mardi 29 mars 2016

Main basse des oligarques algériens sur les médias audiovisuels



Les chaînes privées sont nées en Algérie après le printemps arabe. Pendant un demi-siècle, il n'y en avait pas.

Par Lyes Benyoussef
Le contrôle des médias, de ce qui s’écrit et de ce qui se dit, est une caractéristique de tout autoritarisme à travers l’histoire — y compris l'algérien. Toutefois, des journaux en Algérie, à la suite des évènements d’Octobre 1988 et de l’ouverture « sous surveillance » consentie par le régime de Chadli Benjdid, ont pu maintenir un minimum de liberté et constituer un espace critique à l’égard du pouvoir. Après tout, celui-ci, avec une police politique redoutable car omnipotente, pouvait censurer quand il le jugeait nécessaire. Et ce fut le cas de nombreuses fois. Pour avoir été censuré par la police politique, nombre de journalistes algériens en tirent fierté. Cependant, les journaux, dont le lectorat est limité, notamment les plus critiques — tous francophones malheureusement —, ne jouent pas le même rôle avec les masses populaires que la télévision.


50 ans sans télévision privée

Ainsi, les bureaux d’Al-Jazeera sont toujours fermés à Alger. Pour avoir donné la parole à des opposants qui osent — sans nier la responsabilité de groupes armés islamistes ou autres — évoquer la responsabilité de généraux coupables d'abominables crimes contre l’humanité, la chaîne qatarie est diabolisée par les relais du régime algérien longtemps avant le Printemps arabe et sa couverture jugée partiale des soulèvements arabes.
Ainsi donc, pendant un demi-siècle, une seule chaine de télévision existait, baptisé « l’Unique » par la presse. Et « unique », elle l'était par sa langue de bois, son populisme effréné, sa démagogie et l’auto-censure excessive de son personnel médiocre. En effet, jamais le pouvoir n’imaginait laisser se développer des chaines privées et quelques mois avant le Printemps arabes, le président lui-même, fier et sûr de lui, l’affirmait haut et fort.

Abdelaziz Bouteflika n'a jamais caché sa fascination pour le pouvoir absolu

Le printemps arabe change la donne

Dans sa première année à la présidence, Abdelaziz Bouteflika avait affirmé être le vrai ministre de l’information, le rédacteur en chef de l’APS, etc. Dire l’obsession affichée de tout contrôler. Ce que le Printemps arabe, si décrié par ailleurs, a permis de changé.
Dans la foulée des bouleversements subséquents au Printemps arabe, des chaînes privées voient le jour. Pour la première fois, les Algériens découvrent des journalistes de l’audiovisuel capables d’autre chose que de répercuter l’humeur du régime.
Toutefois, il semble que le pouvoir est en train de se rattraper.

Du pouvoir de la police politique au pouvoir de l’argent

Si le DRS est en restructuration et désormais complètement inféodé à l’armée et à la présidence, c’est que le pouvoir entend user d’autres voies. Une après l’autre, les chaînes de télévision privées sont en train d’être récupérées par des milliardaires proches des factions du système.
Dans un article publié par Monde Afrique, En Algérie, les milliardaires contrôlent l’information, signé Louise Dimitrakis, on apprend, en effet, que les chaînes privées les plus regardées d’Algérie sont en train d’être achetées par des milliardaires proches du régime.
La seule chaîne qui ne vit pas des difficultés financières est Ennahar TV, et pour cause. « Elle est la télévision attitrée du clan présidentiel qui l’utilise pour faire passer tous ses messages. Les caisses d’Ennahar TV sont toujours renflouées et pas besoin d’un milliardaire pour la financer. »

Le temps des milliardaires

Les autres chaînes, connaissant des difficultés financières, tombent l’une après l’autre dans les mains des oligarques. Louise Dimitrakis écrit : «Tout commence à l’été 2015 lorsque la vente de la chaîne de la télévision El-Djazaïria, l’une des trois premières télévisions privées lancées en Algérie, à l’homme d’affaires discret Ayoub Ould Zmrili impose le règne des oligarques sur le petit écran algérien. Inconnu du grand public, ce richissime businessman qui a fait fortune dans l’immobilier à Alger où il a vendu pendant des années des appartements à prix d’or dans le quartier chic d’Alger, Hydra, a fait une entrée fracassante dans le monde des médias algériens. (…) Il s’empare d’El-Djazaïria à la suite d’une longue et harassante négociation avec Karim Kardache et les deux autres anciens actionnaires de cette télévision qui a révolutionné le paysage médiatique algérien à travers des émissions satiriques très critiques comme Journane El Gosto ou El-Djazaïria Week-end. Au départ, les premiers propriétaires demandent pas moins de 8 millions d’euros. Mais l’homme d’affaires fait appel à des lobbyistes pour faire baisser le prix. À 4 millions d’euros, le marché est conclu. El-Djazaïria change diamétralement de ligne éditoriale et le nouveau propriétaire fait appel à Hamraoui Habib Chawki, l’ancien patron de l’ENTV, et l’un des communicants d’Abdelaziz Bouteflika lors de ces quatre dernières campagnes électorales. Divertissement et zèle politique, El Djazaïria change de look et d’identité. Le pouvoir de l’argent a pris le dessus sur l’indépendance éditoriale. »

