Le contre-choc
pétrolier le plus violent de ces trente dernières années, un président absent,
un déficit budgétaire de trente milliards de dollars et des candidats à la
succession qui ne s’accordent sur rien, sauf sur un immobilisme dangereux,
rendent la fin du quatrième mandat présidentiel d’Abdelaziz Bouteflika
particulièrement incertaine. Malgré certains articles de la presse française
qui tendent à faire croire le contraire.
Par Jean-Pierre Séréni
Deux ans après
l’éclatement de la crise pétrolière mondiale, l’Algérie est paralysée par un
triple blocage qui menace de déboucher sur le pire. L’impasse politique née de
l’incapacité des ténors du régime à s’accorder sur un successeur à l’actuel
président, Abdelaziz Bouteflika, bien incapable de tenir les rênes du pouvoir,
interdit tout progrès sérieux dans la solution de la grave crise financière que
traversent l’État et le secteur public. De plus, l’Algérie, qui vit du pétrole
et du gaz qu’elle exporte est incapable, à la différence de l’Arabie saoudite,
de la Russie, de l’Irak ou de l’Iran, d’augmenter ses exportations et de
compenser, au moins partiellement, la baisse des prix par une augmentation des
volumes vendus. Sa production se réduit depuis dix ans alors que sa
consommation intérieure explose et que diminue son surplus exportable.
Il
faudrait, pour renverser la tendance, un effort massif d’investissements ; l’État algérien en a moins que jamais les
moyens à cause de la crise financière. La compagnie nationale Sonatrach a été
déficitaire l’an dernier, et l’impasse politique interdit de revoir les
conditions peu engageantes offertes aux compagnies étrangères qui boudent le
sous-sol algérien depuis 2010.
Le pays ne peut
sortir du dangereux cercle vicieux qui s’est mis en place qu’en levant au
préalable l’hypothèque politique et en réglant enfin la question de la
succession qui traîne depuis le printemps 2013 et l’évacuation sur l’hôpital du
Val-de-Grâce à Paris du président Bouteflika, victime d’un accident cardiaque
dont il ne s’est, à la vérité, jamais remis. Avant les élections
présidentielles d’avril 2014, la candidature du chef de gouvernement Abdelmalek
Sellal a été évoquée, avant d’être contrée in extremis par le chef de l’armée,
le général Ahmed Gaïd Salah. Début 2016, c’est le nom du directeur du cabinet
présidentiel Ahmed Ouyahia, un survivant de la vie politique locale où il
grenouille depuis plus de trente ans, qui a circulé pour le poste de premier
ministre qu’il a déjà occupé à trois reprises. Mais ses rivaux ont eu peur de
le voir prendre une option sérieuse sur la succession en cas de disparition
soudaine d’Abdelaziz Bouteflika et ont déclenché un tir de barrage contre lui.Surplace politique et déficit budgétaire
Les trois
principaux acteurs de cette tragi-comédie : l’armée, les services de sécurité
et la famille Bouteflika se neutralisent et ne s’accordent que sur le statu
quo. Le vice-ministre de la défense, chef d’état-major de l’armée, le général
Gaïd, se verrait bien à la présidence, mais le « collège
» militaire renâcle à voir l’un des siens assumer le pouvoir dans des
circonstances plus que difficiles et préfère laisser cette tâche ingrate à un
civil. Saïd Bouteflika, le « petit » frère de l’actuel président, n’a ni
l’audience ni le sérieux qu’exige la situation. Enfin, le chef du gouvernement
Sellal manque cruellement de crédibilité et d’appuis. L’opposition est quant à
elle divisée et témoigne plus qu’elle ne s’oppose, faute de disposer d’un
minimum de libertés malgré les promesses et la révision constitutionnelle du
début de l’année.
Dans ce surplace
politique où chacun des candidats, connu ou inconnu, se marque à la culotte, il
est urgent d’attendre et de différer les «
réformes » que les institutions
internationales et les analystes recommandent pour faire face à la gravité de
la situation financière de l’État. L’inaction va se payer au prix fort. La rente
pétrolière s’est effondrée (70 milliards de dollars avant la crise, 27
milliards espérés cette année) et le déficit budgétaire attendu en 2016
pourrait atteindre 30 milliards de dollars, soit près de 20 % du PIB. Où les
trouver ? Le magot accumulé pendant les
dix ans du boom pétrolier (2004-2013) s’assèche rapidement, le Fonds de régulation
des recettes (FRR) qui a depuis six ans financé le déficit budgétaire sera à
sec avant la fin de l’année.
