Par
Lyes Akram
Les
résultats des élections en Egypte, après celles de Tunisie, confirment ce que
nous savons déjà depuis plusieurs années (depuis 1989 en Algérie), à savoir que
la gauche dans le monde arabe (la grande et disparate famille) n’a carrément
pas d’existence «sur le terrain» : elle n’a point de valeur chez les
populations, pas de crédibilité et le visible pullulement de mosquées avec ce
discours religieux toujours somnifère n’est assurément pas le seul élément qui
a entraîné la chute de la gauche, ni même le plus important – ce que je vais tenter de démontrer dans cet article. Tragique, ce
déclin aura en définitive des conséquences pénibles.
Ainsi
donc, il parait qu’actuellement dans le monde arabe, la scène politique est
partagée entre deux acteurs aussi empestant à mes yeux l’un que l’autre :
le libéralisme sauvage et l’islamisme, qui est aussi libéral (en économie) et sauvage. Tous
deux sont, il va sans dire, des menaces sur la démocratie réelle à long terme (et
je n’appelle nullement ici «l’armée» – dont les chefs n’ont rien à faire avec
la gauche – au secours mais plutôt les «intellectuels» intègres que je qualifie
de «citoyens», lorsqu’ils existent, à tirer des leçons notamment ceux qui ne
trouvent pas amusant de répéter les mêmes erreurs indéfiniment ou de sacrifiant
des dizaines de milliers de vies humaines vainement, ce qui n’est pas le cas de
beaucoup de journalistes algériens francophones). Et tous deux, libéralisme et
islamisme, ne sont pas si hétérogènes et l’un comme l’autre sont scindés
en deux courants intimement proches : droite (populiste) et
extrême-droite !
Quel «islamisme de gauche» ?
D’emblée,
il convient d’apporter une précision qui me parait nécessaire après une
confusion (majeure) que j’ai eu à constater chez des internautes Algériens. Assimiler
les «activités caritatives» des islamistes, salafistes confondus (à l’évidence en
vue de rétributions divines, ce qui n’a rien d’anormal mais aussi rien de
«social»), à je ne sais quelle caractéristique de gauche, et jacter que
«‘‘certaines’’ islamistes sont de gauche sans le savoir», relève surtout de
l’ingénuité, dont le prix à payer, l’heure venue, serait des plus graves puisque
certains engrenages sont irréversibles. Avec des responsables milliardaires
puisque membres de la bourgeoisie compradore (et même intérieure), les
islamistes sont naturellement (et ils ne le cachent pas) anti-gauche, laquelle
gauche (le spectre gauche entier !) est regardée par les islamistes, tous
les courants (Frères, Wahhabites, Salafistes, Djazaristes…), comme une «déviance»
qui plus est qualifiée d’«athéiste» ou d’«hérétique», puisque le Coran
contiendrait tout, y compris et en premier lieu un système économique complet
qui ne nécessiterait aucun ajout et ne demanderait que d’être appliqué afin que
règne le bonheur, système dit «économie islamique». Et, souvent, ceux parmi les
intellectuels musulmans qui se disent de gauche sont proclamés directement, selon le
vocabulaire du «mufti» : apostats (murted), impies (kafir), hérétiques
(zindik) ou autres qualificatifs leur ôtant leur islamité et rendant du coup
leur «sang licite» (ici je déplore exclusivement l’«excommunication» des vrais hommes
de gauche et non des obsédés sexuels qui se disent de gauche malgré que
l’économie leur est inintelligible au vu de leur déchéance mentale). Aussi, l’histoire
nous montre-t-elle même qu’ils n’ont pas hésité à tisser des liens avec
l’étranger (haute trahison), la
CIA précisément dans le cas égyptien, pour détruite une
gauche (timide malgré qu’elle eût gagné les cœurs et les esprits des peuples),
et Nasser d’Egypte (gauche nationaliste), particulièrement avant l’«Infitah» (politique d’ouverture,
entendre vers la droite) amorcée des suites de la sévère et humiliante défaite
militaire de 1967 contre le sionisme-impérialisme.
