Par Boubakeur Hamidechi
hamidechiboubakeur@yahoo.fr
Alors que le feuilleton Belkhadem et le FLN déroule d’autres épisodes par le biais de la polémique dans les journaux, Ouyahia, l’autre chaînon du pouvoir, se manifeste différemment. A partir de la primature du gouvernement, il vient en effet d’actionner ses services de synthèse pour faire de la «com.» sur le thème de l’efficacité de son magistère. Le procédé, inédit dans la forme, emprunte au communiqué de presse et la tonalité rédactionnelle et la sécheresse des chiffres que l’on voudrait sans appel.
S’agissant de faire essentiellement la promotion de l’action gouvernementale au moment même où le chef de l’Etat s’affaire personnellement à évaluer l’intendance du pays secteur par secteur, l’initiative ne porte-t-elle pas en elle plus d’ambiguïté formelle que de clarifications, voire d’arguments convaincants ? En clair, un Premier ministre est-il dans l’aptitude politique à dresser le tableau synoptique des performances du gouvernement alors que les interrogatoires et la réflexion du chef de l’Etat sont toujours en cours ? Bizarre ! Car ce qui est éminemment étrange dans cette «opération» tient au fait que le Premier ministre ose parasiter l’autorité de jugement de son hiérarque. De plus, le plaidoyer qu’il a rendu public s’est révélé n’être qu’un tissu de contre-vérités étayées de statistiques invraisemblables que les économistes ont déjà balayé du revers de la main. Olympien, Ouyahia n’affirmait-t-il pas que grâce à son management, plus d’un million d’emplois ont été créés en 6 mois et que 60 000 logements ont été construits au cours de la même période ? Bref, facétieux comme un arracheur de dents, Ouyahia vient de prendre du galon dans l’art de mentir au nom de l’Etat. Jusque-là, il en commettait en service commandé à l’exemple de sa dernière prestation (décembre 2010) face aux sénateurs. Ce jour-là il eut l’aplomb d’affirmer que les bilans ne doivent souffrir la moindre suspicion parce que «l’Etat, qui le délègue, n’a à aucun moment menti sur les chiffres» (sic). Bien mal lui en a pris car trois semaines plus tard, le démenti le plus cinglant lui vint de la rue avant d’être timidement confirmé par le chef de l’Etat en personne. Or, 8 mois plus tard ; lesquels lui furent d’ailleurs traumatisants, tant il était donné pour «sacrifiable» ; le revoilà dans son registre favori avec un surcroît d’agressivité dans l’autosatisfaction et une dérogation vis-à-vis de la coutume qui veut qu’un Premier ministre ne défend son bilan qu’une fois l’an et devant le Parlement. C’était donc sur ce 1er semestre de l’année (2011) de tous les périls qu’il a décidé de reconstruire sa réputation de grand gestionnaire mais cette fois contre, peut-être, l’avis même du président de la République. La probabilité d’une émancipation graduelle de sa part ressemble fort bien à l’agitation, mal contenue par Bouteflika, de Belkhadem au FLN. L’un et l’autre anticipent sur le changement et reconfigurent par petites touches leur carrière. Mieux armé politiquement que le challenger du FLN, Ouyahia porte cependant un fardeau trop pesant dû à sa longévité dans la gestion catastrophique du pays. Et c’est presque par ruse quasi militaire qu’il vient d’aborder sous cet angle le travail de reconstruction de son image. Une stratégie que les écoles de guerre appellent le «front renversé» et qu’il applique à la politique. Contourner l’adversité pour la prendre à revers consiste politiquement à démontrer que l’on a été rigoureux dans les missions et que les échecs ne sont imputables qu’à la versatilité des donneurs d’ordre. C.Q.F.D : le chef de l’Etat et les hommes de son cabinet ! Aussi longtemps qu’El Mouradia demeurera donc sans réaction au sujet de cet auto-bilan d’un Premier ministre, l’hypothèse de la brouille dans le binôme de l’exécutif prendra de plus en plus de consistance. Car le mythe de la fidélité sans faille entre les deux personnalités est pure invention du système. Dans ce duo de fieffés bluffeurs, seuls des deals de cohabitation étaient possibles. En effet, en dépit de la préséance qui les sépare et la prééminence de la fonction de l’un sur l’autre, l’on ne peut pas ne pas faire cas de la solide méfiance que chacun porte à l’autre. Ouyahia, qui possède à son compteur 16 années dans les hautes sphères de l’Etat, s’est évidemment forgé une forte personnalité que souligne, paradoxalement, son impopularité. C’est dire qu’il ne laisse jamais indifférente l’opinion. Certes, il connut entre deux séquences des moments moins glorieux dont certains furent carrément humiliants par la dureté de la disgrâce. Mais dans l’ensemble, il sut chaque fois rebondir et se replacer dans le premier cercle. Dans le microcosme, il s’est doté de l’image d’un redoutable calculateur avec qui une alliance se négocie au cas par cas et jamais par le compagnonnage sans condition. Ambitieux à l’excès, il ne joue jamais collectivement au point que même l’Alliance présidentielle le met à l’étroit et qu’il la considère comme un corset. Lui assume sans état d’âme sa solitaire trajectoire quand tous les autres ne se font pas d’illusion sur son infidélité notoire. Il est convaincu qu’il n’a d’autre choix que de multiplier les leurres pour mieux neutraliser les chausse-trappes placées sur le chemin de sa conquête. Avec ce pavé hors de saison, Ouyahia vient-il, par conséquent, d’entamer sa longue marche ou, au contraire, devance-t-il par cet argumentaire l’impitoyable répudiation de son poste actuel ? C’est d’El Mouradia que doit venir la réponse.
B. H.
Le SOir d'Algérie, 13 aout 2011
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