Par Ahmed Halli
Le conflit séculaire qui oppose sunnites et chiites prend parfois des proportions inattendues et dangereuses, susceptibles de déboucher sur des incidents sanglants. Ces dernières années, la situation a dégénéré avec le climat de violence entretenu au Liban, notamment, sous la houlette de Téhéran, et avec la bénédiction de Damas. Durant la période de gloire, dite nationaliste, les Arabes faisaient allégeance à la patrie, avant toute autre considération.
Puis l'Arabie saoudite et le wahhabisme sont venus imposer la soumission à une doctrine religieuse intransigeante, à l'exclusion de toutes les idées modernistes. Par opportunisme ou lassitude, les nationalistes se sont inclinés devant plus fort et se sont tournés vers La Mecque. On se souvient comment les factions et partis qui se disaient nationalistes, comme le parti du FLN de M. Mehri, d'alors, avaient transmis le «flambeau» aux islamistes, en 1990 à Beyrouth. Le Hezbollah, né de la matrice irano-syrienne, commençait alors à prendre ses quartiers dans la capitale libanaise, et érodait impitoyablement l'influence de la milice authentiquement libanaise Amel. Les résidus de nationalisme qui subsistaient depuis la disparition du grand dirigeant druze, Joumblatt, ont fait le reste. On sait que l'Irak est en train de se transformer progressivement en condominium de l'Iran, grâce à l'envahisseur américain. Quant au Bahreïn qui s'agite à la moindre saute de vent venue de Téhéran, il ne doit son salut qu'à l'omniprésente sollicitude du grand frère sunnite saoudien. Cependant, sunnites et chiites se livrent une autre guerre, moins sanglante et moins retentissante, mais avec des conséquences qui pourraient changer la face du monde musulman. La guerre se déplace désormais sur les écrans de cinéma, et avec des personnages clés de la genèse de l'Islam. A la veille du Ramadan, une violente polémique avait opposé les sunnites entre eux, puis les sunnites aux chiites, à propos du feuilleton Hassan et Hossein. Cette production raconte l'histoire des guerres intestines dans lesquelles furent entraînés l'Imam Ali et ses deux fils, les trahisons et les traquenards dont ils ont été les victimes, ainsi que leur fin tragique. Avant même de le voir, les Iraniens ont crié au scandale, et ont dénoncé des contre-vérités historiques, au sujet de personnages objets d'un véritable culte chez les chiites. Réagissant aussi à l'aveugle, Al-Azhar avait émis une fatwa contre le feuilleton, laquelle fatwa s'appuyait sur l'interdiction de représenter le Prophète et ses proches (Ahl Albeït). Il était dans l'ordre des choses, enfin, que le parlement irakien, à majorité chiite, vote une loi proscrivant la diffusion du feuilleton en Irak. Ignorant ces coups de semonce, plusieurs chaînes satellitaires privées l'ont programmé durant le Ramadan, avec un certain succès( 1). Du coup, les cinéastes iraniens se mobilisent, ils annoncent qu'ils vont produire une trilogie relatant la vie du Prophète de l'Islam, dont le rôle sera joué par un acteur, en dépit de l'interdiction religieuse qui pèse sur cette innovation. Le scénario de cette superproduction en trois épisodes serait prêt depuis longtemps, et le réalisateur est connu. Reste à trouver l'acteur assez téméraire pour jouer le rôle principal, une quête qui ne s'annonce pas de tout repos. Un qu'il n'est pas interdit de montrer à l'écran, mais qui n'est pas content quand même, c'est Fouad Negm, le grand poète égyptien et compagnon, de cellule et de scène, de Cheikh Imam. Un film qui lui est consacré vient de sortir au Caire sous le titre Al-Fadjoumi, le surnom (qui pourrait se traduire par le critique acerbe) que lui ont attribué ses concitoyens et admirateurs. Ce film relate, en effet, des épisodes