L’erreur
de croire que la différence entre l’islamisme et le libéralisme est perceptible
trouve son origine dans le discours ressassé par les islamistes où ils
dénoncent le libéralisme qualifié d’occidental (ellibiralia el-gharbya). Ce
libéralisme serait, selon Sayyid Qutb, Al-Shaarawy, Mustapha Mahmoud, Al-Ghazali,
Al-Qaradhaoui et autres penseurs allant du modéré au radical dont ceux des
Frères musulmans, dégénérescent à cause de… la laïcité, laquelle serait
l’unique source de tous les «maux». Dans les discours islamistes, les «maux»,
ce ne sont pas la faim et l’ignorance, la corruption et le népotisme, eux ne
voient guère la montée des inégalités en Occident, pourtant visible plus que
jamais, mais plutôt la promiscuité sexuelle (el-ikhtilat el-djensssi),
l’homosexualité (echoudhoudh el-djenssi, qu’ils adorent rappeler à chaque
petite ou grande occasion surtout en évoquant sa version «légale» du pacs,
notamment entre hommes, pour des raison évidentes), les mères célibataires
qualifiées de prostituées (’ahirates) et tout ce qui concerne la sexualité. En somme, une
dénonciation centrée sur la verge et le vagin !
En
outre, pour les islamistes, les raisons de l’actuelle situation grave dans le
monde arabes est… la gauche ! Le fort connu islamiste Mustapha Mahmoud,
par exemple, dans son livre El-islam essayassi wa el-ma’raka el-kadima
(littéralement : L’Islam politique et la prochaine bataille) attribue à
Nasser tous les désastres (d’une manière simple et pitoyable, dans un chapitre
de deux pages, 106 et 107, où le «penseur», «auquel Dieu a donné de la science»
- a’tahou allahou ’ilmane, comme le veut la présentation islamiste – écrit que Nasser n’est pas démocrate et est
responsable de et de…etc.)
Dans
les débats sur l’islamisme, on parle souvent de modéré et radical. Certains
refusent cette distinction. Je soutiens pour ma part que c’est selon le
critère : lorsque on parle de la religion ou la religiosité, il y a réellement des
modérés et des radicaux (ce serait une erreur grave de l'ignorer) ; et quand c’est l’économie le critère, point de
différence alors entre tous les islamismes. Tous libéraux et anti-gauche. Sur
Ennahdha en Tunisie, qui est véritablement modéré, je soutiens que ce qui se
passe actuellement est le moins grave pour ce pays. Bien que certains
journalistes algériens séniles et quasi-grabataires, qui refusent de prendre
leur retraite, et, conformément à leur carrière, nous «récrivent» des
éditoriales parisiens, comme celui du donneur de leçons Jean Daniel,
souhaitent que l’armée tunisienne aurait «arrêté le processus électorale». Ce
sont les mêmes journalistes qui ont appelé l’ANP algérienne à «intervenir», laquelle armée a terni ainsi ce qui lui était resté de réputation.
Aujourd’hui leur lâcheté, pusillanimité est démontrée par la Tunisie voisine. En effet,
la situation algérienne est telle que Sid-Ahmed Ghozali alors Premier ministre
affirme qu’il n’aurait pas empêché le déroulement du deuxième tour des
élections législatives de 1991, s’il savait que l’Algérie se dirigeait ainsi
vers l’impasse actuelle (nous savons néanmoins que la décision n’a pas été
prise par sa personne, mais seulement endossée) ; tandis qu’eux
réaffirment que l’armée a sauvé le pays ! Je ne sais combien de mort
aura-t-il fallu pour admettre le caractère suicidaire du choix des généraux,
mais cela est un autre sujet…
Ennahdha
(je le qualifie de «modéré» sur ses positions sur la religion, dans la mesure
où il reste islamiste, et non pas celles économiques) n’a pas tardé
avant d’affirmer son adhésion sans réserve à l’économie de marché
financiarisée. On sait même, comme l’a rapporté le journal libanais El-Akhbar, que
des contacts ont eu lieu durant l’ère de Ben Ali entre des subalternes de
Rached Ghannouchi et des diplomates américains dans l’ambassade des Etats-Unis.
