Par
Lyes Akram
Sans
doute, le jeune tunisien Mohamed Bouazizi ne savait rien, avant sa mort, des
bouleversements qui s’ensuivaient et qui s’ensuivent depuis son geste désespéré,
mettant fin à ses jour en s’immolant par le feu. Un seuil de tyrannie et d’injustice
a été franchi au début de cette année. Le monde arabe, semble-t-il, se
réveille. Il vit l’évènement le plus crucial depuis la fin de la colonisation. Pour
le moins, une libération psychologique de la peur est survenue chez des
populations longtemps opprimées et réprimées. La caste des prédateurs qui
ruinaient la Tunisie
s’est enfuie et à leur été Ben Ali, réputé pourtant féroce, et son épouse
Trabelsi. Quant à Moubarak, dictateur impitoyable qui a régné d’une main de fer
sur l’Egypte durant trois décades, il pourrit en prison, accompagné de ses
enfants.
L’ébullition
engendrée par une conscientisation effective des populations n’a épargné aucun
pays arabe. Le Yémen, la Syrie,
le Bahreïn, l’Arabie Saoudite… Le monde arabe change. Malheureusement, certains
évènements fâcheux, tels des impondérables, sont survenus. Notamment en Libye.
Des mois après une intervention étrangère, certes amère, jeudi dernier, le
despote de Tripoli périt, vraisemblablement exécuté alors que, blessé, il
n’avait pas d’arme sui lui. Nous aurions souhaité vivre un dénouement différent
de la crise dans ce pays.
Commentaire sur une fin qui n’était pas inévitable
Complexe,
l’actuelle situation d’absence d’Etat et d’une réelle autorité en Libye voisine
ne présage guère un bon avenir. Tribalisme et fanatisme sont effectivement les
deux constantes qui subsistent inchangées après la fin de l’ancien régime
tyrannique. Cette fin nécessite au demeurant une prise de position. Après avoir
vu les images, et, surtout, les vidéos du désormais ancien « fou de
Tripoli » traité d’une manière dégradante et antihumaine, avant d’être
« assassiné » – puisque il s’est agi de cela : un crime de
guerre – c’était, dans mon esprit, non pas l’engouement ni l’écœurement, mais,
suivi d’une désolation profonde, l’irruption de souvenirs d’anciennes lectures
de l’anthropologie dite coloniale. Celle-ci affirmait sans réserve que
« l’Arabe » est « un être cruel et vindicatif ». Les
causes ? Son « sang », sa « religion », ses
« coutumes » et même le « climat » étaient longtemps pointés
par les « savants » colonialistes. Bref, comment ne pas repenser à
ces propos lorsqu’on voyait un être humain traité de telles manières ? Exécuté,
El Guedhaffi pourrait gâcher d’outre-tombe la Libye, après l’avoir fait lorsqu’il était en vie,
42 ans durant.
Nous
aurions apprécié de voir le « guide » sanguinaire qui, pendant quatre
décades, terrorisait les Libyens, et faisait de leur pays un fief de l’arriération
dans tous les domaines, devant un tribunal, libyen ou international. La Libye serait devenue un
exemple. Pour le reste du monde. Mais…
D’aucuns,
en Algérie, n’hésitent pas à comparer sa fin avec celle de feu Saddam Hussein.
Celui-ci, considéré par beaucoup d’Algériens comme un martyr mort debout, en
dépit des ses crimes massifs dans le passé, était exécuté suite à «la»
mascarade du siècle, un simulacre de procès ou un sectarisme haineux dominait
les esprits. Le parallèle n’est pas si difficile à faire : égouts et
trous, visages ahuris des despotes capturés et, ce qui désole, le lynchage
final.
On
se demandera, pantois ou faussement rassurant, les prochains mois sur la fin
d’El Guedhaffi : est-ce une mauvaise « fin » de l’ancien régime ?
Ou, ce qui serait triste et désastreux, un mauvais « début » d’un
nouveau régime, qui plus est peine encore à se consolider ? J’espère que
les Libyens privilégient la raison pour solutionner les problèmes qui hypothèquent l'avenir de leur pays.
Le chaos libyen
Les
Libyens auraient dû se « cultiver » de ce qui se passe en Egypte et
du procès du siècle, intenté à Moubarak et ses rejetons. Malheureusement, ils
ne l’ont pas fait…
Toutefois,
c’est El Guedhaffi lui-même et sa répugnante progéniture qui sont les premiers
responsables de ce qui se passe en Libye – en premier lieu l’existence de forces
étrangères qui ne sont pas envoyées par des mécènes – et de sa fin peu
glorieuse. Les gens vindicatifs qui ont choisi de l’achever ainsi, ne sont que
le fruit amer de sa gestion chaotique du pays pendant 42 ans. Il leur a servi,
malheureusement, d’exemple. Le « guide », n’avait-il pas l’habitude
d’assassiner ses opposants, tel qu’il était arrivé à se vanter de l’inexistence
de l’opposition chez lui ? C’est El Guedhaffi qui a tout ruiné et qui a
détruit tous les repères de son peuple. Si en Algérie, aujourd’hui, il s’agit,
afin que survive la Nation,
de changer le régime et de « reconstruire » la République – pourquoi
pas une Deuxième ? –, force est d’admettre que la situation libyenne est
indubitablement plus grave.
