Par Mohammed Salah Chabou
Pour H. Poincaré, «la pensée ne doit jamais se soumettre ni à un dogme, ni à un
parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi
que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se
soumettre, serait cesser d’être».
Or, depuis les années 1970 et surtout après l’effondrement du bloc «socialiste», le
néolibéralisme, sachant qu’«une domination n’est jamais aussi bien assurée que
lorsqu’elle s’accomplit avec l’assentiment des dominés» (J. Baudouin), a
développé une véritable «ingénierie du consentement» soutenue, comme le
souligne Ignacio Ramonet, par «une invisible et omniprésente police de
l’opinion», qui lui a permis d’imposer une pensée unique exprimant les intérêts
du capital international.
Pour empêcher toute pensée libre pouvant remettre en
cause ses axiomes, le néolibéralisme, à l’aide de ses «économistes à gages»,
selon l’expression de R. Lambert, ses organisations internationales
(OMC, FMI, Banque mondiale), ses organes d’information, propriétés des grands
groupes industriels et financiers, ses journalistes et ses hommes politiques, a
propagé un slogan simple mais efficace connu sous l’appellation «syndrome
de TINA» (There Is Not Alternative),
c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’autre alternative au néolibéralisme. Cette pensée unique veut nous faire accroire, entre
autres, que le marché est l’état naturel de la société et qu’il est capable de
s’autoréguler. Par conséquent, tout ce qui vient encombrer son libre jeu doit
être tout simplement éliminé (législations sociales, prélèvements fiscaux,
réglementations environnementales, etc.).
Partant de cette logique, l’Etat, par axiome néolibéral, inefficace et budgétivore, est
juste nécessaire pour assurer la fonction de «veilleur de nuit» des intérêts de
l’oligarchie. Corollaire de cet axiome, l’existence de l’entreprise publique
devient une aberration économique (et la défendre devient obscène) car contrairement à l’entreprise privée qui a le
monopole de l’efficacité et de l’efficience, elle est congénitalement
anti-économique. Et tant pis si les faits apportent chaque jour un démenti
cinglant à cette propagande habillée d’un vernis scientifique.
Comme le note J.
Sloover, «il n’est cependant pas besoin d’être un Nobel d’économie pour percer
à jour les sophismes souvent enfantins de cette pensée unique».
En se basant sur ce catéchisme, les relais du néolibéralisme, qui occupe l’espace
public algérien, au sens de J. Habermas, continuent à propager, certains par
intérêt personnel et d’autres par idiotie, une ineptie et un mensonge.
L’ineptie consiste à dire que l’entreprise publique, de par son statut, est à
la fois inefficace et inefficiente. Or, aucune recherche scientifique n’a
confirmé cette propagande. Bien au contraire, les sciences de gestion
habilitées de par leur objet à traiter du fonctionnement des organisations
(Etat, entreprise, association, administration, hôpital, etc.) n’ont jamais
découvert le moindre lien entre les performances de l’entreprise et son statut
juridique. Le management a montré que le fonctionnement et la performance de
toute organisation dépendent de la pertinence et des interactions de ses «7 S»
: Shared values (valeurs partagées) - Stratégie - Structure - Systèmes - Style
de management - Skills (compétences) et Staff.
Cette vérité est quotidiennement vérifiée par les faits. Dans cet ordre d’idées,
notons au passage que la crise financière actuelle, transformée en crise
économique, a été provoquée par des entreprises privées (banques). Ce constat
ne peut autoriser aucun spécialiste sérieux à conclure que l’entreprise privée
est intrinsèquement, de par son statut, source de crise.
Quant au mensonge
propagé, il consiste à prétendre que l’entreprise publique algérienne a coûté
cher au Trésor public. Cette affirmation dénote soit une mauvaise foi, soit une
méconnaissance totale du contexte, des contraintes, de l’historique de
l’entreprise publique et du coût réel de «l’assainissement financier» et
surtout de ses origines.
