Par Lyes Benyoussef
La dernière
apparition de Bouteflika, outre son pathétisme (voulu ?), devrait rappeler à
ceux qui l’ont oublié la déliquescence avancée de l’État algérien. Tout le
monde est aujourd’hui conscient de l’extrême vulnérabilité de cet État qui
pourrait, dans sa chute, provoquer un désastre dont la société ne se relèvera
jamais. Comme l’écrit Ali-Yahia Abdennour dans son dernier livre, « le risque
de retour à la violence est réel. » (Lire des extraits sur le système politique et sur la Kabylie et la régionalisation.) Il est probable que l’épuisement du
FRR (Fond de Régulation des Recettes) — que les plus optimistes des experts
donnent pour 2 à 3 ans — entraîne une recrudescence de la violence, terrorisme
et répression. À la fin des années 80, on parlait, dans un contexte à certains
égards préférable à l’actuel, d’une Algérie se dirigeant vers l’inconnu. Sauf
pour ceux parmi nous qui se sont volontairement aveuglés, l’inconnu est
désormais connu : il s’agit de la guerre civile.
Bien que
l’absence de projet économique et social sérieux soit manifeste, le système
politique refuse toutes les leçons de l’histoire, algérienne et mondiale, en
consolidant son autoritarisme comme s’il n’était pas illégitime, comme si les
dirigeants étaient compétents et comme si cette attitude irrationnelle serait
productive. Pourquoi donc le système politique algérien refuse-t-il de se
réformer ? Esquisse d’une réponse :
1. L'inculture
L’impéritie
et l’infériorité intellectuelle des dirigeants, tous, civils et militaires confondus,
raillés à juste titre par la population et (désormais avec l'inénarrable Sellal) le monde,
est un problème majeur. Les décideurs algériens, notamment les militaires, sont
d'une inculture incroyablement profonde. Le sociologue Ahmed Rouadjia écrit
dans une étude récente que « ce qui différencie le régime algérien des autres
régimes du même acabit, c’est moins l’autoritarisme que l’inculture de la caste
militaire sur laquelle il s’arcboute. En effet, le cursus, tant scolaire que
militaire, de la plupart des officiers supérieurs de l’armée algérienne, sinon
la majorité d’entre eux, qui ont présidé et qui continuent jusqu’à présent à
présider au destin du pays, s’avère à l’examen attentif sinon affligeant, du
moins assez médiocre. Beaucoup d’entre eux sont devenus en effet des généraux
sous la présidence de Chadli Benjdid qui avait lui-même institué ces hautes
distinctions, alors que traditionnellement ces marques distinctives sont
réservées aux gens de mérite et aux soldats qui se sont illustrés aux champs de
bataille, comme les généraux allemands, français, russes, ou vietnamiens, tel
le fameux général Giap, le vainqueur des troupes françaises du Diên Biên Phu.
Comme les officiers qu’il avait promus au grade de général, Chadli Benjdid,
issu lui-même comme ses pairs de la DAF (déserteurs de l’armée française) ayant
rejoint très tardivement les rangs de l’ALN et du FLN, n’avait pas ou à peine
le niveau de certificat d’études primaires. » (« Les ambigüités de la
notion de transition démocratique : le cas de l’Algérie », in Amar
Inagrachen, Quelle transition démocratique pour quelle Algérie ?,
Éd. Frantz Franon, Tizi-Ouzou, 2015, pp. 53-96.)
Tirer les
enseignements exige à l’évidence un certain niveau. Des connaissances et de
l’intelligence. Les dirigeants algériens, connaissent-ils seulement ce qui
s'est passé au Portugal et en Espagne en 1974 et 75 ? Les expériences de
démocratisation l'Amérique latine et de l'Europe centrale et de l'est ? Le
régime algérien semble s’être inspiré au moins une fois de ces expériences. Ahmed
Rouadjia écrit à propos de la « réconciliation » bouteflikienne : « L’on se
demande si le président Bouteflika, tiré du néant par les généraux coupables de
crimes abominables et placé par eux à la tête de l’État, en 1999, n’a pas copié
certaines méthodes de gouvernance de Pinochet et de ses semblables. » (Ibid.)