Dans
ce pays frère qui est la Libye,
tout est à « construire ». Il n’y avait jamais eu d’Etat digne de ce
nom sur la terre libyenne, ni durant El Guedhaffi ni avant lui. Point
d’institutions solides. Nul accomplissement de l’ancien régime n’est à
sauvegarder. Si les « naïfs » et autres « ingénus », voire
les simples d’esprit, qui ont défendu El Guedhaffi et ses « réalisations »
montrent la « gratuité » de certains services dans sa Jamahiria
El-Aoudhma, est-ce vraiment cela le rôle de l’Etat ? Dilapider
l’argent ? Aragent, qui plus est tiré de l'exportation de ressources épuisables ! Où
sont les infrastructures de la
Libye ? L’université et la médecine libyennes, ont-elles
une place au niveau internationale ? Que non ! La Libye sous le règne d’El
Guedhaffi n’était qu’un Etat raté. Absence totale des infrastructures les plus
élémentaires et des institutions modernes, totalitarisme et, par surcroit,
infantilisation de la population. Un non-Etat pourvoyeur en pétrodollars. Point.
L’après-pétrole, comme c’est aujourd’hui le cas en Algérie, n’a pas été pensé.
Les
gens qui auront la lourde et non moins noble tâche de bâtir la nouvelle Libye,
seront confrontés à une société archaïque, tribal(ist)e, féodale et, dans une
large mesure, rétive au genre d’autorité que constituerait un Etat fort
d’institutions légitimes. En Libye, contrairement à plusieurs pays arabes, même
l’armée n’est pas une institution solide, et elle est donc à construire. Le
recrutement des militaires était plutôt un « chômage masqué ». El
Guedhaffi avait affaibli l’armée dès la fin des années 70 afin de se parer d’éventuels
putschs, mais il ne savait certainement pas que l’état de ses troupes aura
énormément facilité sa propre chute.
En
dessus de cela, l’Occident ne fait point de charité et les Occidentaux, comme
Sarkozy, qui ont participé dans la destruction d’El Guedhaffi, l’avaient
courtisé il n’y a pas si longtemps. Les pétrodollars obligeaient.
Il
est vrai que la ténacité criminelle d’El Guedhaffi à se maintenir a fait de la Libye un nœud gordien. Il
n’en reste pas moins que l’intervention de l’Otan n’était pas inévitable. D’autres
solutions étaient envisageables afin de changer ce régime. Mais,
malheureusement, les pays arabes qui auraient pu jouer un rôle central, sont
restés passifs. Ou, pire, ils s’étaient assignés un rôle contrerévolutionnaire.
L’Algérie de Bouteflika, en soutenant officiellement et officieusement l’ancien
régime, essuiera pendant longtemps la honte d’un choix qui est à la fois perfide,
contre l’éthique des Algériens et aussi contre les intérêts du pays et de
l’Etat.
Vers quel avenir s’achemine la Libye ?
L’existence
d’une autorité suprême légitimée par la population nécessite que celle-ci
accepte sans réserve un contrat démocratique clair : si les minorités
doivent accepter les choix de la majorité, afin de cohabiter paisiblement,
l’existence d’institutions capables de sauvegarder les droits des minorités –
quelle qu’elles soient – et de donner la possibilité à ces dernières de se
représenter et, éventuellement, à l’une d’elles de devenir majorité n’est que
l’essence même de la démocratie.
La
rhétorique usitée par et les islamistes et les laïques Libyens – comme en
Tunisie et en Egypte – laissent croire en la possibilité de la formation d’un
gouvernement d’Union nationale, prélude à un futur régime libyen démocratique.
Néanmoins, l’histoire enseigne que la pratique n’a pas été conforme toujours à
la parole, ni pour les islamistes, ni pour les laïques. D’où un avenir brumeux.
*
* *
On a compris depuis plusieurs mois que l’Occident ne protègera pas ses serviles si ses intérêts vont à l’encontre de leur survie. Les Algériens, peuple et pouvoir, auront d’autres leçons à tirer de la situation libyennes. La première, et non des moindres, est pour les sieurs Bouteflika et Tewfik ainsi qu’a leurs acolytes prédateurs et parasites : nul peuple n’accepte de souffrir en silence indéfiniment. L’éveil est inéluctable.
L.
A.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire