« Lé
pauvreté recule progressivement dans un pays démocratique », écrit Amartya
Sen, lauréat du prix Nobel d’économie en 1988. Pas seulement antidote de la
pauvreté, les vertus de la démocratie sont en effet innombrables. Ainsi a-t-on
relevé par exemple que les pays démocratiques ne se font pas la guerre — c’est
là un simple constat historique : pas une seule démocratie n’a agressé
militairement une autre démocratie. La démocratie améliore donc l’économie, pérennise
les États et protège les peuples. Car la démocratie ne peut fonctionner sans
État de droit, ce qui protège les citoyens de potentiels abus. Mais aussi les
dirigeants — ce que les oligarques et autres potentats arabes n’ont pas
compris.
La fin de(s) Bouteflika, de Ali Haddad et même celle du général Toufik appelle ce commentaire.
Par Lyes Benyoussef
Ancien président et démocratie
En
effet, les dirigeants arabes ne semblent pas avoir compris qu’il existe une vie
— et une belle vie — pour les dirigeants des pays démocratique, après la fin de
leur mandat. Méditons un exemple démocratique : les États-Unis. Le cas
Clinton, par exemple. Après deux mandats, le 42e président américain
quitte la Maison Blanche endetté à hauteur de 16 millions $US. Aujourd’hui, sa
fortune est estimé à 75 millions $US ! Après la fin de ses mandats, M.
William Clinton lance, comme d’autres présidents, sa fondation, écrit des
livres, sillonne le monde en donnant des conférences un peu partout, ce qui lui
aurait rapporté plus de 100 millions $US (selon Le Monde, 19 mars 2007) et
siège dans les conseils d’administration de plusieurs entreprises. Ainsi donc,
argent et pouvoir, Clinton en conserve, voire en a plus comme ancien président,
que comme président. Mais ancien président d’un pays démocratique, d’un État de
droit.
Lorsque
Bouteflika envisageait de modifier la constitution pour briguer son 3e
mandat, une personne qu’il respectait lui conseilla de ne pas le faire, de
terminer son second mandat et de partir. C’était sa propre mère. S’il avait
obéit à sa mère, il serait entré dans l’histoire comme un grand homme d’État,
unique en Algérie. Comme chacun le sait, personne ne veut plus le bien d’un
homme que sa mère biologique. Bouteflika aurait répondu à sa mère que s’il
n’annonçait pas sa candidature, il n’allait trouver personne pour lui rapporter
son journal le matin ! Qu’il ait raison ou tort dans cette prédiction,
cela renseigne sur la mentalité du potentat arabe. Ou le pouvoir d’État,
semble-t-il, ou la déchéance !
Le sort des oligarques
En
ne considérons que l’Algérie, la liste des personnes qui avaient atteint les
sommets pour déchoir pitoyablement est fort longue.
Limitons-nous
à la période récente.
Le
général Toufik — véritable dieu déchu de l'Algérie, ancien sélectionneur de
présidents ! — endure aujourd’hui une diffamation pure et simple, de la
part de chaines TV dégradantes comme Ennahar ou Echorouq. Or les groupes
Ennahar et Echorouq ont vu le jour grâce à lui, voire dans son bureau et sur
ses instructions ! C’est l’ANEP de l’État-DRS qui inondait les pages de leurs
journaux de publicités, alors que d’autres journaux suffoquaient
financièrement. De telles chaines de propagande et de désinformation le traitent aujourd’hui de
traitre, et d’un traitre plutôt minable puisqu’il est réduit dans cette
propagande à comploter contre l’Algérie, et avec des seconds couteaux. Cet
ex-plus haut gradé de l'armée ne peut absolument rien pour défendre son honneur. Sa déchéance lui a été signifiée quand un
individu comme Saadani l’insulta, impunément, avant sa mise pathétique à la
retraite.
Deuxième
cas : Ali Haddad L’ex-patron des patrons est arrêté comme on le sait. On
parle de corruption, de malversation, etc. Ce dont on l'accuse exige des mois,
voire des années d’enquête et de procès. Or il est déjà en prison, quelques
heures après son arrestation ! C'est bel et bien un règlement de compte.
