L'armée ne doit etre que le bras de la nation, jamais sa tête. Pierre Baroja
Par Lyes Benyoussef
En Algérie, la crise n’a pas commencé
au lendemain du quatrième mandat d’un chef d’État impotent, ni à sa veille. C’est
pourtant cet affront qu’il aura fallu pour que bouge, ne serait-ce qu’un peu,
une opposition longtemps déchirée. Cependant, les prémices d’un regroupement de
l’opposition algérienne – actuellement en œuvre – augurent d’une possibilité
d’amélioration, et ce n’est pas là une affaire ténue dans un pays où le
confusionnisme, maintenu à dessein, a toujours entravé les actions. En effet,
ce regroupement, s’il devient effectif et fonctionne, sera sans conteste
l’action la plus méritoire jamais entreprise par l’opposition, toutes tendances
confondues par ailleurs, depuis l’Indépendance du pays.
Cela dit, depuis quelques années déjà,
des intellectuels et des hommes politiques de divers horizons disent avoir
trouvé (découvert ?) la solution pour sortir de la crise dans laquelle
pataugent, tous ensemble, l’État et la société.
Il s’agit d’un appel à l’armée ou à un groupe de généraux ou à un seul général, qui, par une sorte métaphysique de patriotisme mythologique, sauvera le pays des griffes du régime actuel, moribond et qui risque d’entraîner la société vers des abysses insoupçonnables. Pourtant, si l’histoire de l’Algérie indépendante prodigue ne serait-ce qu’une seule leçon, c’est bien la suivante : quand l’armée est de la partie, c’est l’option du pire qui prévaut. Et c’est le cas depuis plus de cinq décennies maintenant, et sans aucune exception.
Il s’agit d’un appel à l’armée ou à un groupe de généraux ou à un seul général, qui, par une sorte métaphysique de patriotisme mythologique, sauvera le pays des griffes du régime actuel, moribond et qui risque d’entraîner la société vers des abysses insoupçonnables. Pourtant, si l’histoire de l’Algérie indépendante prodigue ne serait-ce qu’une seule leçon, c’est bien la suivante : quand l’armée est de la partie, c’est l’option du pire qui prévaut. Et c’est le cas depuis plus de cinq décennies maintenant, et sans aucune exception.
Une société possédée par son armée
À la veille de l’Indépendance
nationale, c’est l’armée qui destitua le GPRA du génial Benyoucef Ben Khedda et
plaça à la tête de l’État en formation Ahmed Ben Bella. Et, en 1965, ce fut au
tour de celui-ci d’être déposé toujours par l’armée, qui puisa pour la
circonstance et par la personne de son maître le colonel Boumediene, dans la
terminologie de l’opposition. Le colonel Boumediene s’était installé
confortablement à la tête de l’État sans se soucier de la légitimité ni même de
la légalité de son système (il n’organisera aucune élection jusqu’en 1976).
Ainsi que l’avait relevé Ferhat Abbas, Boumediene faisait du benbellisme sans
Ben Bella ! Avec la Sécurité militaire, la société algérienne était verrouillée
pendant le règne de Boumediene, lequel seule la mort a pu détrôner. Une fois
disparu, c’est un autre colonel inculte que l’armée et les Services ont imposé.
Après ce que d’aucuns ont dénommé une décennie noire et la montée de
l’islamisme, puis son triomphe dans les élections législatives de 1991, c’est
encore l’armée et ses généraux qui ont arrêté le processus démocratique et
destituèrent Chadli Benjedid (dont le deuxième tome des Mémoires tarde à
paraître). Et ce sont les généraux de l’armée qui optèrent pour
l’éradicationnisme, en connaissance de cause – ils prévoyaient 60 000
morts et cela ne les gênait guère. Quant à Liamine Zeroual, avant qu’il soit un
chef d’État coopté par le général Nezzar (voir les Mémoires du général Nezzar), il est
général de l’armée. Jouissant d’une réputation d’homme irréprochable après
avoir quitté la présidence et non pas durant son mandat inachevé, réputation diffusée
par les rejetons de son douar natal – régionalisme oblige – il n’est pas
inutile de rappeler qu’« Avant de regagner Batna [en 1991, Liamine
Zeroual] s’était assuré d’une ligne de crédit bancaire pour se reconvertir dans
le secteur privé. Il est de tradition que le pouvoir accorde à des responsables
politiques des prêts pour services rendus aux intérêts supérieurs de
l’État. » (Rachid Tlemçani, Élections et élites en Algérie, Éditions
Chihab, 2003.) L. Zeroual est complètement transfiguré dans l’imaginaire de
certains pour qui son retour est la « solution » – preuve irréfutable
s’il en est de la profondeur de la crise. C’est durant son « presque
mandat » que les plus atroces massacres ont été commis et que l’économie
nationale a connu, sans contredit, le plus grand démantèlement survenu dans
notre galaxie, etc.
Il est certes psychologiquement
réconfortant de se leurrer de la sorte, en croyant posséder la solution. Et cependant
ce n’est qu’un leurre !
Last
but not least, après l’isolement de l’État algérien suite aux
« dépassements » massifs des années quatre-vingt-dix, ce sont les
généraux qui cooptèrent Abdelaziz Bouteflika. Celui-ci, s’il a essayé
d’éliminer des adversaires au sein d’une institution ou d’une autre, l’affaire
est somme toute personnelle. Règlement de comptes entre vieilles adversités,
dans une république bannière, quoi ! En définitive, Voltaire avait raison
de préciser que « la politique est le premier des arts et le dernier des
métiers. »
Regardant ces règlements de comptes
sous un autre angle, faussaire, certains décident à la veille des élections
qu’il y a opposition, au sein de l’armée, à la reconduction de Bouteflika. Et
ils trouvent auditeurs !