Pour mettre à nu la mauvaise foi des uns et corriger la perception des autres, il
est nécessaire d’apporter les clarifications suivantes : l’acquisition du
savoir-faire (now-how) industriel est une opération très complexe qui nécessite
un long processus d’apprentissage qui coûte beaucoup de temps et d’argent.
Lorsque le projet d’industrialisation est ambitieux, comme c’était le cas de
notre pays, acquérir ce savoir-faire, tout en marchant, est presque un défi
surhumain surtout lorsqu’on sait qu’au début des années 1970, le pays n’avait
pas de tradition industrielle, les cadres universitaires étaient rares, la
population était à prédominance paysanne (90% de la population), donc
réfractaire à la discipline et à l’organisation de travail qui sont des
conditions préalables à toute activité industrielle.
Pour avoir eu l’honneur et le bonheur de vivre cette épopée de
l’industrialisation, où le chef, du chef
de l’Etat au dernier chef d’équipe, agissait comme s’il était dépositaire et
responsable de l’avenir de l’Algérie, nous pouvons dire, en connaissance de
cause, que l’équation était vraiment difficile. Par conséquent, malgré
l’abnégation, le sérieux, l’engagement et la négation de soi à tous les niveaux
de la hiérarchie durant cette période où toutes les volontés nationales étaient
mobilisées autour d’un grand projet de société, les surcoûts de
l’industrialisation sont estimés entre 40% et
85% du coût initial du projet en fonction de la taille et de la
complexité technologique de l’usine (Brahimi A.).
Pour ceux qui estiment que ces surcoûts sont importants, rappelons que selon
l’ancien Premier ministre, les projets du «programme présidentiel 2005-2009»,
qui s’étalait seulement sur 5 ans, ont connu une réévaluation de 40 milliards
de dollars. Au-delà du fait que les surcoûts de l’industrialisation, en dollar
constant, sont insignifiants, comme on le verra par rapport à ceux du programme
présidentiel, notons que la complexité managériale et technologique de ces
derniers est vraiment un jeu d’enfant par rapport à la construction et la mise
en œuvre d’un seul complexe industriel (il faut avoir fait de l’industrie pour
comprendre de quoi on parle). En plus des surcoûts de l’apprentissage
industriel, on ne peut occulter le fait que les entreprises publiques ont pris
en charge la réalisation des infrastructures sociales (routes, écoles,
logements, crèches, centres de soins, etc.) nécessaires pour la stabilisation
du personnel.
Ce constat avait amené le ministre des Finances de l’époque (1971) à relever que
«l’édification d’une unité économique, que ce soit une usine, une mine ou un
chantier, entraîne de la part de l’entreprise la maîtrise d’un environnement,
la création d’une infrastructure souvent bénéfique à un ensemble d’usagers, la
formation d’une catégorie de personnel pouvant être utilisée dans différents
domaines, l’installation d’équipements sociaux nécessaires à la stabilité du
personnel, mais aussi intéressantes pour la population locale. Bien sûr, ces
différents effets participent à la valeur économique d’un projet, mais il n’en
demeure pas moins qu’ils pèseront sur le résultat financier final de
l’entreprise, dans la mesure où certaines de ces obligations n’auront pas été
financées selon des règles pouvant relever souvent de procédures budgétaires»
(cité par A. Bouzidi).
Notons également que durant les années 1970, l’entreprise nationale a été obligée, par
décision politique, de ne pas répercuter l’inflation importée, donc les hausses
de ses coûts de production, sur le consommateur. Selon S. M. Thierry, cité par
A. Bouzidi, «en 1970, le secrétariat d’Etat au Plan et le ministre de
l’Industrie avaient imaginé un système de déconnexion des prix intérieurs et
des prix mondiaux. Un organisme financier de compensation, la Caisse algérienne
d’intervention économique, avait été créée par décret pour faire écran entre
les entreprises publiques et le marché mondial, de façon à permettre une
stabilisation des prix et un système de prix normatifs planifiés. Cette caisse
n’ayant jamais été mise en place par le ministre des Finances, les mécanismes
de compensation n’ont jamais fonctionné.» Par conséquent, l’entreprise publique
a été obligée de vendre à perte.
