mardi 30 août 2011

Le salut «majeur» d'Ali Ferzat


Par Ahmed Halli
halliahmed@hotmail.com

Kadhafi, ou El-Gueddafi comme le veut la terminologie officielle, n'est pas seulement un dictateur imbu de sa personne, il fait aussi dans l'imposture, le mensonge, et la supercherie. Sur ce registre, son plus beau coup aura été de faire croire au monde que sa fille adoptive, alors dans les langes, avait été tuée par les bombardements américains sur sa résidence en avril 1986.
Persuadé que les Libyens étaient responsables de l'attentat contre une discothèque, fréquentée par les soldats américains en Allemagne, Washington avait ordonné un bombardement de représailles sur plusieurs cibles, dont la «kheima» de Kadhafi lui-même. Tout le monde se souvient de la façon dont le dirigeant libyen avait joué les victimes éplorées, en affirmant que sa fille adoptive de six mois, Hanna, avait été tuée par une fusée américaine. Or, la récente conquête de la résidence-bunker de Kadhafi à Tripoli a dévoilé la combine avec des documents attestant que la supposée fille tuée était bien vivante. Hanna, 25 ans, officiait comme médecin dans la capitale, et elle aurait quitté la Libye, en compagnie des autres membres de la famille. Selon Al-Arabia.Net, Hanna se serait enfuie, il y a plusieurs jours, vers la Tunisie, en compagnie des trois fils de Kadhafi et de sa fille Aïcha. Ça ne nous rassure qu'à moitié, parce qu'avec une telle engeance, il faut s'attendre au pire, c'est-à-dire à les voir s'installer dans notre environnement national et patriotique. Notre gouvernement, toujours aussi éclairé à la chandelle, a démenti l'entrée en Algérie d'un convoi de Mercedes blindées, à bord desquelles aurait pu se trouver le dictateur déchu. L'information avait été diffusée par l'agence de presse égyptienne, ce qui explique un peu la promptitude de la réaction officielle de notre diplomatie, malmenée entre ses positions de principe et les sautes d'humeur du grand chef. Ce démenti qui répond à des spéculations strictement égyptiennes, et donc forcément hostiles depuis Khartoum, est d'ailleurs la seule initiative émanant du plateau des Annassers(1). On a bien essayé de nous persuader que l'Algérie observait une stricte neutralité dans le conflit interne libyen, mais en pure perte. Il y a de quoi être méfiant, surtout depuis qu'un émissaire spécial a été dépêché à Tripoli pour y proclamer le soutien du peuple algérien à Kadhafi. Je pensais être partie intégrante, et de plein droit, du peuple algérien, mais comme Bouguettaya(2) ne m'a pas consulté avant d'aller faire allégeance au «Roi d'Afrique»… Toutefois, il n'y a aucun algérien sensé qui fera mine de croire que Bouguettaya a agi de sa propre initiative, et sans l'autorisation des décideurs du moment. Donc, jouons le jeu et agissons comme si Kadhafi n'était pas parmi nous, vu qu'il n'a jamais été des nôtres. Pensons plutôt à sa pauvre fille Aïcha qui doit remplir des bassins de larmes à la vue de sa piscine envahie par des enfants, qui font déjà comme s'ils étaient chez eux. De la graine de libérateurs qui finiront sans doute par devenir ministres s'ils ne se font pas prendre au piège de la cocaïne, et d'autres produits dopants. Il paraît que d'autres se sont laissés (et fait) prendre, par ailleurs… Grandeur et décadence de Kadhafi : les amis et clients qui chantaient jadis ses louanges et profitaient de ses largesses financières le lâchent un par un. Le poète égyptien Fouad Negm a reconnu la semaine dernière sur le plateau de la chaîne Al-Kahéra Wal'Nass, qu'il avait été un supporter de Kadhafi. «J'ai été son ami, car j'admirais sa personnalité et sa folie, et parce que j'ai toujours aimé passionnément la folie. Mais je l'ai plaqué, comme une épouse le ferait avec son mari, il a détruit la Libye. Je déteste aujourd'hui la folie de Kadhafi et je n'ai plus aucune admiration pour lui. Je lui souhaite une mort rapide, ou de subir le sort de Moubarak dont ni la vie ni la mort ne veulent.» Dictateurs de tous pays (arabes), réveillez-vous ! Voilà le genre d'épitaphe qui vous attend ! Loin de nos turpitudes libyennes, le Syrien Bachar Al- Assad tient toujours tête à la contestation populaire et persiste avec le soutien résolu et indéfectible de l'Union des écrivains arabes(3). Le «Zaïm» attitré des patriotes arabistes, plumitifs, folliculaires, ou écrivains sans lecteurs, est encore plus sanguinaire que Kadhafi, dont il applique à la lettre le slogan «Beït beït, zenga zenga» (Maison par maison, ruelle par ruelle). C'est ainsi que procède Assad dans les villes insurgées qu'il nettoie au canon de char, des chars qui n'ont jamais tiré un seul projectile contre Israël. Jeudi dernier, le cruel autocrate de Damas a commis un nouveau forfait en s'attaquant au caricaturiste syrien Ali Ferzat. Le dessinateur de presse, mondialement connu, ne faisait pas de politique, mais il publiait des caricatures féroces contre le régime. Déçu par l'attitude de soumission des intellectuels et artistes syriens à l'égard du régime, il avait proposé de publier une «Liste d'infamie» comportant les noms des personnalités compromises avec le pouvoir. Ali Ferzat a été kidnappé par des hommes de main, et sauvagement battu, les agresseurs lui ont notamment écrasé les mains, pour le punir de ses dessins. C'est ainsi que le clan Assad avait procédé, il y a une trentaine d'années, avec le journaliste libanais Salim Ellouzi. Ce dernier, réfugié à Londres, avait été enlevé et assassiné à Beyrouth, où il était venu assister à l'enterrement de sa mère. Avant de le tuer, les mercenaires de Damas lui avaient coupé les doigts, signifiant par là que c'était l'homme de plume qui était visé. Il y a deux mois, c'est le chanteur de la révolution syrienne, Ibrahim Kachouche, qui a eu la gorge tranchée parce que ses chansons faisaient enrager les autorités. Quant à Ali Ferzat qui se remet de ses blessures, il se console du silence arabe en lisant les messages de soutien qui lui viennent d'Europe et d'Amérique. Sur son «blog», l'un de ses confrères caricaturistes a publié un dessin le représentant couvert de pansements sur son lit d'hôpital. Les mains sont également bandées, et à l'emplacement des doigts, on voit émerger le seul «majeur»(4), dressé comme un défi lancé à Bachar. Il y a des évènements et des jours qui ont une saveur particulière, comme celle que procure l'appel précoce d'un muezzin pressé à l'heure du «ftour».
A. H.

