Par le Pr Mohamed-Nadjib Nini
Des
pratiques pédagogiques que la déontologie ne peut que réprouver sont en train
de broyer, de briser les rêves et les efforts de nos enfants dans l’université
de la république livrée à l’incurie et à l’incompétence. Pourquoi
rien ne va plus dans nos universités ? Pourquoi les niveaux de formation ont
régressé au point que nos universités sont classées parmi les dernières du
monde et à tel point que dans certaines spécialités les choses sont telles que
bientôt en en arrivera par tout enseigner sauf la spécialité en question ?
J’ai
écrit à ce propos une contribution «Neverland. Les rêves insensés d’un universitaire»
(El Watan du 21 août 2007), contribution dans laquelle j’ai essayé d’attirer
vainement l’attention de nos décideurs sur les problèmes de notre université et
plus largement sur les problèmes du système éducatif algérien de manière
générale. Dans cette contribution, j’avais souligné l’impératif qu’il y a pour
une nation à former des élites performantes, des élites qui pourraient servir
de locomotive et tirer ce pays vers l’avant. J’ai écrit à ce propos : «Aucun
pays au monde ne peut fonctionner sans élites, les élites sont, en fait, comme
une locomotive, et si aucun train ne peut avancer sans locomotive, de même
aucun pays ne peut progresser sans ses élites. Il faut donc former des élites
performantes, il faut assurer la relève, parce qu’à l’allure où cela va, il n’y
aura bientôt plus de relève du tout».
Aujourd’hui,
cinq années plus tard, les choses en sont toujours au même point pour ne pas
dire qu’elles se sont aggravées, comme par exemple ces pratiques pédagogiques
insensées qui viennent encore une fois émailler le fonctionnement du
département de psychologie de l’UMC. Pratiques pédagogiques qui concernent la
manière dont les étudiants sont examinés lors des contrôles, mais aussi la
manière dont ils sont traités ou plutôt maltraités par certains enseignants
dans les amphithéâtres. On a l’impression que certains enseignants trouvent un
malin plaisir à tout faire pour que l’étudiant échoue. En effet, comment
expliquer le fait que l’on puisse poser à des étudiants, qui sont à peine en
deuxième année, des questions dont ils ne trouvent nulle réponse dans les cours
qui leur sont dispensés ? Un étudiant a besoin d’un support pédagogique pour
travailler, si ce n’est pas un cours magistral en amphithéâtre, c’est un
polycopié et même les deux à la fois, surtout en l’absence quasi totale de
documentation spécialisée. Il y a certes une bibliothèque centrale à
l’université de Constantine, il y en a une aussi au département de psychologie,
mais les ouvrages disponibles datent de Mathusalem quand ils ne sont pas en
mauvais état et quand les étudiants arrivent à les trouver.
Selon
toute apparence, il n’y a pas de politique cohérente en matière
d’approvisionnement de ces bibliothèques ou, s’il y en a une, elle est très mal
appliquée. La preuve : le vide sidéral qui caractérise les rayons de nos
bibliothèques. J’ai écrit à ce propos un article (Si l’Université m’était
contée ?), paru également dans le quotidien El-Watan du 15 février 2006, il y a
donc huit années de cela déjà. Dans cet article, j’avais pointé du doigt le
fait qu’aucune université digne de ce nom ne peut fonctionner sans ce smic qui
est l’accès à une documentation spécialisée et actualisée en permanence, qu’aucune
université au monde ne peut fonctionner sans l’ouverture sur les travaux et
recherches qui se font partout dans le monde et qu’on ne peut trouver que dans
des revues spécialisées. En l’absence de documentation, de ce smic, l’étudiant
a besoin d’un support pédagogique qui est le cours ou encore le polycopié. Les
contrôles et tous les examens de manière générale doivent donc porter sur un
contenu qui existe effectivement et même si l’enseignant ajoute des
explications lors de son cours, explications qui ne sont pas toutes forcément
écrites dans le polycopié ou dans le cours, ces explications doivent elles-mêmes
partir du contenu que les étudiants ont sous les yeux. Ainsi, quelle que soit
la manière dont le cours est fait, l’étudiant peut trouver tout ce que
l’enseignant transmet dans un support pédagogique qui lui servira pour préparer
ses examens. Il se trouve malheureusement que ce n’est pas toujours le cas.
