L’Algérie et Al-Jazeera

Par Lyes Akram

Dans le mur pestilentiel d’un groupe Facebook où un agglomérat de sous-hommes algériens (sans majuscule) éructe, on peut lire : « les révolutions arabes sont une création sionistes (sic) ». Puis, c’est Al-Jazeera, « une chaine de télévision » rappelle Yahya Bounouar, que l’on accuse de tous les maux. Ainsi donc, en ces temps où les Arabes en général semblent prendre conscience de la réalité du monde et des grands enjeux, la canaille algérienne a décidé de se mobiliser via Facebook et contre Al-Jazeera. Un paradoxe : Facebook et Al-Jazeera, ces deux outils les plus indispensables de tous ceux utilisés par les « révolutionnaires » Arabes ! Mais cela n’aura pas l’effet escompté par leurs commanditaires qui vivent en ce moment-même leurs derniers jours comme décideurs autoproclamés d’un peuple qui commence, quant à lui, à comprendre qu’il est volontairement asservi.

Malgré que le plus ordurier de tous les journaux du monde, Ennahar, qui revendique un demi-million de lecteurs, journal, rappelant-le, créé directement par le DRS, ait mis en « Une » une publicité de ce groupe contre Al-Jazeera, force est de constater l’échec de la propagande – et par conséquent le triomphe du bon sens – ce groupe n’arrivant pas à réunir que 500 ratés, qui doivent certainement être les journalistes d’Ennahar. Cela dit, il n’est pas dans mon intention de produire ici un éloge d’Al-Jazeera, que je critiquerais, pour ma part, d’être un peu trop clémente à l’égard du régime d’Alger.

Si les décideurs Algériens nourrissent une haine bestiale envers cette chaine, il faut le comprendre, c’est bien parce qu’elle croit en « une conception  ‘‘radicale’’ de la démocratie », affirme Claire Talon, chercheuse à Science Po Paris. Autrement dit, elle se situe tout simplement aux antipodes du régime. Ce dernier a en effet réussi à inculquer à tous ceux qui l’ont servi une conception totalitaire – le sommet de l’autoritarisme – de la gouvernance. Chez nos tyrans, ce n’est pas le fait d’être critiqués qui les dérange ou même d’être insultés – ce que ne fait pas cette chaine. Mais, on l’a vu à satiété, c’est que leur représentant perde dans un débat équitable où deux visions, deux thèses différentes se confrontent et s’affrontent en direct. Ainsi on ne saurait pas leurrer le téléspectateur qui serait en mesure de reconnaitre la vérité. Et c’était cela le péché d’Al-Jazeera : avoir donné au citoyen la possibilité d’écouter, d’évaluer et de produire sa propre opinion. Probablement l’exemple le plus pertinent de cette vision totalitaire est lorsque le théoricien du meurtre fratricide, le créateur de l’organisation criminelle dite Ojal qui s’était spécialisée, il faut le dire, dans l’assassinat des musulmans pratiquants Algériens, le sieur Ridha Malek en l’occurrence, s’est trouvé dans un épisode incendiaire d’El-Itijah El-Moua’akes consacré à la politique bouteflikienne dite de la concorde civile, diffusé le 14 septembre 1999, face à l’écrivain-journaliste Algérien exilé Yahya Abuzakaria. En effet Malek, se rendant compte qu’il n’était pas capable de produire le moindre argument tangible aux humains que nous sommes, a quitté le plateau d’une manière pour le moins dramatique, bien qu’il fût en mesure de tenter de soutenir sa thèse par respect au téléspectateur Algérien. Mais argumenter ne fait pas partie du lexique du régime et de ses valets comme Malek. Il faut noter que l’exposé de Yahya Abuzakaria était vraiment faible et indulgent, une sorte de série d’interrogations sans le « j’accuse » qui  aurait détérioré Malek et vacillé le régime. Si Ridha Malek s’était trouvé face à Larbi Zitout, les décideurs aurait envisagé non pas de fermer les bureaux d’El-Jazeera à Alger, mais de les bombarder !

Les exemples foisonnent : on se rappelle de Bouteflika lui-même, alors candidat, accusant, avec sous la moustache un hideux sourire faussement rassurant, le journaliste Ahmed Mansour de diffuser des mensonges alors que celui-ci tenait dans sa main un journal algérien publié en Algérie et lisait en direct ! On ne peut certainement pas oublier lorsque Khaled Nezzar téléphona au milieu d’un débat où participait le vaillant Zitout pour essayer de détourner l’attention du téléspectateur par des futilités, lui l’éternel sous-officier de l’armée française…

Sans Al-Jazeera, qui aurait connu Mohamed Samraoui ?

En effet, certains pseudo-intellectuels, qui ne manquent pas, ne font guère la différence entre l’objectivité et la neutralité. Les médias ne doivent pas être neutres mais plutôt objectifs : prendre le coté de la vérité. Un journaliste est supposé nommer les choses par leurs noms. Et c’est cela : l’objectivité de ce métier, dont le régime algérien ne veut pas, quitte à abrutir les Algériens en les enfermant dans la prison de l’ENTV pour peu que leurs pensées soient contrôlées.

Lorsque, dernièrement, ce régime a commencé de brouiller Al-Jazeera pour empêcher les Algériens d’entendre une voix opposante, celle de M. Zitout – qu’il trouve ici un hommage –, on a dit que c’est pour la première fois que cela arrive. Cela est effectivement vrai pour ce qui est du brouillage. Car le régime a essayé autrement dans le passé. C’était le 26 janvier 1999. Le régime, ne s’étant pas encore doté des technologies ad hoc, avait tout simplement coupé l’électricité dans plusieurs villes, laissant ainsi les Algériens dans le noir car, pour le régime, l’essentiel est que les idées n’étaient pas passées.

Les Algériens doivent avoir honte car, en fait, de tous les pays du monde, seuls trois pays ont causé des problèmes à la chaine qatarie : Les Etats-Unis, Israël et l’Algérie. Pour les premiers, c’était à cause de l’excellente couverture par la chaine des invasions destructrices de l’Irak et de l’Afghanistan. Pour le deuxième, en vérité, question d’humeur sioniste. Et le troisième c’est l’Algérie !

Et, pour finir, puisque il s’agit aussi de cela, il convient de rappeler aux chiens qui aboient ça et là en mettant la photo du sioniste et inconditionnel d’Israël Bernard-Henri Lévy en compagnie d’un éradicateur et laquais des généraux génocidaires, faux opposant et diviseur de la Kabylie, et qui crient aujourd’hui au complot sioniste, que, lorsque le même BHL visitait l’Algérie en 1998, pour faire son reportage merdique au service du DRS, non pas qu’ils étaient tous comme muets, mais ils avaient bel et bien mis sa photo en « Une » et chanté les louanges de sa grandeur.

Mais, parait-il, les temps changent…

Par Lyes Akram