Par Lyes Benyoussef
Le contrôle des
médias, de ce qui s’écrit et de ce qui se dit, est une caractéristique de tout autoritarisme à travers l’histoire — y compris l'algérien. Toutefois,
des journaux en Algérie, à la suite des évènements d’Octobre 1988 et de l’ouverture « sous
surveillance » consentie par le régime de Chadli Benjdid, ont pu maintenir
un minimum de liberté et constituer un espace critique à l’égard du pouvoir.
Après tout, celui-ci, avec une police politique redoutable car omnipotente,
pouvait censurer quand il le jugeait nécessaire. Et ce fut le cas de
nombreuses fois. Pour avoir été censuré par la police politique, nombre de journalistes
algériens en tirent fierté. Cependant, les journaux, dont le lectorat est
limité, notamment les plus critiques — tous francophones malheureusement —, ne
jouent pas le même rôle avec les masses populaires que la télévision.
50 ans sans télévision privée
Ainsi, les
bureaux d’Al-Jazeera sont toujours fermés à Alger. Pour avoir donné la parole à
des opposants qui osent — sans nier la responsabilité de groupes armés
islamistes ou autres — évoquer la responsabilité de généraux coupables d'abominables crimes contre l’humanité, la chaîne qatarie est diabolisée par les relais du
régime algérien longtemps avant le Printemps arabe et sa couverture jugée
partiale des soulèvements arabes.
Ainsi donc,
pendant un demi-siècle, une seule chaine de télévision existait, baptisé « l’Unique »
par la presse. Et « unique », elle l'était par sa langue
de bois, son populisme effréné, sa démagogie et l’auto-censure excessive de son
personnel médiocre. En effet, jamais le pouvoir n’imaginait laisser se développer des
chaines privées et quelques mois avant le Printemps arabes, le président
lui-même, fier et sûr de lui, l’affirmait haut et fort.
Le printemps arabe change la donne
Dans sa première
année à la présidence, Abdelaziz Bouteflika avait affirmé être le vrai ministre de l’information, le
rédacteur en chef de l’APS, etc. Dire l’obsession affichée de tout contrôler. Ce
que le Printemps arabe, si décrié par ailleurs, a permis de changé.
Dans la foulée
des bouleversements subséquents au Printemps arabe, des chaînes privées voient
le jour. Pour la première fois, les Algériens découvrent des journalistes de l’audiovisuel
capables d’autre chose que de répercuter l’humeur du régime.
Toutefois, il
semble que le pouvoir est en train de se rattraper.
Du pouvoir de la police politique au pouvoir de l’argent
Si le DRS est en restructuration et désormais complètement inféodé à l’armée et à la
présidence, c’est que le pouvoir entend user d’autres voies. Une après l’autre,
les chaînes de télévision privées sont en train d’être récupérées par des
milliardaires proches des factions du système.
Dans un article
publié par Monde Afrique, En Algérie, les milliardaires contrôlent l’information,
signé Louise Dimitrakis, on apprend, en effet, que les chaînes privées les plus
regardées d’Algérie sont en train d’être achetées par des milliardaires proches
du régime.
La seule chaîne
qui ne vit pas des difficultés financières est Ennahar TV, et pour cause. « Elle
est la télévision attitrée du clan présidentiel qui l’utilise pour faire passer
tous ses messages. Les caisses d’Ennahar TV sont toujours renflouées et pas
besoin d’un milliardaire pour la financer. »
Le temps des milliardaires
Les autres
chaînes, connaissant des difficultés financières, tombent l’une après l’autre
dans les mains des oligarques. Louise Dimitrakis écrit : «Tout commence à
l’été 2015 lorsque la vente de la chaîne de la télévision El-Djazaïria, l’une
des trois premières télévisions privées lancées en Algérie, à l’homme
d’affaires discret Ayoub Ould Zmrili impose le règne des oligarques sur le
petit écran algérien. Inconnu du grand public, ce richissime businessman qui a
fait fortune dans l’immobilier à Alger où il a vendu pendant des années des
appartements à prix d’or dans le quartier chic d’Alger, Hydra, a fait une
entrée fracassante dans le monde des médias algériens. (…) Il s’empare
d’El-Djazaïria à la suite d’une longue et harassante négociation avec Karim
Kardache et les deux autres anciens actionnaires de cette télévision qui a
révolutionné le paysage médiatique algérien à travers des émissions satiriques
très critiques comme Journane El Gosto ou El-Djazaïria Week-end. Au départ, les
premiers propriétaires demandent pas moins de 8 millions d’euros. Mais l’homme
d’affaires fait appel à des lobbyistes pour faire baisser le prix. À 4 millions
d’euros, le marché est conclu. El-Djazaïria change diamétralement de ligne
éditoriale et le nouveau propriétaire fait appel à Hamraoui Habib Chawki,
l’ancien patron de l’ENTV, et l’un des communicants d’Abdelaziz Bouteflika lors