En plus de ces vérités, notons aussi que l’absence d’un tissu industriel de
sous-traitance a très souvent été à l’origine d’un décalage entre le planning
de réalisation réel et l’échéancier projeté
de mise en production. Cet état de choses, conjugué avec une faiblesse
pour la plupart des entreprises, du fonds de roulement dès le départ, a entraîné
les entreprises publiques dans une spirale infernale d’endettement. Ajoutons, pour éclairer la
lanterne des prophètes du rétroviseur, que le rôle de l’entreprise était aussi
de transformer la structure socioéconomique de la société et donc de donner la
priorité à l’emploi et ainsi supporter des sureffectifs.
Néanmoins, malgré toutes ces contraintes objectives et exogènes à l’entreprise publique,
le déficit global du secteur public a atteint, selon S.M Tierry, 1,8 milliard
de dinars en 1978. Il est intéressant de comparer ce montant insignifiant avec
les 40 milliards de dollars (pas de dinars !) de réévaluation du programme
présidentiel 2005-2009 ! Il est également intéressant de noter que
l’investissement global («productif» et «improductif») durant la période 1967-1978 a été, selon A. Bouzidi,
de 402 milliards de dinars et de comparer ce montant en l’actualisant, ce qui a
permis à notre pays de devenir un pôle de développement, avec les 400 milliards
de dollars investis durant cette décennie d’errance néolibérale sans le moindre impact sur le développement,
en dehors d’une autoroute non encore achevée et quelques centaines de milliers
de logements. (Il est vrai qu’on ne peut pas faire mieux lorsque les valeurs de la
République reposent sur ce que nous pouvons appeler les «4 C» : Copains - coquins
- clans - corruption).
La situation des entreprises publiques a été aggravée par la gigantesque malfaçon
de la «restructuration organique et financière des entreprises» de 1983. En
effet, cette réforme, à défaut de régler les problèmes qui se posaient au
secteur industriel, a généré des problèmes supplémentaires. Elle a eu un impact
exponentiel sur les charges fixes des entreprises. Pour mesurer l’impact de ce
facteur, notons que le nombre
d’entreprises dans le secteur industriel (lourd - léger et énergie) est passé
de 19 à 103. En plus, cette réforme, par la multiplication des centres
décisionnels, a aggravé les difficultés de coordination intra et inter-branches,
ce qui a eu un impact négatif sur le taux national d’intégration industrielle
qui, par ricochet, a généré des surcoûts supplémentaires. Néanmoins, le
problème le plus important généré par la réforme de 1983, reste la séparation
entre l’entreprise de production et son marché, en séparant les fonctions de
production et de commercialisation.
En effet, cette «hérésie marketing» a rendu l’entreprise de production myope
vis-à-vis des attentes du client final, ce qui a induit très souvent la
fabrication de l’inutile et ainsi alimenter une autre spirale infernale :
stocks-étouffement par la trésorerie-endettement.
Après avoir situé le
contexte, les contraintes et l’historique de l’entreprise publique, examinons
le bien-fondé de l’argument lié au coût de «l’assainissement financier» des
entreprises qui constitue le cheval de bataille de nos néolibéraux de deuxième
main. Au-delà du fait que la déstructuration financière des entreprises
publiques relève, comme démontré plus haut, de contraintes objectives exogènes
à l’entreprise, soulignons que «l’assainissement financier» des entreprises publiques, en 1983,
et lors de «l’autonomie de l’entreprise» (en réalité l’autonomie du P-DG !) est
réduit à un simple retraitement comptable des bilans. En effet, le retraitement
comptable des dettes des entreprises (transformation des crédits bancaires en
prêts à long terme du Trésor et rachat par le Trésor des découverts bancaires)
a porté, selon Baba Ahmed, sur 230 milliards de dinars.
