C’est
avec peine et profonde consternation que j’ai appris le décès de monsieur
Abdelhamid Mehri, survenu hier.
« إِنَّا لِلَّهِ وَإِنَّا إِلَيْهِ رَاجِعُونَ »
Homme
politique de haute stature, de débat et de réflexion, intellectuel de qualité,
Abdelhamid Mehri avait l’Algérie constamment dans le cœur et l’esprit et, pour
son avenir, il n’a eu de cesse de réfléchir et d’œuvrer. Homme de rassemblement
et de réconciliation, il avait toujours tenté – hélas, sans réussir – de réunir
les fils intègres de l’Algérie afin d’édifier sereinement le pays dont le destin
l’avait peiné et attristé. Né en 1926 à Skikda, figure du mouvement nationale
(PPA-MTLD), ancien ministre du GPRA et Secrétaire Général du FLN post-octobre
88 (jusqu’en 1996), Ahledhamid Mehri sera inhumé aujourd'hui après la prière d’Al-Asr
au cimetière de Sidi Yahia (Bir Mourad Raïs).
L’année
passée, Abdelhamid Mehri avait adressé un appel à Bouteflika devenu donc un
testament politique. Le voici :
Au frère Abdelaziz Bouteflika, président de la République
Je
m’adresse à vous par cette lettre dans un contexte particulièrement délicat et
dangereux en étant conscient que seuls les liens de fraternité et les principes
qui nous ont rassemblés durant la période de la lutte pour la liberté de notre
pays et son indépendance me donnent cet honneur ; c’est aussi ma conviction
que ces liens demeurent le dénominateur sur lequel peuvent se rencontrer les
bonnes volontés au service de notre pays et du bonheur de notre peuple. J’ai
privilégié cette voie ouverte pour m’adresser à vous car vous occupez une
position principale et prioritaire. Néanmoins, vous n’êtes par le seul concerné
par le contenu de la lettre ni la seule partie appelée à traiter des questions
qu’elle soulève. J’ai tenu, dans cette lettre, à faire preuve de la franchise
qui prévalait dans les délibérations des instances dirigeantes de la Révolution algérienne
et qui était, même si elle dépassait parfois les limites du raisonnable,
certainement préférable au silence complice ou à l’assentiment dénué de
conviction.
Monsieur
le Président,
Vous
êtes aujourd’hui au sommet d’un régime politique dont la mise en place n’est
pas de votre seule responsabilité. C’est un régime à l’édification duquel a
participé quiconque a assumé une part de responsabilité publique depuis
l’indépendance, que ce soit par son opinion, son travail ou son silence. Mais
aujourd’hui, de par votre position, vous assumez, et avec vous tous ceux qui
participent à la prise de décision, une grande responsabilité dans la
prolongation de la vie de ce régime qui, depuis des années, est bien plus marqué
par ses aspects négatifs que positifs. Il est devenu, en outre, inapte à
résoudre les épineux problèmes de notre pays qui sont multiples et complexes,
et encore moins à le préparer efficacement aux défis de l’avenir qui sont
encore plus ardus et plus graves.
Le
système de gouvernement installé à l’indépendance s’est fondé, à mon avis, sur
une analyse erronée des exigences de la phase de la construction de l’Etat
national. Certains dirigeants de la Révolution avaient opté, dans le contexte de la
crise que le pays a connue en 1962, pour une conception politique d’exclusion
pour faire face à la phase de la construction plutôt qu’une stratégie de
rassemblement énoncée par la déclaration du 1er Novembre 1954.
Pourtant, cette stratégie avait prévalu, en dépit des divergences et des
difficultés, dans la conduite des affaires, de la Révolution jusqu’à
l’indépendance.
L’exclusion
est devenue, à la suite de ce choix, le trait dominant de la gestion politique
et de la manière de traiter les divergences d’opinion. Les cercles et groupes
politiques qui étaient choisis au début du mois étaient susceptibles
d’exclusion et de marginalisation à la fin du même mois. Ces pratiques, qui ont
contaminé même certains partis de l’opposition, ont eu pour effet de pousser
des milliers de militants à renoncer à l’action politique, de réduire la base
sociale du régime et de réduire le cercle de décision à son sommet.
