sont les seules langues officielles, il n’en reste pas moins que le statu de l’hébreu n’est pas très différent de celui de la langue arabe dans le Monde arabe, c’est-à-dire une langue de littérature et cela malgré les efforts massifs du gouvernement israélien à développer cette langue, ce qui le distingue des régimes arabes démagogiques et incompétents et leurs démarches chaotiques et antirationnelles. Dans les universités israéliennes où l’enseignement se fait en hébreu, la documentation en cette langue est infime car les chercheurs israéliens, notamment en sciences exactes, utilisent bien entendu l’anglais. Israël – malgré qu’il dispose du plus fort indice d'investissement en recherche par tête d'habitant au monde – souffrent à l’image de ses voisin arabes de nombreux problèmes que l’on ne trouve pas en Occident (à titre d’exemple, la fuite des cerveaux touche ce pays : selon une étude récente, 16% des docteurs en sciences exactes partent à l’étranger) et cela doit faire admettre à ces arabistes qu’Israël est loin d’être un exemple.
Quel est le lien de cela avec notre sujet, le tamazight ? C’est que certains veulent rééditer un échec…
Une pathologie algérienne :
Répéter indéfiniment la même erreur
Il faut se demander : Que veulent, en somme, les militants de la cause amazighe ? On peut citer un exemple représentatif d’une large catégorie de ceux-ci. Pour M. Arkoub, vice-président de l’association des enseignants de tamazight de Tizi Ouzou, dans une entretien avec El Watan, «Il faut impérativement créer une académie qui s’érigera en autorité scientifique, à travers laquelle les problèmes pédagogiques qui empêchent l’essor du tamazight, trouveront des solutions ». Cela peut ne pas déranger personne. Il peut même arranger tout le monde. Sauf que ce n’est pas tout. Le monsieur ajoute : «Nous demandons depuis des années l’introduction de l’enseignement de tamazight à partir de la 3eme année primaire comme toutes les autres langues et pourquoi pas, à partit de la 1e année. Augmenter son coefficient, son volume horaire et imposer le tamazight aux classes scientifiques contribuera à l’intéressement des élèves à cette langue». Et aussi la généralisation du tamazight à l’échelle nationale et d’en faire une matière obligatoire, alors qu’actuellement elle est facultative, comme le réclament certaines voix.
Ce monsieur sait-il qu’il est en train de demander toute honte bue de répéter exactement et rigoureusement la même démarche effectuée par le gouvernement pour l’arabisation ? Autrement dit, il faut, selon lui, refaire ce que nous avons fait avec l’arabe scolaire à tamazight. Comme si l’arabe scolaire est aujourd’hui dans une situation reluisante, qui subjugue, et de ce fait, on serait tenté de répéter l’expérience avec tamazight ! Comme si la situation de la langue arabe scolaire est une réussite à rééditer avec tamazight !
En réalité, la langue arabe est regardée par le peuple et ses «élites», actuelles et futures, comme inférieure aux autres langues et c’est cela qui entraine en Algérie le délaissement de la littérature et des sciences sociales et humaines par les bacheliers avec de bonnes moyennes qui ne choisissent jamais ces domaines considérés inférieurs et même trop facile car enseignés en arabe, et qui sont l’apanage des étudiants «désorientés», ayant obtenus des notes inférieures dans l’examen du bac.
Notre enseignant souhaite et peut-être sans le savoir, un désastre ! L’homme milite pour l’avènement d’une catastrophe. Il prie pour que l’on répète la même erreur…
Au-delà du désastre qui sera causée à la langue en cas de la réalisation du vœu de notre enseignant su-cité, ce qui est peu probable, ce sont, comme toujours, les élèves algériens qui payeront le prix. Fort. Des cobayes éternels ! Au programme déjà chargé, on doit ajouter une matière et dès la 3e, voire la 1e année et à laquelle on doit accorder un grand coefficient, augmenter son volume horaire et l’«imposer» - son propre terme – aux classes scientifiques ! Pauvre Algérie…
Dès juillet 1962, Mostefa Lacheraf, un Algérien pure, intellectuel moderniste et progressiste, avertissait les décideurs dans un article paru dans El Moudjahid qu’il ne faut surtout pas charger inutilement le programme d’enseignement. Aujourd’hui, 50 ans plus tard, des enseignants veulent scléroser encore plus les cerveaux et définitivement briser l’échine de ces élèves !
