Ci-dessous un article et deux entretiens avec des experts, publiés dans le journal El Watan aujourd'hui, afin de comprendre les causes et, surtout, les conséquences de la baisse du cours du pétrole sur l'économie algérienne. Dans le premier entretien, le journaliste interroge M. Kerrar sur l'utilité des réserves de change, les fameuses 200 milliards USD. Pour mieux comprendre, on peut lire, dans ce lien, un article fort pédagogique rédigé par NABNI. Bonne lecture.
La
dégringolade des prix du pétrole
L’Algérie
risque une crise majeure
Après
un pic à 128 dollars début mars, le cours du brent coté à Londres a dégringolé
de près de 30%, tombant à 89 dollars le baril hier. Le FMI a estimé que pour
équilibrer le budget du pays, les prix du pétrole doivent se situer au-dessus
de 100 dollars le baril.
Le
terrible fléchissement des cours de pétrole sur les marchés internationaux
commence bel et bien à faire jaser dans le cercle très rétréci des animateurs
de la réflexion économique officielle. Bizarrement, c’est le président du
Conseil national économique et social (CNES), Mohamed Seghir Babès, qui vient
apporter quelques correctifs aux thèses officielles qui défendaient – jusqu’ici
– à cor et à cri l’idée selon laquelle l’Algérie ne peut être affectée par
l’orage financier qui enveloppait la zone euro et qui étendait son onde de choc
sur les marchés pétroliers.
«Dans l’ensemble, aucun pays n’est, dans l’absolu, à l’abri. Les
crises mondiales qui se sont accumulées depuis des années ont sédimenté sur une
crise financière tellement profonde, intense et complexe qu’aucun pays et aucun
système, qu’il soit au nord ou au sud, n’est à l’abri de ses répercussions (…).
Pour l’Algérie, un éventuel effondrement des cours du pétrole peut avoir un impact
direct sur l’économie nationale», a déclaré, hier à Alger, le président du CNES,
lors d’un séminaire sur l’entrepreneuriat social. S’il est vrai que le
président du CNES ne peut être théoriquement une voix officielle, il est tout
de même admissible que sa lecture des évènements traduit quelque peu un état
d’esprit qui prévaut aujourd’hui dans les opinions officielles. Ce n’est pas
pour rien que l’Algérie est allée défendre bec et ongles l’idée de baisser les
volumes de pétrole pompés par l’OPEP afin de maintenir les prix à des niveaux
élevés.
Depuis
Vienne (Autriche), où s’est tenue le 14 juin la dernière réunion de l’OPEP, le
ministre de l’Energie et des Mines, Youcef Yousfi est allé jusqu’à dire que
l’Organisation «court un risque réel» sur les prix après l’accroissement de son
rythme de production qui a largement dépassé le plafond fixé en décembre 2011.
Prise
de conscience
Le
ministre qui tentait de faire du lobbying à la veille d’une réunion décisive, pour
l’Algérie surtout, a émis le vœu qu’il y ait une prise de conscience sur
l’effet négatif de l’augmentation de la production du pétrole sur les prix. Après
coup, l’Algérie est sortie le bec cassé de cette réunion. Surnommée «le nouveau
faucon de l’OPEP», l’Algérie était allée défendre en réalité ses équilibres
budgétaires internes, très conditionnés par les prix du pétrole. Les tableaux
des marchés internationaux sur lesquels sont placardés les cours du pétrole ne
sont point reluisant pour le pays. Après un pic à 128 dollars début mars, le
cours du brent coté à Londres a dégringolé de près de 30%, tombant ces derniers
jours sous les 90 dollars, au plus bas depuis près d’un an et demi. Le Sahara
blend algérien a perdu 3,5 dollars lors des dernières transactions de la fin de
la semaine dernière. Hier encore, les marchés étaient très nerveux sous l’effet
de l’incertitude qui pèse sur la zone euro.
