Par Tahar Gaïd
Spiritualité et monde occidental
Je vais commencer mon exposé par une plongée dans le Moyen-Age de l’ère chrétienne, époque où la spiritualité islamique ne s’était pas étendue seulement en terre d’Islam, mais elle s’était répandue aussi en Europe.
Il est vrai que l’apport de l’Islam dans l’émergence de l’identité spirituelle de cette partie du monde a été dissimulé, ou plutôt c’est «un héritage oublié», selon la formule d’Alain de Libera, reprise par Eric Younès Geoffroy. En effet, l’Islam a déversé dans l’Europe médiévale sa théologie et sa philosophie. Que ce soit individuellement, comme Ibn Sina, connu sous le nom d’Avicenne, Ibn Rochd, appelé Averroès, Al Ghazali ou collectivement, comme les mu’tazilites, l’Europe avait été marquée par la pensée islamique.
Il ne pouvait pas en être autrement lorsque nous savons que la civilisation arabo-islamique a rayonné en Espagne pendant près de huit siècles, en Sicile, avec Palerme, au Xe siècle, avec ses trois cents mosquées, durant quatre siècles et relativement en Italie du Sud. Ainsi, En Europe, la spiritualité islamique avait ainsi formé des «théologiens» européens, comme Maïmonide et Saint Thomas d’Aquin. Ce continent avait été imprégné profondément par l’avicennisme et l’averroïsme. Rappelons que c’est à travers la traduction en langue arabe que l’Occident s’était ouvert à la philosophie grecque, en particulier Aristote. Mais l’Islam avait également marqué l’Europe médiévale de son empreinte spirituelle.
En effet, le soufisme avait établi une doctrine spirituelle au sein, par exemple, des Templiers. Pour sa part, le soufisme maghrébin n’avait pas manqué d’exercer son influence sur les mystiques espagnoles. Saint Jean de la Croix et Sainte Thérèse d’Avila en étaient des exemples. D’une manière générale, des Occidentaux non musulmans – il faut le préciser – ont prouvé qu’Ignace de Loyola devait ses Exercices spirituels aux méthodes initiatiques des Soufis. En outre, il n’est pas sans intérêt de mentionner que le grand maître de la spiritualité islamique, Ibn ‘Arabi, était né à Murcie en Espagne. Cette symbiose spirituelle de l’Orient et de l’Occident fit dire à Younès Geoffroy : «Aux premiers siècles de l’Islam régnait l’harmonie entre foi et raison, religion et science, entre la prise en compte des besoins humains et la tension de l’Au-delà.
Les dégénérescences politiques, sociales et culturelles que connaît actuellement le monde arabo-islamique – et dans lesquelles la religion est instrumentalisée – n’entament en rien les valeurs universelles que porte l’Islam. (Ces valeurs) sont susceptibles de prendre greffe sur de nouveaux terroirs, comme cela s’est produit au cours des siècles. A cet égard, la doctrine islamique de l’Unicité pourra, peut-être, aider l’Europe à sortir du faux dilemme entre humanisme et spiritualité.»
Hélas, de nos jours, la spiritualité, en Occident, n’est plus acceptée comme une valeur éminente. Aussi, l’aspect matériel s’érige-t-il en source régulatrice de la vie. Autrement dit, le matérialisme est considéré comme l’alpha et l’oméga de toute l’existence humaine. Il n’y a pas lieu de s’étonner si notre monde assiste à l’écrasement de l’esprit universel, d’une manière générale, et à l’asservissement de l’esprit des musulmans «occidentalisés», d’une façon particulière. Etant incapables, dans notre ensemble, de retrouver notre véritable et profonde liberté de réflexion, depuis l’ère des indépendances, impuissants à maintenir, et encore moins à renouveler nos valeurs et à les harmoniser avec le temps, nous nous laissons à la fois bercer et berner par la prospérité, l’aisance, les objets illusoires et éphémères du monde occidental.
Certes, l’Occident vit dans une relative prospérité, mais, au lieu d’être seulement une panacée, il introduit, par la même occasion, du poison dans les esprits. Il n’y a pas lieu de nier que les aspects bénéfiques à l’humain se vérifient dans les sociétés occidentales, mais ils sont accompagnés d’individualisme, d’immoralité et d’absence de spiritualité. Déjà en son temps, René Guénon, écrivain français, converti à l’lslam, ayant vécu une vingtaine d’années au Caire et y mourut, avait écrit, en 1951 : «La crise de la société contemporaine semble résider justement dans la perte de cette dimension spirituelle, dans la contamination de l’intellectualité pure au profit d’une rationalisation exaspérée et peu intelligente dans l’abandon des certitudes de la doctrine sacrée en faveur de pseudo cultures qui alimentent les insécurités de l’âme passionnelle, dans la sensibilité perdue par l’homme moderne du bon goût et de la qualité de la contemplation en vertu d’une hyperactivité obsessionnelle qui produit la misère et ‘‘le règne de la quantité’’, dans l’oubli de la nature de la création et de la finalité de l’existence qui provoque la barbarie entre les peuples et l’ignorance entre les individus.» Il s’ensuit que le monde occidental n’est pas un modèle de spiritualité.