En tout état de cause, si un homme
comme le général Toufik, autoproclamé d’après un témoignage « dieu de l’Algérie
», pouvait tirer intellectuellement des leçons, il n’y aurait pas eu la fin
pitoyable ou risible (c’est selon le tempérament et l’opinion de chacun) qu’il
est en train d’avoir en ce moment…
2. Profondeur de la mentalité antidémocratique, élitisme contradictoire
L’hostilité,
par principe, des décideurs algériens à la démocratie. Dans celle-ci, c’est un
élément, son « accountability » (rendement de comptes), qui les répugne. Ils
partagent avec les islamistes radicaux, pour des raisons différentes, la vision
selon laquelle le peuple ne peut être source de légitimité ; à leurs yeux, c’est
une populace, un conglomérat de tubes digestifs à remplir de nourriture et de
bras à essayer de faire travailler (et la rente pouvait garantir la nourriture et
remplacer le travail). Ce qui relève du paradoxe, car la tentation de qualifier
les décideurs algériens de canaille est compréhensible tant il s'agit d'un
constat objectif (lire par exemple Le témoignage Boudjedra sur l'entourage de Boumediene.) Avant les années 1980, les dirigeants algériens avouaient
ouvertement que le peuple n’est pas mûr pour la démocratie. Or ce n'était pas
le cas au Portugal et en Espagne par exemple, y compris des proches des
régimes. L’hostilité envers la démocratie est une caractéristique que les
dirigeants partagent avec certains groupes élitistes tout en étant médiocres,
se disant parfois de gauche, dans le Monde arabe.
Hormis dans les
discours électoraux, où le populisme tactique est de mise (le peuple devient « héroïque »
et « glorieux »), le mépris du peuple est somme toute naturel, ancré
dans l’inconscient collectif de la classe politique. Ainsi, dans un article paru aujourd’hui sur El Watan, le politologue Rachid Tlemçani relève une
confusion des laudateurs de Chakib Khelil et autres corrompus : « Le
discours technocratique est mis en exergue, comme si la crise nationale n’est
pas une crise de légitimité, politique, mais d’ordre technique. » Aujourd’hui
comme hier, cette hostilité envers la démocratie, est enraciné dans les
mentalités des dirigeants et leurs proches.
3. La corruption
Son ampleur parmi les groupes que sécrétés par système est effarant. En effet, Franco
avait désigné le roi d'Espagne comme successeur, mais celui-ci avait consenti
volontiers, sans contrainte, une monarchie constitutionnelle (voir l'étude déjà
cité de Rouadjia). Dire que la culture démocratique était partagée par les
élites dirigeantes d'Espagne y compris sous Franco ! Chose dont
l'équivalent n'aura jamais lieu en Algérie. Comme l’écrit Rachid Tlemçani dans
le même article, « pratiquement l’ensemble de la classe politique est
impliquée d’une manière ou d’une autre dans des scandales financiers. »
Cet universitaire estime la corruption à quelques 300 milliards de dollars. En
vérité, si l’on donne au mot corruption tout sa profondeur et on ne la réduit
pas aux pots-de-vin, les commissions et les rétro-commissions, l’estimation 300
milliards sera dépassée. La corruption « structure organiquement l’État sécuritaire »
algérien, écrit Rachid Tlemçani.
Bouteflika et
son clan, les factions rivales, militaires et civiles, les « barons » qui les soutiennent,
les pseudo-entrepreneurs plus ou moins analphabètes qui dominent le secteur
privé, la « famille révolutionnaire » en hyperinflation, etc. sont noyés dans
la corruption. Dans un article de Mohammed Harbi intitulé Sur le processus
de re-légitimation du régime algérien, l’historien cite les privilèges que
les « révolutionnaires » analphabètes (analphabètes effectivement bien que
certains se disent « douctour ») ont acquis depuis 1962 en contrepartie d'un
silence complice au moins, sinon d'un soutien militant et actif. Des
entreprises, des terrains, des postes de responsabilité, etc.
Mais la tendance
est très générale compte tenu des ramifications du système. Aussi devrait-on admettre
que la mentalité ambiante y contribue.
Le cas d’un
fameux commandant de la ZAA, qui passe pour un opposant, démocrate, etc., est
intéressant. Ce soudeur de formation a tenu des propos révélateurs face à la
journaliste d'El Watan, à savoir que si la France était restée, il aurait été
soudeur au Sud avec une maladie aux poumons (sic) et elle une Fatma (voir El Watan 05
juillet 2012). Mais, si ladite journaliste n'est pas une Fatma, mais une
journaliste évidemment, ce soudeur n'a pas dit ce qu'il fait, lui, aujourd'hui ?
C’est en lisant un article dans le Monde diplomatique sur Bernard Henri Lévy qu’on
découvre que le soudeur est devenu importateur de bière et de lait. Être
soudeur, prendre les armes et puis devenir importateur. La guerre, processus de promotion sociale. Un tel « destin » a de quoi nourrir des
ambitions de potentiels terroristes par les temps qui courent ! Comment ces gens-là donc pourraient-ils
soutenir, consentir un vrai changement démocratique, sachant que celui-ci les
dénuera de leurs privilèges indus ? Car la démocratie ne se réduit pas à des
élections.
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