Le
baril de brent de la mer du Nord pour livraison en août, échangé sur
l’IntercontinentalExchange (ICE) de Londres, valait 89,91 dollars, en baisse de
1,07 dollar par rapport à la clôture de vendredi. Sur le marché new-yorkais, le
baril de «light sweet crude» (WTI) pour la même échéance, abandonnait 60 cents
à 79,16 dollars. La courbe illustrant l’évolution des cours souligne ainsi en
crayon-feutre des niveaux qui ne sont plus vus depuis huit mois à New York et
depuis un an et demi à Londres, où est vendu le pétrole algérien. L’économie
algérienne, qui s’agrippait au seul pilier des hydrocarbures au détriment des
secteurs productifs, pourrait subir de graves contrecoups. La politique de
l’expansion budgétaire remise au goût du jour sous l’effet du «printemps arabe»
pourrait remettre en cause les équilibres budgétaires du pays calculés sur la
base des recettes pétrolières stockées en partie dans les banques souveraines
et en partie dans le FRR (Fonds de régulation des recettes).
Le
Fonds monétaire international (FMI) a mis en garde récemment contre la hausse
des dépenses publiques de l’Algérie et a estimé que pour équilibrer le budget
du pays, les prix du pétrole doivent se situer au-dessus de 100 dollars le
baril. L’année dernière, le pays a enregistré le deuxième plus grand déficit
budgétaire parmi les pays producteurs de pétrole de la région MENA. La hausse
du seuil de rentabilité budgétaire du prix du pétrole a incité l’Algérie à
rompre avec ses anciens alliés au sein de l’OPEP, l’Arabie Saoudite, le Koweït
et les Emirats arabes unis en l’occurrence, en s’alliant désormais avec le
Venezuela et l’Iran pour défendre des prix de pétrole plus rémunérateurs. Le
comportement de l’Algérie au sein de l’OPEP témoigne bon gré, mal gré d’une
anxiété ressentie au plus haut niveau du régime. La rente est le seul élément
plaidant son maintien et son ancrage.
Ali
Titouche
In El Watan 2012-06-26
Lies
Kerrar. Président de Humilis Finance
«Le
budget 2012 s’équilibre à un prix moyen du baril de pétrole de 140 USD»
Dans
cette interview, Lies Kerrar, président de Humilis Finance, un cabinet de
conseil et d’ingénierie financière, nous explique les conséquences de la chute
des prix du pétrole sur l’économie algérienne. Il estime, à l’occasion, que ce
n’est aucunement une baisse conjoncturelle et/ou de courte durée de prix du
baril de pétrole qui est inquiétante, mais notre modèle économique et
budgétaire exclusivement basé sur la rente pétrolière qui, de son avis, n’est
guère soutenable.
-
Après un pic à 128 dollars début mars dernier, le cours du brent coté à Londres
a dégringolé de près de 30%, tombant la semaine dernière sous les 90 dollars, au
plus bas depuis près d’un an et demi. Le discours officiel algérien commence à
admettre la difficulté pour le pays de voir les cours de pétrole baisser plus
bas que 90 dollars. Pour vous, quelle sera la conséquence d’une telle baisse
sur l’économie du pays et les équilibres budgétaires ?
-En
termes d’équilibre budgétaire, le budget 2012 (tel que publié dans la loi de
finances complémentaire 2012) s’équilibre à un prix moyen du baril de pétrole
de l’ordre de 140 USD. Si on ne tient pas compte des dépenses d’équipement, le
budget de fonctionnement s’équilibre à près de 75 USD le baril. En réalité, ce
n’est pas tant une baisse conjoncturelle de courte durée de prix du baril de
pétrole qui est inquiétante, mais notre modèle économique et budgétaire
exclusivement basé sur la rente pétrolière qui n’est pas soutenable. En termes
de réactions à court terme, si la baisse se poursuit durablement, les dépenses
d’équipement vont probablement constituer la première variable d’ajustement. Certains
projets moins prioritaires pour le développement du pays pourraient être revus
ou différés. Les dépenses de fonctionnement sont, elles, moins faciles à
réduire à court terme une fois qu’on les a augmentées. Mais ceci n’est qu’un
moyen d’ajustement à court terme. Cette conjoncture peut aussi être l’occasion
d’un véritable sursaut pour passer de façon déterminée à l’action et conduire
les réformes permettant à notre pays de créer de la richesse.