S’agissant d’un simple palliatif (aspirine) et non d’un traitement sérieux de la
déstructuration financière imposée à
l’entreprise publique, comme nous l’avons montré, par des facteurs exogènes, ce
mauvais traitement par ses effets secondaires (spirale de l’intérêt ) a fait
passer le montant de «l’assainissement» à 840 milliards de dinars à fin 1998. A. Benachenhou a
avancé, lorsqu’il était ministre des Finances, le chiffre de 800 milliards de
dinars. L’apport en argent frais (dotation en capital ou résorption de l’actif
net négatif) est seulement de 12,4 milliards de dinars. Par conséquent, on ne
peut qu’être surpris de lire dans un article récent que «l’Etat a injecté dans
l’industrie entre 60 et 120 milliards de dollars» (on est émerveillé par la
précision. Peut-être qu’une suite arithmétique frappe mieux l’imaginaire ? !),
ce qui permet à notre auteur de conclure que l’industrialisation a échoué !
Non, l’industrialisation n’a pas échoué, elle a été assassinée pour «une vie
meilleure» !
Par ailleurs, même si on laisse de côté les contraintes objectives et exogènes
décrites plus haut et, on suppose, pour les besoins du raisonnement, que
l’origine de la déstructuration financière est la résultante de facteurs
endogènes, ce montant de 840 milliards de dinars ne représente pas grand-chose,
lorsqu’on sait que rien que pour 2012, l’exonération fiscale prévue, surtout
pour le secteur privé, est d’environ 450 milliards de dinars en récompense de
son bilan d’activité désastreux. En 2009, selon la Cour des comptes, les
recettes de l’IRG étaient de 183 milliards de dinars, alors que les
recouvrements de l’IBS ne sont que de 228 milliards de dinars. Cela n’a pas
empêché l’un des représentants du secteur privé, certainement par sens aigu de
l’Etat puisque il était ministre, de demander la suppression totale des impôts
et taxes des producteurs nationaux. Heureusement qu’il a fait ensuite une
concession douloureuse en demandant de les réduire au maximum (le dinar
symbolique ?).
Pourtant, pour le moment, en dehors de la rhétorique creuse de ses représentants qui se
focalisent sur la loi 51/49 (alliance avec le capital international ?) et le
crédit documentaire (pour rendre les transferts de capitaux plus incontrôlables
?), le secteur privé, à l’exception de quelques entreprises de production,
consomme des ressources sans produire de la richesse (la facture de
l’importation est passée de 12 milliards de dollars en 2000 à 46 milliards de
dollars en 2011). Un salarié sur deux activant dans le secteur privé n’est pas
assuré (ONS). 50,3% des salariés sont en 2010 des non-permanents (rapport de la
Banque mondiale).
Quant aux niveaux des salaires et les conditions de travail, ils attendent, dans
beaucoup de cas, un autre Zola pour les décrire et un véritable syndicat pour
les dénoncer. Néanmoins, pour éviter tout malentendu, soulignons que le pays a
besoin non seulement d’un secteur public fort et performant, mais aussi d’un
secteur privé productif et non spéculatif.
Après avoir clarifié les
tartufferies théoriques du néolibéralisme, d’une part, et les mensonges par
omission de ses relais en Algérie en ce qui concerne l’entreprise publique,
d’autre part, nous pouvons affirmer, après avoir procédé à deux recherches
scientifiques, que l’un des problèmes majeurs de l’entreprise publique
algérienne (et même, selon nos observations sur le terrain, de beaucoup
d’entreprises privées dont l’ossature humaine est constituée par des anciens du
secteur public) est situé au niveau de sa culture telle que définie par Geert
Hofstede, à savoir «La programmation mentale collective» qui domine la
perception et les comportements des différents acteurs de l’entreprise. La
culture d’une entreprise, ou toute autre organisation, est façonnée par son
histoire spécifique. Comme le note M. Thevenet, la culture ne se situe pas
uniquement au niveau des personnes, elle existe aussi dans les systèmes de
gestion, leurs desseins et leur mode de fonctionnement.