Outre
le fait qu’il est fondé sur l’exclusion, le régime a hérité de méthodes et de
pratiques secrétées par les conditions difficiles de la lutte de la Libération et les a
adoptées dans la conduite des affaires publiques après l’indépendance. Il s’est
nourri également d’emprunts et d’adaptations qui n’ont pas été façonnées par le
libre débat ni affinées, durant leurs évolutions, par une évaluation objective
qui a été le grand absent dans l’expérience du pouvoir en Algérie. Plutôt
qu’une évaluation critique objective du régime politique, on a préféré les
campagnes de glorification et de dénonciation taillées sur mesure pour des
personnes et par l’attribution de couleurs à des décennies, de sorte à masquer
la nature du régime, ses pratiques et sa vraie couleur qui ne change pas
malgré le changement d’hommes.
Les
voix qui revendiquent le changement de ce régime, qui sont soucieuses qu’il
advienne dans un climat de paix et de libre débat, sont nombreuses. Les signes
qui alertent sur le caractère impératif d’un tel changement sont visibles
depuis des années. Ils se sont encore accumulés ces derniers mois d’une manière
telle qu’il est impossible de les ignorer ou de reporter la réponse.
Les
évènements qui surviennent continuellement chez nous et qui adviennent autour
de nous depuis des mois évoquent ceux que le pays a vécus en Octobre 1988
et des faits graves qui en ont découlé, de crise et de drames dont le peuple
continue encore à avaler certaines des plus amères potions. Les choses se sont
aggravées, chez nous, par le fait que le discours officiel, à des niveaux
responsables, fait une lecture erronée – sciemment ou non – des réalités. Il en
minimise l’importance et en nie les grandes significations politiques au
prétexte que les manifestants, chez nous, n’ont formulé aucune revendication
politique. L’aspect le plus incongru de cette lecture et de cette analyse est
qu’il renvoie à l’image d’un médecin qui attendrait de ses malades la
prescription d’un remède ! Cette lecture erronée de la part de plusieurs
parties – avec des intentions sournoises de la part de certaines autres parties
– a empêché, fort regrettablement, que les véritables enseignements soient
tirés des évènements d’Octobre 1988. Elles ont permis aux adversaires du
changement, à cette époque, d’œuvrer méthodiquement au blocage des voies menant
à la solution juste qui consiste à assurer le passage vers un système politique
réellement démocratique.
Cela
a fait perdre au pays, à mon avis, une opportunité précieuse de renouveler et
de consolider sa marche vers le progrès et le développement. Cette
interprétation erronée s’étend également aux évènements qui se déroulent dans
des pays proches, comme la
Tunisie et l’Egypte. Cette lecture insiste sur les
différences afin de rejeter les enseignements qui en découlent. Pourtant, ce
qui est commun à l’Algérie et à ces pays ne se limite pas à la vague tragique
de recours au suicide par le feu, il est encore plus profond et plus grave. Ce
qui est commun est la nature même des régimes ! Les systèmes de pouvoir en
Egypte, en Tunisie et en Algérie se prévalent tous d’une façade démocratique
clinquante et empêchent, en pratique et par de multiples moyens, de très larges
catégories de citoyens de participer effectivement à la gestion des affaires du
pays. Cette marginalisation et cette exclusion nourrissent en permanence le
ressentiment et la colère. Elles alimentent la conviction que tout ce qui est
lié au régime ou émane de lui leur est étranger ou hostile. Quand s’ajoute à ce
terreau de la colère le poids des difficultés économiques, qu’elles soient
durables ou conjoncturelles, les conditions de l’explosion sont réunies. A ces
facteurs communs s’ajoute le fait que la majorité des Algériens considère que
le régime politique, chez nous, n’est pas fidèle aux principes de la Révolution algérienne
et à ses orientations et ne répond pas à la soif d’intégrité, de liberté, de
démocratie et de justice sociale pour laquelle le peuple algérien a sacrifié
des centaines de milliers de ses enfants.
De
ce qui précède, il apparaît que la question centrale, qui exige un effort
national global et organisé, est celle de la mise en place d’un régime
réellement démocratique, capable de résoudre les problèmes du pays et de le
préparer à relever les défis de l’avenir. Un régime démocratique qui libère les
larges catégories sociales du cercle de l’exclusion et de la marginalisation
pour les faire entrer dans une citoyenneté responsable et active. Il en découle
également que le changement ne viendra pas d’une décision du sommet, isolée du
mouvement de la société et de ses interactions. Il est, au contraire,
nécessaire de faire mûrir le processus de changement et de le consolider par
les initiatives multiples provenant, en toute liberté, des différentes
catégories de la société.
Le
peuple algérien – qui a pris en charge, de manière consciente et loyale, la
révolution quand elle a été jetée dans ses bras et en a assumé la
responsabilité avec abnégation et patience – est apte, du fait de sa profonde
expérience, à prendre en charge l’exigence du changement démocratique pacifique
du régime et à l’accompagner vers les rivages de la stabilité et de la
sécurité.
