Par Farid Chaoui
L’Algérie, à la veille du cinquantième anniversaire de son indépendance, s’apprête à organiser un nouveau rendez-vous électoral. Cet événement va s’imposer au moment où notre pays fait face à des défis internes et externes majeurs, qui menacent son avenir et son unité.
Défis internes caractérisés par une situation sociale explosive et un climat politique fait d’incertitudes, de confusion et dominé par des luttes de pouvoir au sommet de l’Etat. Cette situation n’est pas nouvelle et s’explique par la fuite en avant qui caractérise la politique de notre pays, particulièrement depuis la guerre civile qui a dévasté économiquement, socialement et surtout moralement l’Algérie et sa population.
Face à la montée des périls, les gouvernements qui se sont succédé depuis 20 ans, ont privilégié une politique répressive, en particulier en procédant à la fermeture de tous les espaces de négociation sociale et politique. Or ces espaces d’intermédiation sont indispensables à la résolution pacifique des conflits qui agitent la société, leur verrouillage a entraîné une montée inquiétante de la violence sous toutes ses formes, perçue par les citoyens comme l’ultime voie d’accès à leurs droits, particulièrement chez les jeunes. Surpris par cette montée de la violence, au lieu d’en rechercher et d’en traiter les racines, le pouvoir réagit par une distribution insensée de la rente, achetant ainsi une paix sociale précaire et éphémère et disqualifiant par la même les valeurs de l’effort, du savoir et du travail comme seules voies d’accès à la richesse. La situation interne de notre pays est grave, les dérives politiques et les grandes frustrations sociales menacent la cohésion sociale et disqualifient le discours politique ouvrant la voie à la démagogie, à la surenchère politicienne et à l’exploitation éhontée de nos valeurs civilationnelles de base : langue, religion, histoire…
A cette situation interne délétère, s’ajoute l’énorme poids de la pression économique et politique internationale : sur le plan régional, les bouleversements politiques, pacifiques ou violents, libres ou imposés, qui se produisent à nos frontières ainsi que la situation explosive dans le Sahel, constituent un vrai défi à la stabilité et la sécurité de notre pays et menacent son intégrité territoriale.
Au niveau international, la financiarisation de l’économie et la crise économique mondiale qui en a résulté, la nouvelle bi-polarisation mondiale qui s’impose avec la montée des empires américain et asiatique, la profonde récession de l’Europe.
Les luttes implacables que se livrent ces nouveaux empires pour le contrôle des richesses et des marchés mondiaux, constituent un défi majeur à l’avenir de notre pays et à la prospérité des générations futures. L’Algérie a besoin de nouvelles institutions politiques, fortes, stables et compétentes en un mot : LEGITIMES, car seules des institutions légitimées par un suffrage populaire honnête et transparent et soumises au contrôle du peuple, pourraient affronter ces défis majeurs internes et internationaux auxquels la Nation Algérienne est soumise.
Fortes de la confiance et du soutien conférés librement et en toute connaissance de cause par la majorité des algériens, ces institutions auront toute la force et la légitimité pour défendre nos droits et intérêts au niveau interne et international. Le processus électoral en lui-même n’est qu’un outil au service de la construction démocratique. L’histoire a montré qu’il peut être dévoyé de son but, car c’est au nom « d’élections libres et honnêtes » que de nombreuses dictatures de par le monde se sont imposées à leur peuples, avec, souvent, l’assentiment des grandes puissances mondiales et la bénédiction «d’observateurs internationaux».
L’éveil inattendu des pays arabes aux «élections libres et démocratiques» s’est produit sous la pression de la rue, occupée par des citoyens en colère, réclamant plus de droits et de justice ! De ce brusque saut dans les balbutiements d’une gestion démocratique de nos sociétés, imposée aux pouvoirs autoritaires en place, Il découle une constatation fondamentale, un défi politique majeur pour ceux qui ont en charge la transition politique : il ne s’agit pas seulement d’organiser des élections, ça c’est facile, mais surtout de réfléchir à comment transformer ces manifestations de citoyens non organisés en une force de proposition politique forte et constructive ? Vouloir ignorer cette dimension essentielle du problème, en se satisfaisant de convoquer des états-majors politiques sans ancrage dans la société pour satisfaire à des élections formelles, c’est aller encore une fois à l’échec !
Nous ne sommes plus en face d’un simple renouvellement du personnel ou d’institutions politiques. L’attente des citoyens, particulièrement des plus jeunes, se situe bien en amont de cette préoccupation : ils réclament d’abord une écoute, un débat politique qui les éclairerait sur le présent et fixerait les règles de gestion de leur avenir. L’élection n’aurait de sens qu’une fois cette étape dépassée. Or la dépolitisation de la société a fini par décrédibiliser le discours politique et rendu plus audible les arguments d’ordre moral et trop souvent démagogique.
Dans ce climat délétère comment parvenir à conscientiser les citoyens pour rétablir le dialogue et la confiance entre les citoyens eux-mêmes et entre les citoyens et les institutions politiques ? Comment, encore une fois, transformer cette puissance contestataire désordonnée en une force de proposition qui s’exprimerait librement dans un cadre politique organisé ?
Telle est, à notre sens, le défi majeur que les pays arabes en général et l’Algérie en particulier affrontent en cette phase d’une extrême fragilité qui peut soit les faire basculer durablement dans un processus de construction démocratique, soit le replonger dans le violence et l’instabilité politique. Associer l’ensemble des forces vives de notre pays pour relever ce défi est un impératif, sûrement un pré-requit au lancement d’un processus électoral qui prendrait tout son sens et permettrait l’expression libre et en toute connaissance de cause de l’ensemble des citoyens.
Cette action pourrait se concrétiser sous forme d’une conférence nationale, réunissant les représentants des partis politiques, des syndicats, de l’armée et des organisations de jeunes, de femmes, de chômeurs… qui devra déboucher sur un accord, une charte, une feuille de route pour une sortie de crise consensuelle et pacifique. Cette instance désignera un gouvernement de transition, constitué de personnalités neutres, chargés de la mise en place de toutes les conditions d’une élection libre, en particulier en garantissant l’impartialité de l’administration, l’indépendance de la justice et l’ouverture des médias au débat politique. Ainsi, nous parviendrons à mobiliser les algériens et particulièrement les jeunes en permettant une large information sur le sens même d’une gestion démocratique d’une société, de ses valeurs, des espoirs qu’elle peut faire naître comme des effets pervers qui peuvent la dévier de son but.
Il faut rétablir l’espoir à travers la réhabilitation du politique et le discrédit des discours populistes, démagogiques et faussement moralisateurs. Il faut permettre à tous l’accès à une information claire, pédagogique, sur les vrais enjeux et défis qui attendent les générations futures et laisser ensuite chacun s’exprimer librement mais en toute connaissance de cause ! Nous sommes persuadés que notre pays recèle toutes les ressources nécessaires à la réussite d’une telle démarche, pour peu qu’une volonté politique sincère en soit exprimée par tous les acteurs politiques concernés, en particulier par le tenants actuels du pouvoir.
In le site de l’hebdomadaire La Nation http://www.lanation.info/
Professeur Farid Chaoui
Repris par El Watan 09 avril 2012
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