De la chose facile à la chose impossible

« Quand la pensée est déficiente ou absente, l'action est insuffisante ou impossible : on est alors entrainé vers une appréciation subjective des faits, dont on trahit la nature et l'importance par surestimation ou par sous-estimation. Ces deux modes de trahison se présentent dans le monde musulman moderne sous la forme de deux psychoses de sens inverse : celle de la "Chose facile" qui conduit à l'action aveugle, et celle de la "Chose impossible", qui paralyse l'action comme il arrive fréquemment en Afrique du nord… »

Malek Bennabi, Vocation de l’Islam.

1- C’était un commentaire lu, avant-hier, sur un réseau social qui m’a conduit à cette réflexion.
Connecté sur Facebook, un journaliste digne rapporte une dépêche de l’AFP. Les régimes syrien et yéménite assassinaient ainsi des citoyens protestataires, mais dont les revendications furent cette fois apolitiques. Ils ne revendiquaient pas le départ des régimes, comme c’est le cas du reste des populations, mais « le report des examens de fin d’année » pour deux élèves yéménites, et « la libération des détenus » pour quelques femmes Syriennes. Ils furent tués par balles.

Je commentais donc cette dépêche, en disant, non sans écœurement, que chez nous « tuer est décidément plus facile que voler », puisque la rapine est institutionnalisée depuis bien longtemps. Quelques commentaires plus loin, un pseudonyme féminin commente, d’abord, en disant : « il ne faut pas croire les agences de presse occidentales ». Manifestement atteint de ce que l’on appelle communément « la servitude volontaire », le commentateur derrière le pseudonyme féminin impute ensuite les « évènements » actuels à ces agences, qui seraient -l’illogisme même- derrière le déclenchement de ce que les média appellent le « Printemps arabe », non sans les qualifier de « destructeurs ». Et enfin, le commentateur atteint du syndrome de Stockholm -version algérienne et collective- ajoute, pour ainsi ne rien arranger, sa demande au journaliste algérien d’aller sur le terrain pour « lui » rapporter ces dépêches, car il est algérien !

2- Une fois déconnecté, le propos de Bennabi cité en haut m’a revenu à l’esprit.

Écartant bien sûr dès le départ la thèse que le commentateur derrière un pseudonyme féminin (c’est important le pseudonyme féminin dans les réseaux sociaux lorsque les sociétés souffrent de frustrations) serait un agent de la police politique chargé de « casser l’ambiance » naissante entre les Algériens sur la Toile, je me suis dit que l’homme, qui ne peut qu’être un moustachu, est un autre esprit décadent et dégénérescent des nôtres, ceux-là même qui font notre particularité, celle d’être une nation sous-développée depuis près d’un millénaire !

Au début donc, le mec demandait une « chose facile », très facile. Trop facile même. Ne pas croire les agences de presse étrangères, puisque, « à l’évidence » pour l’esprit décadent en question, elles sont…étrangères ! Rien de plus. Il va sans dire, bien sûr, que les individus les plus contreproductifs dans le monde arabe sont ceux-là même, véritable fardeau sur les autres, qui voient en toute « ombre nouvelle » un complot. De Sion. De l’impérialisme… et puis importe peu qui complote, tant que complot il y a contre ces pauvres que nous sommes. Jamais nous ! L’introspection devient ainsi sacrilège. Et si par miracle ces gens deviennent convaincus que d’entre nous il est des gens qui n’œuvrent pas pour le bien général, ces derniers seront directement excommuniés. Ils ne deviennent pas par conséquent partie de « nous ». Nous sommes toujours et à jamais innocents. Nous sommes les « musulmans ». La meilleure nation au monde !

Aussi pathétique que pitoyable…

Puis, le mec commentateur derrière un pseudonyme féminin demande au journaliste d’aller au Yémen et en Syrie pour lui rapporter des dépêches. Chose qui est, évidemment, « impossible » ! Toutefois, si un vent miraculeux tire le journaliste en Syrie et que celui-ci rapporte des dépêches qui confirment celles de l’AFP, il ne ferait plus partie de « nous » pour le dégénérescent commentateur (car c’est une forme de dégénérescence intellectuelle). Parce que nous, nous sommes victimes d’un grand complot et nous sommes innocents. Nous y sommes pour rien de ce qui nous arrive !...

3- C’est par cet exemple véridique, récent et simple que je veux illustrer cette maladie sociale qui doit nous préoccuper. Car elle entrave tout effort édificateur en tuant dès le départ, silencieusement, toute volonté bonne intentionnée de construire.

Et les exemples foisonnent…

4- Maroc, 1972. Le général Oufkir tente de déposer le roi Hassan II. Il échoue. Capturé, il est exécuté dans la précipitation (thèse officielle : suicide). Sa famille (femme et enfants dont Malika, 19 ans, Soukaïna, 9 ans) est séquestrée pendant… 19 ans ! Cela dans une prison secrète au Sahara et sans aucun procès, étant, somme toute, innocente n’ayant rien à voir dans l’affaire de ce putsch avorté. En 1996, les deux sœurs su-citées parviennent à s’échapper et gagnent la France. Ainsi, elles parviennent à médiatiser la situation tragique de leur famille, qui sera libérée et, quelques années plus tard, indemnisés par Mohammed VI, l’actuel roi et successeur d’Hassan II. L’histoire mouvementée de cette famille est intéressante à plus d’une raison et est éternisée dans des livres…

Ce qui intéresse, ici dans le cadre de mon propos, est le devenir des sœurs Soukaïna et Malika. Celle-ci devient une écrivaine (chose « ni facile ni impossible », mais : « difficile et réalisable ») et œuvre, il va de soi, durement pour y parvenir. Elle a publié deux livres.