Ces véritables réunions avaient pour objectif de rassurer les Etats-Unis que
Ennahdha (et éventuellement ses avatars dans la région) «sont la solution», «grâce»
à leur appartenance au libéralisme économique et à la démocratie formelle, tous
deux à l’occidentale. Or, ils sont présentement en crise, ainsi que
l’illustrent parfaitement les Etats-Unis.
Donc
vouloir rapprocher les islamistes de la gauche est pour le moins irrationnel.
Cela
dit, il faut réfléchir sur les causes et les conséquences de l’indéniable
déclin de la gauche dans le monde arabe avec le plus d’objectivité et de
rationalité possibles puisque l’objectif est de parvenir à une critique
constructive, ce qui est l’objet de cet article.
D’abord,
déclin est le mot qu’il convient et non pas «échec», car la gauche était très
enracinée dans le monde arabe, en Algérie, par exemple, immédiatement après
1962, mais elle n’a jamais réussi à parachever aucun accomplissement, n’ayant
jamais eu le monopole du pouvoir. Il ne faut pas l’oublier, des hommes de
gauche comme Nasser et Boumediene (bien que celui-ci et sa politique criminelle
sont l’origine de l’actuelle situation tragique de l’Algérie qui risque
d’ébranler en définitive la fragile nation et l’Etat défaillant, voire d’annihiler
celui-ci entièrement) étaient adulés par les populations (comme le montre leurs
funérailles respectives), quand bien même leur «progressisme» était très mitigé
et tous deux (Nasser et Boumediene) ont fait de graves concessions à
l’islamisme réactionnaire et n’ont pas hésiter à recourir à des mesures
extrêmes à l’encontre de la vrai gauche et d’utiliser les islamistes pour
éliminer l’opposition notamment communiste, même que celle-ci, considérée comme
«contrenature» par certains «médecins socioculturels», ne fut jamais
majoritaire parmi la gauche.
La gauche, seule contre tous...
a-/ Facteurs extérieurs du déclin :
Il
me semble que l’Occident a sa part dans les raisons du déclin de la gauche dans
le monde arabe. Deux facteurs de taille émergent, si l’on analyse
minutieusement la situation (le lecteur est en mesure, pour plus de détails sur
l’offensive impérialiste étatsunienne, de consulter les écrits de Noam Chomsky,
certains étant disponibles sur la
Toile).
Pour
commencer, il faut se rappeler que seule la gauche a fait face au sauvage et
destructeur impérialisme étatsunien depuis 1945. L’histoire, notamment après la
décomposition de l’URSS (1990), confirme que, pour les Etats-Unis, les ennemis,
c’étaient les régimes dits nationalistes radicaux, autrement dit ceux dont le
nationalisme arrive à laisser son empreinte dans l’économie (d’où son
«radicalisme» vu par Washington), donc, ceux qui, au sud, travaillaient pour l’autarcie
totale et réelle et un développement qui n’aurait pu être perçu que concurrentiel
par Washington et ses valets d’Europe et autres chiens de chasses Arabes Moyen-Orientaux
(les «nationalistes» pour qui était prioritaire de sortir de la dépendance dans
le domaine de l’industrie…) et non pour un pitoyable développement «complémentaire»
qui est, le plus souvent sous les directives du FMI et de la Banque Mondiale, synonyme de
privatiser l’Etat, ou précisément le compradoriser, conduit à la défaillance de
celui-ci.
Rappelant
que la juste et judicieuse nationalisation du Canal de Suez a entrainé la lâche
agression tripartite (franco-britannique et israélienne) sur l’Egypte
nassérienne (précisant qu’à partir de cette guerre l’impérialisme sera
exclusivement sous l’égide des Etats-Unis qui confient des rôles aux autres
puissances dites moyennes comme la
France). Ainsi, on peut résumer ce constat en une
phrase : l’ennemi juré de l’impérialisme, aujourd’hui étatsunien, est le
nationalisme économique. Seules donc les régimes (partiellement) de gauche,
qui, en donnant à l’Etat son rôle naturelle, menacèrent l’hégémonie des Etats-Unis
puisque ceux-ci ont confié à la région du Moyen-Orient le seul rôle de
pourvoyeur en ressources et toute velléité d’indépendance nécessiterait une
«guerre préventive» afin de détruire totalement le pays concerné. Et les
prétextes, hélas, sont légion !