de sa vie qui éveillent en lui de douloureuses nostalgies, surtout lorsqu'on a eu des conquêtes comme Souad Hosni(2). Or, selon Negm, le film Al-Fadjoum le montre uniquement comme séducteur et coureur de femmes invétéré, ce qu'il n'est plus à l'entendre. Il proteste donc contre ce parti pris de l'œuvre qui insiste et enfonce le doigt dans la plaie, alors qu'il avoue être totalement hors jeu sur le plan sexuel. A 82 ans, et encore en proie à des pics de libido, Fouad Negm affirme qu'il est aussi inactif que l'auraient été les castrats de Naples(3) et il ne se souvient même plus à quand remonte son dernier rapport. Ce sont ses problèmes de santé actuels qui l'empêchent d'avoir une vie sexuelle(4), mais il ne veut pas recourir au Viagra, parce qu'il «rejette les plaisirs artificiels». Interrogé justement au sujet de sa consommation de hachich, Negm affirme qu'il n'en fume plus parce que le hachich actuel est frelaté. «Chaque fois que j'en fume, je suis sujet à des quintes de toux.» Le poète égyptien souligne qu'il aurait aimé que le film insiste beaucoup plus le fait qu'il est un grand poète qui a influé sur le cours de l'Histoire. Il se considère, en effet, comme l'un des artisans de la révolution du 25 janvier, même s'il n'y a pas pris une part directe. «Je peux mourir tranquille maintenant que la révolution a triomphé.» Fouad Negm révèle d'autre part qu'il a eu une conversation avec Moubarak, un mois avant les évènements. Il lui a demandé de prendre une décision qui inscrirait son nom dans l'Histoire, en supprimant l'appartenance religieuse sur la carte d'identité égyptienne. Ce qu'il a refusé de faire. Autre feuilleton à suivre avec intérêt puisqu'il se déroule sous nos yeux, et à l'intérieur de nos frontières, celui des membres de la famille Kadhafi venus partager nos pénuries de l'Aïd. Tout d'abord, j'ai pesté contre cette fille gâtée, nommée Aïcha, qui débarque à l'improviste avec sa suite et qui risque d'allonger les chaînes devant les boulangeries. Puis, bon cœur, j'ai pensé à la petite Safia qui vient de naître, et qui est des nôtres en vertu du droit du sol. Je me suis inquiété pour son biberon, sachant qu'après le pain, c'est le lait qui manque le plus durant la longue fermeture de l'Aïd. J'ai été vite rassuré parce que les pharmaciens, qui ne sont pas aussi riches que les boulangers, étaient ouverts. Puis, je suis revenu à Aïcha, la fille dorlotée de son tyran de père, et le doute m'a assailli : pourquoi vient-elle chez nous pour accoucher ? Au fait, on ne nous dit toujours pas qui est son père ? Aurions-nous un DSK, tapi à l'intérieur de nos institutions et spécialisé dans la chasse aux héritières? Quoi qu'il en soit, je suis absolument certain de ne pas être le seul à m'être posé ces questions.
A. H.
(1) On raconte que des téléspectateurs algériens se sont interdits de regarder le feuilleton, pour ne pas tomber dans le péché. Encore une interprétation très étroite et très sélective des édits religieux, un domaine dans lequel nous sommes passés maîtres, plus maîtres que nos inspirateurs saoudiens.
(2) La «Cendrillon» du cinéma égyptien ne serait pas morte d'une chute du balcon de son appartement à Londres, mais aurait été assassinée sur l'ordre de Moubarak parce qu'elle ne voulait plus travailler avec les services secrets égyptiens.
(3) Célèbre école de musique et de chant qui recrutait de jeunes enfants, et procédait à leur castration afin que leur voix ne mue pas avec l'adolescence et la puberté.
(4) L’universitaire islamiste Safinaz Kadhem qui fut l’épouse de Fouad Negm de 1972 à 1976 a tiré à boulets rouges sur le film, qualifié de médiocre et de misérable, en ce qu’il nuit à «des personnes respectables».
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