-
Plus concrètement, quels seront les recoins de l’économie qui sont les plus
exposés aux conséquences d’une baisse drastique des prix du pétrole ? Le pays
fera-t-il appel à ses réserves de change synonymes de trois années
d’importation ? S’agit-il de la solution la plus appropriée pour faire face à
l’impact de la chute des cours de pétrole ?
-A
court terme, c’est probablement le rythme des dépenses publiques en
infrastructures qui risque d’être ralenti. Si cela devait être le cas, il
serait avisé d’opérer des arbitrages entre les différents projets qui
permettraient de maintenir les projets les plus prioritaires pour la
diversification de notre économie. L’autre critère serait l’impact sur les
entreprises algériennes et l’emploi local. Si certains projets devaient être
retardés dans cette conjoncture, l’impact immédiat sur l’emploi local devrait
être l’autre critère d’arbitrage. Je ne sais pas par contre si nous avons les
mécanismes et les outils analytiques pour faire ces arbitrages. Pour ce qui est
des réserves de change, il faut comprendre que ce montant n’est pas de l’argent
disponible que l’on peut rapatrier pour combler nos déficits. Au niveau
budgétaire, notre réserve est le fonds de régulation des recettes. Les réserves
de change constituent en gros la différence entre nos exportations
d’hydrocarbures et nos importations que l’on a accumulées au cours des
dernières années.
Si
les revenus d’exportation d’hydrocarbures baissent et nos importations
continuent à augmenter, ces réserves de change vont simplement diminuer. Ces
réserves de change permettent de payer nos importations pendant quelques années.
Cependant, notre défi est de transformer notre économie pour qu’elle crée de la
richesse. Cela prendra du temps et les actions que nous entreprendrons
aujourd’hui ne donneront des résultats sur notre balance des paiements que dans
plusieurs années. En un mot, nous avons besoin de nous retrousser les manches
et travailler dès à présent.
Ali
Titouche
In
El Watan 2012-06-26
Francis
Perrin. Expert en marchés pétroliers
«La
zone euro déterminera l’évolution des cours du pétrole»
Francis
Perrin, expert des marchés pétroliers et directeur de la rédaction de la revue
Pétrole et Gaz arabes, estime dans ce bref entretien que les cours du pétrole
devraient se maintenir au niveau actuel. Il n’écarte toutefois pas un
retournement du marché en cas d’aggravation de la crise en zone euro. Il estime
en ce sens que c’est l’évolution de la situation en zone euro qui déterminera
les réactions des marchés pétroliers.
-
Les cours du pétrole sont en baisse. Croyez-vous que cette baisse va s’inscrire
dans la durée ?
-Les considérations liées à l’économie
mondiale et à la croissance économique, notamment la situation en zone euro, pèsent
sur les marchés pétroliers. Tant que les incertitudes ne seront pas levées sur
ces aspects macroéconomiques, les prix peuvent continuer à baisser. Il est
clair que ce sont les problèmes de la zone euro qui dominent la situation sur
les marchés pétroliers. Un sommet européen se tiendra jeudi et vendredi
prochains. Il faudra attendre les résultats de ce sommet pour avoir une vision
un peu moins pessimiste. Les différents sommets européens tenus précédemment
ont eu des résultats décevants et aujourd’hui les marchés attendent des
dispositions un peu plus concrètes.
Au-delà
des problèmes de la Grèce
qui restent l’un des principaux enjeux de la crise en zone euro, et des
difficultés en Italie, Irlande et Portugal, la crise bancaire espagnole est
celle qui suscite le plus d’inquiétudes. Au niveau des marchés pétroliers, on
craint que la crise ne s’aggrave. Il faut rappeler que le bloc de l’Union
européenne est le deuxième plus gros consommateur de pétrole après les Etats-Unis.