Nos
islamistes et nos ultralibéraux, tous deux fous amoureux du capitalisme
financier, actuellement en crise grave, laquelle n’annoncent pas encore sa fin (et
va vraisemblablement ébranler l’euro), sont tous deux très convenables aux
plans étatsuniens pour la région et pour le monde. En prenant cela en
considération, il faut ajouter que la gauche n’a jamais était seule au pouvoir
en aucun pays arabe. En Irak sous Saddam (il parait si lointain cet «âge» !)
et avant, en Algérie sous Boumediene, en Egypte Nassérienne et dans le reste du
monde arabe, tous les régimes ont interdit l’organisation du peuple par
lui-même (la démocratie, quoi !) par exemple en satellisant les syndicats
et en nommant les responsables d’en haut instaurant du coup le népotisme et le
clientélisme (devenus de véritables virus actuellement), dont certains, comme
en Algérie, avait dans leurs actifs un passé réellement honorable (à coté de
cela, songer à la servilité de l’UGTA d’aujourd’hui…). C’est donc mal-équipée
et très affaiblie que la gauche arabe a fait face, seule, aux coups tordus de «l’hyperpuissance»
américaine et à ceux de ces délégués locaux, ultralibéraux et islamistes, dont
la synergie n’était que frappante (un général algérien, mercantiliste comme ses
pairs, avait proposait en 1986 la proclamation d’un Etat islamique en Algérie !).
Autre
facteur du déclin et non des moindres : ce n’est certainement pas du
hasard si le déclin de la gauche du monde arabe coïncide avec celui de la
gauche en Europe, laquelle est en conversion malheureuse. A rebours des régimes
et mouvements de droite qui, à cause de leur crispation et fixation
pathologique (véritable «idée fixe») sur la thématique de l’identité (il suffit
de regarder les débats dans l’actuelle Europe), arrivent à construire le plus
souvent des gouvernements et parlements (et donc des Etats) antagonistes les
uns aux autres, les mouvements de gauche, parce qu’à vocation universaliste,
notamment les radicaux (internationalistes), s’influencent les uns les autres.
Ainsi donc, la conversion de la gauche européenne du porte-parole des classes
ouvrières et des classes moyennes, le peuple en général, à celui des
homosexuels, transsexuels et autres individus ultra-minoritaires désirant
expérimenter les limites de leur sexualité ou je ne sais quoi, c’est-à-dire la
conversion de la gauche du porte-parole du peuple à celui d’une infime partie
de la population, ne peut qu’avoir des retombées funestes sur la gauche au sud
en dépit de sa diversité. Si la gauche ne tient pas dans le monde développé,
personne ne croirait à ses capacités dans le monde arabe, qui, lui, vit une
crise multidimensionnelle existentielle qui pourrait ruiner ce qui reste de
sain dans cette partie du monde. Il faudrait aussi dire que l’opinion des
peuples du nord compte (par exemple lorsque les impérialistes décident de mener
des «guerres préventives») et, lorsque la gauche vit la situation actuelle,
c’est tous les peuples du nord qui sont aisément «domestiqués» par les médias
qui, on le sait, ne servent qu’à la «fabrication de l’opinion»…
Aussi
est-il curieux que l’actuelle crise du capitalisme financier, malgré sa
gravité, n’arrive pas à susciter de par ces mouvements et partis de gauche des
pourfendeurs qui ne se résument pas à des phénomènes sonores, comme c’est le
cas du gauchisme en France. Cela concerne aussi le sud. Les Algériens doivent
se remémorer quand est-ce que ils ont entendu un parti de gauche (puisque c’est
le seul qui compte à mes yeux et est respecté, le FFS – le S dans le sigle est
pour «Socialistes») parler d’économie – ceci dit, il est vrai que le régime
algérien, compte tenu de ses multiples erreurs, crimes, de son incompétence
manifeste et de son illégitimité criarde, simplifie bien la tache à «l’opposition»
qui pourrait éviter ainsi les questions difficiles dont la maitrise
nécessiterait des efforts intellectuels importants, mais qui sont on ne peut
plus essentielles ; celles de l’économie politique…
Bref,
une question s’impose : Pourquoi les partis politiques esquivent le débat
sur l’économie dans le monde arabe (et ailleurs) ? Une chose semble sûre ;
depuis la chute et la décomposition de l’Union Soviétique (hier l’ennemi
«rhétorique» des Etats-Unis, selon la qualification de Noam Chomsky), attaquer