Notre première
recherche effectuée durant la période 2001-2003 sur un échantillon de 100
entreprises, présentée lors du premier Forum national des entreprises dont nous
sommes l’initiateur, a mis en relief ce problème. En
effet, cette recherche, dont un aperçu a été publié par El Watan du 18 juin 2003, a montré que
l’entreprise publique, pour des raisons historiques, est encore sous l’emprise
de la «carte mentale» de la période de monopole et par voie de conséquence elle
n’arrive pas, faute d’une action sur le paradigme culturel, à s’approprier la
logique de l’économie de marché qui est à l’opposé de celle d’une économie de
monopole. En effet, durant la période de monopole, l’entreprise publique
régulait le marché en se protégeant de la demande par toutes sortes de
«techniques» (rationalisation, pénuries). Or, la logique de l’économie de
marché exige de l’entreprise non pas de se protéger de la demande, mais de se
défendre contre l’offre. Par
ailleurs, durant la période de monopole, la logique économique de l’entreprise
était dominée par le paramètre de la quantité. Or, dans une économie de marché,
ce paramètre n’a aucune importance dans la mesure où l’offre est abondante.
Bien au contraire, l’enjeu devient la qualité qui génère, si elle est perçue
favorablement par la clientèle, la quantité. Par conséquent, la vision et la
logique de l’entreprise publique doivent se restructurer autour du client en
tant que centre de gravité des préoccupations de l’entreprise, en lui proposant
un produit avec un rapport qualité/prix concurrentiel. L’émergence de cette
nouvelle logique doit nécessairement amener l’entreprise publique (dans
beaucoup de cas, l’entreprise privée aussi) à modifier sa «programmation
mentale collective», c’est-à-dire sa vision
d’elle-même, de ses finalités, de son environnement, la perception des
rapports humains, tant à l’intérieur de l’entreprise (personnel) qu’à
l’extérieur (clients, fournisseurs, citoyens, pouvoirs publics, etc.). Cette
rupture de logique managériale doit, par ricochet, amener l’entreprise publique
à revoir ses «7 S». Cette recherche quantitative, sur un échantillon de 100
entreprises, a été approfondie par une étude de cas (recherche qualitative),
réalisée durant la période 2006-2010 et présentée en France, en utilisant le
concept de focalisation développé par R. Laufer et B. Ramanantsoa et la matrice
de diagnostic culturel élaborée par P. D Reynolds (matrice composée de 14
positions managériales). Cette
recherche, tout en confirmant les conclusions de la première recherche, nous a
permis de relever, entre autres, que pour beaucoup de salariés, la finalité
sociale de l’entreprise prime encore sur sa finalité économique. Qu’une
confusion existe encore entre égalitarisme et équité. Que la gestion du temps,
sous forme de délais, n’est pas encore intériorisée comme contrainte à gérer.
Que le client, même s’il a fait son apparition en tant que préoccupation, n’est
pas encore le centre de gravité du management de l’entreprise publique. Parmi
les apports théoriques, cette recherche nous a permis de montrer l’impact
décisif de la culture sur «4 S» de l’entreprise (Stratégie - Structure -
Système et Style). Comme on peut le constater facilement, tous ces traits
culturels sont génétiquement le produit de deux logiques qui ont marqué
l’histoire de l’entreprise publique durant la période de l’économie
«socialiste», à savoir le monopole et la gestion socialiste des entreprises.
Ces traits culturels ne sont pas des tares congénitales impossibles à modifier. Bien
au contraire, tous les spécialistes de la question (Trompenaars, Hofstede,
Reitter, Laroche, Thevenet, Argyris, Schon, etc.) ont montré qu’il est possible
de procéder à la modification de «la programmation mentale collective» de
l’entreprise (Il existe plusieurs modèles). Actuellement, toute lecture
objective et responsable montre que notre pays va très mal depuis le
démantèlement du secteur public. Cette situation est une conséquence de
l’errance néolibérale qui a marqué la dernière décennie. Cette errance et ses
conséquences, qui menacent la nation d’explosion ou d’implosion, sont la
résultante de l’absence d’une stratégie basée sur une connaissance non
seulement de l’histoire économique des nations développées, où le secteur
public et le protectionnisme intelligent ont joué un rôle positif et décisif
dans le décollage économique, mais aussi sur les ressources du pays au sens
large du terme.