Proposition pertinente en ce qui concerne le tamazight
Pour proposer une bonne solution à un problème donné, il faut commencer par l’étude objective de son contexte. Loin d’être exhaustif, le présent texte ne peut aborder cela. Une constatation pour le sujet qui nous concerne : lorsqu’un Kabyle parle de tamazight, dans son esprit, bien qu’il s’écrie «tamazight… imazighen…», c’est de l’utilisation de la langue kabyle qu’il veut parler. On trouve dans l’histoire récente de l’Algérie plusieurs cas de mépris officiel envers toutes les autres langues, hormis l’arabe et le français. Par exemple, une mère de l’un des fondateurs de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, Kabyle, s’est vue empêchée de visiter son fils incarcéré après la fondation de cette même ligue car elle ne parlait que le kabyle. Voilà un des exemples que l’on cite souvent pour montrer la pertinence de la revendication amazighe. Toutefois, cette même dame, aurait-elle pu se débrouiller face à des interlocuteurs qui lui parlaient en tamazight ? Ce n’est pas sur, le tamazight et le kabyle sont entre eux comme l’arabe scolaire et l’arabe algérien. «Dans un établissement scolaire à Tizi-Ouzou, celui qui a obtenu la meilleur note en tamazight est un… Palestinien !», m’a raconté un ami.
Que faut-il faire ? Le malaise est évident et le statuquo n’est que périlleux.
Ce problème algérien concerne tous les Algériens qui s’y intéressent sérieusement. Et il y’en a assez. Au journaliste qui lui disait (voir l'entretien reproduit ci-dessous) que «L’officialisation de la langue amazighe demeure posée» et lui demandait «Quelle démarche entreprendre pour faire aboutir cette revendication ?», le linguiste Salah Belaïd répond : «Je suis d’avis contraire.» Il argumente : «Nous avons six langues nationales, le targui, le chaoui, le chenoui, le kabyle, le mozabite et le chleuh. Chaque langue doit être enseignée dans la région où elle est pratiquée. C’est le cas du catalan, du basque et la langue qui unifie les Espagnols, c’est le castillan.» S’il est simple, dans les textes, d’officialiser tamazight, dans la réalité, sur le terrain, c’est une autre chose. Selon Salah Belaïd : «Pour que tamazight soit langue officielle, il faudrait des siècles et peut-être des guerres, des exterminations de milliers de personnes, comme l’a fait Louis XI pour imposer la langue de l’Île de France. La langue arabe avait 191 variétés et c’est l’islam qui l’a unifiée.» Et le linguiste de rappeler : «Aucun pays développé sur le plan industriel ne dispose de plusieurs langues officielles.»
Voilà donc une «recette», si l’on veut, aussi réaliste que pertinente : dans chacune des régions d’Algérie, c’est la langue pratiquée par les citoyens qui doit cohabiter avec l’arabe scolaire et les langues étrangères à l’école, et non pas une nouvelle langue voulue véhiculaire et «imposée» par les textes à tout le monde.
Mais, il semble que les intellectuels algériens, dès qu’ils font des propositions pertinentes, c’est-à-dire qu’ils essayent d’accomplir leur rôle naturel au sein de la société qui les a enfantés, deviennent sans audience. Des Algériens préfèrent, sans rougir de honte, citer des chanteurs – des «artistes», disent-ils et certains les qualifient, mine de rien, d’intellectuels ! – comme maitres-à-penser et cela dans des thèmes aussi complexe et épineux que la langue ou l’idéologie…
Enfin, il faut éviter de se faire son opinion en lisant seulement les journaux car de nombreux journalistes racontent ce qu’ils veulent, comme ils le veulent, et au détriment de la vérité. C’est ainsi que je ne sais plus qui veut faire admettre que les parent d’élèves veulent, à Alger, que le tamazight soit enseigné à leurs enfants, alors que ce sont les associations de parents d’élève qui le refusent ouvertement : «Programme trop chargé !», avancent les uns, «Que faire avec le tamazight ? l’arabe est déjà superfétatoire !», ajoutent les autres…
L. A
- Les enseignants universitaires ne sont quand même pas responsables de la régression. Ne pensez-vous pas que c’est à cause du fait que l’enseignement soit facultatif ?
- L’officialisation de la langue amazighe demeure posée. Quelle démarche entreprendre pour faire aboutir cette revendication ?
Complément à l'article :
Entretien du Professeur Salah Belaïd avec El Watan
Professeur Salah Belaïd est enseignant à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Spécialiste en linguistique arabe, il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages sur tamazight, dont Au fond de la question berbère (1996) et Tamazight en danger (2011). Dans l’entretien qui suit, il apporte son appréciation sur la question amazighe.
- Au moment où des militants de tamazight notent une relative évolution de la question, vous affirmez au contraire que tamazight est en danger. Pouvez-vous, vous en expliquer ?