L’opacité dans laquelle il est jugé n’a d’égale que celle dans laquelle son
groupe l’ETRHB a pu, il n’y a pas si longtemps, obtenir nombre de marchés publics.
Que
dire de Bouteflika ? Il était capable de dépolitiser l’armée véritablement,
c’est-à-dire son état-major, depuis fort longtemps, en mettant à la retraite
tous les vieillards incompétents qui y trainent. Cette tâche, il l’avait
commencé, mais il ne l’avait pas terminé et ce ne n’était pas faute de temps.
Il avait besoin d’un général à son service, car Bouteflika n’envisageait pas
lui-même de respecter le Droit, la Constitution. En plus de quelques centaines
de violations devenues routinières de la Constitution, il l’avait modifiée fin
2008 pour rester au pouvoir. Et ce n’est certainement pas pour sa compétence,
qui n’est pas légendaire, qu’il a choisi Gaïd Salah pour remplacer son
prédécesseur. Triste fin : c’est ce chef d’état-major de l’armée qui l’a
sommé de dégager, hier, ce qu’il fit, dans des conditions humiliantes.
De Chadli à Bouteflika, de la tragédie à la farce
Si
Bouteflika n’avait pas osé la forfaiture de 2008, il aurait quitté le pouvoir
avant les grandes affaires de la corruption, qui ont culminé avec la
culmination du prix du baril, avant son AVC qu’il aurait pu peut-être
s’épargner. Ancien président arabe vivant libre dans son propre pays après
avoir transmis le flambeau, il aurait constitué un précédent historique. Il
aurait pu écrire ses Mémoires et discourir comme il aimait le faire. Mais il a
choisi le pouvoir.
Cela
dit, Chadli Bendjedid aussi était un jour d’hiver 1992 sommé de quitter le
pouvoir par les officiers dont il a fait des généraux pour des considérations
autres que leurs compétences imaginaires. Karl Marx avait raison, au mois pour
le cas algérien, dans sa célèbre réflexion sur la répétition de l’histoire.
Dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Marx écrit : « Hegel
fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages
historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la
première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. » De la
tragédie à la farce. Bouteflika avait, le premier, dénommé le règne de Chadli « décennie
noire », compte tenu de la corruption à cette époque. Ironie du sort, c’est
surtout pour la corruption débridée que les mandats successifs de Bouteflika excèdent les Algériens.
Donc, de
la tragédie à la farce. Les deux décennies, noire et rouge auront été la tragédie, et les deux décennies Bouteflika la farce ! Et Bouteflika pour Chadli, Gaïd Salah pour Khaled
Nezzar. Tragique, le coup d’État de 1992 le fut bien. Il a inauguré une
décennie sanglante où périrent des dizaines de milliers d’Algériens et dont la
conséquence ultime fut… Bouteflika ! En revanche, ce que le pays a vécu
hier n’a jusqu’ici rien de tragique.
Où va l’Algérie maintenant ?
Le
chef de l’état-major de l’armée a-t-il la tentation d’exercer lui-même et
directement le pouvoir, ce que certains lui prêtent depuis des mois ? Ce
serait une tentation stupide et une calamité. Les généraux de 1992 ne l’avaient pas osé !
Il
est plus probable que le clan fort du moment, militaro-affairiste dans son fond,
se cherchera une nouvelle façade politique. Cela, on le comprendra. Et le peuple dira
son mot, le vendredi.
Espérons que l’homme fort du moment médite sur le destin des hommes qui avaient un pouvoir équivalent au sien. Tous l’ont mal géré et tous ont fini mal. Espérons qu'il comprenne que la démocratie et l’État de Droit améliorent la vie morale et matérielle de tous les citoyens, gouvernés et gouvernants, mais aussi ex-gouvernants, catégorie qu'il devrait rejoindre lui aussi...
L. B.
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