Ces choix erronés ont créé une véritable cassure du «moi collectif» par une
injustice sociale sans précédent et un déséquilibre régional dangereux, car à
force d’être éperonnés, même les bestiaux les plus paisibles finissent par
ruer. Cette situation est aggravée par le fait que le pays se trouve
actuellement dans une zone de turbulences. Par conséquent, il est irresponsable
de continuer à «gérer» le pays avec les «recettes» et avec des équipes qui ont
atteint leur «principe de Peter» depuis fort longtemps, car comme le note Tom
Peters, «le plus grand danger aux époques de turbulences, ce n’est pas la
turbulence, c’est de réagir avec les logiques d’hier». Il faut donc réhabiliter
la planification stratégique parce qu’elle est, selon les termes du général de
Gaulle, une «ardente obligation».
Les
expériences réussies ainsi que l’histoire économique de notre pays montrent,
par les faits et non par les discours démagogiques de nos néolibéraux, que le
développement du pays, la construction d’une économie forte et viable,
l’équilibre régional et la justice sociale nécessitent l’existence d’un secteur
public fort. En effet, la reconstruction d’un pays sous-développé exige des
investissements lourds dont l’amortissement ne peut se faire qu’à long terme.
Or, le secteur privé est, partout dans le monde, obnubilé par le court terme.
Aussi, il est nécessaire de développer le secteur public par la création d’usines
nouvelles en tenant compte, bien entendu, de la rentabilité financière,
mais aussi des critères liés au
caractère stratégique de l’activité pour préserver l’indépendance décisionnelle
du pays, ainsi que la création de l’emploi. Il convient également de
réhabiliter les entreprises publiques existantes par la rénovation de l’outil
de production, technologiquement obsolète, mais aussi en agissant, selon une
démarche scientifique tenant compte de la spécificité de chaque cas, sur le
paradigme culturel de ces entreprises. Par conséquent, il faut abandonner la
vision comptable simple et simpliste, utilisée depuis 1983, qui consiste à ne
concevoir le redressement des entreprises qu’à travers un «jeu d’écritures
comptables» appelées pompeusement «redressement financier». Dans
cet ordre d’idées, il faut par la même occasion abandonner, dans les sphères
politique et économique, un dogme qui a fait beaucoup de mal à notre pays,
selon lequel «on ne change jamais une équipe qui perd ni une méthode erronée»
et apprendre à ne prendre des décisions qu’après avoir procédé à un diagnostic
sérieux fait par des spécialistes.
A côté d’un secteur public fort et
performant, l’Etat doit encourager le développement d’un secteur privé
productif à condition, bien entendu, de mettre en place des mécanismes
législatifs et réglementaires
l’obligeant à trouver un
équilibre entre l’intérêt légitime de ses propriétaires et l’intérêt général. Contrairement
au discours démagogique du néolibéralisme sur «la responsabilité sociale de
l’entreprise», ce point d’équilibre ne peut être laissé à la bonne volonté de
l’entreprise privée pour la simple raison que «l’éthique ne peut être le fruit
d’une volonté individuelle, mais plutôt le résultat d’une construction sociale»
(O. Keramidas et all). Croire que l’entrepreneur privé suivra une autre ligne
que celle de son intérêt personnel est un songe creux. A ce sujet, P. Bourdieu
rappelle que dans l’Amsterdam du XVIIe siècle, les bourgeois s’étaient décidés
à financer des infrastructures de tout à l’égout lorsque le choléra, ne
reconnaissant pas les barrières de classe, a commencé à emporter leurs enfants.