- La Constitution reconnaît que tamazight est langue nationale, des colloques, des journées d’étude et des rencontres scientifiques sont consacrées à la question, une chaîne de télévision diffuse dans cette langue, mais le constat de régression dans l’enseignement est fait par tout le monde. Des 18 wilayas où était enseignée la langue amazighe durant les années 1990, il n’en reste que 8 aujourd’hui. Pour moi, cette voie vers l’échec est tracée par la manière de prodiguer les enseignements et la formation des formateurs au niveau de l’université déjà. Mon constat a choqué bon nombre de personnes, mais la réalité est là, douloureuse : dans les départements de tamazight, l’enseignement se fait en langue française. Ils devraient donner l’exemple. L’affichage, les rencontres, les cours se font dans la langue de Voltaire. On n’utilise pas tamazight. J’ai mené une étude dans ce sens et le résultat est que tamazight est en danger, d’où le titre de mon ouvrage.
- Les enseignants universitaires ne sont quand même pas responsables de la régression. Ne pensez-vous pas que c’est à cause du fait que l’enseignement soit facultatif ?
- A mon sens, tout le monde est responsable ; les universitaires au même titre que l’Etat. Des considérations idéologiques ont déclassé l’intérêt propre de tamazight. La controverse sur les caractères de transcription freine l’essor de cette langue. Pour certains chercheurs, les débats sur la transcription sont clos. Les caractères latins se sont imposés. C’est là, la grosse erreur, une supercherie même. Ils disent que ces caractères sont universels. Ce n’est pas vrai. Qu’est-ce qu’utilisent les Chinois, les Grecs, les Hindous ? Ce sont les caractères originels et cela a contribué au développement de ces pays. Nous aussi, nous avons nos caractères tifinagh et il faut les utiliser. C’est vrai qu’ils sont archaïques, mais je suis persuadé que tamazight gagnera plus à les développer qu’à persister à débattre des caractères à utiliser, arabes ou latins. Il faut en convenir que de part et d’autre, il y a rejet, et c’est bien sûr au détriment de tamazight. Dans ce sens, il faut suivre l’exemple marocain. Un dahir royal a définitivement réglé le problème ; écrire tamazight en tifinagh. C’est une question politique et j’estime que l’Etat doit intervenir pour régler cette question. Il faut dire aussi que les caractères latins n’ont pas permis à tamazight d’avoir une acceptation nationale et que les caractères arabes ne vont pas la développer non plus, car elle reste une langue des sciences humaines et des oraisons funèbres, pas une langue des sciences et des technologies.
- L’officialisation de la langue amazighe demeure posée. Quelle démarche entreprendre pour faire aboutir cette revendication ?
- Je suis d’avis contraire. Nous avons six langues nationales, le targui, le chaoui, le chenoui, le kabyle, le mozabite et le chleuh. Chaque langue doit être enseignée dans la région où elle est pratiquée. C’est le cas du catalan, du basque et la langue qui unifie les Espagnols, c’est le castillino. Pour que tamazight soit langue officielle, il faudrait des siècles et peut-être des guerres, des exterminations de milliers de personnes, comme l’a fait Louis XI pour imposer la langue de l’Île de France. La langue arabe avait 191 variétés et c’est l’islam qui l’a unifiée. Aucun pays développé sur le plan industriel ne dispose de plusieurs langues officielles.
Saïd Gada
In El Watan 2012-04-19
Louis XI n'a jamais massacré qui que ce soit pour imposer le français de l'île de France. Le français (sous sa variante francilienne) a remplacé le latin comme langue officielle suite à une succession de décisions politiques. Déjà en décembre 1490 l'ordonnance de Moulins (en Auvergne) de Charles VIII (1470-1498) obligeait l'emploi du «langage francois ou maternel» et non le latin dans les interrogatoires et procès verbaux en Languedoc. En 1510, Louis XII (1462-1515) exigea l'emploi du «vulgaire et langage du pays». En 1535, l'ordonnance d'Is-sur-Tille (en Bourgogne) de François Ier (1494-1547) prescrit que les actes soient rédigés «en françoys ou à tout le moins en vulgaire dudict pays» (i-e rédigés en français d'île-de-France, ou au moins dans une autre variante régionale du Français). Enfin c'est lesarticles 110 et 111 de l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) de François 1er, qui consacreront le français d'île-de-france comme langue administrative officielle au détriment du latin. Plus tard un travail de standardisation du français sera effectué suite à la création de l'Académie-Française, puis le français remplacera progressivement le latin comme langue de transmission des connaissances.
RépondreSupprimerIl n'est pas honnête de comparer les langues régionales espagnoles avec les différentes variétés de tamazight. Les différentes variétés de tamazight représentes des sous ensemble d'une même langue originelle, alors que le basque n'a aucun rapport avec le catalan ou le castillan. Il y a beaucoup plus d'hétérogénéité entre les langues espagnoles qu'entre les variantes de tamazight.
Plusieurs langues cohabitent au Canada, au Luxembourg, ou en Suisse, cela n'empêche nullement ces pays d'offrir des niveaux de vie parmis les plus élevés au monde.