jeudi 14 avril 2016

À propos des nouveaux philosophes et d’un problème plus général



Parmi les nouveaux philosophes, Glucksman et Lévy sont hypermédiatisés alors qu'ils n'ont pas de véritables pensées
Glucksman et BHL, l'absence de pensée comme projet

Cet entretien de Gilles Deleuze a été publié comme Supplément au n°24, mai 1977, de la revue bimestrielle Minuit et distribué gratuitement. Janvier 2004, il est mis en ligne dans le site de la revue Multitudes. Étant depuis supprimé on ne sait pourquoi, je le republie ici tel quel. Le grand philosophe français y aborde « les nouveaux philosophes » comme épiphénomène. Leur réussite médiatique, malgré la nullité totale de leurs ouvrages (ce que tous les intellectuels sérieux admettent) révèle d’après Deleuze une tendance de notre époque qui les dépasse.
 
Gilles Deleuze (1925-1995), un grand philosophe français du 20e siécle
Gilles Deleuze
- Que penses-tu des « nouveaux philosophes » ?
- Rien. Je crois que leur pensée est nulle. Je vois deux raisons possibles à cette nullité. D’abord ils procèdent par gros concepts, aussi gros que des dents creuses, LA loi, LE pouvoir, LE maître, LE monde, LA rébellion, LA foi, etc. Ils peuvent faire ainsi des mélanges grotesques, des dualismes sommaires, la loi et le rebelle, le pouvoir et l’ange. En même temps, plus le contenu de pensée est faible, plus le penseur prend d’importance, plus le sujet d’énonciation se donne de l’importance par rapport aux énoncés vides (« moi, en tant que lucide et courageux, je vous dis…, moi, en tant que soldat du Christ…, moi, de la génération perdue…, nous, en tant que nous avons fait mai 68…, en tant que nous ne nous laissons plus prendre aux semblants… »). Avec ces deux procédés, ils cassent le travail. Car ça fait déjà un certain temps que, dans toutes sortes de domaines, les gens travaillent pour éviter ces dangers-là. On essaie de former des concepts à articulation fine, ou très différenciée, pour échapper aux grosses notions dualistes. Et on essaie de dégager des fonctions créatrices qui ne passeraient plus par la fonction-auteur (en musique, en peinture, en audio-visuel, en cinéma, même en philosophie). Ce retour massif à un auteur ou à un sujet vide très vaniteux, et à des concepts sommaires stéréotypés, représente une force de réaction fâcheuse. C’est conforme à la réforme Haby : un sérieux allègement du « programme » de la philosophie.

mercredi 13 avril 2016

La principale différence entre l'Occident et l'Orient selon Gaston Bouthoul



 
Le grand sociologue français Gaston Bouthoul explique la différence entre Orient et Occident
Gaston Bouthoul (1896-1980)
« La principale différence entre la civilisation occidentale, telle qu’elle est née dans la Grèce antique, et les civilisations orientales traditionnelles est que chez ces dernières la science et la philosophie étaient ésotériques, réservées à des collèges sacerdotaux ou à une aristocratie recrutée par cooptation comme les mandarins chinois. Ce fut le scandale du ''Miracle grec'', que de voir les arcanes de la science et de la philosophie exprimées en langage vulgaire et discutées sur la place publique. Depuis, suivant que prédomine dans l’histoire l’influence de l’Orient ou celle de l’Occident, on a vu s’affirmer cette tendance à la vulgarisation ou monopoliser la pensée par des collèges restreints. »
Gaston Bouthoul, Biologie sociale, PUF, 3e éd., 1976, p. 117

mardi 12 avril 2016

Pourquoi le système politique algérien est irréformable 2/2


Abdelaziz Bouteflika le 10 avril 2016. Il est malade depuis 2005, gravement depuis 2013.
Le visage d'un système abominable