En
effet, tout récemment, lors des derniers contrôles, dans certains modules, les
étudiants ont été examinés sur un contenu fantôme et énigmatique, un contenu
qui ne se trouve que dans la tête de l’enseignant et dont on ne trouve nulle
trace dans leur support pédagogique. Dans ce cas de figure, où l’enseignant ne
sait pas ce qu’il fait, ou il est incompétent ou encore il fait cela pour des
motifs qui obligent à faire des lectures autres et dans tous les cas de figure,
c’est la pédagogie et la déontologie qui en font les frais. Pour le cas de
figure qui nous intéresse ici, le pas est vite franchi pour arriver à la seule
conclusion qui s’impose : l’enseignant utilise des moyens pédagogiques qu’il
détourne de leur noble mission pour assouvir une vengeance. C’est comme s’il
avait voulu se venger des étudiants pour un crime de lèse-majesté. En effet, compte
tenu de ce qui est déjà arrivé il n’y a pas longtemps de cela au département, compte
tenu de certains propos qui ont été tenus par l’enseignant incriminé en amphithéâtre
devant tous les étudiants, les conclusions s’imposent d’elles-mêmes : l’enseignant
agit par vengeance, pour venger une collègue qui a eu un problème avec les
étudiants concernés et qui a été obligée de se désister de ses enseignements
devant la pression des étudiants.
En
effet, dans les jours qui ont immédiatement suivi cet incident, l’enseignant en
question a publiquement et ouvertement menacé les étudiants qu’ils allaient le
payer chèrement. D’autres propos confirment cet esprit de vengeance, comme
cette menace à peine voilée dans laquelle cet enseignant a utilisé l’expression
suivante qui dit à peu près ceci : «Je suis une chaouie et vous allez voir
comment je vais tresser mes sourcils pour vous montrer». Sans compter toutes
les autres vexations auxquelles sont soumis les étudiants, comme le fait d’être
traités de débiles et j’en passe. Est-ce là la mission d’un enseignant ? Venir
proférer des menaces, intimider et rabaisser l’étudiant ? Est-ce pour cela que
la nation dont il est le serviteur et le représentant le paye ? Par ailleurs, et
à l’encontre de toute orthodoxie pédagogique, cet enseignant est en charge de
trois modules dans le même semestre, ce qui lui donne carrément droit de vie et
de mort sur toute une promotion. En effet, rater trois modules essentiels dans
un semestre équivaut à rater ce semestre et par conséquent l’année et compte
tenu de la manière dont cet enseignant examine les étudiants, rares seront ceux
qui réussiront. Bref, on a l’impression de ne plus être dans une université où
la pédagogie est souveraine et où règnent la sérénité et la sagesse du savoir.
