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Dans ces moments cruciaux où majoritairement les Algériens appellent au changement radical du régime et au démantèlement d’un système, en place depuis un demi-siècle, doit-on se détourner de certaines pistes qualifiées de lignes rouges ? Celles, dit-on, qui sentent le soufre d’un passé peu glorieux après nous avoir menés là où nous en sommes. Maître Ali Yahia Abdennour, à qui l’on a vite reproché d’avoir bravé l’interdit en évoquant à demi-mot la «possibilité» d’en appeler à l’armée, a justement bien fait de clarifier sa pensée(1). Que faire face à la peste de l’immobilisme politique, s’interroge- t-il ?
«Ma peur mais aussi ma colère est de voir le sang couler, car le président qui ne veut pas quitter le pouvoir est prêt à sacrifier le pays pour lui», rappelle-t-il, en contre-point à ceux qui le soupçonnent de quelques sympathies pour le putschisme kaki. Ainsi, au plan moral, ce militant des droits de l’homme n’est pas en contradiction avec les principes du combat qu’il mène lorsqu’il évoque incidemment les militaires et leurs responsabilités antérieures dans les mauvais choix qu’ils ont fait. Il est même très à l’aise dans son interpellation lorsqu’il ajoute que cette institution ne peut pas se contenter du rôle de Ponce Pilate quand l’Etat part par petits morceaux. En fait, il dit «des choses simples sans simplifier», écrit-il. Ceci étant dit à propos de cette polémique, néanmoins le tabou n’est pas pour autant vaincu s’agissant du rôle que celle-ci pourrait tenir à la lisière de l’espace politique. Il est vrai que pour reposer dans les bons termes une contradiction consubstantielle à la guerre d’indépendance, il ne reste de nos jours que l’exorcisme de l’histoire ou le refus, au présent, de mettre en équation une institution bénéficiant d’une sanctuarisation abusive. Difficile donc de traiter le sujet en dehors de la diabolisation. Une sorte de répulsion sur laquelle s’accordent facilement les violons de l’idéalisme mais qui ne suffit pas pour autant à impulser l’élan nécessaire auquel il aspire. C’est dire que la dualité des «primats» entre civil et militaire continue à hanter les doctrinaires de tous poils et, pis encore, prive précisément le camp de la rénovation démocratique d’un instrument dissuasif à opposer à un régime du statu quo. Dix ans avant l’allusion «scandaleuse» d’Ali Yahia Abdennour, une autre personnalité politique formulait dans le même sens cette exigence. «L’ANP ne doit tirer que les cartons rouges», déclarait alors Mouloud Hamrouche. Autrement explicité, son arbitrage ne doit plus se mêler de l’enrôlement du personnel politique ou de la mise sous influence des urnes. Il consiste à faire la vigie au profit de la Constitution afin de soustraire les libertés aux manœuvres dilatoires des pouvoirs. C’est parce qu’elle ne s’est jamais acquittée de cette mission qu’aujourd’hui elle est interpellée dans le contexte de l’urgence. A juste raison, le président d’honneur de la LADDH n’appelle pas à la rescousse la hiérarchie militaire, il exige d’elle qu’elle répare les dégâts qu’elle a laissé s’accomplir en se taisant notamment sur le dernier viol de la Constitution, le 12 novembre 2008. En somme, la supposée neutralité dont se drape actuellement cette institution est tout sauf conforme à ses véritables missions même dans les démocraties avancées. Rompre le silence quand de nombreuses hypothèses se croisent sans forcément se contredire sur la capacité du pouvoir en place à tenir les rênes de l’Etat n’est plus du domaine de l’ingérence dans le politique. Il relève d’un autre ordre tout à fait compatible avec le légalisme républicain. L’écrire sous cette forme, surtout, sans nuance est dicté par une exigence primordiale. Celle de solder un vieux contentieux dont précisément l’actuel chef de l’Etat en a fait son exercice favori tout au long de ses 12 années. Diabolisée par celui qui se plaignait de n’être qu’un «trois quarts» de président et en même temps culpabilisée à la marge par la campagne du «qui-tue-qui ?» au moment de la charte sur la concorde, elle s’est progressivement effacée jusqu’à adopter une forme de «désertion » civique au prétexte qu’elle s’est repliée sur sa fonction traditionnelle. Or, aussi bien la santé de l’Etat que celle de Bouteflika constituent des menaces lourdes sur le destin du pays. Et n’y voir dans cette conjonction de calamités que des épiphénomènes qui se résorberont par eux-mêmes afin d’expliquer qu’elle n’est plus dans son rôle pour donner, au moins, un avis placerait alors l’armée en porte-à-faux avec les aspirations populaires. Après avoir été longtemps une armée au pouvoir elle sera alors perçue comme l’armée d’un pouvoir et jamais comme l’armée d’une nation. En effet, le reproche qui lui est fait dans ces circonstances est sa bunkérisation alors qu’elle fut à l’origine de toutes les mascarades. En un mot comme en cent, Maître Ali Yahia Abdennour est parfaitement pragmatique lorsqu’il exige des Tagarins quelques messages clairs afin, dit-il, de «libérer de la peur qui écrase (les institutions de l’Etat) pour appliquer la loi, seulement la loi, toute la loi». Rien de plus mais suffisant pour redonner du sens à ce pays.
B. H.
In Le Soir d'Algérie, samedi 29 avril 2011.
(1) Lire la mise au point d’Ali Yahia Abdennour publiée dans Le Soir d’Algérie et El Watan du jeudi 28 avril.
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