C’est aussi le point de vue du penseur pakistanais Muhammad Fazlur Rahman, aujourd’hui décédé, qui avait écrit sous le titre «La nouvelle trinité matérialiste» : «La civilisation occidentale moderne est une civilisation matérialiste pour laquelle l’idée de Dieu est irrationnelle. Les nations occidentales ont longtemps été adeptes de la trinité. Mais elles ont échangé la notion chrétienne de
trinité : Dieu le père, Dieu le fils de Dieu et le Saint-Esprit, pour la triade laïque : argent, alcool et femme. Ce sont les nouveaux ‘‘dieux’’ adorés par la civilisation occidentale d’aujourd’hui.» Il poursuit son exposé en énumérant les fondements de cette civilisation. «Voici la situation qui domine la vie pratique : une analyse de la philosophie de la civilisation occidentale révèle que c’est fondé sur le matérialisme, d’un point de vue métaphysique ; le sensationnisme, d’un point de vue psychologique ; l’opportunisme et la luxure, d’un point de vue éthique ; l’exploitation de l’humanité sous-développée, d’un point de vue économique et l’antagonisme racial, d’un point de vue politique. En fait, toutes ces caractéristiques sont les expressions d’une chose : le matérialisme» .
Esprit et corps, pensée et action
Il s’ensuit que les sociétés musulmanes doivent rechercher une voie de la modernité dans laquelle la spiritualité sera considérée comme la valeur la plus noble, garante de leur sérénité dans le monde présent et de leur salut dans l’Au-delà. Mais qu’entendons-nous par spiritualité ?
La spiritualité est souvent limitée à une compréhension restrictive de ces quelques versets : «Et ne soyez pas comme ceux qui ont oublié Dieu, Dieu a alors fait qu’ils s’oublient eux-mêmes.» et «Aujourd’hui Nous les oublierons donc, comme ils avaient oublié leur rencontre d’avec ce jour que voici.» ou encore : «Pense à ton Seigneur en toi-même, en t’humiliant et avec crainte, par une parole en deçà de la voix haute, le matin et dans la soirée. Et ne sois pas au nombre des insouciants.», etc. Certes, ces versets et d’autres encore définissent la foi du musulman et la portée de sa spiritualité. Elles constituent même leur fondement.
Cependant, ceux qui arrêtent leur spiritualité à cette sphère de la foi oublient que l’Islam, c’est aussi les relations humaines encore davantage en ce monde de la technologie, du développement économique, de l’émulation sociale et de la floraison des cultures. Ceux qui restreignent l’adoration de Dieu aux seules pratiques culturelles, amputent le contenu du verset 77 de la sourate 28. Ils lisent cette partie : «Emploie plutôt ce que Dieu t’a accordé pour gagner l’ultime demeure (le Paradis)», mais ne prennent pas en considération la suite, à savoir : «Sans pour autant renoncer à ta part de bonheur dans ce monde.» Or, ce bonheur s’acquiert par le travail et l’engagement.
Dans ce contexte, Ibn Taymiyya écrit en substance : «Il est erroné que la foi (la spiritualité) n’est que croyance et connaissance, avec lesquels il n’y aurait ni action, ni état, ni mouvement, ni intention, ni amour, ni crainte révérencielle....» Cette pensée est toujours et encore à l’ordre du jour dans ce monde contemporain, d’autant mieux que nous sommes témoins, j’allais dire que nous sommes les propres et véritables acteurs de l’arriération économique et culturelle de nos sociétés. Examinons de plus près le sens de la spiritualité islamique à travers la révélation coranique et tirons les conclusions les plus appropriées. La spiritualité (ruhaniyât) dérive du mot rûh, (esprit). Celui-ci est au centre de la religion. C’est par cet aspect que la révélation, donc le Coran a fait irruption dans le monde des humains. C’est ainsi que Dieu révèle à Son Messager : «On t’a révélé de Notre part un Esprit», c’est-à-dire le Coran. Le messager céleste, qui a communiqué le Coran, est appelé lui-même «Esprit». Il est pour ainsi dire l’esprit véhiculaire d’une connaissance révélée et destinée à des humains pour leur signifier leur mode de vie et de comportement.