En d’autres termes, ces mécanismes doivent être fixés par l’Etat en tant que
garant de l’intérêt général. Ce point d’équilibre ne doit pas aussi être laissé
à la liberté du marché, parce que, comme le note H. Lacordaire «entre le fort
et la faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur,
c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit». Pour
le moment, l’entreprise privée n’a que des privilèges. Il est donc temps de lui
imposer des obligations. La nation a besoin
seulement d’un secteur privé qui participe à l’effort de construction du
pays. Par conséquent, dans l’intérêt du pays et même du secteur privé
productif, l’Etat doit être implacable pour lutter contre l’évasion fiscale, la
non-facturation, la fuite des capitaux par la surfacturation que certains
pratiquent afin de s’installer, le moment venu, à Alicante, Genève, Paris où
Londres. Dans cet ordre d’idées, nous souscrivons à la proposition formulée par
Pierre Khalfa qui consiste à prendre une série de mesures pour assurer
l’équilibre entre l’intérêt particulier et l’intérêt général, telles que «la
fixation d’une rémunération maximale pour les dirigeants (pour ne pas jouer sur
les charges), d’un taux de profit maximal et une taxation plus importante des
profits non investis».
La
mise en œuvre de cette stratégie suppose l’existence d’hommes d’Etat, comme
ceux que l’Algérie a connus durant la Révolution et les années 1970,
c’est-à-dire, selon F. Lordon «des individus porteurs des logiques propres de
la puissance publique, de sa grammaire d’action et de ses intérêts spécifiques
(…) et dévoués aux logiques de l’Etat et déterminés à les faire valoir contre
les logiques hétérogènes». Malheureusement, l’interpénétration entre les
«hommes politiques», l’administration et les hommes d’affaires fait que
l’Algérie, à quelques exceptions près, est la proie d’«egocrates» qui
confondent gérer et digérer. Ils ont transformé le pays en «un cabaret et une
économie de bazar», selon l’aveu fait, dans un moment de lucidité, par M.
Ouyahia. Ces
«egocrates», adeptes de Margaret Thatcher, qui estime qu’il n’y a que des
individus et que la société n’existe pas, «There is no such thing as society»,
ne pensent qu’à leurs intérêts personnels en s’assurant à vie, entre autres,
par le biais d’un régime de retraite inique et unique au monde, l’intégralité
du salaire du poste avec actualisation automatique, c’est-à-dire que,
contrairement aux indigènes qui doivent attendre chaque année la charité pour
les uns et le «couffin du Ramadhan» pour les autres, les salaires de ce
«premier collège» sont indexés sur le salaire de base du poste occupé au moment
du départ en retraite. Même
après le décès de «l’egocrate», cette
rente reste garantie intégralement pour les ayants droit (qui a dit que nos
egocrates sont incapables d’innovation ?). Il est intrigant de noter que ce scandale soit passé sous silence sans que
les questions liées au financement de ce régime spécial et sa conformité avec
la Constitution soient posées. Il vrai que ces «egocrates», du moins le premier
rang, a besoin d’un régime spécial puisque, selon la presse, 500 des 700
ministres de l’Algérie indépendante vivent à l’étranger. Bref, le pays va très
mal à cause d’une «haute» administration incompétente mais machiavélique, et
d’une «classe politique» dont l’ignorance n’a d’égale que son arrogance, sa
cupidité et son irresponsabilité.
Cette «classe politique» est le produit de «groupements d’intérêts» qu’on appelle
abusivement partis, sous prétexte que leur registre de commerce (agrément) est
délivré par le ministère de l’Intérieur au lieu de celui du Commerce. Il est
vrai que l’exemple est donné par leur géniteur en chef, à savoir le FLN, ce
groupement d’intérêts qui ose encore, sans rougir, se réclamer des valeurs de
Novembre malgré sa compromission avec le néolibéralisme (cette «théorie de la
destruction collective», selon les termes de P. Bourdieu) et ses conséquences
(inégalités sociales, chômage, déséquilibre régional, démantèlement de l’Etat
national). Les
zizanies de ces carriéristes à l’occasion de chaque élection (Le texte de J. P.