Quant à Malika, ce n’était pas si évident. Au début, elle a vitement opté pour la « chose facile ». A 37 ans, en septembre 2000, elle a donné une interview brève et succincte sur sa vie. Elle a décidé de raser son crâne. Et de ne plus repasser ses vêtements. Pourquoi ? Parce qu’elle n’a pas assez de temps, a-t-elle affirmé, pour prendre soin de ces cheveux frisés et s’embellir. Cela pourrait être considéré comme logique, si, quelques années plus tard, la femme ne revienne à la raison. 

Elle est aujourd’hui écrivaine et musicienne. Et avec, par surcroit, une belle tignasse…

5- Algérie. 1962, fin du colonialisme extérieur. Le sieur Ben Bella, grand stalinien dont l’apport à la Guerre d’Algérie est infime, rentre en Algérie et est « posé » par le colonel Boukharouba, à la tête de l’Etat naissant ! Il déclare : « Nous sommes dans le socialisme de Fidel Castro ». Chose très facile, en fait. Copier le modèle castriste. Alors que, un vrai socialiste n’aurait pas atermoyé pour relativiser la chose, en disposant des corpus des théoriciens du socialisme, notamment Marx, le fondateur, le socialisme ayant subit des perversions par la suite. Mais pour le sieur Ben Bella, pourquoi se casser la tête ? Castrisme !

Et cela n’a pas duré.

Puis vint le « socialisme spécifique », une autre chose facile…

Pour poursuivre l’illustration, cet exemple remarquable.

Algérie, 1965. Colonel Boukharouba « dépose » Ben Bella « facilement », une fois qu'il est devenu encombrant, en essayant de devenir autonome. Le colonel entreprend une politique désastreuse dite des « trois révolutions » : agraire, culturelle et industrielle. Rien n’est plus facile, pour lui bien sûr, de déclarer que « nous sommes en révolution ». Le comble de la démagogie (qui est chose facile elle aussi) est le lot des Algériens dans chaque discours. Le peuple algérien est glorieux, et est naturellement révolutionnaire, et par conséquent, il ne peut vivre « heureux », mais il doit faire quelque révolution : si elle n’est pas armée, qu’elle soit donc culturelle ou agraire, qu’importe !… ce qui est important, l’essentiel chez le colonel est que ce peuple doit faire une révolution !

Et leur funeste résultat fut le néant bien évidemment.

Par cette « chose facile », le colonel Boukharouba n’a-t-il pas demandé en fait « l’impossible » au peuple ? Alors que les Algériens n’ont pas encore fait leur deuil convenablement des victimes de la Guerre contre la France coloniale, Guerre qu’il n’a pas connu lui et son clan, de cette dite révolution armée, le colonel en imposent trois, et entre elles, la guerre des chefs et plusieurs rébellions, le régime instauré à la pointe des épées étant en effet illégitime.

Le peuple est glorieux, et il doit faire de façon permanente différentes révolutions !

Démagogie bestiale. Chose facile pour lui. Impossible pour le peuple.

6- Peut-être que dans l’actualité d’aujourd’hui, nous pouvons déceler des exemples.

L’islamisme. Voilà un bon sujet. Un barbu reçoit en direct un appel téléphonique. Une femme supplie l’homme -se présentant, lui, omniscient-, de lui trouver une solution à son problème. Et elle l'expose. Elle ne fait pas confiance à son époux, quant à sa relation avec sa …fille ! Le barbu-cheikh-marabout-docteur-prêcheur-omniscient n’hésite pas et répond « chaudement » : « L’homme ne doit pas rester seul avec sa fille ». N’est-ce pas la facilité même ! Interdire au père de s’assoir avec sa propre fille ! (A vrai dire, l’obsession sexuelle caractérisant certains gens a aussi son empreinte dans cette fatwa).

7- Un autre barbu. Calme. Assied sur terre. Bouche écumeuse, tellement il a parlé beaucoup malgré son calme. Au service de sa foi. Ou des vierges de l’au-delà. Selon. Toujours dans le prototype précédent, celui du barbu-cheikh-marabout-docteur-prêcheur-omniscient. Cette fois, c’est lui qui se présente comme un théoricien de la vie musulmane, sans qu’on ne le lui demande. Il s’écrie : « Pourquoi les musulmans essayent d’écrire des romans ? Je n’y comprends rien à cette obstination, car s’ils restent 70 ans, je vous jurent qu'ils ne pourront en effet écrire un seul roman tel ceux, nombreux, de Tolstoï… Pourquoi les musulmans veulent faire de la science ? Je n’y comprends rien à cette acharnement, car, et je vous le jurent, s’ils restent une éternité ils ne peuvent construite un seul porte-avions tel… ». 

Que donc « doivent » faire ces musulmans ? Pas la peine de le demander. Docteur Aidh El Garani répond avant la question : « Faire l’islam ! L’apprendre pour le faire apprendre ». Rien n’est plus facile : un milliard de missionnaires. Tubes digestifs et missionnaires. C’est le comble de la « chose facile ». Ne tenter pas une création littéraire. El Garani vous le dit : vous allez échouer. Science aussi : on n’est pas fait pour cela. Nous, nous sommes génétiquement musulmans, par conséquent, nous devons l’apprendre pour le faire apprendre aux autres pauvres et égarés de cette horrible demeure, la Terre.

8- Algérie, 2011.

Il serait facile que le régime algérien se change de l’intérieur.

Il serait impossible que le peuple réédite une révolution à la tunisienne.

Peut-être qu’il serait médian (difficile mais réalisable) que l’armée -grand responsable de l’actuelle tragédie- destitue Abdelaziz Bouteflika, exclue sa famille et ses larbins du jeu politique, et dissout le DRS, en radiant le général Médiène et son gang prédateur.

Par Lyes Akram