Isaad Rebrab est le premier milliardaire d'Algérie

Isaad Rebrab s’intéresse à « la chaîne KBC, la télévision du groupe de presse El-Khabar (…). KBC pourrait encaisser prochainement un chèque de l’équivalent de 5 millions d’euros de la part de Rebrab. Mais la télévision d’El-Khabar risque de perdre énormément de son Indépendance. Et pour cause, les intérêts économiques de l’empire  Rebrab en Algérie sont immenses et ses accointances avec les anciens leaders du DRS risquent de peser sur les choix éditoriaux de KBC... »
« (...) L’autre puissant groupe médiatique algérien qui possède deux chaînes de télévisions très regardées : Echorouk TV et Echorouk News TV. Dirigé par Ali Fodil, ce groupe qui a prospéré grâce au soutien indéfectible du DRS au temps du général Toufik connaît aujourd’hui des difficultés structurelles qui menacent sa survie depuis la chute de ses revenus publicitaires et le départ de plusieurs hauts gradés du DRS, ses principaux soutiens. Pour sortir de l’ornière, Ali Fodil avait fait la danse du ventre à l’homme d’affaires Ahmed Mazouz, un puissant oligarque très proche de Sellal et du palais d’El-Mouradia. De la concession automobile jusqu’à l’agro-alimentaire, Mazouz fait une percée remarquable dans le business ces dernières années avec à la clé des projets très stratégiques. Mazouz s’apprêtait à racheter 40 % des parts du groupe d’Echorouk. La transaction a failli se conclure, mais un revirement à la dernière minute a gelé la décision finale. Mazouz aurait exigé des concessions politiques importantes. Et Echorouk qui a déjà adouci sa ligne éditoriale prend le temps de réfléchir. Mais Ali Fodil n’a pas le choix et il le dit haut et fort à son entourage. »

Entre le clan présidentiel et Ali Haddad, les liens sont visibles

« (…) Ali Haddad impose aussi ses marques dans le paysage audiovisuel algérien. Ses deux chaînes de télévision, Dzaïr TV et Dzaïr News TV, résistent à la crise financière, s’équipent même d’un siège flambant neuf et améliorent sans cesse leur grille de programmes. Toutefois, l’audience n’est pas au rendez-vous car la ligne éditoriale très ‘‘servile’’ repousse les téléspectateurs. Seuls les programmes sportifs et la diffusion des matches de football offre une certaine visibilité aux deux chaînes de télé d’Ali Haddad… » 


Contrôler l’information, une constante du système


Ainsi va l’Algérie. Louise Dimitrakis aborde les autres chaînes dans son article. Il s'agit donc d'une domestication des médias audiovisuels algériens, le contrôle de l'information étant une constante du système politique algérien
Le mécanisme de cette domestication est fort simple : les revenus de ces chaînes dépendent des recettes publicitaires, lesquelles recettes dépendent de leur servilité puisque le secteur de la publicité est monopolisé par L’État. Être critique —  en fait faire du journalisme professionnel signifie recevoir moins de publicité et connaître des difficulté financières. À moins d'avoir un milliardaire pour propriétaireEt comme les milliardaires sont proches du système... Les médias audiovisuels sont donc dans l'impossibilité d’être réellement indépendants. Si c'est le cas, c'est parce que l’État algérien est aujourd'hui comme hier autoritaire et entend le rester aussi longtemps que le système politique continue à exister.
« Coincée entre le pouvoir politique et celui de l’argent, les télévisions algériennes ont fait le deuil de leur liberté. L’immense promesse d’ouverture lors de leur lancement semble avoir été enterrée. C’est la course au sensationnalisme et à l’enrichissement qui détermine les règles du jeu. De nombreux citoyens algériens dressent amèrement ce constat. Après l’économie, c’est l’information qui tombe entre les mains des oligarques. Et ce processus ne fait que commencer, écrit Louise Dimitrakis. »

L. B.

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