Sartre intitulé Élections : piège à cons
semble avoir été écrit pour l’Algérie !) montrent que
l’électro-encéphalogramme de ses dirigeants ne fonctionne que lorsque leurs
intérêts sordides et mesquins sont en jeu, et ce, quel que soit l’âge de la
personne. Bien plus, les jeunes carriéristes, voulant «arriver» rapidement,
sont plus voraces que leurs aînés. De
ce fait, on doit cesser d’opposer les générations entre elles parce que le
problème d’âge est à la fois un faux problème et un piège. En effet, c’est un
faux problème car, comme le dit Sartre, «L’âge n’a jamais été une question
d’état civil. C’est une question d’état d’esprit». C’est aussi un piège
concocté par la mafia politico-financière pour détourner l’attention du
véritable clivage. En effet, le vrai clivage n’est pas entre les générations,
mais entre ceux qui veulent servir l’Etat et ceux qui se servent de l’Etat. Il
est entre ceux qui restent fidèles aux valeurs de Novembre pour la construction
d’un «Etat social» et ceux qui participent par leurs actes ou leurs écrits à la
captation de l’Etat par la mafia politico-financière. Le
vrai clivage est entre ceux qui, comme W. Beveridge, pensent que «ce doit être
une fonction de l’Etat de protéger ses citoyens contre le chômage de masse,
aussi définitivement que c’est maintenant la fonction de l’Etat que de défendre
les citoyens contre les attaques du dehors», et ceux qui estiment que la misère
sociale de l’écrasante majorité de la population est un simple dommage
collatéral nécessaire pour le bonheur des 10 000 milliardaires, seule
réalisation palpable de cette errance néolibérale. Il est entre ceux qui sont
pour un modèle de développement permettant à tous les Algériens de vivre dans
la dignité, par une répartition plus équitable des richesses nationales, et
ceux qui ne leur laissent que le choix entre le suicide, les psychotropes et la
«harga» pour fuir la «hogra».
Mohammed Salah Chabou est docteur en sciences de gestion et membre de l’Association
internationale de recherche en management public.
Références bibliographiques :
Baba Ahmed ; Diagnostic d’un développement ; Editions l’Harmattan ; 1999
Baudouin J ; Introduction à la sociologie politique ; Editions du Seuil ; 1998
Bourdieu P ; L’essence du néolibéralisme ; Le Monde diplomatique ; mars 1998
Bouzidi A ; Questions actuelles de la planification algérienne ; Editions ENAP/Ena 1983
Brahimi A ; Stratégie de développement pour l’Algérie ; Editions Economica ; 1991
Hofstede G ; Vivre dans un monde multiculturel, comprendre nos programmations mentales ;
Editions d’Organisation ; 1994
Khalfa P ; « Un tabou et un totem, le rapport entre le travail et le capital» in
dossier - Protectionnisme : libres échanges - Le Monde diplomatique ; 31 mars
2009
Thevenet M ; Audit de la culture d’entreprise ; Editions d’Organisations ; 1986.
This webѕite was... how do you ѕay it? Releѵant!
RépondreSupprimer! Finally I have found something that helped me. Kudos!
Мy web site :: meuble salle de bain pas cher
This article is truly a pleasant one it helps new net people,
RépondreSupprimerwho are wishing for blogging.
Also visit my web-site: Wholesale Jerseys
Hello just wanted to give you a quick heads up. The text in your article seem to be running off the screen in Safari.
RépondreSupprimerI'm not sure if this is a formatting issue or something to do with browser compatibility but I thought I'd post to
let you know. The layout look great though!
Hope you get the problem resolved soon. Cheers
Feel free to surf to my page ... natural cellulite treatment
Hey! I know this is kind of off topic but I was wondering if you knew
RépondreSupprimerwhere I could find a captcha plugin for my comment form?
I'm using the same blog platform as yours and I'm having difficulty finding one?
Thanks a lot!
Here is my web page - Roland Garros
Whoa! This blog looks just like my old one! It's on a completely different subject but it has pretty much the same layout and design. Outstanding choice of colors!
RépondreSupprimermy site - voyance