C’est
dans un très long registre de crimes d’Etat que s’inscrit l’assassinat
de Ali André Mécili. Avocat au barreau de Paris, membre fondateur du FFS
(le Front des Forces Socialistes), et fondateur du journal « Libre
Algérie », Ali était un personnage, sinon le plus efficace, de prime
importance dans l’organisation de l’opposition algérienne démocratique à
l’étranger. Rôle à haut risque quand on sait la nature du régime
algérien. Connaissant parfaitement les hommes de l’ombre, son élimination physique s’inscrit dans la logique même du système algérien dont la police politique, son épine dorsale, est mêlé vraisemblablement dans toutes les exactions qui ont ruiné la vie en Algérie, et ce même avant 1962…
Par Lyes Akram
C’était il y a vingt quatre ans. Le 07 avril 1987, un rebut proxénète assassinait Ali par trois balles 7,65 en pleine tête. La scène s’est déroulée la nuit, à 22 h 35, dans le hall de l’immeuble où habitait Ali, le boulevard Saint-Michel, Paris même.
Le truand, un certain Abldemalek Amellou, identifié parfaitement par un témoin, et, par surcroit, la police française trouva sur lui… un ordre de mission en bonne et due forme signé par le capitaine Hassani de la SM, fut expédié dans la précipitation vers Alger, par la France des droits de l’homme.
Le truand, un certain Abldemalek Amellou, identifié parfaitement par un témoin, et, par surcroit, la police française trouva sur lui… un ordre de mission en bonne et due forme signé par le capitaine Hassani de la SM, fut expédié dans la précipitation vers Alger, par la France des droits de l’homme.
Un autre crime d’Etat algérien venait d’être perpétré, cette fois, après ceux en l’Allemagne (Krim Belkacem) et en Espagne (Mohamed Khider), en France. Et avec la connivence directe de Paris !
Pourquoi Ali ? Pourquoi en 1987 ? Pourquoi la France garantit l’impunité ?
C’est ce que nous allons essayer de comprendre…
I- La Guerre et l’après-guerre
« Il faut quelques fois forcer les gens à affronter ce qui leur fait peur pour les aider à se libérer. A force d’exorciser ma peur, j’ai fini par éprouver la peur d’avoir peur, et par découvrir le courage de lutter. » Ali Mécili.
En 1960, Ali a vingt ans. Né de parents Kabyles (habitants à Koléa) naturalisés français avant sa naissance, il a la nationalité française par filiation. A cet âge, il est donc appelé à faire son service militaire. « Mais, militant depuis longtemps au sein du FLN où j’assumais des taches de liaisons et d’hébergement, j’étais en quelques sorte déjà sous les drapeaux », dira-t-il plus tard à son ami, Hocine Aït Ahmed. Insoumis à l’égard de la loi coloniale, Ali va rejoindre Tunis via la France puis l’Italie (où il réside chez deux amis, le couple Marco et Puci, avec lesquels il entretient une correspondance et qu’il a connu à Alger où ils étaient journalistes durant les spectaculaires manifestations de 1960).
Le 27 aout 1961, il écrit au couple italien : « Les conditions de vie ici sont très dures. Il se peut que je sois envoyé à Tripoli, en Libye ». C’est là -à Tripoli- où se trouvait la base Didouche du MALG (Ministère des Armements et des Liaisons Générales).
Transféré vers la banlieue tunisoise, Ali perçoit l’autre visage de la Guerre d’Algérie. Celui des dirigeants du MALG. La formation du mercenariat en cours. Il raconte à Aït Ahmed : « C’était déjà un monstre froid, une bureaucratie, des apparatchiks ». Après avoir raconté sa vie aux responsables, ceux-ci lui signifient qu’il peut se considérer dès lors comme un agent de renseignement du MALG.
On ne demande pas son avis, on l’informe ! Le MALG, préparant déjà l’après-guerre, recrutait les cadres les plus instruits sans demander leur avis, ni celui du GPRA d’ailleurs, car, sur le terrain, il dominait le jeu et de très loin.
Le 13 juin 1962, Ali confie à ses amis Italiens : « Pendant dix mois à peine, dix mois déjà, j’ai connu tour à tour le baptême du feu au bord d’un monstrueux barrage électrifié, j’ai connu les poux et les punaises, la saleté, l’hypocrisie, la bassesse humaine, les exécutions sommaires de ceux qui n’ont rien fait de mal et qui ne pourront plus rien faire… ».