Il s’ensuit que la spiritualité, qui dérive avions-nous dit du mot «esprit», est un aspect essentiel de la religion musulmane. De ce fait, elle se réfère à la révélation mais, en même temps, elle prend en considération les réalités objectives de la vie. Le Coran est, donc, une connaissance, révélée par le biais d’un concept appelé «tanzîl» : il est une descente de l’Essence même de Dieu, Créateur d’un monde. Il est matérialisé dans un corpus ou un support matériel ; le Livre. Il s’ensuit que le Coran est un livre matérialisé dans un livre pour nourrir sans cesse les esprits jusqu’à la fin des temps. Et puisqu’il projette de modifier les comportements et les modes de vie, il ne peut être, par la même occasion, qu’un ancrage dans les réalités du moment. Cette affirmation se justifie par le fait que la révélation n’est pas descendue d’un seul jet, mais graduellement, par fragments. C’est dire qu’elle n’a pas bousculé la nature des humains de cette époque.
Au contraire, elle a accompagné cette nature humaine pendant 23 années, abrogeant certains versets et les remplaçant par d’autres en fonction des circonstances, de l’évolution des mentalités et du développement des réalités vécues. Ce n’est donc aucunement une abstraction de la culture qui animait les hommes de ce temps. Cette spiritualité descendue a bien trouvé sa substance, sa morphologie de réalisation dans un contexte de réalités particulières. Autrement dit, je ne saurais insister sur cet aspect, la spiritualité a pris en considération l’aspect culturel et sociologique un contexte historique et a adopté une méthode pédagogique porteuse à la fois d’un enseignement de purification, d’un côté, et, de l’autre, un enseignement de lois à même de codifier les comportements aussi bien extérieurs qu’exotériques.
Ce n’est pas sans raison que Dieu dit : «Dieu ne change pas l’état d’un peuple si celui-ci ne change pas d’abord son comportement intérieur.» Il y a donc une corrélation entre le monde intérieur et le monde extérieur, entre le temporel et le spirituel entre le corps et l’esprit, entre l’esprit et la matière. Ainsi, la spiritualité n’est donc pas un mode de comportement destiné à inciter l’homme à la réclusion, à son isolement de sa société et du monde, à vivre une vie monacale, mais elle participe à la marche du temps. Aussi, la révélation a-t-elle pour axe l’esprit autour duquel gravitent trois supports que sont la connaissance (‘ilm), l’approbation (taçdîq) et l’engagement (iltizâm). C’est ce que la première génération de musulmans avait compris. L’exemple le plus extrême nous est donné par ces croyants qu’on appelait les ahl aç-çufa ; ils demeuraient près de la mosquée de Médine, priaient, adoraient Dieu et se remémoraient ses Noms. En même temps, ils participaient au jihad : ils cessaient pour un temps leur pratique cultuelle intensive pour s’adonner à une activité communautaire. Il s’ensuit que la spiritualité, donc l’Islam, a pour objet de consacrer un temps aux affaires temporelles et un temps pour les choses purement spirituelles. C’est ce qu’il faut comprendre par cette parole du Prophète (Qsssl) : le croyant doit avoir «un temps et un temps.»
La révélation, porteuse de la spiritualité islamique, s’était adaptée à deux situations culturelles différentes d’où deux formes de spécificité du Coran s’étaient épanouies, avec leur propre morphologie linguistique. Il s’agit du Coran mecquois et du Coran médinois, bien que l’un et l’autre ne fassent qu’un seul ensemble indissociable. La révélation prenait ainsi, au fur et à mesure de sa descente, des accents particuliers suivant les circonstances et le contexte à la fois humain et didactique du moment. C’est là une autre justification du changement et de l’adaptation. Ce passage d’un état à un autre véhicule l’idée d’une progression avec ou dans le temps et l’espace, ce qui implique nécessairement changement et adaptation, encore davantage avec cette accélération de la sécularisation, avec son cortège de matérialité et avec cette pieuvre tentaculaire appelée la mondialisation où les cultures s’interfèrent, mais où, dans le même instant, l’idée de rester soi-même s’impose plus que jamais, sans quoi la spiritualité islamique se diluerait dans la matérialité du monde en devenir.
Ce passage de la révélation de La Mecque à Médine marque un esprit qui prend en considération deux espaces culturels différents avec la maturité évolutive de la perception des gens, de leur assimilation et de leur compréhension, Elle prend également en compte leurs sensibilités. Il s’ensuit que le Coran s’adresse au cœur de l’individu, et, par la même occasion, il réveille les raisons.
Ce qui précède nous enseigne qu’il nous appartient, dans cet univers où la création intellectuelle est de plus en plus abondante, d’ancrer la spiritualité dans les nouvelles situations que nous vivons. Plus clairement, il s’agit, ainsi que l’écrit Eric Younès Geoffroy, professeur à l’université de Strasbourg, «de nos jours, les tensions créées en pays musulman par la rencontre entre le ‘‘local’’ et le ‘‘global’’ sont très vives.
Les musulmans sont ainsi amenés à déterminer ce qui, dans leur culture, doit être préservé. Le processus actuel, irréversible, de la mondialisation comporte donc pour les musulmans un défi paradoxalement très positif : ils sont sommés de redécouvrir l’universalisme fondateur de l’Islam, de dépasser les replis nationalistes, les clivages dogmatiques ou rituels et d’aller à l’essentiel du Message islamique en se départissant des mœurs et des coutumes locales, qu’ils assimilent trop souvent à l’enseignement de l’Islam, créant ainsi des amalgames pernicieux.» Nous sommes conscients que le Coran ne nous révèle pas seulement des préceptes, mais il nous enseigne encore une méthode de réflexion, une éthique et une pédagogie spirituelle de l’action. C’est donc aux musulmans, ou plutôt à leurs intellectuels de savoir exploiter intelligemment le Message coranique pour trouver une forme de spiritualité adaptée au monde contemporain, d’autant mieux que le Livre de Dieu laisse une large manœuvre aux sensibilités et à la raison de sorte à ouvrir à cette spiritualité la voie de l’épanouissement dans le contexte actuel. Cependant, il y a lieu de ne pas, à force d’adaptation, dévier notre spiritualité de son Message fondateur et de sa spécificité.
Dimension céleste dans la conception de l’homme ou du spirituel au temporel et inversement
Nous vivons dans un monde où cohabitent diverses formes de mysticismes et de spiritualités. Où donc se situe la spiritualité islamique, ou plus exactement comment rester nous-mêmes, sans faire abstraction des implications du monde qui nous environne et nous cerne de tous les côtés. Le monde contemporain s’imprègne de plus en plus d’une sécularisation qui tend à réduire l’esprit (rûh) à une dimension synaptique sous prétexte que la science éprouve une aversion de l’irrationnel. Ce qui est vrai, mais paradoxalement, beaucoup de phénomènes apparents ou invisibles à l’oeil nu se caractérisent et se manifestent dans le domaine de l’irrationalité, donc, que nous ne pouvons pas expérimenter. Dans ce contexte où s’ordonne, par conséquent, la spiritualité islamique et comment se définit-elle?
D’abord, la spiritualité islamique se fonde sur un esprit dont la dimension se représente dans le dogme, dans une philosophie de l’existence de l’homme et de l’univers.
Cet esprit est dans l’individu avant même sa naissance. Il est animé par ce souffle divin transmis par l’Ange Gabriel au moment de la formation de l’embryon. Ainsi que le rapporte un hadith : «L’ange vient à un moment du développement biologique.» Cet ange apporte en nous une dimension céleste, soit un esprit qui prend forme et s’enracine dans le corps humain, celui-ci étant une matière, mais, dans le monde présent, cette matière domine le spirituel de sorte que l’individu, en général, s’attache au paraître plutôt qu’à l’être. Il est indéniable que la spiritualité islamique s’axe autour de l’Unicité de Dieu, mais comment rendre cette Unicité et cette rencontre avec le Créateur dans l’Au-delà une évidence, comment vivre le rite dans un monde matérialisé où l’homme, au lieu d’être une finalité, n’est qu’un instrument malléable, docile d’un système politico-économique avilissant ? C’est d’abord en saisissant le sens des piliers de l’Islam. Ainsi, si nous prenons le seul exemple de la çalât, nous devons comprendre que ce ne sont pas seulement des gesticulations des bras et des mouvements du corps.
Au contraire, c’est un moment spirituel qui constitue, avec le moment temporel, un mouvement pendulaire, c’est-à-dire que nous passons, cinq fois dans la journée du temporel au spirituel et inversement et à chaque fois, nous nous libérons de la pesanteur de la vie. Ces moment répétés et cycliques de la journée et ces arrêts momentanés de l’activité temporelle libèrent nos esprits de nos corps et doivent préparer, chacun de nous dans son domaine et selon sa spécialité, sa profession, l’art et la science qu’il exerce, à une activité matérielle plus intense, donc plus productive. Il en résulte que vaquer à ses occupations quotidiennes et retourner à des moments précis à une activité spirituelle, c’est se replacer en Présence du Créateur.