le système économique mondialisé ou le capitalisme financier, ne serait-ce que
pour rappeler aux oublieux que tout l’Occident était heureux, ou semblait tel,
durant l’époque considérée comme l’âge d’or du capitalisme (les trois premières
décennies de l’Après-guerre), celle où le capitalisme dit «d’Etat» fut le
maitre, devient une audace que très peu d’intellectuels osent. Et parler de
socialisme dans ce contexte relèverait ainsi de la caricature…
b-/ Facteurs intérieurs du déclin :
A
ces facteurs hors du contrôle des Arabes s’ajoutent d’autres autrement plus
importants car relevant de l’intérieur, résultat de la mauvaise gouvernance (ou
de la non-gouvernance), et qui n’était pas inévitables. Limitons-nous à deux
cas, les plus importants dans le monde arabe et qui sont aussi généralisables,
l’Egypte et l’Algérie, dont la ressemblance est certes frappante – ce qui
confère de l’importance, dans l’analyse correcte, à l’offensive impérialiste
dont j’ai esquissé brièvement quelques traits ci-haut…
Après
le coup du colonel Nasser en Egypte et l’indépendance puis le putsch du colonel
Boumediene en Algérie, on s’est attendu à des régimes socialises nationalistes
radicaux. Et c’est ce que laisse croire
à ce jour les discours politiciens des valets des tenants du pouvoir et les
écrits nauséabonds des historiens de service, notamment arabophones (je dois
dire que signaler cela ne vise point à discréditer l’usage de la langue
arabe : ce n’est qu’un constat confirmé par les faits et la langue arabe
elle-même est indéniablement l’une des plus malheureuses victimes, en Algérie,
du régime), dans les deux pays. La réalité est que ces régimes, un peu
progressistes sans jamais être socialistes, n’ont jamais osé procéder à des
réformes radicales (aussi bien dans le domaine agraire que dans les autres
domaines, importants, comme l’éducation) qui auraient pu sonner le glas de
l’archaïsme, la féodalité et tout ce qui est réactionnaire dans les sociétés
arabes. Outre l’étatisation de la religion (derrière laquelle ne repose nulle
conviction en Algérie, c’était une mesure démagogique, qui s’est révélée
funeste, en réaction à la volonté d’avoir un statu autonome par l’association des
Ulémas dès 1963 alors qu’en Egypte c’était après la mort de Nasser et le retour des Frères de leur exil saoudien sous l'initiative de Sadat et de la CIA), les
régimes ont cédé (notamment après la mort de Nasser tandis qu’en Algérie dès
1963 !) l’éducation, l’administration, la justice et, ensuite, les médias,
aux islamistes ultraréactionnaires! Sans doute, ne pensaient-ils qu’à l’avenir
immédiat et ainsi ont-ils préparé leurs propres adversaires dont un certain nombre
partageait avec eux le populisme. Avec la bureaucratie étouffante, et, surtout,
l’installation de la corruption très tôt et son effloraison après la mort de Nasser
en Egypte et celle du colonel Boumediene en Algérie, sa banalisation
aujourd’hui, et les multiples échecs, lesquels échecs sont le résultat
fatidique de cette irrationnelle et macabre tentative de faire coexister des
réactionnaires de droite et d’extrême droite (au milieu des années 1970,
témoigne Rachid Boudjedra dans son livre FIS de la Haine, le ministre de «l’orientation»
– le «socialisme» donc selon le discours officiel – du colonel Boumediene, le nommé
Chérif Belkacem, s’était écrié dans une fête, soulé et entouré de prostituées de
luxe, qu’«il n’y a que le capitalisme qui compte !» et que «le socialisme,
c’est des balivernes !» - incompétence, décrépitude et
dégénérescence !) avec des progressistes de gauche dans un même régime,
laquelle est doublée par l’élimination des élites, le plus souvent de gauche
radicale, ont discrédité outre mesure le socialisme dont se réclamaient ces
régimes aux yeux des peuples…
L’Algérie
à la dérive en Octobre 1988, c’était pour les Algériens l’échec du socialisme
et de la gauche. Voter «massivement» pour le FIS (parti hétérogène dont les
membres allait des élitistes Djazaristes et jusqu’aux djihadistes rétrogrades
qualifiés d’«afghans» puisque les Algériens ne se sont jamais identifiés à eux),
c’est-à-dire la droite populiste et l’extrême-droite dans leur teint islamiste,
était, certes, un vote-sanction (environs du tiers des Algériens inscrits ont
voté pour le FIS). Et c’est ce qui s’est passé dernièrement en Egypte.