Les marchés craignent un impact sur la consommation européenne de pétrole et
anticipent donc une baisse des prix. Aux Etats-Unis, la situation n’est pas
très brillante et en Chine, on constate un ralentissement de la production
manufacturière. La situation est très difficile sur le plan économique et
dissuade de prendre des risques sur les marchés. Actuellement, les matières
premières ne constituent pas un bon placement en termes d’investissements
financiers pour les spéculateurs en raison des incertitudes qui planent sur
l’économie mondiale. Parmi les raisons qui peuvent aussi expliquer la baisse
des cours, la hausse du dollar par rapport à l’euro. Et on sait qu’en règle
générale, il y a une corrélation inverse entre l’évolution du cours du dollar
et celle du prix du baril. Par ailleurs, l’offre mondiale est abondante et on ne manque pas de pétrole sur les marchés
au moment où la demande n’est pas vigoureuse. Cela s’explique par le fait que
l’Arabie Saoudite a augmenté sa production depuis plusieurs mois dans
l’objectif de faire baisser les prix et de favoriser les sanctions contre
l’Iran.
-
Si les cours continuent de baisser, ils pourraient atteindre quel niveau ?
-A
la clôture des marchés vendredi soir, on était à 91 dollars le baril de brent
de mer du Nord et à 80 dollars pour le WTI. On est en dessous des 100 dollars
considérés comme étant le prix du baril satisfaisant pour l’Arabie Saoudite. Il
n’est pas trop élevé au point de peser sur la croissance des pays consommateurs.
Et assez élevé pour permettre de financer de nouveaux investissements dans
l’industrie pétrolière. Les cours actuels sont à 9 dollars en dessous de ce
prix idéal. L’Arabie Saoudite ne devrait donc pas chercher à pousser les cours
encore à la baisse en produisant plus, du fait de ses contraintes budgétaires, et
le financement de ses investissements.
C’est
un élément qui peut aider à une stabilisation des cours. D’autres facteurs, comme
la tempête tropicale Betty qui a induit la fermeture de plusieurs plateformes
dans le golfe du Mexique, et la grève en Norvège qui affecte des champs
pétroliers, soutiennent les prix et les empêchent de tomber trop bas. Mais le
vrai problème sur lequel les marchés pétroliers sont focalisés est la crise en
zone euro. Si les résultats du Sommet européen ne sont pas jugés convaincants
par les marchés, on ne peut pas exclure un effondrement des prix en dessous des
90 dollars. Ils ne tomberont pas certes trop bas, car le monde a toujours
besoin de pétrole, un pétrole plus coûteux à exploiter et à extraire. On peut
dire que les cours du brent devraient se stabiliser autour des 90 dollars le
baril. Si la situation se complique en zone euro, il pourrait se rapprocher à
court terme des 80 dollars le baril de brent, mais ils devront remonter à moyen
terme. Auquel cas, il y aura des problèmes d’investissement et donc
d’approvisionnement du marché.
-
Au cours des derniers jours le Sahara blend a vu sa prime s’effriter par rapport
au cours du brent. Comment expliquez-vous cela ?
-Je
pense qu’il ne faut pas attacher trop d’importance à cela, à moins de prendre
un peu plus de temps et de recul pour voir s’il s’agit réellement d’une
tendance. L’évolution actuelle des cours ne paraît pas pour moi quelque chose
de représentatif. Les qualités du Sahara blend sont connues et, par conséquent,
il devrait conserver à terme le différentiel positif par rapport au brent et à
d’autres bruts de bonne qualité. Je ne vois pas actuellement de tendance, mais
plutôt des variations de court terme. Il est encore trop tôt pour dire que le
blend a perdu sa prime.
Melissa
Roumadi
In
El Watan 2012-06-26
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