C’est bien cette ambiance, que les démoniaques dirigeants du MALG engendraient et entretenaient sciemment, qui a fait que les évènements d’après-guerre étaient si sanglants. On ne préparait pas des résistants ou des soldats, mais des mercenaires.
On déshumanisait savamment les Algériens.
Comment vient-on s’étonner plus tard lorsque l’armée des frontières élimine en deux mois –juillet et aout 1962- plus de 1500 combattants dont certains ont survécu bravement la féroce Guerre de sept ans et demi contre la France coloniale ?
En effet, le MALG surveillait tout le monde. « Chaque dirigeants était épié dans ses relations même les plus intimes. Des copies de votre correspondance de prison avec vos familles nous parvenaient régulièrement, des récits tragi-comiques concernant des mœurs sexuelles ou simplement une aventure cocasse », affirmera plus tard Mécili à Hocine Aït Ahmed.
Toutefois, le MALG était infiltré par la France. Aït Mesbah Hamid, du MALG (puis haut responsable de la SM), était à la fois chargé d’espionner Krim Belkacem et à l’origine d’une fuite extraordinaire qui a permis à la France, à la veille des accords d’Evian, d’avoir l’organigramme complet de la base Didouche ! En 1970, c’est ce même Aït Mesbah qui organisera l’assassinat de Krim Belkacem dans un guet-apens (il sera attiré puis étranglé par sa propre cravate dans un hôtel de Düsseldorf en Allemagne). Et c’est lui-même qui tentera d’éliminer Hocine Aït Ahmed en 1969. Grâce à Mécili, qui connaissait Aït Mesbah, individu sans scrupule pour lequel la vie humaine n’a point d’importance, Aït Ahmed compris son jeu si pervers. Le malheureux Krim n’avait pas la chance d’avoir Ali à ses cotés…
Dans la base Didouche, Ali Mécili est à la tête de la section « Renseignement, documentation et exploitation ». Son grade : lieutenant. Sa fonction lui permit, plus tard, d’apporter des faits. « Le choix de Ben Bella comme porte-drapeau, le ralliement à cette oligarchie sanguinaire de personnalités ‘‘sécurisantes’’ comme Ferhat Abbas, ont été soigneusement concoctés dans nos laboratoires », affirme Ali Mécili à son ami Hocine Aït Ahmed.
Sur les entrefaites du choix de la liberté par le peuple algérien, un conflit oppose le GPRA à cette brute qui est Boumediene, « capoté » par le pantin Ben Bella, stalinien convaincu et antidémocrate invétéré. Ali Mécili comprend que l’heure du choix -entre la liberté personnelle ou la participation dans la destruction annoncée- sonne. Il opte pour la dignité et la liberté. A proximité de Chlef, il saute du camion qui le transporte et gagne sa région pour témoigner des crimes du MALG.
Toujours à Aït Ahmed, il dit : « On ne peut qu’être démocrate après avoir vécu cela…et à condition d’en sortir ».
Dès le début de l’après-guerre, les Algériens commettent la funeste erreur qui a trainé ce pays dans la situation apocalyptique actuelle. Ils n’ont pas pris part dans la guerre « des chefs ». Malheureusement. D’un coté le clan d’Oujda avec près de 40 000 mercenaires déshumanisés assoiffés de sang, dirigés par le sanguinaire Boumediene et le stalinien Ben Bella, contre, de l’autre coté, Krim Belkacem et Mohamed Boudiaf et les combattants de la Liberté, ceux qui ont libéré l’Algérie. « Sept ans, ça suffit ! ». C’est le slogan des Algériennes et Algériens qui n’avaient certainement aucune idée des suites de crimes inaugurés par la confiscation de l’indépendance.
Après la Guerre contre la France, la guerre des chefs, puis l’après-guerre.
Mais pas d’indépendance…
Mécili et Aït Ahmed, en fait, ne soutiennent aucun groupe.
Tentant d’œuvrer pour que la paix civile règne, Mécili vit en ce début d’après-guerre, un épisode qui le marquera à jamais. Youcef et Karbaba, officier et sous-officier de l’ALN, wilaya IV, qu’il connaissait bien, sont tués par l’armée des frontières. Eux, qui ont survécu à la Guerre de « libération » à laquelle ils ont participé dès 1954 !