Pour un vrai et bon croyant, ce temps de la spiritualité après le temps de l’effort physique ou intellectuel, celui où nos yeux et notre pensée se remplissent des dorures de ce monde, sans ce retour régulier vers le Très-Haut, la vie n’aura aucun sens, puisque nous naissons, nous mangeons, nous buvons, nous nous développons et nous mourons de la même manière que le ferait n’importe quelle bête. Sans ce retour cyclique vers le Seigneur, des hommes et de l’univers, cela revient à accepter la servitude à la matière et, partant, admettre l’absence d’une liberté intérieure. Sans ces moments de prières, l’homme ne sera donc aucunement fortement imprégné de la Présence divine.
Spiritualité et moralité, deux sources d’énergie
Rappelons aussi que la spiritualité n’est pas seulement une relation avec Dieu, mais c’est également une éthique du comportement, sachant que le Prophète (Qsssl) a dit : «J’ai été envoyé pour parfaire les valeurs morales.» Il a dit également : «Ce qui distingue la morale de l’Islam de celle des autres religions, c’est la pudeur (al-hayâ).» Il s’ensuit qu’un musulman ne peut considérer qu’il vit une expérience spirituelle que si cette spiritualité modifie son comportement dans le sens de l’intérêt collectif et donc de l’élévation du mode de vie de sa société sur tous les plans de l’activité humaine. Qui dit moralité ne sous-entend pas infaillibilité, car la faiblesse est inhérente à la nature humaine. 1l n’en reste pas moins qu’en Islam, toute faiblesse devrait être une nouvelle source d’énergie et de progrès en ce sens qu’elle n’a pas pour synonyme découragement, abattement et perte d’espoir. C’est tout simplement du défaitisme dans un contexte mondial de compétition, de concurrence, d’émulation et aussi de rivalité. Celui qui s’adonne à ce genre de lassitude se suicide, en réalité, moralement, or le suicide aussi bien physique que moral est un grave péché et conduit son auteur à l’enfer.
La faiblesse est plus pernicieuse encore lorsqu’elle touche la société dans son ensemble. Elle se produit lorsque ses membres créent autour d’eux un vide culturel et comblent ce fossé par la recherche des seuls intérêts matériels individuels. Certes, nous sommes, par la force des choses, influencés par l’évolution matérielle du monde moderne. Nous sommes parfois conditionnés et nous ne pouvons pas, alors, nous prémunir contre les aspects nocifs de la culture dominante au point que celle-ci agit sur notre mode de vie et de pensée. C’est la mort de notre âme, de notre identité si nous ne réagissons pas au moyen d’une spiritualité qui nous rappelle à chaque instant qui nous sommes réellement et ce que nous voulons devenir. Cette spiritualité du monde contemporain doit nous faire comprendre que la philosophie matérialiste nous place au centre d’une vie sociale où les puissants s’imposent aux faibles, individus ou peuples, et font la loi, chaque fois qu’ils ne trouvent pas d’opposition. Il ne faut pas se leurrer, l’ère des démocraties et de la modernité ne nous libèrent pas de l’exploitation, de l’inégalité et de l’injustice, car «l’homme est enclin au désir du pouvoir et de la puissance.» Ainsi, la vie humaine n’a pour objectif que de se concentrer sur l’intérêt personnel au détriment de la justice et des avantages communs.
L’existence de ce monde ne s’exprime que par la notion de lutte et de méfiance. L’homme devient un loup pour son prochain et c’est ainsi que des conflits sociaux, politiques, voire armés, éclatent, et, comme le dit le Coran, corrompent la Terre. L’homme ne cherche plus qu’à satisfaire ses besoins personnels. Il est considéré comme un consommateur insatiable. C’est d’ailleurs là que se situe le pouvoir de la publicité, encouragée par un individualisme toujours insatisfait et exaspérant. L’Islam avait entrepris une opération inverse. Ainsi que le souligne avec force le penseur contemporain turc Mehmet Ozalp : «L’histoire de l’Islam témoigne pleinement de la mise en application réussie de ses principes qui ont apporté la satisfaction matérielle et spirituelle de toute la société.» Il cite cette affirmation de H. G. Wells, dans son ouvrage Les grandes lignes de l’histoire : L’Islam créa une société dénuée de cruauté et d’oppression sociale à grande échelle, plus que toute autre société ne l’avait fait auparavant.»
Extraits de la conférence de Tahar Gaïd Publiés par El Watan, édition 18 aout 2011.
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