Par Lyes Benyoussef



4. La hiérarchie militaire

Même dans l'armée, ce qu'on appelle les « jeunes officiers » sont fascinés par des supérieurs richissimes et omnipotents, dont certains devenus mythiques à leurs yeux. Chacun des généraux (au risque d’ennuyer le lecteur, je vais réutiliser le mot) analphabètes fonde une dynastie. Les « jeunes officiers » ne rêvent que de les remplacer avec toujours les privilèges auto-octroyés, l'inculture et l'anti-démocratie. C'est pourquoi l'exemple portugais (c’est-à-dire les capitaines démocrates révolutionnaires) ne sera pas réédité en Algérie.  Ahmed Rouadjia écrit : « La jeune génération d’officiers plus instruits et mieux formés que leurs aînés dans les grandes écoles soviétiques, occidentales et nationales, après l’indépendance, s’est trouvée complètement inféodée, bridée puis maintenue en laisse par la gérontocratie de militaires hauts gradés, comme le général de corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah, et d’autres généraux du même acabit. Usés jusqu’à la corde par le pouvoir, gangrenés par la corruption, contaminés par le goût de la licence et de la luxure, certains officiers hauts gradés ont une conception d’autant plus étroite et étriquée du monde qu’ils n’ont pas d’autres projets grandioses que ceux de dépouiller l’État de ses prérogatives régaliennes en vidant le trésor public à la faveur de l’économie rentière. » Loin de répugner les jeunes, ils les fascinent. Il n'y aura jamais de militaire sauveur en Algérie.

Pourquoi le système politique algérien est irréformable 1/2



Le destin de l'Algérie semble tragique
Par Lyes Benyoussef
La dernière apparition de Bouteflika, outre son pathétisme (voulu ?), devrait rappeler à ceux qui l’ont oublié la déliquescence avancée de l’État algérien. Tout le monde est aujourd’hui conscient de l’extrême vulnérabilité de cet État qui pourrait, dans sa chute, provoquer un désastre dont la société ne se relèvera jamais. Comme l’écrit Ali-Yahia Abdennour dans son dernier livre, « le risque de retour à la violence est réel. » (Lire des extraits sur le système politique et sur la Kabylie et la régionalisation.) Il est probable que l’épuisement du FRR (Fond de Régulation des Recettes) — que les plus optimistes des experts donnent pour 2 à 3 ans — entraîne une recrudescence de la violence, terrorisme et répression. À la fin des années 80, on parlait, dans un contexte à certains égards préférable à l’actuel, d’une Algérie se dirigeant vers l’inconnu. Sauf pour ceux parmi nous qui se sont volontairement aveuglés, l’inconnu est désormais connu : il s’agit de la guerre civile.
Bien que l’absence de projet économique et social sérieux soit manifeste, le système politique refuse toutes les leçons de l’histoire, algérienne et mondiale, en consolidant son autoritarisme comme s’il n’était pas illégitime, comme si les dirigeants étaient compétents et comme si cette attitude irrationnelle serait productive. Pourquoi donc le système politique algérien refuse-t-il de se réformer ? Esquisse d’une réponse :

De l’État-DRS à l’État-oligarchies, l'Algérie n’aurait pas de «happy end»



Le Politologue Rachid Tlemçani analyse la conjoncture actuelle en Algérie

Par Rachid Tlemçani
L’ancien ministre de l’Energie et des Mines, ami personnel du chef de l’Etat, est revenu au pays après avoir quitté le territoire national alors qu’un mandat d’arrêt était toujours lancé contre lui.
Le 17 mars 2016, il est reçu à l’aéroport d’Oran avec les honneurs, comme s’il était en visite officielle aux Etats-Unis. «Un dispositif d’accueil digne du personnage» a été mis en place, a tenu à préciser la chaîne de télévision Ennahar, très proche du cercle présidentiel, qui a eu la primeur de l’information.
«Les anciens responsables doivent être respectés», a défendu le ministre de l’Intérieur. Ce retour sous la bénédiction des néo-conservateurs américains a été préparé et organisé de longue date. Auparavant, Chakib Khelil a été l’invité d’honneur aux festivités du 1er Novembre 2015 à l’ambassade d’Algérie à Washington. Comme première sortie publique, la légitimité historique est perçue comme un préalable à la prise de pouvoir.
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