Après l’échec du groupe de Krim Belkacem en 1962, ses principaux partisans hormis Boudiaf, créent l’UDRS (Union pour la Défense de la Révolution Socialiste) et préparent des opérations militaires avec la visée de renverser le régime illégitime qui s’est installé à la pointe des épées. Pour Hocine Aït Ahmed, une résistance pacifique peut réussir. « En accusant Ben Bella de vouloir imposer une Constitution au pays, en dehors et contre l’Assemblée constituante, et donc en violant sa souveraineté, je n’avais qu’un souci : présenter spectaculairement une alternative pacifique susceptible de désamorcer les recours à la mitraillette(…) La création d’un parti politique s’imposait : ce serait le Front des forces socialistes (FFS) », écrit-il dans son livre, l’Affaire Mécili. Et Ali est parmi les premiers à rejoindre Aït Ahmed. Celui-ci écrit : « Mécili fut l’un des premiers à répondre à cet appel. Il savait l’importance des enjeux. Il n’était pas venu au Djurdjura pour me faire plaisir. Il voulait s’engager et il décida, pour cela, de reprendre du service au sein de la police politique. Il avait noué à cet effet des contacts préliminaires avec les responsables de la SM. Il avait également sondé ses jeunes camarades qui acceptaient de réintégrer la Centrale afin d’en couvrir les divers champs d’activité. A partir de notre contact ‘‘top secret’’ dans un petit village du Djurdjura, Mécili et son groupe allaient contribuer à trouver un moyen pour sortir de l’impasse(…) Ali et son groupe allaient nous aider, d’abord dans le domaine du renseignement, qui est vital(…) Pendant plus de quatorze mois qu’il passa au sein de la Sécurité militaire, Mécili nous transmet donc des informations de la plus haute importance dans tous les domaines, politique, militaire, diplomatique et policier ». Plus loin, Hocine Aït Ahmed ajoute : « Dès la naissance du FFS, j’ai compris que quelque chose n’allait pas(…) Grace à Ali, je ne tardais à apprendre la source de nos maux : il nous avertit qu’un membre de la VIIe région militaire, très proche du colonel Mohand Oulhadj, ne se contentait pas d’informer régulièrement la SM de toutes nos activités, mais qu’il était aussi chargé de les saboter ».
La contribution de Ali Mécili dans la lutte pacifique du FFS dépasse le renseignement, qui est déjà d’importance cruciale. Aït Ahmed témoigne encore : Ali Mécili « participa d’abord à la création même du FFS, en septembre 1963, à l’élaboration de ses orientation et au développement de ses structures (…) C’est à Ali que revint dès lors la tache d’assurer l’impression des tracts, des déclarations et autres communications du FFS, ainsi que leur distribution limitée aux agences de presse, ambassades et personnalités… » Il est vrai, le FFS est visé par une entreprise de désinformation sophistiquée par le pouvoir algérien (jusqu’à aujourd’hui). Aussi, pour ce qui est de son apport à l’Algérie, « Ali réussit à faire avancer deux projets qui nous tenait à cœur : aider les travailleurs à imposer un mouvement syndical libre (…), et encourager les femmes à se battre pour leur émancipation ».
On voit clairement l’importance de Ali Mécili en après-guerre, au sein de l’opposition démocratique. « Une chose est certaine, écrit Ait Ahmed : l’état-major de la SM ne lui pardonnera jamais le courage qu’il lui a fallu pour conserver les idéaux du passé au cœur même d’un système qui les nie ».
Un évènement imprévu affaiblit considérablement le FFS. La « guerre des sables » entre l’Algérie et le Maroc à cause d’un problème de frontière. C’est en octobre 1963. Les officiers du colonel Mohand Oulhadj se rendent avec leurs armes après que le pouvoir eût joué sur la fibre patriotique. Ce n’est pas le moindre des problèmes du FFS. Conseillé par les services égyptiens, lui qui avait l’habitude de les renseigner durant la Guerre, Ben Bella tente de diviser la Kabylie. Il négocie le retour de Krim Belkacem pour jouer "Krim contre Aït Ahmed", étant donné que les officiers qui soutiennent le FFS ont soutenu auparavant Krim Belkacem.
Grâce à Ali, qui tient Aït Ahmed informé, le pire est évité : un conflit fratricide sanglant, dont les conséquences gravissimes mettraient l’unité même de la nation en péril.
Par Lyes Akram
II- L'arrestation et la prison...
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