Autre
élément qui mérite d’être mentionner. Avec le temps, parait-il, la gauche
elle-même, à travers les hommes qui l’incarnaient, s’est trahie. Et aux yeux
des peuples, les idées de gauche ne sont pas vraiment autonomes et ils ont la
valeur des hommes qui les incarnent, qui
disent les incarner. Ainsi a-t-on vu des hommes se disant de gauche mais menant
ouvertement une vie de bourgeois. C’est le cas de ceux, plus connus comme
certains romanciers médiocres qui nous parlent de la gauche et même du marxiste
(qui, dans leur langue n’est que son ersatz, puisque eux n’ont pas les
capacités intellectuelles de comprendre – sans faire ici l’éloge du marxisme)
avec cet accoutrement de gens richissimes. Ces romanciers qui nous parlent de
dévoilement de la femme et de tolérance religieuse au nom de la gauche et rien
de plus. L’actuel libéralisme qui leur permet de s’enrichir en se
compradorisant n’est, quant à lui, même pas effleuré. Il est vrai que l’homme
peut se pose certaines question, par exemple, pourquoi est-ce qu’un écrivain de
gauche, qui identifie sa trajectoire intellectuelle et l’évolution de sa
société, utilise du papier de haute qualité pour imprimer ses livres, lesquels
deviennent ainsi inaccessibles aux classes populaires que ces écrivains
prétendent défendre ? Je me souviens d’avoir lu une sorte de mea-culpa
d’un romancier qui lui n’est pas médiocre (très probablement le plus grand
romancier Algérien vivant, Rachid Boudjedra, qui tient à rappeler toujours son
communisme) lorsqu’il constata le rapport entre le prix de ses romans et le
salaire minimal en Algérie. « Moi, j'ai honte de vendre un roman à 1 500
dinars algériens, quand le Smic est de 8000 dinars », a-t-il écrit dans le
journal Libération fin septembre 2000 (il est vrai que ce problème a diminué un
peu depuis). Tous ces errements des hommes de gauche ont eu des retombées
mortelle sur la gauche elle-même.