Pire
encore, le département de psychologie, qui est censé former de futurs
spécialistes dans la relation d’aide, est en train de former de futurs malades
mentaux à cause de la pression exercée sur les étudiants et du terrorisme moral
qui y règne par la faute d’une poignée d’enseignants qui se reconnaîtront et
cela au vu et au su d’une administration pour qui l’efficacité pédagogique est
loin d’être la priorité, mais la soumission de l’étudiant quel qu’en soit le
prix à payer. Il faut que les apparences restent sauves, il faut faire croire
que tout va bien au moment où les étudiants vivent dans une terreur permanente,
maltraités, déconsidérés et qu’ils n’osent plus rien entreprendre, ni
manifester leur désarroi par peur que l’on se venge sur eux. La preuve que seul
compte pour l’administration le statu quo, ce sont les conditions dans
lesquelles s’est déroulé le troisième contrôle avec cette enseignante. Les
choses se sont passées le mardi 5. Très tôt le matin de cette journée, c’était
le branle-bas de combat au département, le vice-doyen chargé de la pédagogie
s’est déplacé personnellement pour superviser le bon déroulement des choses, alors
même qu’il savait que les étudiants allaient refuser de rentrer à ce contrôle. Malgré
cela, le contrôle a été maintenu et l’administration du département, soutenue
par le vice-doyen, a tout fait pour qu’il ait lieu, mais il n’a pas eu lieu. Les
étudiants, malgré la pression exercée sur eux, ont maintenu leur position et
ont été au bout de leur conviction : pas de contrôle avec cette dame. J’étais
présent et j’ai essayé de raisonner monsieur le vice-doyen que cela était anti-pédagogique
de laisser faire ce contrôle dans ces conditions, dans cette atmosphère et
qu’il était plus sage, non pas de l’annuler, mais de le reporter pour laisser
le temps aux esprits de se calmer, pour laisser le temps aux étudiants de se
reposer et de se reprendre. Entre-temps, on aurait pu, sereinement, discuter des
meilleurs moyens d’organiser ce maudit contrôle dans le cadre de l’équipe de
formation élargie à quelques enseignants reconnus pour leur probité et leur
sagesse. Je suis sûr que c’est là la voie de la raison et de la sagesse, que
c’est là le seul comportement responsable à adopter en pareille situation pour
calmer les esprits. Malheureusement, l’aveuglement et la surdité des
responsables à mener au clash et à l’affrontement avec les étudiants. Et, au
lieu que l’initiative reste à l’administration, ce sont les étudiants qui l’ont
prise à sa place en annulant de fait ce contrôle qui ne peut-être validé avec
seulement sept étudiants sur 55. Est-ce
là un comportement responsable : pousser les étudiants dans leurs derniers
retranchements en leur faisant entendre par cette attitude qu’on ne les écoute
pas ? Est-ce là un comportement responsable que d’organiser un contrôle coûte
que coûte et quoi qu’il arrive ? Je laisse le lecteur seul juge. Pour conclure,
et au vu de tout ce qui vient de se passer dans ce département, au vu de ce
manque flagrant de discernement, au vu de toutes ces dérives auxquelles sont
confrontés nos enfants dans l’université de la république, je ne peux que me
poser la question suivante : est-ce pour cela que nous envoyons nos enfants à
l’université ? Pour les livrer à cette incurie érigée en mode de gestion
pédagogique ? Pour apprendre à avoir peur et à vivre dans la terreur tout en
ayant conscience que leur avenir est définitivement hypothéqué. Les étudiants
vivent dans un stress permanent qui ne laisse nullement place à
l’épanouissement de leurs compétences. Avec certains enseignants, chaque fois
que vient un examen, ils sont morts de trouille et ce ne sont sûrement pas
leurs compétences qui sont en cause. La majorité des étudiants se tue au
travail et passe des nuits blanches à préparer ses examens.
La
faute de l’échec incombe en grande partie à des pratiques pédagogiques qui
terrorisent l’étudiant. Comment voulez-vous que la réussite soit au rendez-vous
dans de telles conditions ? Je comprends mieux aujourd’hui pourquoi certains
jeunes puissent être amenés à s’immoler par le feu ou encore tenter coûte que
coûte à fuir ce pays en tentant la harga au péril de leur vie. Devant
l’obturation de toutes leurs perspectives, impuissants et désarmés, ils ne
peuvent que réagir par ces conduites de tous les risques. Je comprends mieux
aussi pourquoi des cadres bien placés, biens rémunérés, préfèrent émigrer au
Canada comme bon nombre de collègues universitaires ou encore tout récemment ce
directeur de banque qui vient de partir pour ce pays avec armes et bagages. Quand
je lui ai demandé pourquoi à son âge (la quarantaine passée) il se remettait
ainsi en question, il m’a répondu : «c’est pour mes enfants. Pour qu’ils
grandissent dans un pays normal, parmi des gens normaux. Pour qu’ils puissent
aller dans une école normale, un collège normal et une université normale, quitte
à ce que je me transforme là-bas en vendeur de légumes.»
Pr Mohamed-Nadjib Nini
In El Watan 2012-06-09
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