de ces quatre dernières campagnes électorales. Divertissement et zèle
politique, El Djazaïria change de look et d’identité. Le pouvoir de l’argent a
pris le dessus sur l’indépendance éditoriale. »
Isaad Rebrab s’intéresse
à « la chaîne KBC, la télévision du groupe de presse El-Khabar (…). KBC pourrait encaisser prochainement un
chèque de l’équivalent de 5 millions d’euros de la part de Rebrab. Mais la
télévision d’El-Khabar risque de perdre énormément de son Indépendance. Et pour
cause, les intérêts économiques de l’empire
Rebrab en Algérie sont immenses et ses accointances avec les anciens
leaders du DRS risquent de peser sur les choix éditoriaux de KBC... »
« (...) L’autre puissant groupe médiatique
algérien qui possède deux chaînes de télévisions très regardées : Echorouk TV
et Echorouk News TV. Dirigé par Ali Fodil, ce groupe qui a prospéré grâce au
soutien indéfectible du DRS au temps du général Toufik connaît aujourd’hui des
difficultés structurelles qui menacent sa survie depuis la chute de ses revenus
publicitaires et le départ de plusieurs hauts gradés du DRS, ses principaux
soutiens. Pour sortir de l’ornière, Ali Fodil avait fait la danse du ventre à
l’homme d’affaires Ahmed Mazouz, un puissant oligarque très proche de Sellal et
du palais d’El-Mouradia. De la concession automobile jusqu’à
l’agro-alimentaire, Mazouz fait une percée remarquable dans le business ces
dernières années avec à la clé des projets très stratégiques. Mazouz
s’apprêtait à racheter 40 % des parts du groupe d’Echorouk. La transaction a
failli se conclure, mais un revirement à la dernière minute a gelé la décision
finale. Mazouz aurait exigé des concessions politiques importantes. Et Echorouk
qui a déjà adouci sa ligne éditoriale prend le temps de réfléchir. Mais Ali
Fodil n’a pas le choix et il le dit haut et fort à son entourage. »
« (…) Ali
Haddad impose aussi ses marques dans le paysage audiovisuel algérien. Ses deux
chaînes de télévision, Dzaïr TV et Dzaïr News TV, résistent à la crise financière,
s’équipent même d’un siège flambant neuf et améliorent sans cesse leur grille
de programmes. Toutefois, l’audience n’est pas au rendez-vous car la ligne
éditoriale très ‘‘servile’’ repousse les téléspectateurs. Seuls les programmes
sportifs et la diffusion des matches de football offre une certaine visibilité
aux deux chaînes de télé d’Ali Haddad… »
Contrôler l’information, une constante du système
Ainsi va l’Algérie. Louise Dimitrakis aborde les autres chaînes dans son article. Il s'agit donc d'une domestication des médias audiovisuels algériens, le contrôle de l'information étant une constante du système politique algérien.
Le mécanisme de cette domestication est fort simple : les revenus de ces chaînes dépendent des recettes publicitaires, lesquelles recettes dépendent de leur servilité puisque le secteur de la publicité est monopolisé par L’État. Être critique — en fait faire du journalisme professionnel — signifie recevoir moins de publicité et connaître des difficulté financières. À moins d'avoir un milliardaire pour propriétaire. Et comme les milliardaires sont proches du système... Les médias audiovisuels sont donc dans l'impossibilité d’être réellement indépendants. Si c'est le cas, c'est parce que l’État algérien est aujourd'hui comme hier autoritaire et entend le rester aussi longtemps que le système politique continue à exister.
Le mécanisme de cette domestication est fort simple : les revenus de ces chaînes dépendent des recettes publicitaires, lesquelles recettes dépendent de leur servilité puisque le secteur de la publicité est monopolisé par L’État. Être critique — en fait faire du journalisme professionnel — signifie recevoir moins de publicité et connaître des difficulté financières. À moins d'avoir un milliardaire pour propriétaire. Et comme les milliardaires sont proches du système... Les médias audiovisuels sont donc dans l'impossibilité d’être réellement indépendants. Si c'est le cas, c'est parce que l’État algérien est aujourd'hui comme hier autoritaire et entend le rester aussi longtemps que le système politique continue à exister.
« Coincée
entre le pouvoir politique et celui de l’argent, les télévisions algériennes
ont fait le deuil de leur liberté. L’immense promesse d’ouverture lors de leur
lancement semble avoir été enterrée. C’est la course au sensationnalisme et à l’enrichissement
qui détermine les règles du jeu. De nombreux citoyens algériens dressent
amèrement ce constat. Après l’économie, c’est l’information qui tombe entre les
mains des oligarques. Et ce processus ne fait que commencer, écrit Louise Dimitrakis. »
L. B.
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