Après deux ans
d’hésitations, Alger semble se résigner à s’endetter à nouveau à l’extérieur.
Mais il lui sera difficile de lever plus de 4 à 5 milliards auprès de la Banque
mondiale ou de la Banque africaine de développement (BAD). C’est insuffisant.
Le marché financier international est, de fait, inaccessible à l’Algérie sans
la garantie du Trésor américain ou japonais qu’a obtenue la Tunisie ; un tel patronage serait vécu comme une
humiliation nationale par les Algériens traumatisés par la précédente crise
financière des années 1990 qui a conduit à un plan d’ajustement structurel
ruineux pour les salariés du secteur public et les consommateurs.
La croissance économique en panne
Au plan
intérieur, le grand « Emprunt national
pour la croissance économique » (ENCE) a
fait un flop malgré les pressions exercées sur les banquiers et les assureurs
(à peine l’équivalent de 2 milliards récolté jusqu’ici) et a coûté son poste au
ministre des finances, Abderrahmane Benkhalfa. Quelle autre solution reste-t-il
à son successeur, le troisième grand argentier en deux ans, sinon de faire
tourner la planche à billets à plein régime et de dévaluer sauvagement le dinar
avec la complicité du nouveau gouverneur de la Banque centrale ? La conséquence en sera forcément une
inflation à deux chiffres, des pénuries et un appauvrissement douloureux de la
population, au total une triple menace pour la stabilité sociale et politique
du régime.
La dernière conférence
tripartite (gouvernement, patronat, Union générale des travailleurs algériens,
UGTA) du 5 juin dernier illustre cette incapacité du régime, malgré l’urgence,
à prendre le taureau par les cornes. Albelmalek Sellal n’a pas osé rendre
public le « cadrage » budgétaire 2016-2019 préparé par son équipe
et la seule mesure annoncée, le retour de l’âge de la retraite à 60 ans, a été
renvoyée à plus tard. La Caisse nationale des retraites (CNR), pourtant très
déficitaire, s’est empressée de faire savoir quelques jours plus tard par voie
de presse que les départs anticipés en retraite au bout de 25 ans de carrière
n’étaient pas remis en cause. De leur côté, les principales fédérations de
l’UGTA ont, dans la foulée, renié la signature de leur centrale et revendiqué
bruyamment le maintien des avantages acquis.
Sur le front
pétrolier, la même procrastination est de mise. Fin mai, avec l’aide de l’Union
européenne, Salah Khebri, le ministre de l’énergie a organisé à Alger un forum
destiné à attirer les compagnies internationales, à les inciter à revenir
explorer et exploiter le sous-sol saharien, en particulier gazier. Les débats
ont tourné au dialogue de sourds : les demandes de changements sur la fixation
des prix du gaz ou sur la propriété des gisements qui est aujourd’hui
automatiquement à 51 % algérienne ont été rejetées et la perspective d’un
retour des investissements étrangers dans le secteur s’est éloignée encore un
peu plus. Dans un contexte de baisse des ressources des compagnies et de
surenchères entre pays producteurs pour les attirer, l’Algérie est moins que
jamais, aux yeux des pétroliers, une destination séduisante. Finalement, la
seule décision prise après ce fiasco a été de limoger le ministre, ce qui ne
veut pas dire que son successeur sera plus à l’écoute.
Répression annoncée
Les grandes
puissances ont voulu croire que la mise à la retraite l’an dernier du général
Mohamed Mediène, dit « Toufik », à la tête des services pendant plus de
vingt ans, l’omniprésente Direction de renseignement et de la sécurité (DRS) et
la réorganisation de son ancien fief, inauguraient une transition vers un État
« civil
», plus respectueux des libertés et de l’opposition, voire une modernisation
du régime. Les indices qui vont dans ce sens, en dehors de l’instabilité
ministérielle, sont cependant rares : la justice reste aux ordres, le Parlement
marginalisé, les élus locaux domestiqués et les quatre derniers quotidiens
indépendants menacés et privés de publicité officielle. L’emprisonnement sans
jugement depuis plus de neuf mois d’un officier général à la retraite qui avait
osé critiquer le frère du président Bouteflika ou les tracasseries infligées à
Issad Rebrab, le plus riche homme d’affaires d’Algérie, dit-on, en rivalité
avec un autre mieux placé que lui auprès des puissants de l’heure, font
craindre qu’à l’inaction et à la paupérisation s’ajoute bientôt la répression.
Jean-Pierre
Séréni
Publié par Orient XXI
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire