lundi 19 septembre 2011

SALAH MOUHOUBI AU SOIR D’ALGÉRIE : «Le régime a encore de la marge»

Propos recueillis par Lyas Hallas.
Les pouvoirs publics n’hésiteront certainement pas, selon Salah Mouhoubi, économiste et politologue membre du Conseil national économique et social (CNES), à puiser encore dans la manne financière que génère la vente du pétrole en cette conjoncture pour entretenir l’équilibre politique. Il y a néanmoins, augure-t-il, un risque sérieux de voir se développer les appétits prédateurs et la corruption. Entretien…

-Le Soir d’Algérie : Est-ce que l’accumulation des réserves de changes (174 milliards USD au premier semestre 2011) est un indicateur de bonne santé économique ?
-Salah Mouhoubi : Oui et non. Oui, parce qu’il est clair qu’un niveau de réserves en devises aussi élevé indique de l’aisance financière. Des ressources qui constituent une garantie pour le pays. Cela montre au moins aux investisseurs étrangers que le pays est solvable. Cependant, ce niveau de réserves n’est malheureusement pas le fruit d’une économie diversifiée, densifiée, compétitive et hors hydrocarbures, une économie créatrice de richesse. C’est le produit exclusif de l’exploitation et de la commercialisation d’une seule ressource. Une ressource éphémère, épuisable, et donc aléatoire. L’accumulation des réserves de changes dépend, en réalité, de la demande mondiale du pétrole et du prix du baril. Elle est sujette aux soubresauts de la conjoncture. Autrement dit, même si ces réserves contribuent à donner une image de bonne santé financière du pays, elles montrent surtout sa vulnérabilité et sa fragilité.
 
-Se pose aussi la problématique de la gestion de ces ressources…
-En fait, pour la gestion de ces réserves, l’Algérie est logée à la même enseigne que tous les pays du monde et place ses réserves dans les grandes banques internationales ou en achetant des bons de Trésor américain. Dans les deux cas, les réserves sont sécurisées et procurent des revenus même si les taux d’intérêt sont faibles. L’année dernière, les revenus de ces placements ont généré 4,6 milliards USD qui ont été reversés au Trésor algérien, constituant ainsi une ressource pour le budget de l’Etat.
 
-Plus de ressources justement, plus de marge budgétaire pour le gouvernement qui continue à acheter la paix sociale en subventionnant tout. La loi de finances 2012 prévoit des dépenses de l’ordre de 7 428 milliards de dinars (100 milliards USD), 3 150 milliards pour le seul budget de fonctionnement et 1 300 milliards de dépenses sociales…
-Effectivement, la politique sociale de l’Etat est très coûteuse. Je constate ici que malgré les augmentations des salaires, on continue de subventionner les produits de première nécessité, les services publics… C’est une politique plutôt inefficace, injuste et contreproductive. 1 300 milliards de dinars prévus pour 2012 sous le chapitre des dépenses sociales et de solidarité nationale (soutien aux prix du lait, des céréales, de l’huile, du sucre, de l’eau de l’électricité, du gaz…). Tout est subventionné et une grande partie de cette somme n’a aucune contrepartie économique ni financière. Certes, ces subventions renforcent le pouvoir d’achat du citoyen. Plutôt, elles constituent un revenu qui n’apparaît pas dans la fiche de paie. Mais dans le cas de notre pays, elles stimulent la demande face à une offre nationale rigide, ce qui stimule l’inflation aussi et le recours aux importations. Et elles ne sont pas forcément positives pour l’économie nationale même si le citoyen en bénéficie. Je suis conscient que la paix sociale est à ce prix, surtout dans la conjoncture actuelle. Mais il est urgent de réfléchir à une alternative. C’est plutôt vital pour l’avenir du pays d’avoir une économie sans subvention. Il ne faut pas oublier que toutes les subventions sont financées par l’exploitation et la vente d’un seul produit, les hydrocarbures. La conjoncture marquée par une tendance haussière des prix du baril – la banque d’affaires américaine Goldman Sachs prédit un prix du baril de pétrole à hauteur de 130 USD en 2012 – est favorable pour s’autoriser le même niveau de dépenses sociales. La vente du pétrole continuera à renflouer les caisses de l’Etat. Mais ça ne veut pas dire que cela va créer plus de richesse en Algérie si notre appareil productif reste toujours non diversifié. Il faut espérer qu’à l’avenir, ces ressources supplémentaires puissent aider au développement en Algérie, à redynamiser les secteurs productifs de richesse tels que l’industrie, l’agriculture et le tourisme, et à moderniser les secteurs névralgiques de service public.
 
-La loi de finances 2012 prévoit aussi 2 849 milliards en autorisations de programmes. Cela portera à 87 % l’ensemble des autorisations libérées pour la mise en étude et en chantier des réalisations inscrites sur la période 2010-2014 mais posera aussi la problématique des capacités d’absorption de l’économie nationale…
-La problématique des capacités d’absorption de l’économie nationale ne se pose pas parce que l’Etat ne dépense pas au-delà de ses besoins. Au moins en apparence. Et si l’outil national de production ne suffit pas, le gouvernement va recourir aux étrangers pour réaliser ce programme de développement.
 
-La mise en œuvre de ce programme doté d’une enveloppe de 286 milliards USD aiguise de plus en plus les appétits, des nationaux comme des étrangers. Cela n’influera pas sur l’équilibre politique entretenu jusqu’ici par la distribution de la rente pétrolière ?
-Il est clair que les pouvoirs publics n’hésiteront pas à utiliser cette manne financière pour renforcer la stabilité sociale et donc, l’équilibre politique. Le danger est que l’Etat ne met pas de garde-fous et il y a un risque sérieux de voir se développer les appétits prédateurs et la corruption, la gabegie et le gaspillage.
L. H.

Le Soir d'Algérie, 19 septembre 2011

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