Ce changement souhaité nécessite, selon moi, de commencer simultanément par les actions suivantes.
Ce changement souhaité nécessite, selon moi, de commencer simultanément par les actions suivantes.
Un
– Accélérer la suppression et la levée des obstacles et des entraves qui
inhibent la liberté d’expression ou la restreignent. Réunir les conditions
nécessaires permettant aux organisations et aux initiatives sociales des jeunes
de la nation, ses étudiants, ses cadres et ses élites des différents secteurs
et disciplines, d’exercer leur droit naturel et constitutionnel à exprimer, par
tous les voies et moyens légaux, leurs critiques, leurs aspirations, leurs
opinions et leurs propositions.
Deux
– Appeler à la multiplication des initiatives populaires émanant de la société
et soutenant la demande de changement pacifique autour des axes et des
modalités suivants :
-1
- Des séminaires de dialogue rassemblant, à différents niveaux et dans la
diversité des courants intellectuels et politiques, des citoyens engagés qui
rejettent la violence et l’exclusion politique et qui œuvrent à identifier les
similarités et les préoccupations communes permettant la jonction des volontés
et des efforts pour la réussite du changement pacifique souhaité.
-2
- Des groupes d’évaluation regroupant, à des niveaux différents, les
représentants de divers courants intellectuels et politiques, des spécialistes
intéressés par un secteur spécifique de l’activité nationale. Ils auront la
charge de procéder à une évaluation objective de ce qui a été accompli depuis
l’indépendance, d’en identifier les forces et les faiblesses et de tracer des
perspectives pour son développement.
-3
- Des amicales de solidarité contre la corruption, qui auront pour mission
d’édifier un barrage contre la généralisation de la corruption en sensibilisant
les larges catégories sociales susceptibles d’être les victimes des corrompus.
Il s’agit de les amener à une position ferme contre la corruption en
adoptant le slogan «nous ne payerons rien en dehors de ce que prévoit la loi».
Cette mobilisation sociale interviendra en appui à des mesures administratives
et légales contre la corruption.
Les
centaines d’initiatives qui peuvent éclore de cet appel et se multiplier, sans
être dictées par le haut, seront comme des bougies qui éclairent la voie du
véritable changement pacifique et traduisent les orientations du peuple et ses
aspirations.
Trois – Etablir des ponts pour le dialogue et la concertation les plus larges avec les forces politiques pour préparer un congrès national général qui aura pour mission :
-1 - D’établir l’évaluation critique et globale du système de gouvernance et de ses pratiques durant ses différentes étapes, depuis l’indépendance, et déterminer les tâches, les moyens et les étapes pour jeter les bases d’un système démocratique et de l’Etat de droit.
Trois – Etablir des ponts pour le dialogue et la concertation les plus larges avec les forces politiques pour préparer un congrès national général qui aura pour mission :
-1 - D’établir l’évaluation critique et globale du système de gouvernance et de ses pratiques durant ses différentes étapes, depuis l’indépendance, et déterminer les tâches, les moyens et les étapes pour jeter les bases d’un système démocratique et de l’Etat de droit.
-2
- Prendre les mesures nécessaires pour sortir le pays, définitivement, de la
spirale de violence qu’il connaît depuis vingt ans. La crise, dont les effets
continuent à marquer la scène politique, est la somme d’erreurs commises aussi
bien par des mouvements islamiques que par les autorités de l’Etat dans leur
traitement. Il est impossible de résoudre la crise en traitant la moitié de
celle-ci et en occultant l’autre moitié.
-3
- Etablir une plateforme nationale sur les perspectives du développement global
et sur la préparation du pays à faire face aux évolutions imposées par les
changements mondiaux.
4
- Etablir une plateforme nationale sur les fondements de la politique étrangère
nationale et ses lignes générales et, en premier lieu, -identifier les mesures
permettant la réalisation de l’union entre les pays du Maghreb.
Frère
Président,
L’Algérie
doit célébrer bientôt le cinquantième anniversaire de son indépendance. Le
temps qui nous sépare de cette grandiose occasion est suffisant, selon moi,
pour parvenir à un accord entre Algériens pour le changement pacifique
souhaité. Le meilleur des présents à faire à nos glorieux martyrs est que l’on
célèbre l’anniversaire de l’indépendance avec un peuple algérien fier de son
passé et rassuré sur son avenir.
Avec ma considération et mes salutations fraternelles.
Avec ma considération et mes salutations fraternelles.
Abdelhamid
Mehri
Languesen>fr YahooCE
demain
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