A
cela, je teins à ajouter un autre constat et je suis certain que le lecteur assez
informé et qui sait raisonner en conviendra. Des sous-hommes ratés, des
intellectomanes dont l’indigence choque et qui sont parvenus, à cause d’un
système scolaire médiocre (où la règle est le nivellement par le bas depuis la
première réforme par le régime du colonel Boumediene et certainement pas depuis
les années 1980 ou, ce qui serait cocasse, à partir de la dernière «réforme» de
Benbouzid, comme veulent nous le faire croire certaines journalistes qui veulent
pour ainsi dire, se prétendre «ayant un niveau»), à prendre des responsabilités
– cela n’est point étonnant avec un régime lui-même incompétent et
irresponsable. C’est le cas d’un poète et ancien ministre et d’une poignée de
romanciers tous arabophones qui ont «occupé des places» et qui se disent de
gauche. Avec une presse obséquieuse qui ouvrent ses colonnes à tous les
imbéciles qui veulent avoir un mot à dire et les interdisent à ceux qui ont une
pensée critique et anticonformiste, ces sous-hommes nous parlent souvent de
droits de la femme et de la religiosité qu’ils jugent toute honte bue excessive
«chez nous», entendre parmi les classes populaires. Parmi eux, il y a ceux qui
veulent véritablement offenser les croyants et il y’a aussi des obsédés sexuels
qui accusent les islamistes d’être des obsédés sexuels (il faut dire que les
islamistes leur rendent bien cette accusation). Et c’est tout ! C’est cela
la gauche ? Jamais je n’ai lu autre chose de la plume de ces gens – dont au
moins deux d’entre eux avaient publié dans le passé des textes apologétiques
sur la grandeur de la pensée de feu colonel El Guedhaffi ! Pourtant, je
l’ai dit, avec une situation comme celle du monde arabe, la gauche, dans
l’opposition, a effectivement du pain sur la planche. Là, convenant, consciemment
ou pas, c’est-à-dire par obséquiosité ou par imbécilité, il s’agit de pures
provocations des classes démunies et paupérisées, puisque, aujourd’hui en Algérie
et ailleurs dans le monde arabe, pour des raisons historiques, ces populations,
hier présentant des potentialités révolutionnaires formidables, nonpareilles,
ont dû se réfugier dans la religion (le vide créé par la répression de
l’opposition était et est rempli par l’islamisme), ou, si l’on veut, la
religiosité et, hélas, le machisme et la misogynie ne sont pas vraiment
étranges à la tradition arabo-musulmane, largement dominante. En outre, on peut
soutenir que les gens issus des classes paupérisées sont la grande majorité du
lectorat de la presse arabophone. Ainsi la gauche devient synonyme d’hérésie ou
d’athéisme !
Tout
cela converge pour faire paraitre la gauche comme étrangère, impuissante et
sans perspective, voire ne trouvant nulle occupation malgré le niveau
inquiétant d’injustice sociale que celle de «critiquer» l’Islam et de provoquer
gratuitement les musulmans, c'est-à-dire le peuple.
Où va la gauche arabe ?
Hier
dominante sous ses divers avatars, avec le nassérisme, le baathisme (originel),
le boumedienisme, etc., la gauche est aujourd’hui pulvérisée dans le monde
arabe. L’étau, avec le libéralisme d’un coté et l’islamisme non moins libéral
de l’autre, se resserre de plus en plus sur des peuples mal-équipés pour saisir
les enjeux, puisque n’ayant jamais connu de démocratie que de façade
(multipartisme contrôlé) et dépourvu d’élite à leurs services.
La
situation de la gauche est si grave telle qu’aujourd’hui on ne peut trouver
dans le monde arabe, pris ou comme un ensemble ou chaque pays séparément,
aucune figure emblématique de la gauche, ce que fut hier Nasser qui, malgré ses
erreurs et concessions, n’était pas un homme de droite (Hocine Ait-Ahmed, plus
de 85 ans !, est en Algérie associé à la démocratie et non point au
socialisme, bien que du sigle de son parti le FFS s’affirme son orientation socialiste et, en
plus, lui et son parti sont inconnus en dehors du Maghreb)…
Lorsque,
avec le recul, on examine la situation, le déclin de la gauche, inscrit dans une
perspective temporelle, parait inéluctable. Les multiples et gravissimes
erreurs des régimes arabes autocratiques, les défaites dans les guerres contre
le sionisme qui ont discrédité le «nationalisme populaire» et du coup la gauche
entière, la trahison ou la démission des «hommes de gauche», l’offensive
impérialiste sur le sud et la région du Moyen-Orient, la montée des islamistes
avec les pétrodollars fournis par l’Arabie Saoudite, c’est-à-dire au moins
l’acquiescement étatsunien, etc., sont, entre autres, les raisons qui ont
conduit à l’actuelle situation.
A
ces constats amers s’ajoutent des interrogations. Où va la gauche ? Va-t-elle
se reconstruire et se consolider ? Difficile d’y répondre avec certitude.
