lundi 19 septembre 2011

«Près de 90% des mosquées algéroises sont contrôlées par les salafistes»

Auteur, poète, chercheur et spécialiste de l’islamisme, Sadek Slaymi s’est longuement intéressé à la doctrine salafiste. Au fil de ses recherches, il tire une déduction selon laquelle le salafisme n’est pas apparenté au sunnisme. 

-Pouvez-vous expliquer aux lecteurs la doctrine salafiste?

-Le salafisme trouve son essence dans le wahhabisme. La doctrine salafiste se divise en deux courants. Le premier est la salafya djihadia, qui s’oppose à tout ce qui est différent de sa conception, y compris le pouvoir politique en place. A titre d’exemple, Ben Laden a été un de ses disciples. Le deuxième courant est la salafya ilmia, qui est loyal au pouvoir. Ces deux courants ont la même référence, entre autres Ibn Theymya. Des chercheurs spécialistes de l’histoire du monde islamique sont allés plus loin dans leur thèse. Ils estiment que l’origine du salafisme remonte à Mouawya Ibn Abi Sofiane, qui s’est opposé à Ali Ibn Abi Talib, avec comme conséquence la bataille de Siffain. Mouawya était clair. Lorsqu’il a pris le pouvoir, il a dit aux gens de Damas : «Je ne vous gouverne pas pour vous obliger à faire la prière ni pour vous imposer l’aumône. Je suis là pour régner sur vous.» En fait, c’est à partir du califat de Mouawya que la théorie de la Jibria a vu le jour, c’est-à-dire l’obligation d’obéir au maître du pays sans contester une seule de ses démarches ou de ses idées. Quand vous lisez Ibn Theymya, on constate qu’il accuse des compagnons du Prophète de mensonges. Sa première victime était Ezzouhri, qui était un grand sahabi. Nous remarquons que la pensée de Mouawya et celle d’Ibn Tehmya ne diffèrent pas. C’est celle de l’obéissance au pouvoir en cours. Le grand danger réside dans le fait que des régimes dits arabo-musulmans ont permis à la doctrine salafiste, substance de Ibn Theymya, de se répandre, car elle ne constitue pas un risque pour eux, et le peuple est régulièrement aliéné. Le grand problème c’est que la doctrine d’Ibn Theymya considère tout musulman kafir, s’il ne respecte pas à la lettre ses préceptes. L’Islam est au-dessus de tout cela. Les obligations sont claires et précises, à savoir la prière, le jeûne du Ramadhan, ainsi que l’aumône et le hadj dans la mesure du possible. La pensée salafiste, avec ses deux courants, considère à titre indicatif tout individu kafir s’il ne porte de kamis, s’il rase sa barbe, s’il porte des pantalons, s’il se brosse les dents avec du dentifrice, s’il regarde la télévision, etc. Pour les salafistes radicaux, il est permis de tuer tout musulman, car ce n’en est pas un vrai. C’est un mécréant. Ils ont dénaturé l’Islam et son humanisme. Le plus malheureux, c’est que les régimes sont conscients de cela. Au lieu de stopper cette hémorragie, ils ne font que l’encourager. Cette pensée prépare le terrain aux futurs terroristes qui, à l’origine, sont de pauvres jeunes sans repère. Quand ils sont endoctrinés, en leur disant que tuer des centaines de personnes vous permet d’entrer au paradis, le résultat est chaotique. Les régimes qui encouragent la salafya ilmia se trompent lourdement. N’ont-ils pas conscience ou peut-être le savent-ils, les tenants de cette pensée peuvent du jour au lendemain bercer dans la salafya djihadia et considéreront le pouvoir comme taghout (mécréant). Il ne faut pas oublier que ce sont d’abord des califes ommeyyades qui ont utilisé de faux hadiths, et ou au pire entrecoupé quelques-uns. L’objectif étant de gagner les foules. Cette ruse politique leur a permis de rassembler les masses autour d’eux au nom de la religion. 

-Comment se manifeste la pensée salafiste en Algérie ? 
-Elle fait des ravages. Elle divise la société à petit feu. Le malékisme disparaît. Un cadre du ministère des Affaires religieuses m’a fait une confidence. Près de 90% des mosquées algéroises sont contrôlées par des salafistes purs et durs. Il n’est pas étonnant que les jours de l’Aïd vous n’entendiez pas, dans la majorité des mosquées les medhs, que psalmodiaient nos ancêtres. Pour eux, c’est une bidaâ. Le salafisme, qui fait dans beaucoup de cas les affaires du pouvoir, risque de se radicaliser encore plus. Déjà que c’est une pensée dangereuse, les salafistes vont se retourner, dès que possible, contre l’ensemble de la société et les autorités, bien évidemment. 

-Mais les salafistes présents sur la scène politique ne disent pas vouloir tuer les Algériens ? 
-Ils utilisent la taqqya, comme les chiites. Ils cachent leur jeu et ne disent jamais ce qu’ils pensent. Aujourd’hui, ils sont plus intelligents qu’auparavant. Ils ont acquis une culture politique et appris la leçon du passé. Ils espèrent un jour accéder au pouvoir et, ensuite, régler leurs comptes. Il faut comprendre une chose : les salafistes ne sont pas des sunnites. Ils sont pires que les kharidjites Azraqi auteurs de l’assassinat d’Ali Ibn Abi Talib. Je pense que la solution pour stopper le mal qui guette la société est d’abord la révision des manuels scolaires et sauver ce qui peut l’être. La pensée salafiste est contre le progrès et la modernité. Un exemple. Ibn Baz, l’un des grands savants du salafisme du XXe siècle avec Otheimin et Albany, considère kafir celui qui croit que la terre est ronde ! Otheimin dit que prendre des photos c’est haram ! Comment voulez-vous que le monde dit islamique avance avec cette pensée. On sait très bien que le monde arabo-musulman a régressé à cause de la fermeture des portes de l’ijtihad à partir du XVe siècle. Mais de là à soutenir de telles idées avec tous les moyens technologiques existant en 2011, je pense que c’est cela la vraie hérésie. 

Mehdi Bsikri
El Watan, 19 Septembre 2011.

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...