Les généraux opposants : une mauvaise blague
Ainsi, à chacun de ses mandats
successifs, depuis le deuxième, en 2004, des voix s’expriment dans la presse,
évoquant une opposition des militaires au deuxième, puis au troisième, ensuite
au quatrième et, probablement, ces mêmes voix – qui hibernent actuellement –
vont retentir, en 2019, ou quelques mois
auparavant, pour évoquer une opposition des militaires pour le cinquième
mandat, sinon pour la consécration d’une république dynastique, une
« djoumloukiyya », en faveur du frère de l’impotent. Pourtant,
l’histoire nous montre assez bien que le seul souci des décideurs militaires
était toujours – et restera – la sauvegarde de leurs privilèges pour tous, et
l’impunité pour certains. Si le mensonge de « généraux opposants »
sert à une chose, c’est bien au recrutement de lièvres pour une façade
démocratique à la veille des élections. Ali Benflis en sait quelque chose, lui
qui s’est fait avoir par deux fois (et qu’est-ce que l’on dit déjà de ceux qui
tombent deux fois dans le même piège ?), la seconde étant plus pitoyable
que la première. (« Hegel fait quelque part cette remarque que tous les
grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux
fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme
farce. » Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte.)
Le mythe du sauveur
En dernière analyse, cette
« solution » d’un général patriote à la rescousse d’une nation en
perdition relève d’un mythe populaire assez répandu. Selon le sociologue Raoul Girardet,
quatre mythes structurent l’imaginaire politique : la conspiration, le
sauveur, l’âge d’or et l’unité.
Il est aisé de voir en notre général
patriote – ou Liamine Zeroual, ou Mouloud Hamrouche, ou Ahmed Benbitour, ou Ali
Benflis, etc. – la figure du sauveur. En effet, il connaît le système de
l’intérieur pour y avoir appartenu de longues décennies – y avoir appartenu,
et, aussi, l’avoir servi docilement. Non seulement il s’agit du sauveur
mythique, mais, en outre, les autres mythes aussi sont ici présents.
Voyons : la « conspiration » du « printemps arabe »
qui menacerait l’Algérie et son « unité » et que notre
« sauveur » est là pour nous payer un retour à « l’âge
d’or .» (En 1999, aussi, dans un reportage paru dans le Nouvel Obs., un
couple d’enseignants disait avoir voté Bouteflika, car c’était le moyen de
revenir vers « l’âge d’or » des années soixante-dix !)
La puissance de ces mythes tient au
fait que l’on est inconscient de leur fonctionnement et de l’immensité du
réconfort psychologique qu’ils offrent.
Mais que faire donc ?
L’impossible « dernier coup d’État »
En 2011, avec le début du printemps
arabe, le sociologue Lahouari Addi, a publié un article intéressant où il est
question d’un dernier coup d’État. L’armée est appelée à le commettre comme
pour laver son honneur, car c’est elle qui a plongé le pays dans la situation
que le sociologue a qualifiée de « coup d’État permanent. » Ainsi,
avec un dernier coup d’État, l’armée freinera la tendance suicidaire actuelle
qui caractérise un régime sans projet viable. L’idée, d’un point de vue formel,
est séduisante – on ne s’attend pas à moins que cela de Lahouari Addi.
Mais, encore une fois, ce ne sont pas
les décideurs militaires algériens qui choisiront cette option. Et Lahouari
Addi en est conscient, puisqu’il a laissé un commentaire – je ne sais plus où –
le disant explicitement. Son article était publié, « au cas où… » !
Où va l’Algérie ?
L’Algérie semble piégée. Depuis 1962,
tout a été fait pour éliminer l’alternative – et il faut avoir l’honnêteté de
reconnaître au système en place son succès. Le gouffre entre populations et
élites n’a jamais été plus grand. Et seules des élites conscientes de leur
vocation historique, en mobilisant par tous les moyens à leur portée, des
populations dont le désintérêt à la chose publique s’explique par son histoire,
notamment la décennie de sang, seront à même d’amorcer un début de changement
en Algérie. Celui du système politique, qui n’est que le préalable avant de
confronter le vrai problème, qui est le même pour toutes les sociétés
arabo-berbères : leur profonde décadence pluriséculaire.
Le regroupement des tendances de
l’opposition actuellement en œuvre augure d’un bon début pour une future
mobilisation. Mais aura-t-elle le temps, cette opposition, de réussir sa tâche ?
Je ne le crois pas – et j’espère me tromper.
Et pour cause : la rente.
Aussi longtemps que l’État algérien
consent à jeter des miettes à sa plèbe, il n’aura aucun problème sérieux à
affronter. Et l’épuisement de la rente – qui a généré une culture rentière au
sein de la société – n’est pas une condition de changement démocratique et
pacifique, mais le préalable d’une guerre civile. Rappelant que la décennie de
sang a été immédiatement précédée par une baisse des revenus de l’État algérien
– dès 1986, une baisse du prix du baril conjuguée avec une dévaluation du
dollar, monnaie des échanges, ont entraîné la chute de ces revenus…
En attendant une seconde guerre civile
plus meurtrière – terminale ? – que la précédente, certaines personnes
préfèrent se réconforter par des mythes et se bercer d’illusions. Mais, dit-on,
les illusions ont la vie dure…
L. B.
Un plaisir de te relire l'ami
RépondreSupprimerSahit, heureux de savoir que des personnes qui pensent me lisent.
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