Il semble que le monde arabe s’achemine à pas sûrs vers une expérience nouvelle
qui se soldera par l’échec, celui des islamistes cette fois. Ceux-ci sont
tellement impréparés pour gouverner qu’ils sont prêts à partager le pouvoir
avec la droite libérale…
C’est
un travail de longue haleine, une thérapie radicale, qui attend la gauche dans
l’opposition, sinon elle sera décidément engloutie – la conversion comme celle
d’Europe n’est pas moins fatale et parmi ses caractéristiques, le mauvais choix
des débats et le fixation sur des faux problèmes comme le voile (je renvoie le
lecteur à mon court article sur les féminismes dans le monde arabe dans ce blog
où j’examine deux féminismes, les deux se disant de gauche, l’un superficiel et
victime de confusion d’idée ou d’aliénation culturelle mais fortement médiatisé car
«audacieux» alors que l’autre l’autre, ignorée, mais dans le droit chemin).
N’est-ce
pas un sombre destin d’une gauche dominante il y a quelques décennies,
aujourd’hui agonisante ?
Leçon finale
Il
convient de finir par un dernier constat. C’est une leçon de l’expérience
algérienne de 1989-1991 et des élections égyptiennes et tunisiennes récentes.
Il en ressort que l’abstention en profite
toujours aux islamistes. Ces derniers, puisque tolérés par les
différents régimes, sont (comme en 1989 en Algérie) très organisés et
disciplinés. Ce qui est admirable et exemplaire. Leurs sympathisants, jamais
majoritaires parmi les peuples, très obéissants puisque sacralisant leurs
maitres, voire les déifiant pratiquement («a’tahou allahou ‘ilmane», Dieu lui a
donné de la science !), appliquent sans tergiversation les directives du
sommet, c’est-à-dire dans le présent cas la participation massives dans les
élections déjà déroulées (en Algérie en 1991 et en Tunisie et en Egypte
récemment) et celles qui vont se dérouler. La part des islamistes est ainsi
directement proportionnelle avec le taux d’abstention. Ce n’est pas un hasard si
Ennahdha a eu seulement 40% en Tunisie, alors que les islamistes algériens se
dirigeaient vers une victoire totale et les islamistes égyptiens ont eu plus de
65% dans le premier tour (46% pour les Frères, 21% pour les salafistes). En
effet, en Algérie près de 50% des électeurs inscrits ne se sont pas exprimés
(41% abstention et 8% voix blanches), en Egypte près de 40% alors qu’en Tunisie
l’abstention c’était d’à peine 10% !
Conclusion :
ce sont les voix de la gauche qui s’abstiennent puisque celle-ci est si
discréditée, l’actuelle lamentable situation lui étant imputée (injustement).
Alors dans les pays où des élections sont programmées, la gauche doit, si elle
n’aspire pas au suicide et la disparition, se réorganiser et se réapproprier
son électorat en commençant par réaffirmer et prouver son honnêteté et ses
capacités et rassurer ainsi les peuples dont l’avenir se dessine obscur.
Les
islamistes sont auto-mobilisés en permanence. Il suffit de l’existence de
quelques hommes pour jouer les leaders pour qu’un mouvement s’impose (les
pétrodollars sont là). La gauche, la vraie, celle qui s’intéresse aux peuples,
à leurs problèmes concrets – car c’est ça la gauche –, doit se réviser et se
revivifier. Et elle a du travail.
PS :
L’article
peut paraître imparfait. Il l’est à cause du temps puisque rédigé d’un coup. Reste qu'aucune erreur informationnel n'y figure (et c'est le cas de toute la matière dans ce blog). Il
pourrait faire l’objet d’une retouche – ce n’est donc pas une version
définitive. Je ne suis pas indisponible si le lecteur veut approfondir la discussion sur un des aspects examinés dans ce texte.
L.
A.
Là, où il y a maintenant des modèles de sociétés et de gouvernement "de gauche", même si c'est sans doute avec des erreurs à relever, c'est en Amérique Latine, avec Evo Moralès ou avant lui Chavez... Pourquoi en parle-t-on si peu dans les pays arabes en général et en Algérie ?
RépondreSupprimerCe pourrait être des exemples historiques rééls et actuels sur lesquels réfléchir. Je ne parle pas de dupliquer, les contextes ne sont pas identiques;
Merci de votre article et merci de votre réponse.