(1) Que diable ! Les Français ont bien leur «Quai d'Orsay», et je ne pense pas qu'il dispose d'une vue aussi imprenable, que ce promontoire des Annassers qui permet de voir très loin, surtout par temps clair et sans perturbations nuageuses en provenance de Libye.
(2) Cet ancien journaliste qui s'est hissé jusqu'aux travées du parlement à la force du poignet, celui relié à la main qui n'écrit pas, est la vivante illustration du mot de la sentence de Mark Twain qui disait que le journalisme mène à tout à condition d'en sortir. Nombre d'ex-confrères l'ont suivie, et ils s'en sont bien sortis, pour l'instant du moins.
(3) Une union à sens unique, à laquelle est affiliée, avec fierté, engagement et enthousiasme, l'union de nos écrivains algériens, faute de mieux dans le gotha littéraire. Aucun membre de l'Union des écrivains arabes ne peut obtenir le prix Nobel de littérature sous peine d'être expulsé, en vertu des statuts de ladite union.
(4) Pour les lecteurs intéressés, ce dessin est visible à cette adresse : http://www.ali-ferzat.com/ar/home.html Vous pouvez aussi laisser des messages de réconfort et d'amitié au caricaturiste syrien.

In Le Soir d'Algérie, le 29 aout 2011.

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